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Full text of "Le Monde moderne"

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University  of  Ottawa 


littp://www.arcliive.org/details/lemondemoderne13pari 


Q^i'\^C  c>'^.^--^ 


Le 

Monde  Mo  d  et  ne 


7"     ANNKE 


REPRODUCTION     INTERDITE 

des  articles  et  des  illuslralions. 


DROITS     D  li     T  R  A  I)  U  i:  T  U>  N     B  li  S  K  R  V  L  S 

pour  tous  pays,  y  compris  la  Siirde  et  la  Norvège. 


Le 


Monde  Moderne 


TOMH      XIII 

Janvier-Juin     1901 


PAR  IS 

Albert     QUANT  IX,     Éditeur 
5,  Rue  Saint-Benoît,  5 


LES    TROIS    HORACE 


Le    chev.ilier     llurMce     de     L;i Valette   ! 
étant  mort   fort  jeune,  après  avoir  dila- 
pidé ses  biens  à  la  cour  du  Régent,  ses 
trois  fds  prirent  du  service  dans  l'armée 
de   M.  de   Xoailles,  comme  lieutenants. 


Ces  trois  jeunes  Imunnes  cpie,  dans  a 
société,  on  appelait  du  prénom  de  leur 
père,  les  Horace,  pour  les  distinguer  de 
la  branche  aînée  des  Lavalette,  étaient 
fort  dissemblables  de  visage  et  de  carac- 


l.i:S    TKOIS    IIORACK 


li-re.  L'aillé.  Kabien.  était  avant  tout 
fralaiit  et  impétueux.  Très  civil,  el  se 
plaisant  aux  règles  délicates  de  l'éli- 
(juetle,  il  était  recherché  des  femmes. 
Personne  mieux  que  lui  ne  savait  tendre 
le  dra^'coir,  ouvrir  l'éventail,  rendre  un 
lichii  tombé,  tou,<  ces  menus  arlilices 
d'une  main  fine  (|ui  sort  avec  avantafje 
du  flot  de  dentelles  de  l'habit  de  salon, 
l'ji  outre,  il  possédait  une  figure 
agréable,  et  rien  n'était  plus  séduisant 
qne  l'éclat  de  ses  yeux  noirs  et  de  son 
visage  bistré,  sous  le  frimas  de  ses  che- 
veux poudrés.  L'uniforme  lui  seyait 
tant,  que  la  duchesse  de  Châleauroux 
s'était  écriée  :  «  Quel  est  donc  cet 
homme  si  bien  fait?  »  un  jour  qu'à 
Melz  elle  le  voyait  passer  dans  sÎju  ajus- 
Icinenl  brodé  d'or,  que  l'épée  négligente 
rolevait  au  côté  sur  la  culotte  blanche. 
Mais  sa  violence  en  campagne  était 
aussi  terrible  que  sa  grâce  était  aimable 
en  société,  et  il  semblait  alors  n'être 
fait  que  pour  le  carnage,  le  canon  et  le 
sang  ;  bien  peu  semblable  en  cela  à  son 
rrère  cadet,  qui  n'était  entré  qu'à  regret 
dans  les  armes,  et  dont  lé  feu  roulant 
(le  la  bataille  ne  semblait  jamais  inter- 
rompre l'éternelle  rêverie.  De  haute 
taille,  émacié  dans  son  habit  fluet  tout 
flottant  de  dentelles,  Etienne  de  La\a- 
lette  portail  une  profonde  mélancolie 
)usf|ue  dans  les  camps.  .A  lencontre  de 
Fabien.  (|ui  ne  vovait  point  une  femme 
(|ii'il  n'en  fût  amoureux,  lui  n'avait  ja- 
mais aimé.  Mais  on  disait  de  lui  (pi'il 
composait  un  long  poème  ])our  célébrer 
le  règne  de  la  Paix,  et  souvent  dans  les 
batailles,  (piaïul  il  menait  ses  gens  aux 
avanl-pnslcs.  on  le  voyait  négliger  de 
tirer  son  épée  pour  se  défendre. 

Le  troisième.  Hubert,  était  d'un  na- 
turel modéré  et  taciturne.  Fort  timide, 
il  fuyait  les  salons,  se  |)laisait  à  la  soli- 
tude et  alfectail  de  mépriser  la  société. 
«  ("est  un  bon  oflicier,  disait  le  maré- 
chal, f|ui  était  spirituel,  mais  à  l'armée 
sciileineiil .  >i  (domine  il  parlait  peu,  on 
l'estimait  d'ordinaire  moins  (|ue  ses 
deux   aillés.    .\   la    vérité,   il   était,    bien 


qu'encore  à  l'adolescence,  serviable,  ré- 
fléchi et  fidèle  ami  ;  mais  ce  sont  là  des 
vertus  de  peu  de  poids  dans  les  juge- 
ments qu'on  se  forme  des  gens. 

A  Fontenoy,  les  trois  messieurs  de 
Lavalette  étaient  présents.  Fabien,  vic- 
time de  sa  folle  intrépidité,  eul  sou  che- 
val tué  sous  lui  et  du!  lonibaltre  obscu- 
rément à  pied,  comme  un  de  ses  gens 
d'armes,  lîtienne,  toujours  rêveur  el 
insouciant,  dressé  sur  sa  monture  ca- 
brée, demeura  parmi  la  jdiiie  des  balles 
anglaises,  sans  qu'une  seule  effleurât  le 
panache  de  son  chapeau.  Pour  Hubert, 
calme  et  observateur,  il  avait  suivi  froi- 
dement la  bataille;  ce  fut  lui  (pii  tourna 
ses  hommes  en  panique  vers  l'assaut 
linal.  Il  eut  les  deux  jambes  brisées,  mais 
il  fut  nommé  colonel  à  vingt  ans. 

Les  trois  frères  s'aimaient  d'une  pro- 
fonde tendresse.  Pour  la  convalescence 
du  jeune  héros,  ses  deux  aînés  prirent 
un  congé  dans  le  dessein  de  le  passer  à 
Paris;  mais  ils  s'arrêtèrent,  en  traver- 
sant la  Bourgogne,  au  château  de  la 
douairière  de  Lavaletle,  leur  tante,  pen- 
sant que  la  salubrité  de  ce  pays  récon- 
forterait mieux  Hubert. 

Ils  arrivèrent  à  l'improviste.  un  soir 
de  septembre  brumeux  et  mouillé.  Il 
faisait  nuit  à  demi,  et  leur  équipage 
était  si  triste,  du  voyage  qu'ils  \enaienl 
de  faire,  que  la  douairière  ne  les  recon- 
nut [)oiiil.  Ils  se  nommèrenl.  et  aussitôt 
elle  leur  fit  fête;  mais  ils  demeuraient 
singulièrement  gênés  de  leur  mauvaise 
entrée  et  du  vilain  état  de  leur  ajusle- 
ment.  La  douairière,  en  attendant  le 
souper,  les  fit  asseoir  autour  de  l'âlre. 
dans  la  salle  d'homicur;  elle  se  montrait 
surtout  fort  occupée  d'Hubert,  dont 
elle  avait  appris  la  brillante  conduite  : 
mais  celui-ci,  soit  ipie  sa  timidité  se  fiit 
accrue  aux  camps,  soit  que  ces  brumes 
d'automne  lourmeiitasseni  ses  blessures, 
restait  morose  el  se  prêtait  mal  aux 
compliments  qu'on  lui  adressait. 

Soudain,  la  porto  s'ouvrit,  et  leur 
cousine  .\rmande  c;iIim  en  jetant  un  cri 
de  surprise.    l'^lle  avait  dix-se|it  ans,  el 


l.i;S    TliOlS    IIOHACE 


sou  jeune  corps,  ii  peine  i'oriné,  était 
somptueusement  vêtu  d'une  robe  de 
damas  à  paniers,  af^rémentée  de  fleurs 
vertes  et  de  festons  d'argent.  Ses  che- 
veux blonds,  relevés  en  rouleaux  opu- 
lents, étaient  à  peine  voilés  d'une  pincée 
de  poudre;  et  d'une  fj-aisc  de  mousse- 
line sortait  son  cou,  délicat  et  pur.  A 
son  arrivée,  les  lumières  de  l'âlre  firent 
scintiller  les  givres  de  sa  robe  et  rougi- 
rent son  visage  fragile. 

Les  messieurs  de  Lavalelle  sentirent 
alors,  tous  trois  ensemble,  la  médiocrité 
de  leur  mise,  et  ils  eussent  donné  cher 
pour  être  en  ce  moment  en  poste  sur 
Paris;  cependant,  malgré  leur  mauvaise 
humeur  secrète ,  ils  s'inclinèrenl  db 
bonne  grâce  et  vinrent  baisci'  la  main 
de  leur  cousine,  (^elle-ci,  sans  répondre, 
leur  sourit  avec  un  charme  qui  tenait  à 
la  fois  de  la  femme  et  de  l'enfant. 
Quand  elle  souriait,  sa  bouche  s'ouvrait 
linement  sur  ses  dents,  petites  et  rondes, 
et  l'on  découvrait  mieux  aussi,  dans  ses 
prunelles  grises,  une  étrangeté  fie  ses 
yeux,  une  sorte  d'ambigu'ité  du  regard 
qui  vous  troublait  comme   un   mystère. 

.•\rmaiide  de  Lavalette  n'avait  jamais 
été  à  la  cour.  La  douairière  I  élevait  au 
château,  comme  dans  un  cloître  ;  elle 
était  fort  instruite,  connaissait  les  astres, 
el,  chaque  semaine,  un  maître  de  la  ville 
\enait  lui  enseigner  les  lettres  arabes. 
Monseigneur  de  Dijon,  son  parrain,  lui 
avait  en  outre  rendu  la  théologie  fami- 
lière, et  il  n'était  presc[ue  point  d'exé- 
gèse qu'elle  ne  connût.  ^Liis,  à  mesure 
que  son  esprit  s'ornait  de  ces  connais- 
sances abstraites,  une  grâce  plus  insi- 
nuante semblait  sortir  de  son  corps  ;  un 
charme  fatal  que  redoutait  vaguement 
sa  mère,  et  qui  ressemblait  à  l'attrait 
mortel  de  certaines  fleurs. 

Klle  regarda  tour  à  tour  ses  trois  cou- 
sins et  demanda  lequel  s'était  tant  illus- 
tré à  la  dernière  guerre.  Hubert,  alors, 
détourna  vivement  la  tète  vers  la  flamme 
du  foyer,  pendant  que  ses  deux  aînés 
s'empressaient  avec  fierté  de  le  dési- 
gner.   Mais,  en   même  temps   qu'elle   le 


félicitait,  en  termes  na'ifs  qui  révélaient 
la  c;indeur  de  sou  esprit,  elle  regardait 
obstinément  Etienne.  c[ui  faisait  jouor 
de  la  main  les  dentelles  de  son  habit. 

La  douairière  lit  servir  à  ses  neveux 
un  riche  festin,  et  les  combla  d'amiliés; 
mais  rien  ne  pouvait  dérider  les  trois 
gentilshommes.  Ils  goûtèrent  à  peine 
aux  mets  qu  on  leur  servit,  et,  malgré 
l'aimable  simplicité  de  leur  cousine,  ils 
évitaient  de  lui  adresser  la  parole,  de 
sorte  que  le  souper  fut  taciturne  et  qu  il 
fallut  tout  l'enjouement  d'Armandc  pour 
qu'il   ne  fût  pas  détestable. 

Le  lendemain,  à  midi  sonnant,  le 
chevalier  Fabien  de  Lavalette  n'était 
pas  encore  sorti  de  son  appartement.  11 
ne  voyageait  jamais  sans  une  petite 
malle  d'onguents,  de  liqueurs  odorifé- 
rantes, ces  mille  produits  de  l'Inde  qui 
faisaient  alors  fureur  à  Paris,  et,  depuis 
le  matin,  son  Valet  n'était  occupé  qu'à 
le  frotter,  l'enduire  de  parfums,  teindre 
ses  ongles  à  l'essence  de  rose,  blanchir 
ses  mains  au  "  lait  de  lotus  «  et  cent 
autres  pareilles  cérémonies  de  raffine- 
ment et  de  coquetterie.  Quand  il  fut 
ainsi  lavé  et  parfumé,  il  renvoya  le  va- 
let à  l'oflice,  se  regarda  vingt  fois  au 
miroir,  et  demeura  encore  un  long  mo- 
ment devant  sa  porte  comme  s'il  n'osait 
l'ouvrir.  Quand  il  se  décida  à  descendre, 
il  trouva  Etienne  au  salon,  devisant 
avec  .Armande.  El,  comme  il  s'informait 
d'Hubert,  on  lui  répondit  que  celui-ci, 
souffrant  de  ses  blessures,  gardait  le  lit 
pour  cette  journée.  Il  fit  avec  noncha- 
lance quelques  pas  vers  la  porte  qui 
s'ouvrait  sur  le  jardin. 

Durant  toute  la  nuit,  il  avait  plu  et 
les  feuilles  mortes  ou  vertes  étaient  tom- 
bées en  abondance  dans  le  parc,  cou- 
vrant les  gazons  et  les  allées.  Mainte- 
nant un  pâle  rayon  de  soleil  filtrait  à 
travers  les  frondaisons  éclaircies  et  glis- 
sait sur  les  ondes  agitées  de  la  pièce 
d'eau.  Armande  le  rejoignit  alors  et  de- 
manda à  ses  cousins  s'ils  voulaient  visi- 
ter les  allées.  Ils  y  consentirent.  De  ce 
moment,  Fabien  commença  d'épier  son 


r.iis  TiKiis   II  i>  ISA  ri-: 


c;i(let,    iiiixieux    de 

savoir  s  il    alliiil  se 

rapprocher  d'Armande   el    lui  olFrir  la 

main.  Pendant    ce  temps,   la   jeune  lille 

franchil    les   marches  du    perron  ;    elle 

relevait  à  deux  mains  sa  lourde  robe  de 

hrocarf,  ne   posant  à    terre  (pie   du  bout 


(le  sa  panloulle.  l.e>  deux 
gentilshommes  prirent  place 
à  ses  cillés,  et,  comme  elle 
était  fort  occupée  à  ne  point 
mouiller  les  ourlets  de  sa 
robe,  ni  1  un  ni  l'autre  ne 
|iut  solliciter  d'être  son  cava- 
lier. t]ontrc  leur  ordinaire, 
Etienne  de  Lavaletle  parlait 
avec  animation,  se  montrant 
re  et  tout  autre  qu  on  ne 
ivait  vu  jusqu'alors,  tandis 
que  Fabien  avait  revêtu  une 
étrange  tristesse.  Le  premier 
observait  avec  enthousiasme 
les  beautés  du  parc;  il  s'était 
aperçu  r[ue  1  eau  des  bassins 
semblait,  à  cette  saison  de 
l'année,  devenir 
plus  légère  el  plus 
Huide,  et  il  lit 
remarquer  avec 
i|uelle  pureté 
celle-ci  rellétait 
les  statues  de 
marbre.  .Armande 
i-aissait  prendre  un  vif 
plaisir  à  l'écouter;  elle  té- 
moigna même  le  désir  de  se  reposer  sur 
un  banc  d'où  l'on  voyait  la  façade  du 
château  se  mirerdans  l'eau.  Mais,  comme 
ce  banc  était  encombré  de  feuilles  jau- 
nies, pendant  (pie  l'aliieii  s'empressait  à  le 


i.i:s  Titois   II  DU  A  Cl-: 


nettoyer,  Ktienne  coupa  d'un  petit  ciseau 
d'ai-frent  les  dentelles  flottantes  de  son 
ajustement,  et  en  lit  un  coussin  sur 
lequel  elle  put  prendre  place  sans  olFen- 
ser  la  fraîcheur  do  sa  robe.  Fabien  ne 
put  retenir  un  soupir  quand  il  vit  le 
sourire  dont   Armande  le  remerciait. 

Etienne  continua  de  parler  des  di- 
verses émotions  de  la  nature,  selon  les 
saisons.  11  expliqua  que  dans,  les  jour- 
nées étouH'anles  de  l'été,  les  eaux  sont 
ternes  et  comme  alourdies  : 

—  L'azur  du  ciel  s'y  résnut,  disail-il, 
en  de  noirs  effluves,  et  le  zéphir  est 
impuissant  à  rider  leur  surface.  L'hiver, 
elles  ont  le  froid  éclat  d'un  métal  sin- 
gulier et  mobile,  mais  au  printemps,  et 
quand  expire  la  saison  des  lleurs,  elles 
s'embellissent  d'une  transparence  nou- 
velle, elles  s'allègent  et  se  clarifient 
comme  pour  mieux  se  prêter  aux  jeux 
mystérieux  des  .Xa'i'ades  et  des  Ondines. 

Le  poète,  assis  près  d.Armande,  mon- 
trait d'une  main  élégante  les  ondes  s'a- 
gitant  mollement  et  sans  bruit  dans 
leur  vasque  de  pierre,  et  son  beau  front 
s'illuminait  comme  celui  d'un  jeune 
dieu.  Fabien  ne  l'avait  jamais  vu  tel 
jusqu'alors,  et  il  songeait  avec  amer- 
tume de  quel  elïet  serait  ce  divin  attrait 
de  la  poésie  sur  une  personne  d'un  esprit 
aussi  élevé  que  leur  cousine.  l']n  même 
temps,  un  ravon  de  soleil,  pâle  et  mé- 
lancolique, vint  effleurer  le  visage  d'Ar- 
mande,  et  ses  prunelles  étranges  s'ani- 
mèrent de  ces  lueurs  vertes  et  chan- 
geantes, qui  sont  le  perfide  attrait  de 
l'eau.  Le  malheureux  chevalier  sentit 
alors  son  cicur  transpercé  d'une  bles- 
sure inguérissable,  et  il  comprit  que, 
cette  fois,  il  aimait  jusqu  à  la  mort. 

Etienne  ensuite  parla  de  la  guerre.  11 
pensait  que  les  armes  ne  seraient  pas 
éternellement  aux  mains  des  peuples, 
et  qu  un  âge  viendrait  où  la  paix  uni- 
verselle régnerait  dans  le  genre  humain. 
.\u  long  de  son  discours,  il  tourna 
di\'crses  fois  la  tête  vers  son  frère,  s'é- 
tonnant  de  son  silence,  car  cette  opinion 
d'ordinaire     échaulTail      le      beiliipieux 


Fabien  ;  mais  le  chevalier  semiilait  ne 
prêter  aucune  attention  à  ses    paroles. 

Tout  à  coup,  f^n  vit  Ktieimc  s'arrêter 
et  pâlir  ;  les  deux  frères  se  regardèrent 
et  se  pénétrèrent  1  un  l'antre,  puis  ils 
penchèrent  la  tète  en  soupirant.  De  ce 
moment,  Etienne  se  tut,  et  le  che\alier 
n'osa  point  reprendre  la  parole. 

En  même  temps,  des  nuages  rapides 
poussés  par  le  vent  d'automne  voilèrent 
le  ciel,  et  la  triste  pluie  des  feuilles  se 
mit  à  tomber  en  silence,  froissant  seu- 
lement au  passage  les  jupes  rigides 
d'.Vrmande  qu'elle  effleurait.  I.a  jeuni' 
lille  frissonna;  ses  prunelles  mouvanles 
s'assombrirent  et  se  tournèrent  \ers 
Etienne  comme  effrayées. 

—  Mes  cousins,  demanda-t-elle,  n  al- 
lons-nous pas  rentrer? 

Etienne,  auquel  elle  s'était  adressée, 
resta  quelques  inslanis  junisif.  [>uis, 
regardant  son  l'rère.  il  rcpondil  fine 
Fabien  1  escorterait,  cl  que,  pour  lui,  il 
demeurerait  encore  afin  do  gnùter  nn 
peu  plus  la  poésie  de  ce  lien. 

Son  aîné  le  remercia  d'un  reganl  |)k'in 
de  mélancolie  ;  mais,  quand  le  poète, 
seul  et  rêveur,  les  vit  s'éloigner,  il  re- 
marqua que  le  chevalier  marchait  aux 
côtés  d'.\rmande  sans  lui  parler,  et  qii  il 
ne  lui  avait  pas  offert  la  main. 

Durant  laprès-dinée,  la  douairière  lit 
servir  à  ses  neveu.x  un  certain  calé  f[ui 
venait  directement  des  Indes.  Armande 
n'en  goûta  point,  mais  ce  fut  elle  qui 
servit  ses  cousins.  (.Juand  elle  versa  le 
breu^•age.  le  chevalier  crut  voir  qu'elle 
mettait  plus  de  grâce  et  plus  de  sollici- 
tude en  emplissant  la  tasse  d'Etienne; 
mais  la  douairière  ne  le  laissa  point 
suivre  le  cours  de   son  inquiète  rêverie. 

Elle  leur  annonça  gaiement  qu'elle 
les  garderait  de  longs  jours,  et  que, 
ayant  vu  à  l'écurie  leurs  chevaux  four- 
bus et  tout  défaits  par  le  voyage,  elle 
avait  dépêché  à  Dijon  pour  en  faire 
venir  trois  qui  seraient  plus  convena- 
bles aux  fêtes  qu'elle  avait  dessein  de 
leur  offrir.  En  même  temps,  elle  leur 
vanta  la  Ixniuté  de  ses  vignobles  et  de  ses 


LKS    THolS     IlOKACi: 


chasses,  leur  décrivant  avec  art  le  pitto- 
resque (lu  pays,  et  causant  avec  celle 
assurance  que  flonnent,aux  personnes  de 
mérite  Vii'^c  mûr  et  l'expérience.  Mais 
les  deux  messieurs  de  Lavalette  ne  pou- 
vaient s'empêcher  d  admirer  le  silence 
modeste  que  };ardait  Armande  :  car,  si 
remarquable  qu'elle  l'ùt  par  sa  science 
cl  ses  talents,  la  jeune  lille  fuyait  tous 
les  discours  qui  eussent  pu  dévoiler  les 
richesses  de  son  esprit. 

Néanmoins,  après  le  fjoûter,  comme 
le  temps  s'était  attiédi,  elle  demanda  à 
Ktieune  s'il  lui  plairait  d'entendre  quel- 
ques airs  de  harpe.  Etienne  rouant  légè- 
rement et  la  remercia.  .Mors,  les  laquais 
portèrent  l'instrument  et  des  sièges  sur 
la  terrasse  du  château,  et  Armande  com- 
mença de  jouer.  Ses  mules  étroites  en 
satin  rose  laissaient  voir  son  pied  d'en- 
fant qui  marquait  la  cadence,  tandis 
que,  sous  ses  doigts,  naissait  la  mélodie 
nuageuse  d'un  menuet. 

Le  ciel  s'était  écluirci  :  un  rellel  du 
soleil  couchant  dorait  les  cordes  oii  sa 
petite  main  dessinait  des  arpèges  si 
frêles  et  si  doux  (|u'on  eût  dit  que  le 
zéphir  seul  s'y  jouât.  .Au  bas  de  la  ter- 
rasse, le  bassin  reflétait  comme  un  mi- 
roii-  la  blanche  façade  du  château,  de- 
|]iiis  sa  base  jusqu'aux  colonnades  du 
laite,  et  dans  ce  tableau  passait  un 
souflle  de  si  subtile  volupté  que  les  deux 
gentilshommes  s'y  abandonnèrent  ;  cha- 
cun, oubliant  un  instant  les  devoirs  sa- 
crés de  l'amitié  fraternelle,  se  laissa 
glisser  facilement  au  plaisir  d'aimer. 
I/heure  n'eut  plus  de  mesure,  les  lieux 
n'existaient  plus,  le  passé  et  l'avcnii- 
s'évanouissaient  ;  ils  ne  voyaient  plus 
(levant  eux  que  la  divine  enfant. 

Cependant  le  bruit  clandestin  d'une 
l'eni'lro  iju'on  entrouvre  les  arracha 
tout  d'un  coup  à  leur  i\Tesse.  Ils  regar- 
dèrent en  haut,  et  tous  deux  ensemble 
imaginèrent  avoir  aperçu,  derrière  les 
rideaux  abaissés,  l'ombre  de  leur  cadet. 
De  cet  instant,  leur  attention  |)arul 
mêlée  de  soins  étrangers  :  la  réalité 
send)la   les    leprondre   et,    coninie    s'ils 


eussent  eu  conscience  de  s'être  un  mo- 
ment mutuellement  trahis,  leurs  yeux 
commencèrent  à  se  fuir,  et  chacun  se 
replia  douloureusement  sur  soi-même, 
dans  un  profond  souci. 

Puis,  soudain,  Armande  ayant  senti 
sur  ses  épaules  à  demi  nues  la  fraîcheur 
du  crépuscule,  elle  se  leva  en  souriant, 
et  les  deux  messieurs  de  Lavalette  la 
suivirent.  La  douairière  lit  apporter  les 
flambeaux  au  salon  d'honneur,  et  les 
I  flammes  s'allumèrent  dans  l'âtre.  La 
veillée  commençait,  et  rien  ne  pourrait 
dii-e  quel  attrait  singulier  mettait,  dans 
celte  salle  som])tneuse  aux  meubles  dé- 
licats, la  présence d.\rmande.  l'aile  allait 
et  venait,  sa  ])anloutle  sémillant  glisseï' 
à  terre,  et  les  glaces  des  ti-nnieaux,  dont 
l'or  |)àle  s'allumait  aux  lueurs  du  fo^-er, 
reflétaient  au  passage  sa  silhouette  lé- 
gère. Les  festons  d'argent  de  sa  robe 
se  constellaient  de  brillants,  et  le  poé- 
tique Etienne  voulait  y  voir  des  goutte- 
lettes ruisselantes,  car  il  ne  pouvait 
séparer  de  la  vue  de  sa  cousine  l'image 
d'iuie  de  ces  (  tndincs  dont  son  caprice 
peuplait  l'ombre  des  eaux.  Le  chevalier, 
au  contraire,  admirait  en  silence  sa 
gaieté  mutine  d'enfant,  qui  se  mêlait  si 
étrangement  à  la  langueur  de  la  jeune 
fille  ;  car  il  en  est  ainsi  quand  nous  ai- 
mons, et  c'est  de  nos  pro|)rcs  goûts  (|uè 
nous  ornons  l'être  choisi. 

Pourtant,  loin  de  goûter  i)leinemenl 
la  douceur  de  cette  heure  incomjiarable, 
on  aurait  cru  que  les  deux  gentils- 
hommes cherchassent  à  en  fuir  le  charme 
mortel.  Le  remords  d'avoir  cédé  tout  à 
l'heure  à  un  amour  si  ca])able  d'oll'cnser 
leur  amitié  récipro(pie  les  aiguillonnait 
sourdement  ;  ils  ne  |)ensaient  plus  (|u"au 
moyen  d'éviter  l'irrésistiblo  sortilège 
qui  déjà  les  reprenait  et  les  retenait  en 
dépit  deux-mêmes  près  d'.Vrmandc. 
Pendant  que  l''abien  s'accordait  de  mi- 
nute en  minute  quelque  nouveau  délai, 
ICtienne,  plus  généi'eux,  s'arracha  le 
premier  à  la  douce  intimité  de  ce  lieu. 
Il  pril  prétexte,  pour  quitter  les  deux 
dames,   d'aller   s'informer  d'Hubert,   se 


I.i:s    TliniS    linii  \CK 


résignant  ainsi  à  voir  le  chevalier  de- 
meurer seul  près  de  sa  cousine  ;  mais 
celui-ci,  stimulé  par  un  si  touchant  sa- 
crifice, n'en  voulut  point  profiter  et 
déclara  qu'il  accompag:nait  son  frère. 

L  appartement  qu  occupait  Hubert  se 
trouvait  à  1  extrémité  du  château,  et  il 
fallait  un  loni;  moment  pour  s  y  rendre; 
mais,  pendant  le  trajet,  les  deux  frères 
marchèrent  silencieusement  cote  à  cote. 


sans  qu'une  parole  tombât  de  leurs 
lèvres  ;  on  aurait  même  dit  que  la  seule 
présence  de  l'un  olfusquàt  l'autre. 

Quand  ils  entrèrent,  ils  trouvèrent 
Hubert,  non  point  au  lit,  mais  debout 
e(  paré  de  son  plus  bel  ajustement.  Mal- 
^'ré  sa  grande  jeunesse,  il  avait  dans  le 
visage  une  certaine  fermeté  qui  s'ac- 
commodait bien  avec  le  faste  sévère  de 
son  habit  de  colonel,  tout  orné  de  ga- 


I.KS    Tito  1  S     HiiHAC.K 


Ions  dor  et  de  broderies  en  lil  de  métal. 
Il  portail  l'épée  fière,  et  son  pied  cam- 
bré dans  le  soulier  à  boucle  semblait 
riéfier  tout  souvenir  de  ses  horribles 
blessures.  V.n  outre,  sans  qu'il  le  sût,  sa 
jeune  gloire  {environnait  sans  cesse,  et 
il  n'était  point  un  de  ses  f;estes  qui 
ri'emprunt;'il  à  sa  valeur  désormais  cé- 
lèbre une  sorte  d'éclat.  Quand  il  appa- 
rut ainsi  à  ses  deux  aines,  ceux-ci 
crurent  voir  la  déesse  des  armées  se 
|)enchant  sur  son  front  pour  1  illuminer 
dune  beauté  inconnue. 

—  Hubert,  lui  dit  le  chevalier,  avez- 
\ous  été  vraiment  fort  incommodé  au- 
jourd'hui ? 

Le  jeune  homme  secoua  tristement  la 
tête  :  il  prit  une  place  qui  semblait  avoir 
été  celle  de  toute  sa  journée  [irès  d'un 
('  bonheur  du  jour  "  encombré  de  livres 
feuilletés  et  épars. 

—  Mon  frère,  répnndit-il,  xdus  vou>- 
êtes  mépris  sui'  in:i  (liuilcur.  cl  le  mal 
que  j'endure  n'r;-!  |ii)iiil  celui  que  mim> 
croyez. 

Les  deux  messieurs  de  I.a\alelle  se 
rej^ardèreut  avec  une  anxiété  nouvelle. 
Aucun  malaise,  eu  elTel,  ne  se  révélait 
en  lui.  Henvcrsé  sur  un  fauteuil  fraîjile 
aux  formes  eflilées,  l'épcc  posant  négli- 
j^emment  sur  ses  jambes  croisées,  il 
avait  le  rej,'ar-d  ardent  sous  les  rouleaux 
poudrés  de  ses  cheveux,  et  ses  mains 
se  crispaient  l'une  dans  l'antre. 

—  Je  n'entends  point  ce  que  \  ous 
voulez  dii-e.  Ilubcrl,  objecta  le  cheva- 
lier ;  avez-\ons  au  moins  bien  dornii  l,i 
dernière  nuit  ? 

—  Hélas  1  murmura  le  jeune  héros  ; 
je  ne  connaissais  que  jiar  ou'i-dire  mon 
nouveau  tourment  ;  je  sais  maintenant 
(|u'il  est  de  ceux  par  qui  le  sommeil 
est  vaincu.  Sachez-le  donc,  mes  frères, 
j'aime  ! 

Les  deux  f^enlilshumnies  fri''niirent  à 
ce  nouveau  coup.  Ktienne,  pâle  et  fflacé, 
se  détourna,  pour  cacher  l'altération  de 
ses  traits,  vers  la  fenêtre  d'où  l'on 
voyait  la  nuit  descendre  sur  le  pai'c. 
l'abicn  demeura  atterré  et  sans  voix. 


Alors,  à  la  faveur  du  silence  qu'ils 
gardaient,  le  jeune  soldat,  ivre  de  son 
premier  amour,  se  mil  à  parler  d'Ar- 
mande  et  de  sa  beauté.  Il  ne  l'avait  vue 
qu'à  peine,  n'ayant  pas  osé  lever  les 
yeux  sur  sou  divin  visage:  mais  une 
seule  minute  avait  suffi  pour  inq)rimer 
a  jamais  ses  traits  en  lui,  et  il  sentait 
toujours  dans  le  fond  de  son  ànie  l'éclat 
d'étoiles  de  ses  pâles  prunelles.  Kl  tel 
était  le  prestige  de  cette  enfanl,  qu'il 
défaillait  à  la  seule  pensée  de  la  revoir. 

• —  Je  n'ai  rien  pour  plaire,  ajoutait-il 
tristement.  (Comment  oserais-je  ])araitre 
devant  elle  ? 

—  \'ous  vous  trompez,  mon  frère,  dit 
enfin  Etienne  d'une  voix  tremblante.  |c 
ne  parle  pas  rie  ces  vulgaires  avantages 
corporels  qui  ne  sont  point  pour  flatter 
une  personne  telle  que  notre  cousine; 
mais,  en  outre  d'un  extérieur  agréable, 
vous  possédez  encore  le  seul  attrait  ca- 
pable de  fléchir  un  si  noble  cu-ur  :  c'est 
votre  gloire  que  je  veux  dire. 

Le  visage  d'Hubert  s'éclaira. 

—  Croyez-vous  iloiic  que  je  ne  lui  aie 
point  déplu  .'  demanda-t-il  à  ses  frères. 

—  I']lle  a  trop  de  grandeur  pour 
qu  un  gentilhomme  tel  que  vous  lui  dé- 
plaise, repartit  encore  Etienne  en  affer- 
missant sa  voix. 

Mais  I''abien  ne  relrouv.iit  point  la 
force  de  prononcer  un  mol.  Il  était  de 
ceux  que  de  tels  déplaisirs  abattent,  et 
ilatimirait  en  silence  la  fernieléd  l'^tieinie. 
"  Quelle  fortune  contraire,  ne  pon- 
vail-il  s  cni|)êcher  de  songer,  cl  pour- 
cpioi  a-l-il  fallu  que  les  trois  premiers 
amants  tie  celle  incomparable  .Armandc 
fussent  trois  frères  aussi  tendi-emcnl 
unis  que  nous  le  sommes!  tjuel  est  donc 
le  céleste  pouvoir  de  son  regard  et  de 
tout  son  être  pour  qu'on  ne  la  puisse 
\oir  sans  l'aimer!  " 

Cependant  la  chiche  du  souper  sonna, 
et  Hubert,  réconforté  par  les  paroles  de 
son  frère,  prit  enfin  le  parti  de  revoir 
sa  cousine  ;  comme  il  remarquait  l'é- 
trange pâleur  du  chevalier,  ainsi  que 
son  humeur  morose,  il  lui  prit  amicale- 


TROIS     lIOltAC.  K 


ment  le  bras  et  lui  (leni.'inda  s'il  n'était 
poiut  fâché  qu'il  eût  conçu  un  si  j^rand 
amour  sans  le  consulter.  Fabien  lui 
répondit  que  non,  mais  dune  façon  si 
singulière  que  le  jeune  homme  sentit 
se  mêler  à  sa  joie  une  lég^ère  inquiétude 
dont  il  ne  débrouillait  pas  la  cause. 

Les  tendres  louanges  que  lui  avait 
décernées  ctienne,  bien  faites  pour 
rendre  de  l'assurance  à  un  jeune  amant, 
lui  donnèrent  devant  .\rmande  une 
grâce  toute  nouvelle.  La  jeune  fille  lui 
ayant  demandé  s'il  ne  souffrait  plus  de 
ses  blessures,  il  en  parut  ivre  de  joie. 
Cependant,  quoique  .Armande  fîjt  en- 
jouée selon  son  ordinaire,  et  que  les 
deux  aînés  des  Horace  feignissent  une 
aimable  gaieté  qu'ils  étaient  si  loin 
d  avoir  dans  le  cœur,  un  voile  de  mé- 
lancolie sembla'it  répandu  sur  le  repas. 

On  était  alors  à  l'équinoxe  d'automne, 
et  chaque  nuit  le  vcjit  recommençai I  à 
souffler  violemment  sur  la  plaine  où 
s'élevait  le  château.  On  l'entendait 
bruire  dans  la  cheminée,  et.  plus  d'un 
coup,  les  chandelles  de  cire  qui  éclai- 
raient la  table  faillirent  s'éteindre  dans 
leurs  flambeaux.  A  chaque  fois,  une  op- 
pression de  tristesse  élrcignait  plus  pro- 
fondément les  cœurs.  Feu  à  peu  même, 
les  paroles  qu'échangeaient  les  gen- 
tilshommes avec  leurs  parentes  devin- 
rent plus  rares.  Fort  à  point,  la  douai- 
rière proposa  qu  on  se  rendit  au  salon. 
Le  chevalier  alors  lui  offrit  la  main, 
Etienne  s'écarta  d  Armande  pour 
qu'Hubert  vînt  lui  rendre  le  même 
service,  et  il  le  suivit  en  soupirant. 

.Arrivée  au  salon,  .Armande  s'assit  au 
clavecin.  La  douairière  prit  place  près 
de  la  cheminée  et  se  mit  à  parlîler.  Les 
trois  Horace  se  rangèrent  sur  de  petits 
tabourets  autour  de  l'instrument.  .Ar- 
mande choisit  un  cahier  de  romances 
de  Lulli  qui  avait  appartenu  à  sa  mère, 
et  commença  de  chanter. 

Sa  taille  d'enfant,  moulée  et  serrée 
dans  le  chatoyant  corselet  de  damas, 
fléchissait  \  ers  le  clavier  et  sa  poitrine 
se   gonflait   d'une   voix    si    iloucc    et   si 


émouvante  qu  on  sentait  un  frisson  de 
tristesse  à  en  écouter  les  notes  légères  ; 
en  outre,  rien  ne  s'accommodait  mieux 
avec  la  mélodie  plaintive  de  la  romance 
que  les  accords  du  clavecin  tremblants 
et  assourdis.  A  mesure  qu'elle  chantait, 
une  plus  vive  douleur  étreignait  le 
cœur  du  chevalier,  et  il  semblait  à 
Etienne  entendre  une  psalmodie  poétique 
tombant  sur  son  bonheur  à  jamais  en- 
seveli. L  un  et  l'autre,  cependant,  par 
une  étrange  contradiction,  enduraient 
avec  délice  le  cruel  supplice  de  l'écou- 
ter, et  leurs  yeux,  voilés  de  larmes,  ne 
quittaient  point  .Armande. 

Tout  à  coup,  le  chevalier  sentit  sur 
lui  le  regard  pénétrant  et  obstiné  de  son 
jeune  frère,  et  il  frémit  en  songeant  que 
son  émoi  et  ses  pleurs  l'avaient  dû 
trahir.  .Au  même  instant,  Etienne,  [jre- 
nant  entre  ses  mains  son  noble  front  de 
poète  tout  ravagé  par  la  lutte  qu'il  se 
livrait ,  involontairement  révéla  sa 
souffrance  secrète.  Pourtant  Hubert 
devait  n'avoir  rien  compris,  car  on  ne 
vit  point  son  mâle  visage  s'altérei-  et  il 
continua  d'écouter  Armande. 

tjuand  celle-ci  se  tut  et  se  retourna 
\ers  la  douairière,  son  sourire  s'était 
éteint  ;  on  aurait  dit  que  la  mystérieuse 
douleur  planant  autour  d'elle  l'avait 
effleurée:  elle  paraissait  tourmentée  par 
des  pressentiments  de  malheur,  et  son 
oreille  inquiète  se  prêtait  aux  tristes 
sifflements  du  vent  qu'on  entendait  au 
loin  ravager  la  plaine. 

—  11  fera  mau\  ais  sur  les  routes  cette 
nuit,  dit-elle  tout  à  coup  d'un  ton  sin- 
gulier qui  fil  tressaillir  Fabien. 

Mais  Etienne  re])rit  doucement. 

—  Ma  cousine,  si  le  vent  trouble 
votre  sommeil,  songez  à  prier  pour  les 
voyageurs. 

—  Tout  beau  1  s'écria  la  douairière, 
le  vent  souffle  d'Orient,  nous  aurons 
une  adorable  promenade  demain  à 
l'excursion  où  j'ai  dessein  de  vous  con- 
duire. Les  ceps  rougissent  au  vent 
comme  les  yeux  des  bergères,  mes 
vignes  seront  toutes  de  sang  et  d'or. 


I.KS    TU  OIS     lIOHACi: 


Aucun    des    trois    f;eiitil?lioninics 
ne    répoudil. 

Armaiidc  jjorUiil  à  son  coi'safje  trois 
roses  de  couleurs  diirérenles;  l'une  aux 
Ions  sombres  et  veloutés  de  la  pourpre", 
l'autre  aussi  pure  (|ue  sondélicat  visaf;e  ; 
la  troisième  d'ini  hlanc  de  lait.  Hubert 
s'approcha  cl  lui  demanda  à  jjrendre 
cette  dernière  (|ui  sj'mbolisail  sa  can- 
deur :  le  ihevalier  choisit  la  sombre 
Heur  oii  il  vovail    limaL'c   de  son  co'ur 


meurtri  et  sanglant.  La  jeune  fille  tendit 
alors  au  rêveur  Ktienne  la  rose  qui  res- 
tait, mais,  comme  il  la  prenait,  elle 
s'elFeuilla  dans  leurs  iloif,'ts,  cl  il  n'en 
|)ul  saisir  que  des  ptMales  fugaces.  Les 
trois  frères  lui  baisèrent  alors  la  main 
en  silence. 

—  .\u  revoir,  mes  cousins,  leur  dit- 
elle,  le  cœtu'  tout  oppressé. 


TiiOls  iionAc.i': 


—  Adieu,  cousine,  murmurèrent-ils 
ensemble  tout  en  se  retirant. 

La  nuit,  le  vent  redoubla  de  violence  ; 
on  l'aurait  cru  prêt  à  renverser  le  châ- 
teau. Tout  alentour,  les  arbres  se  tor- 
daient, les  lourds  auvents  de  chêne  se 
brisaient  dans  leurs  gonds  ;  ce  fut  un 
chaos  sinistre  où,  de  tous  les  bruits 
mêlés,  on  ne  pou\'ait  distinguer  un  seul. 
Armande  apjiehiil  en  vain  le  som- 
meil ;  elle  croyait  entendre  mille  choses 
extravagantes,  et,  par  trois  fois,  il  lui 
sembla  reconnaître  sur  la  route  le  galop 
éperdu  d'un  cheval.  Ce  ne  fui  qu'à 
l'aube  qu'elle  s'endormit  jusqu'à  une 
heure  avancée  de  la  matinée. 

Alors  la  chambrière  entra  toute  con- 
sternée comme  après  quelque  malheur. 
Elle  tenait  à  la  main  trois  billets  qu'on 
avait  trouvés  dans  les  appartements  de 
messieurs  de  Lavalette.  Quant  aux  gen- 
tilshommes, ils  étaient  mystérieusement 
repartis  à  la  faveur  de  la  nuit,  et  le 
palefrenier  avait  vu  à  1  aube  l'écurie 
\ide  de  leurs  chevaux. 

Armande  saisit  d'une  main  tremblante 
les  billets  qui  lui  étaient  adressés. 

—  Ma  cousine,  lui  disait  Fabien,  par- 
donnez à  celui  qui,  vous  ayant  vue, 
trouve  encore  le  courage  de  fuir  votre 
demeure,  et  qui,  le  cœur  brisé,  va  de- 
mander à  la  nuit  et  à  la  tempête  tous 
les  voiles  nécessaires  au  secret  de  son 
départ.  Ne  blâmez  pas  mon  incivilité, 
et  cherchez,  dans  l'estime  que  j'attends 
de  vous,  de  quoi  excuser  un  acte  si  im- 
pardonnable. Je  laisse  auprès  de  vous 
deux  frères  que  je  chéris,  et  qui  tous 
deux,  ornés  par  le  ciel  de  dons  divers, 
mais  également  précieux,  sont  égale- 
ment dignes  de  votre  amitié.  Si  mon 
départ  doit  vous  causer  quelque  dé- 
plaisir, trouvez  en  eux  une  heureuse 
diversion  à  votre  ennui. 

Les  yeux  attristés  d'Armande  s'em- 
plirent de  larmes,  et  ce  fut  à  travers  un 


voile  qu'elle  lut  le  message  d'I^tienne. 
— -  Quand  les  vapeurs  du  malin  voi- 
leront à  vos  yeux  mi-clos  les  ardeurs 
trop  fortes  du  soleil,  écrivait  le  poète, 
celui  qui,  à  cette  heure,  croit  encore 
entendre  le  souffle  léger  de  votre  som- 
meil sera  loin  de  vous.  11  s'arrache  à 
un  combat  qui  n'a  que  trop  duré.  Tous 
trois,  incomparable  .Armande,  vous 
nous  avez  blessés  d'un  immortel  amour. 
Trois  frères  étroitement  unis  sont  de- 
venus à  votre  vue  de  tristes  et  inconso- 
lables rivaux.  N'est-il  pas  juste  que,  de 
ces  trois,  le  moins  digne  de  vous  pos- 
séder se  relire  de  la  lutte  avant  d'avoir 
trahi  l'amitié  fraternelle  ?  Que  votre 
cœur  hésite  désormais  entre  les  deux 
nobles  amants  que  je  vous  laisse  :  le 
chevalier,  dont  vous  ne  pourrez  estimer 
assez  la  haute  vertu,  et  notre  jeune 
héros,  Hubert,  qui,  à  une  vertu  pa- 
reille, joint  une  valeur  prématurée  el 
un  illustre  renom. 

M""^  de  Lavalette  sentait  son  cieur 
défaillir.  Cependant  elle  fit  etTort  pour 
déchiffrer  encore  le  touchant  adieu 
d'Hubert. 

—  Je  pars,  cousine,  écrivait  l'héroïque 
gentilhomme,  et  je  dois  garder  le  mys- 
tère de  ma  fuite  clandestine  ;  un  grand 
devoir  que  je  ne  puis  vous  expliquer 
me  rappelle  à  l'armée.  Si  mes  frères 
s'étonnent  de  ma  conduite,  dites-leur 
ceci  :  «  Hubert  \  ous  devait  trop  pour 
ne  point  partir  quand  il  l'a  dû.  » 

Et  pendant  qu  .Armande,  abattue  et 
étonnée  par  sa  première  douleur,  reli- 
sait sans  se  lasser  les  lignes  qu'a\ait 
écrites  Etienne,  sur  le  chemin  de  Bour- 
gogne, à  plusieurs  lieues  de  distance, 
ignorants  de  leur  mutuel  voisinage,  les 
trois  Horace  chevauchaient  fermement, 
en  route  pour  1  armée  de^Lde  Noailles 
où  ils  allaient  reprendre  du  service. 

Colette    ^  ^  eh. 


-QK5" 


M  !•:  li  A  X 


Méraii  se  compose  de  deux  villes  jux- 
laposées  dont  les  habitants,  les  mœurs, 
la  vie  entière,  n'ont,  maljifré  les  appa- 
rences tiuelqiierois  trompeuses,  aucun 
rapport  coninuin  :  d  ai)nrtl  la  \  ieilio 
cité  féodale,  puis  la  nouvelle  \ille  ou 
■  Kurort  >■,  dont  lorif^inc  récente  est 
une  des  heureuses  créations  de  la  mode 
éléf^ante  et  cosmopolite. 

Kn  remontant  le  cours  de  l'histoire, 
lin  trouve  Mcran,  colonie  romaine,  sous 
le  nom  de  .Maïa  ;  elle  devait  se  trouver 
sui-  la  ri\e  gauche  de  la  Passer,  sous 
1  eniplacenienl  actuel  du  petit  villaf;c 
dOberniaïs.  Puis,  elle  subit  l'invasion 
des  barbares.  Cioths,  Bavarois,  Lom- 
bards, et  est  enfin  rattachée,  \ers  le 
IX'  siècle,  au  royaume  de  (iermanie. 
Quelipies  années  plus  tard,  un  ébnule- 
nient  partiel  de  la  montagne  \oisiuc 
leiif^loutit  soudain,  et,  dès  lors,  la  ville 
est  reconsiruite  sur  l'iiutre  rive  dn  lor- 


l'cnt.  au  lieu  qu'elle  occupe  encore  au- 
jourd'hui. .Avec  le  m''  siècle  commence 
la  période  féodale,  et  tandis  que  le  Tyrol 
est  partagé  entre  divers  grands  sei- 
gneurs dont  les  manoirs,  aujourd'hui  en 
ruines,  attestent  l'ancienne  puissance, 
Méran  passe  sous  la  domination  <les 
comtes  de  \'instgaii.  qui  prennent  bien- 
tôt le  nom  de  comtes  de  Tyrol.  C'est  la 
prééminence  politique  de  la  ville  qui 
devient  désormais  la  capitale  de  toute 
la  province  ;  ce  temps  de  prospérité 
dure  environ  deux  cents  ans.  jusqu'à  ce 
que  le  mariage  de  la  dernière  héritière 
de  la  seigneurie,  .Marguerite  Maiiltascli, 
a\ec  un  prince  de  la  maison  d'Autriche, 
consaci-e  la  suprématie  dn  gouverne- 
ment des  Habsbourg.  Knlin,  vers  Itîli,"). 
le  Tyrol  est  détinitivemcnt  incorporé  à 
la  monarchie  aiili'ichienne  ;  Innsbriick 
devient  la  capitale  ofliciclle  de  la  nou- 
velle   pnivince.    et    Méran,    relégué    au 


second  plan,  ravafié  plusieurs  fois  par 
les  inondations  de  la  Passer,  voit 
chaque  jour  diminuer  son  importance 
et  s'étendre  en  même  temps  le  funèbre 
voile  de  l'oubli. 

Pendant  la  yuerre  de  1809,  sa  proxi- 
mité avec  l'auberge  de  maître  Hoï'er,  le 
héros  de  la  résistance  contre  les  Bava- 
rois et  les  F"rançais  réunis,  lui  est  en- 
core un  regain  de  célébrité  de  courte 
durée,  et  c'est  seulement  vers  1836, 
sous  la  réclame  persistante  de  quel(|ues 
étrangers  venus  pour  y  respirer  l'air 
pur  et  jouir  du  climat  bienfaisant,  que, 
brillant  papillon,  ÎNléran  sort  de  sa 
chrysalide  avec  la  réputation  de  «  Kur- 
ort  »,  voit  s'élever  comme  par  enchan- 


au  point  de  vue  polilii|uc.  qu'un  chef- 
lieu  de  district,  dont  la  population  stable 
com])rend  à  peu  près  (>(»((»  habitants; 
mais  l'aliluence  étrangère  est  telle  que, 
pendant  neuf  mois  de  l'année,  ce  chilfre 
grossit  en  des  proportions  considérables 
et  peut  atteindre  "Jô  ()(•<)  personnes. 

D'ailleurs,  sa  situation  est  tout  à  fait 
privilégiée  et  contribue  grandement  à 
la  faveur  dont  il  est  l'objet  de  la  part 
des  malades  et  convalescents  de  tous 
pays.  Sis  au-  bord  de  la  Passer,  presque 
au  point  de  jonction  de  ce  torrent  avec 
l'Adige,  il  olfre  de  charmants  ombrages 
sous  lesquels  à  toute  heure  du  jour, 
tantôt  sur  la  rive  gauche,  tantôt  sur  la 
rive  droite,  le  promeneur  peut  s  abriter 


MÊRAN    —    VU     DK     LA     G  I L  F-PU O M E N A DE 
A  gauche,  le  village  d'Oljeriiiaïs  ;  à  droite,  le  donjou  de  Zenoburg. 


tement  toute  une  ville  moderne  d'hôtels 
cosmopolites,  et  accourir  des  légions 
élégantes  qui  ne  tardent  pas  à  la  baptiser 
de  "  Nice  autrichienne   ". 

Actuellement,  Méran  n'est  donc  plus. 
XIII.  —  2. 


des  ardents  rayons  du  soleil.  A  louest 
et  au  nord,  une  chaîne  de  montagnes, 
dont  le  Jlutberg  et  le  Kiichelberg  sont 
les  plus  proches  sommets,  le  préserve 
des  vents  froids  et  violents  des  jrlaciers 


de  lEngadinc  ;  enfin,  placé  sur  In  route 
de  communicalion  qui  relie  l'iiilérieur 
du  Tyrdl,  (1  un  colé  avec  la  Suisse  par 
Martinsbruck,  de  l'autre  avec  l'Italie 
par  le  col  du  Stelvio,  il  bénéficie  du 
transit  continuel  de  voyageurs  qui  existe 
entre  les  trois  pays. 

Avant  de  parler  de  Méran  u  Kurort  », 
faisons  un  tour  dans 
la  ville.  En  arrivant 
de  Suisse  ou  d'Italie, 
on  y  pénètre  par 
une  antique  porte 
voûtée  et  large,  nom- 
mée "  Vinstgauer 
Thor  ",  au  front  de 
laquelle  se  détache  en 
gros  caractères  ces 
simples  mots  :  (^Stadt 
Méran  ».  Cela  rem- 
place avantageuse- 
ment le  vulgaire  po- 
teau indicateur  planté 
à  lititersection  des 
routes,  qu'on  ne  peut 
généralement  lire  qu'à 
la  condition  d'avoir 
une  vue  de  presbyte. 
Cette  porte  est  un  \cs- 
tigc  des  temps  féo- 
daux, l'une  des  quatre 
ou  cint|  entrées  par 
où  l'on  était  obligé  de 
passer  pour  francliir 
1  enceinle  de  murailles 
dont  la  ville  était 
ent<iurée.  \\\\c  est  le 
pciinl  (le  départ  d'une  des  plus  larges 
artères  du  vieux  Méran  :  le  Uennweg. 
Tout  de  suite,  à  droite,  voici  un  cloître 
de  capucins,  dont  la  construction  re- 
monte an  commencement  du  x\  ii''  siècle  ; 
ensnile  vient  la  maison  où  fut  enfermé 
prisonnier,  en  181(1,  .Andréas  Hofer, 
avant  d'être  expédié  sur  Mantoue  ;  puis 
les  liotels,  ou  mieux,  les  anciennes  liô- 
(ellei-ies,  dont  les  enseignes  gollii(|ues 
et  les  solides  tables  massives  de  salle  à 
manger  évo(|ucnt  le  »  bon  vieux  temps» 
des  lianaps  el  des  franches  lippées.   II  y 


en  a  bien,  l'une  à  la  suite  de  l'autre, 
cinq  ou  six.  au-devant  dest|uelles.  à 
certaines  heures  du  jour  et  particulière- 
ment le  matin,  règne  une  grande  ani- 
mation. C'est,  en  ell'et,  de  l'une  d'entre 
elles  que  partent  quotidiennement  les 
voitures  publiques  qui  font  le  service, 
soit  de  la  Passerlhal.  soit  de  Trafoï  au 


,  i:  BENliA»SE 


pied  du  glacier  de  rt)rllor.  soit  cnlin  de 
Laîideck  par  Nauders  pour  rejoindre  la 
voie  ferrée  de  l'.Vrlherg.  .\u  moment 
du  départ,  vers  sept  heures  et  demie, 
c'est  une  véritable  scène  de  genre,  digne 
de  tenter  le  pinceau  d'un  artiste  :  à  la 
terrasse,  une  foule  de  voyageurs  affaires 
se  hâlenl  d'avaler  les  trois  tasses  de  café 
au  lail  lradilii>iinelles.  Iniil  en  surveil- 
lant d  un  leil  inquiet  la  voiture  atli'Iée, 
prête  à  partir;  dans  le  vestibule,  parmi 
les  pyramides  de  malles  de  toute  forme 
el     (Ir     (iMile     provciiaMce .     les     |ielilcs 


bonnes  se  faufilent  avec  une  agilité  de 
biche,  tout  en  portant  f;ravenienl  leur 
plateau  dressé;  sur  la  route,  les  chevaux 
s'impatientent  et  secouent  bruyamment 
leur  collier  de  grelots;  enfin,  tout  à 
l'entour,  groupés  par  deux,  par  trois, 
les  paysans,  debout,  les  épaules  harna- 
chées des  bretelles  vertes  nationa'es  et 
le  chef  couvert  du  chapeau  pointu  à 
cordons  rouges,  regardent  d'un  air  nar- 
quois, la  pipe  à  la  bouche,  ce  spectacle 
quotidien,  mais  toujours  nouveau. 

Tous  ces  hôtels  du  Renmveg,  partici- 
pant plus  ou  moins  directement  à  la 
vie  locale,  restent  ouverts  toute  l'année, 
taudis  que  les  immenses  caravansérails 
cosmopolites  qui  peuplent  la  ville  nou- 
velle ne  montrent,  en  juillet  et  août, 
que  leurs  claires  et  mornes  façades  aux 
volets  hermétiquement  clos. 

^'e^s  le  milieu  de  cette  grande  voie 
s'embranche  la  rue  commerciale  par 
excellence  et  aussi  la  plus  intéressante, 
par  son  ancienneté,  de  toute  la  vieille 
ville  :  la  "  Laubengasse  ». 

C'est  une  rue  étroite,  longue  d'environ 
un  kilomètre,  avec  des  pavillons  en 
saillie,  des  corniches  sculptées,  toute 
une  physionomie  de  passé  respectable, 
et  bordée  d'un  bout  à  l'autre  de  deux 
rangées  d'arcades  basses  soutenues  par 
de  massifs  piliers  carrés.  Sous  ces 
arcades  qui  font  l'office  de  promenade 
couverte,  on  dégustait,  paraît-il,  autre- 
fois, quantité  de  belles  et  bonnes  bou- 
teilles de  vin  du  pays,  comme  si  l'on  se 
fût  trouvé  sous  des  bosquets  de  verdure  ; 
d'où  le  nom  de  Lauben  (bosquet)  appli- 
qué à  la  rue.  C'est  là  que  se  trouvent 
les  magasins  de  toute  sorte,  depuis  la 
plusinlime  échoppe  jusqu'au  dépositaire 
des  grands  journaux  étrangers;  mais  ce 
qui  domino  incontestablement,  ce  sont 
les  étalages  de  fruits,  de  fromages,  de 
charcuterie,  ainsi  que  les  «  Weinstube  d, 
ou  chambres  à  vin.  De  cette  promiscuité 
d'espèces  variées,  pèches  rutilantes  et 
raisins  dorés,  gorgonzolas  aux  végéta- 
tions morbides,  lards  fumés  aux  senteurs 
aigres,    qui    se    côtoyant   sans    aucune 


])udcur.  émane  un  arôme  composé,  fort 
peu  agréable,  que  viennent  en  outre 
aggraver  les  boulfées  d'air  froid  et 
humide    échappées  des   longs   couloirs. 

En  temps  ordinaire,  les  arcades  sont 
déjà  très  animées  par  le  va-et-vient  con- 
tinuel des  acheteurs  étrangers  ou  indi- 
gènes ;  mais,  parait-il,  à  certaines  épo- 
ques de  l'année  et  particulièrement  lors 
des  grandes  foires  de  la  Saint-Martin, 
de  Sainte-Catherine  et  de  Saint-Thomas, 
le  mouvement  commercial  se  trouve 
décuplé  par  la  venue  de  tous  les  paysans 
des  environs  ;  alors  la  «  Laubengasse  i> 
revêt  un  aspect  particulier,  qu'on  ne 
retrouve  nulle  part  ailleurs.  Ces  jours-là, 
les  gens  de  la  Passerthal  jouissent  des 
prérogatives  d'un  vieux  droit  dont  les 
origines  remontent  à  l'époque  féodale  ; 
ils  peuvent,  dans  un  délai  déterminé,  se 
transformer  en  bouchers,  tuer  et  dépecer 
tout  le  menu  bétail  qu'ils  ont  amené 
avec  eux,  de  telle  sorte  qu'au  bout  de 
quelques  heures,  se  dresse  sous  les 
arcades,  une  véritable  forêt  de  potences, 
où  se  balancent  des  moitiés  d'agneaux, 
des  porcs  entrouverts,  des  veaux  dé- 
pouillés, tout  un  amas  de  viande  sai- 
gnante au  milieu  duquel,  semblable  à 
une  araignée  dans  sa  toile,  le  paysan 
méfiant,  épie,  l'œil  aux  aguets,  le  client 
rôdeur  qui  sera  sa  proie.  Mais  il  n'y  a 
pas  seulement  que  des  étalages  de  chair  ; 
tout  le  long  des  voûtes,  sur  des  planches 
posées  sur  des  tréteaux,  se  succèdent 
des  avalanches  de  fruits,  de  légumes 
apportés  par  les  paysannes,  puis  des 
carillons  de  clochettes  pour  les  bestiaux 
aux  pâturages,  des  livres,  des  dessins, 
des  chapeaux  verts  et  sertis  de  cordons 
rouges,  des  vestes  bariolées  vendues  par 
les  gars  du  Grôdnerthal,  et  c'est  un 
assaut  de  ruses,  de  défiance,  de  la  part 
de  tous  ces  acheteurs  dont  les  yeux  res- 
tent éblouis  et  l'imagination  hantée  1 

.V  environ  mi-distance  de  la  «  Lau- 
bengasse »  se  trouve,  dans  une  cour 
pavée,  un  des  plus  intéressants  monu- 
ments du  vieux  Méran;  c'est  le  u  Lan- 
desfûrstlichen   Burg  »,  la  résidence  des 


anciens f;ouverneursdu  Tyrol.  Construit 
vers  la  moitié  du  xv'^siècle  par  l'archiduc 
Sifjmund  le  Riche,  le  même  dont  on 
retrouve  les  anciens  châteaux  un  peu 
dans  toutleTvrol,  il  fut  successivement 
habite,  sinon  d'une  façon  continue,  du 
moins  à  intervalles  rapprochés,  par  plu- 
sieurs persoiinajijes  princiers  ou  royaux; 
l'empereur  Maximilien  I''.  qui  y  vint  vers 
1  i'JS,  accompagné  de  ^'ince^t  Sautner, 
sommelier  du  Tyrol  :  Ferdinand  I''',  en 
I5t>{,  puis  le  margrave  Cari  von  Hurgen, 
et  enfin,  vers  Kil  i,  l'archiduc  Maximilien. 
\'u  de  l'extérieur,  ce  donjon  gothique 
a  un'  aspect  un  peu  rébarbatif;  il  est 
massif,  complètement  renfermé  dans 
une  haute  muraille  crénelée  qui  np  laisse 
apercevoir  que  le  toit  plat  de  l'aile  prin- 
cipale et  la  Hèche  pointue  d'une  tourelle 
annexe,  l'ne  ogive  basse,  surmontée  de 
l'aigle  rouge  sur  champ  d'argent,  donne 
accès  dans  cette  forteresse.  Mais  une 
partie  seulement  de  l'intérieur  a  conservé 
le  cachet  primitif  :  au  rez-de-chaussée, 
c'est  la  chapelle,  petite,  éclairée  par 
deux  vitraux  restaurés,  au  milieu  des- 
fjucls  se  détachent  les  blasons  réunis  du 
'i'yrol  et  de  l'.Xulriche;  sur  les  nervures 
de  la  voûte  on  de\ine  des  fresques  ell'a- 
cées.  Au  premier  étage,  c'est  la  «  cham- 
bre impériale  »  de  l'empereur  Maximi- 
lien I'-"^;  elle  se  compose  de  deux  pièces 
contigucs,  l'une  qui  servait  de  chambre 
à  coucher,  l'autre,  plus  grande,  qui  faisait 
il  la  fois  office  de  salon,  de  salle  à  manger 
el  de  cabinet  de  travail.  J^es  mœurs 
impériales  étaient  simples  à  cette  époque, 
el  les  souverains  modernes  auraient 
quelque  peine  à  s'en  accommoder.  Dans 
la  chambre  à  coucher,  où  ne  pénètre  à 
travers  les  vitraux  qu'une  lumière  atté- 
nuée, voici  trois  meubles  du  temps  :  un 
lit  gothique.  sé\ère,  fermé  comme  une 
ai-moire  et  couvert  d'une  étoifc  de  lin 
brodée:  un  vieux  siège,  puis  un  bahut 
massif  armé  de  belles  ferrures;  au  mur, 
deux  tableaux  de  sainteté,  œuvre  d'un 
peintre  tyrolien  contemporain  de  Maxi- 
milien, représentent,  l'un,  saint  (îhris- 
lophe,  l'autre,  saint   Sébastien.    Dans  la 


pièce  voisine,  communiquant  par  une 
porte  gothique  au-dessus  de  laquelle  est 
pendu  l'écusson  d'Kcosse,  les  peintures 
décoratives  sont  plus  nombreuses  ;  voici, 
sur  la  partie  inférieure  du  mur,  sept  pan- 
neaux bien  conservés,  représentant  dos 
personnages  célèbres  :  Da\id,  Hector, 
Artus,  ("lodefroy  de  Houillon,  Charle- 
magne,  Jules  César,  le  roi  Alexandre  : 
au  bas  de  chacun  d'eux  se  trouve  une 
courte  légende  explicative  ;  plus  loin, 
une  scène  faisant  allusion  au  mariage  de 
l'archiduc  Sigmund  avec  Éléonore 
d'I'xosse  :  enfin  d'autres  sujets,  allégories 
et  chasses;  dans  l'angle  sud  de  la  cham- 
bre gil  le  volumineux  poêle  construit 
sur  les  ordres  de  l'archiduc  Sigmund. 
La  simplicité  de  cet  intérieur  princier, 
la  nudité  du  pavé  carrelé,  la  quasi- 
absence  de  meubles,  tout  cela  enveloppé 
dans  le  recueillement  d'un  demi-jour 
d'église,  fait  une  impression   profonde. 

En  continuant  la  «  Laubengasse  »  on 
arrive  bientôt  à  la  place  principale  de 
Méran,  où  se  trouve  la  Pfarrkirche, 
l'église  paroissiale.  C'est  un  édifice 
gothique  construit  vers  I3t>7  sous  Henri 
de  Bohême,  et  llanqué  d'une  tour  carrée 
qui  passe  pour  être  la  plus  élevée  de 
tout  le  Tyrol.  Surlemur latéral  extérieur, 
une  fresque  très  bien  conservée,  œuvre 
de  l'"r.  Peiidl,  représente  un  Christ  sym- 
bolique, de  proportion  gigantesque,  aux 
pieds  duquel  l'humanité  ne  semble  qu'un 
troupeau  de  pygmées.  Dans  l'intérieur, 
un  bon  retable  de  .Martin  Knoller  ligure 
la  naissance  du  (Christ  et  la  Cène;  les 
vitraux  racontent  les  divers  épisodes  de 
la  vie  de  saint  Nicolas,  le  patron  de  la 
])aroisse.  Derrière  l'église,  se  dresse  une 
petite  chapelle  consacrée  à  sainte  Barbe  ; 
elle  renferme  une  multitude  de  petites 
statuettes   et    un    tableau  de  Bussyager. 

La  place  de  l'église  est  le  point  d'in- 
tersection de  plusieurs  petites  rues  qui 
partent  dans  des  directions  opposées; 
plusieurs  montent  vers  l'Kst.  silencieuses, 
mornes,  banales,  pour  aboutir  également 
à  la  vieille  porte  septentrionale,  la  Pas- 
seircr  Thor;  une  autre  descend  au  con- 


traire  vers  le  Sud,  à  la  Habsburger- 
strasse,  la  grande  artère  de  la  nouvelle 
\  ille,  et  porte  le  nom  de  "  Poslgasse  •. 
(v*uoique  beaucoup  plus  courte  que  la 
.1  Laubengasse  »,  elle  peut  néanmoins 
rivaliser  avec  cette  dernière  par  l'aspect 
tout  particulier  qu'elle  emprunte  aux 
nombreuses  auberges  dont  elle  est 
en    quelque    sorte    le    quartier    central. 


la  vieille  porte,  voici  encore  un  dernier 
vestige  du  passé  que  déjà  menacent  la 
pioche  du  démolisseur  et  le  tlot  cliaque 
jour  plus  envahissant  des  constructions 
neuves;  c'est  la  partie  inférieure  de 
l'hôtel  Erzher/og  Johann,  ancienne  pro- 
priété du  roi  Henri,  père  de  Marguerite 
Maultosch,  dont  un  médaillon  en  relief 
au-dessus   de    la   fenêtre    principale    du 


l  N  II  K  s  F  r  i;  s  T  L  IL'  H  E  X     B  f  T,  C 


Chacune  a  son  histoire,  ainsi  que  sa 
clientèle  distincte  et  fidèle  ;  près  de  la 
PlarrUirche,  au  coin  de  la  place,  c'est  In 
•  ■  (iasthaus  zum  Raftl  ",  une  vieille 
construction  qui  fut,  à  l'époque  féodale, 
Ihôtel  de  la  Monnaie  ;  puis  en  descendant 
les  arcades,  la  «  Kreutz^virthshaus  •■  le 
rcndez-vouspréféré  des  hommes  d'Kg^lise; 
ensuite  la  «  Krone  »,  où  se  réunissent 
les  jeunes  fermiers  pour  discuter  les  prix 
du  marché  ;  et  ainsi  de  suite  jusqu'à  la 
i<  Pio/.ener  Thor  »,  qui  est  le  point  ter- 
minus méridional  de  la  \ieille  ville.  .Vu 
détour  de  la  rue.  immédiatement  après 


premier  étage  conser\e  les  traits  ainsi 
que  ceux  de  sa  royale  épouse...,  puis 
c'est  fini  de  la  vieille  ville  féodale  : 
maintenant,  dans  celte  Habsburger- 
slrasse,  nous  voilà  en  pleine  ville  nou- 
velle, dans  le  «  Kurort  »,  dont  les 
grandes  avenues  lumineuses  et  les  pro- 
menades pleines  d'ombre  font  un  con- 
traste inattendu  avec  les  rues  à  arcades. 
Cette  Habsburgerstrasse,  qui  se  pro- 
longe jusqu  à  la  gare  du  chemin  de  fer, 
est  en  quelque  sorte  le  centre  des  hôtels 
cosmopolites,  le  rendez-vous  obligatoire, 
aux  heures  qui  précèdent  et  suivent  les 


repas,  des  riches  étrangers  venus  ici 
pour  suivre  les  cures.  Il  y  en  a  donc 
plusieurs?  Sans  doute!  11  faut  bien 
venir  en  aide  aux  bravos  négociants 
méranais!  La  plus  usuelle  est  la  cure 
d'air  pour  poitrinaires,  nerveux,  ané- 
miques, neurasthéni(|ues  ;  elle  commence 
en  novembre  et  dure  jusqu'au  mois 
d'avril;  puis  avec  le  printemps  vient,  en 
avril  et  mai,  la  cure  de  pelil-hiit:  enfin, 


bien-être  physique  d'une  existence  insou- 
cieuse et  confortable.  Rien  de  plus  déli- 
cieux que  ces  belles  allées  sur  les  deux 
rives  de  la  Passer!  .Au  fond  du  ravin  que 
l'on  domine  de  i  ou  .")  mètres,  le  torrent 
écume  dans  son  lit  de  galets;  devant  soi, 
derrière,  de  quelque  côté  que  I'um!  se 
repose,  c'est  un  ensemble  de  hantes 
montagnes  sévères,  aux  cavités  sombres, 
de  coteaux  boisés  et  riants  où  joue  le 


^4^    Y\^  jm 

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•  --'^-    TT*- 

a  ISK  I.  A-IM(O.M  E  N  A  I)  K 


Il     LA      lu  V  K      II  R  Cl  1  T  E     H  E      I.  .' 


en  même  temps  que  les  grives,  les 
désœuvi-és  et  les  errants  accourent  en 
septembre  et  octobre,  picorer  les  vignes 
et  flirter  sous  les  treilles.  En  définitive, 
la  saison  dure  neuf  mois  de  l'année  sur 
douze,  cl  déjà  on  parle  d'une  cure  au 
loin  cniijié  qui  retiendrait  les  étrangers 
pendant  les  mois  d'été! 

lit  l'on  comprend  d'ailleurs  que,  sans 
même  l'excuse  d'une  maladie,  sans  but 
précis,  l'on  vienne  ici  se  laisser  vivre 
au  jour  le  jour,  enveloppé  [lar  le  charme 
dune  nalure  gi-andiose  et   variée,    et   le 


soleil  par  les  éclairciesde  verdm-e  ;  enfin 
de  tiers  donjons  mutilés. 

A  cause  de  son  exposition  en  plein 
midi,  la  rive  droite  est  plus  fréquentée 
que  la  rive  gauche;  c'est  là,  sur  une  lon- 
gueur de  plus  d'un  kilomètre,  depuis 
l'église  |)rote^lante  jusqu'au  pied  du 
vieux  château  de  Zenobnrg,  que  se  tient 
du  matin  au  soir  le  Tout-Méran  cosmo- 
polite. t,.)uoique  formant  en  réalité  un 
seul  ruban,  on  l'a  scindée,  pour  la  déno- 
mination, en  quatre  tronçons  dill'érents. 

V.n  conimeni,-anl  parle  bas,  du  coté  de 


la  gare,  c  est  d'abord  i<  la  Sléphanie- 
Promenade  »,  de  création  récente,  bien 
aérée,  dépourvue  d'arbres,  et  bordée  à 
gauche  de  pensions  et  villas  particu- 
lières dont  quelques-unes  sont  précé- 
dées d'un  petit  parterre  de  rosiers  grim- 
pants et  de  glycines.  Plus  loin,  l'allée 
s'élargit,  revêt  un  air  de  majesté,  prend 
des  allures  de  parc,  avec  sa  longue  per- 
spective de  peupliers  séculaires  dont  les 


retrouve  pour  causer,  où  l'on  se  croise 
pour  voir  et  être  vu,  oii  l'on  vient  même 
simplement  noyer  sa  solitude  dans  le 
flot  toujours  mouvant  de  couleurs,  de 
physionomies ,  d'habitudes  diverses. 
C'est  en  quelque  sorte  la  "  promenade 
aux  Anglais  »  de  Méran.  En  continuant 
toujours  plus  haut,  nous  arrivons  au 
W'interanlage  ou  promenade  (l'hiver. 
Ici,    point   de   grands   et   beaux    arbres, 


p  51  K  N  A  D  E      D    H  I  V  E  l;      MONTANT     EN     L  J 


D  U     II  0  (.'  H  E  K 


branches  forment  berceau  en  s'inclinaut 
vers  le  torrent  :  c  est  la  Gisela-Prome- 
nade,  la  plus  belle,  la  plus  fréquentée. 
Grâce  à  sa  communication,  par  deux 
ponts  métalliques,  avec  la  rive  gauche, 
où  se  développe,  vis-à-vis,  la  longue 
façade  du  grand  hôtel  de  Méran,  grâce 
à  l'étalage  luxueux  de  ses  magasins  de 
photographies  et  de  pierres  du  pays,  et 
à  l'établissement  du  vaste  Curhaus  avec 
l'hospitalité  de  ses  salons  de  repos  et  de 
lecture,  elle  est,  en  définitive,  le  lieu 
familier    du     "    Kurort    •>.     où    l'on    se 


aux  membres  noueux,  mais  des  bos- 
quets toulTus  et  bas,  de  simples  massifs 
à  hauteur  d'homme,  suffisants  pour 
abriter  du  courant  d'air  de  la  vallée 
sans  masquer  les  bienfaisants  rayons  du 
soleil  et  derrière  lesquels  viennent  s'as- 
seoir, l'après-midi,  les  poitrinaires  alan- 
guis;  en  même  temps  la  promenade  se 
rétrécit  entre  la  montagne  et  le  lit  du 
torrent  ;  ça  et  là  des  chaises,  des  bancs 
en  grand  nombre,  puis  une  galerie  cou- 
verte semblent  indiquer  que  c'est  là  le 
quartier  général  des  convalescents  fri- 


Icux.  Au  fur  et  à  mesure  qu'on  avance, 
la  vallée  s'infléchil  à  {jauche,  forme  un 
coude  derrière  lequel  disparaît  entière- 
ment le  paysaf^e  de  tout  à  l'heure,  et 
s'ouvre  à  de  nouveaux  décors  plus  sau- 
vages. Le  ravin  se  creuse,  l'eau  se  pré- 
cipite avec  fracas  et  brisant  tout  sur  son 
passage,  les  berges  deviennent  escarpées, 
couvertes  de  verdure;  la  ruine  dp  Zeno- 
burg,  au  sommet  d'un  pic  boisé,  dresse 
ses  flancs  ouverts  et  rongés  de  lierre 
aux  projections  dorées  du  soleil  cou- 
chant, et  la  route,  escaladant  les  pentes, 
s'élève  et  zigzague  en  terrasses  super- 
posées, tout  le  long  du  coteau,  jusqu'à 
ce  qu'elle  se  perde  au  milieu  des  vignes. 

Pour  les  foules  élégantes  et  civilisées, 
c'est  la  limite  conventionnelle  que  cette 
Gilf-promenade  qui  se  déroule  au  soleil 
comme  une  couleuvre  endormie  ;  plus 
loin,  ce  sont  les  champs,  les  routes  dé- 
foncées et  poussiéreuses,  la  solitude  des 
régions  montagneuses  où  ne  s'égare  que 
le  chercheur  d'inconnu,  le  marcheur, 
avide  d'action  et  de  grand  air. 

La  rive  gauche  possède,  elle  aussi, 
des  promenades;  mais  ce  sont  surtout 
<les  rendez-vous  d'été,  fréquentés,  en 
juillet  et  en  août,  presque  uniquement 
par  des  gens  du  pays;  aussi  ont-elles  un 
aspect  très  particulier,  un  peu  provin- 
cial, qui  fait  un  saisissant  contraste 
avec  l'agitation  factice  de  la  rive  oppo- 
sée. La  plus  recherchée  est  l'Elisabeth- 
(îarten,  un  jardin,  comme  son  nom 
l'indique,  situé  tout  à  l'extrémilé  du 
cenlre  mondain,  entre  le  torrent  et  le 
petit  village  d'Obermaïs,  auquel  il 
accède.  I.,os  allées  en  sont  mi-désertes, 
silencieuses,  tout  imprégnées  par  l'om- 
lire  des  cèdres  et  des  tilleuls;  sur 
(les  bancs  rustiques,  de  pensifs  vieil- 
lards, la  main  appuyée  sur  un  bâton 
noueux,  l'o'il  encore  vif,  échangent  de 
rares  paroles  d'un  ton  lent  et  indis- 
tinct; ailleurs,  dans  les  labyrinthes 
écartés,  près  du  bord  de  l'eau,  des 
Sd'urs  de  charit('  de  quelque  couvent 
voisin  marchent  comme  dans  une 
église,  le  chapelet  aux  doigts,  les  lèvres 


balbutiantes,  sans  qu'on  entende  le 
bruit  de  leurs  pas;  dans  le  haut,  en  bor- 
dure du  village,  ce  sont  des  habi- 
tués, venus,  après  déjeuner,  lire  lon- 
guement le  journal,  s'endormir,  digérer, 
jusqu'à  ce  que  la  chaleur  soit  un  peu  at- 
ténuée; et  tout  ce  monde  est  tranquille, 
à  son  aise,  certain  de  n  être  pas  dérangé 
par  des  étrangers  importuns  et  de  ne 
rencontrer  que  visages  amis. 

Enfin,  au  sommet  du  plateau,  pareil 
à  une  corbeille  de  ileurs,  Obermaïs 
étale  ses  villas  coquettes,  entourées  de 
jardins  aux  essences  les  plus  diverses, 
magnolias,  lauriers,  romarins,  myrtes, 
rosiers  ;  c'est  une  fête  des  yeux,  à  la 
fois  une  joie  et  un  repos  où  l'on  s'aban- 
donne, loin  des  vains  bruits  et  des  ba- 
nalités du  CursaaI.  Comme  Mérau, 
Obermaïs  possède  des  hôtels  et  des 
maisons  particulières  ;  mais  il  n'est  fré- 
quenté des  étrangers  qu'au  printemps 
et  à  l'automne.  L'été  est  la  saison  des 
Méranais  opulents  qui  désertent  la  ville 
pour  la  campagne.  D'Obermaïs  on  peut 
rayonner  partout,  soit  dans  l'I-'-tsclithal, 
parmi  les  maisons  bourgeoises  d'I'nter- 
maïs,  soit  sur  la  hauteur,  le  long  des 
rives  escarpées  de  la  Passer,  vers  le 
petit  village  de  Schrinna  et  le  château 
féodal  du  même  nom.  .Ainsi  vivent  côte 
à  côte,  chacun  dans  sa  ville  et  seule- 
ment réunis  par  un  lien  d'intérêt  com- 
mercial, Méranais  et  étrangers  :  ceux-ci 
insouciants,  astreints  aux  conventions, 
avides  de  plaisirs  ;  ceux-là  délianls,  rusés 
et  aussi,  dit-on,  un  peu  dédaigneux  îles 
frivoles  mondains. 

Méran  n'est  pas  seulement  un  lieu  de 
séjour  pour  désœuvrés  et  phtisiques, 
il  est  aussi,  pour  les  touristes,  un  centre 
de  promenades  ti'ès  diverses. 

De  quelque  CiMé  que  le  regard  se 
tourne,  c'est  une  évocation  soudaine  de 
glorieux  souvenirs  où  revit  tout  entière 
l'histoire  féodale  et  patriotique. 

A'ers  l'est,  dans  la  vallée  aride  cl  mo- 
notone (le  la  Passer,  aujourd'hui  encore 
hantée  île  superstitions  diaboliques, 
voici,    au   sommet    d'un    i-oclier    à    pic. 


M  s  R  A  N 


comme  une  seiiliiiclle  avancée,  le  vieux 
donjon  de  Zenoburj;,  aux  murs  éven- 
trés,  dressant  son  squelette  de  pierre 
emprisonné  de  lierres  séculaires  et  de 
sauvageons  échevelés  ;  plus  loin,  vers 
Saint-Léonhard,  presque  au  bout  du 
monde,  tant  est  profonde  la  désolation 
d'alentour,  cest  Sandhof,  la  modeste 
auberge  d'Andréas  Hofer,  le  héros  de 
1809,  posée  sur  un  banc  de  sable,  entre 


gadine,  voici  le  célèbre  château  Tyrol, 
ancienne  résidence  des  comtes  de  Vintsch- 
gau  et  aujourd'hui  propriété  de  l'em- 
pereur Franvois-Joseph,  dont  l'équerre 
massive  se  détache  inaccessible  à  l'ex- 
trémité d'un  promontoire  de  granit, 
comme  un  impérissable  défi  aux  injures 
des  hommes  et  du  temps;  un  peu  à 
gauche,  sur  la  même  ligne  horizontale, 
la  très  antique  église  de  San  Peter,  abri- 


■  I L  L  A  G  K     DE 


D  1 1  M  I X  A  X  T      LA      RI' 


la  montagne  et  le  torrent.  Puis,  sur  un 
mamelon  dominant  la  rive  gauche  de  la 
Passer,  le  petit  village  de  Schônna  épar- 
pille au  soleil  ses  maisons  blanches,  tan- 
dis qu'à  l'extrémité  et  sur  un  roc  isolé, 
le  château  féodal,  ancienne  résidence  de 
l'archiduc  Jean,  laisse  deviner  derrière 
ses  épaisses  murailles  grises  les  ponts- 
levis  baissés,  les  passages  voûtés,  les 
salles  d'armes,  les  oubliettes... 

Vers  le  nord,  à  mi-hauteur  de  ce 
Iviichelberg,  qui,  à  la  façon  d'un  écran, 
nrotègre  la  ville  des  vents  glacés  d'En- 


tant jalousement,  à  l'ombre  de  son  clo- 
cher roman,  les  quatre  maisons  blan- 
ches dont  se  compose  le  hameau  :  plus 
loin,  la  tourelle  crénelée  de  Durnstein. 
devenue  un  simple  hangar  de  ferme: 
puis,  à  l'abri  du  coteau,  comme  un  tapis 
déroulé,  la  plaine  luxuriante  de  ^'intsch- 
gau.  véritable  jardin  de  pêchers  alourdis 
et  de  treilles  gonflées. 

Enfin,  au  sud-ouest,  dans  la  longue 
perspective  de  l'Elschthal,  échelonnées 
de  Méran  à  Botzen,  au  versant  de  deux 
chaînes  de   montagnes   parallèles,  voici 


de  vénérables  reliques,  Lebenbcrg,  Léon- 
biirg,  Brandis,  Lana,  Viljjian,  Terlan, 
d'autres  encore  :  celles-ci  complètement 
en  ruine,  celles-là  restaurées,  rache- 
tées et  habitées  par  de  riches  gentle- 
men, rjui,  ])cut-être,  dans  leurs  rêves,  se 
croient  devenus  seig;neurs  suzerains  de 
fidèles  vassaux.  Les  uns  comme  les 
autres, ces  châteaux  forts  ont  grand  air; 


ils  planent,  dans  leur  solitude,  au-dessus 
des  foules  vulgaires  nu  brillantes. 

Sans  doute,  c'était  à  cette  époque  le 
régime  de  la  force  brutale,  mais  la  force 
à  un  tel  degré,  n'est-ce  point  déjà  de 
la  beauté?  El  puis  vraiment  le  con- 
traste est  par  trop  grand  avec  les  temps 
modernes,  et  ce  n'est  pas  sans  une  ma- 
ligne ironie  que  l'imagination  se  plail  à 
évoquer  quelque  Sigmund  le  Uichc  sur- 
gissant, bardé  de  fer,  du  fond  de  son 
tombeau  de  marbre, au  milieu  des  snohs 
grelottants  de  la  Gisela-Promenade  ! 
Et  c'est  là  pourtant  le  ré- 
sumé des  siècles  :  Méran  féodal, 
Mérnn  Kiirnrt. 

Cm.  \  Al.  11  i-n. 


i  i;  .\  t    Tïi;uL—  VI'    ni;    la    tkuuassk    d'i'N    jaiiimn 


ANDREA  Della  ROBDI  a.  —  La  Vierge  et  les  saints  Jacques  et  Dominique.  (Via  délia  Scula  à  Floreuce.) 


LES    DELLA    liOBBIA 


Les  voyages  d'étude  sont  de  plus  en 
plus  à  la  mode  :  on  se  délasse  en  s'ins- 
truisant.  Encore  y  faut-il  de  bons  cicé- 
rone qui,  dans  les  villes  ou  les  musées, 
vous  plantent  en  face  des  monuments 
et  des  œuvres  vraiment  remarquables! 
Les  lecteurs  du  Monde  Moderne  sont 
déjà  allés  plusieurs  fois  à  Florence  :  je 
les  invite  à  y  revenir,  pour  .étudier 
quelques  (^ija//rocen^(s/e.s"  que  la  critique 
moderne  s'est  plu  à  remettre  en  pleine 
lumière.  Il  s'agitdes  Della  Rohhia.  Lonj;- 
tenips  relégués  au  second  plan  dans 
1  histoire  de  l'art,  ils  ont  été  l'objet  de- 
puis cinquante  ans  de  savantes  études. 
MM.  Barbet  de  Jouy,  Perkins,  Allan 
Mar(|uand,  Bode,  Mûntz,  Molinier  et 
Marcel  Reymond  ont  remis  les  choses 
au  point,  essayé  la  classification  des 
œuvres  et  restitué  à  ces  sculpteurs 
d'écjlise  la  notoriété  qui  leur  était  due. 

Mais  quel  peut  être  l'intérêt  d'une 
pareille  étude?  Pourquoi  regratter  la 
gloire    fanée   de  ces  vieux    sculpteurs, 


alors  que  notre  faculté  d'admirer  est 
épuisée  par  tant  d'autres  chel's-d'a^uvre 
de  tous  les  temps?  M.  Uevmond 
l'explique  :  «  \'raiment,  à  voir  dans 
quel  oubli  nous  laissons  les  chefs- 
d'œuvre  du  passé,  combien  nous  sommes 
ignorants  des  merveilles  qui  devraient 
être  vulgarisées  et  connues  de  tout  le 
monde,  il  semble  que  nous  soyons  de 
vrais  barbares,  indignes  de  vi\  re  au 
milieu  de  pareils  trésors.  11  n'est  pas 
étonnant  que  nous  soyons  comme  hyp- 
notisés par  l'art  antique,  que  nous  par- 
lions toujours  du  Gladiateur  ei  du  Dis- 
cobole, puisque  nous  méconnaissons  les 
chefs-d'œuvre  de  notre  art  chrétien.  « 
Les  Della  Kobbia  sont,  en  effet,  des 
artistes  chrétiens,  dans  toute  la  force 
du  terme.  Contemporains  de  la  pre- 
mière Renaissance  et  de  ce  mouvement 
irrésistible  qui  entraîna  toutes  les  formes 
de  l'art  vers  l'imitation  de  l'antiquité, 
ils  gardèrent  leur  conviction  et  leur  foi. 
C'est  à  peine  si   l'on   perçoit   les   traces 


LES    DELL  A    IldUHI.V 


AviiliKA  Di:i,I,A  HoBBIA.  —  Saint  AVnn.'o.'j 
(Couvent  (le  la  Venia.) 


de  riiifluence  qu'a  eue  sur  eux  l'eslhé- 
lique  de  leurs  concitoyens.  Leur  idéal 
n'élail  pas  advenlice  :  ils  le  porlaient 
en  eux-mêmes.  C'est  pourquoi  ils  sau- 
vèrent 1  inspiration  cliréticnne  d'un  dé- 
périssement hâtif  et  créèrent  des  œuvres 
vivaces,  sur  lesquelles  le  lemps  n'a  pas 
eu  de  prise,  des  n-uvres  comparables 
aux  tableaux  si  patiemment  nuancés 
(|ue  Ghirlandajo  appelait  des  peintures 
pour  l'éternité. 

Qu'était  Florence  àlaubedu  xv'siècle? 
l'ne  ville  de  7<l  (i(((l  âmes,  indépendante, 
fière  de  ses  libertés.  Les  discordes  intes- 
tines des  siècles  précédents  n'avaient 
pas  entravé  sa  prospérité  matérielle. 
Avec  la  richesse,  sous  ce  ciel  merveil- 
leux, était  venu  aux  bourgeois  enrichis 
le  goût  des  lettres  et  des  arts  :  ils  se 
disputent  les  manuscrits  anciens,  achè- 
tent à  grands  frais  les  sculptures  an- 
tiques que  les  fouilles  mettent  au  jour; 
ils  font  bâtir  des  palais  immenses,  ré- 
barbatifs d'aspect,  mais  disposés  pour 
recevoir  au  dedans  toules  les  fantaisies 
décoratives  du  génie.  On  rêve  de  sur- 
passer Rome  la  grande;  les  officiers  mu- 
nicipaux volent  sans  sourciller  des 
sommes  énormes  pour  élever,  achever 
ou  embellir  les  églises.  Le  nombre  s'en 
accroît  sans  cesse,  bien  qu'il  y  en  ait 
d'immenses.  Quand  Savonarole,  à  la 
lin  du  siècle,  ])rononccra  ses  homélies 
enllammées  dans  la  cathédrale  Santa 
Maria  dei  Fiori,  plus  de  13  000  audi- 
teurs seront  à  l'aise  pour  s'enivrer  de 
sa  parole.  Car  Florence  reste  chrétienne. 
Hien  n'a  pu  détruire  le  fond  primitif  : 
ni  le  |)aganisme,  ni  les  saturnales,  ni 
l'impiété  des  Médicis,  ni  la  licence 
extrême  des  écrivains,  ni  le  scepticisme 
élégant  de  l'olitien  ou  du  !*ogge. 

Tel  est  le  milieu  dans  lequel  vécurent 
les  Délia  Robbia,  milieu  de  tradilion  cl 
de  haute  culture  inlellectuelle.  Les  ou- 
vi-iers  d'art  étaient  irinombrables,  soit 
dans  l'architecture  et  la  peinture,  soit 
dans  l'orfèvrerie  et  la  sculpture.  Dona- 
tello,  (ïhiborli,  Bninellesco,  Miehel- 
lo/./.o    fnreni     t-(iiilem|i()rains    de    l.uea. 


LliS    l)i:i.I.A     liOlil'.IA 


iO 


forme   et  dégrath'  hi  finesse  de  l'expres- 


Aiulrea  a  connu  Mino  de  Fiesole,  Desi-   i   On  a  dit  qne  l'émail  blanc,  avec  ses  re- 

derio,    les    deux   Rosscllino    —   Michel-   |   llels    violents,   nnit  à   la    beauté    de    la 

Ange  dominant  la  lin  du  siècle  de  toute 

la     hauteur     de     son 

génie.    Je     ne    parle 

évidemment   que   des 

sculpteurs. 

Que  sait-on  de  leur 
vie?  Quelques  détails 
transmis  par  Vasari 
ou  recueillis  dans  les 
archives  des  tréso- 
riers; mais  leurs  œu- 
vres parlent  poureux. 

Luca,  le  fondateur 
de  la  dynastie,  mou- 
rut en  1480.  Il  tra- 
vailla le  marbre,  le 
bois  et  le  bronze, 
mais  surtout  la  terre 
cuite.  La  célébrité  de 
son  nom  est  due  à 
ceci  :  frappé  des  avan- 
tages de  la  glaise,  qui 
est  souple  et  facile  à 
modeler,  il  chercha  à 
l'utiliser  pour  la  dé- 
coration extérieure. 
Mais  comment  ?  La 
terre  ne  résiste  pas 
aux  intempéries;  les 
poussières  la  noircis- 
sent, la  pluie  et  le 
soleil  la  fendillent.  Il 
perfectionna  (pour  ne 
pas  dire  :  inventa)  un 
émail  stannifère  et 
opaque.  Une  légère 
couche  suffisait  pour 
assurer  aux  œuvres, 
après  une  cuisson 
convenable,  une  con- 
servation indéfinie. 
Bien  plus,  l'émail  permettait  la 
chromie,    si    recherchée    encore 


Luca  Della  Robbia.  —  Enfants  de  la  Cantoria, 
(Musée  du  Dôme  à  Florence.) 


poly- 
après 

l'usage  presque  constant  du  moyen  âge. 
Luca  l'employa  sobrement  et  en  deux 
couleurs  :  le  blanc,  pour  les  figures,  le 
bleu,  pour  les  fonds.  Les  autres  teintes 
n'apparaissent  que  dans  les  ornements. 


sion,  parce  que  Yinvetrlatiira  épaissit 
les  contours.  Ceux  qui  parlent  ainsi  ont 
vu  les  madones  dans  les  musées;  ils  ne 
les  ont  point  admirées  au  tympan  des 
églises  ou  dans  la  pleine  lumière  des 
temples  italiens.  Là  seulement  apparaît 
leur  harmonie;  rien  ne  détonne,  rien  ne 


I.KS    DlvI.I.A     liOBBlA 


brille  aux  dépens  de  l'ensemble.  Le  jour 
s  attiiclic  à  la  surface,  la  traverse  en 
quelque  sorte  et  VœW  admire,  dans  leur 
intcgrilé,  le  fini,  la  souplesse  et  le  mo- 
delé. 

Andréa  travailla  lonjjtemps  avec  son 
oncle  l.ucn  ne  s'était  pasmariéi  et  con- 
tinua seul  la  tradition,  qu'il  avait  pleine- 
ment transmise  à  son  fds  Giovanni, 
avant  de  disjiaraitre  en  1525.  De  ses 
autres  enfants  (il  en  eut  septi,  deux  se 
firent  dominicains,  sous  la  direction  de 
Savonarole.  Un  autre.  Girolamo,  passa 
en  France  et  v  exécuta  de  nombreux 
travaux,  surtout  d'architecture. 

Ainsi  les  secrets  de  l'art  de  la  terre 
cuite  restèrent  dans  la  même  famille 
pendant  plus  de  cent  ans  et  disparurent 
avec  elle.  Ses  membres  n'eurent  pas  un 
égal  talent,  mais  ils  obéirent  tous  au 
même  idéal,  et  s'ils  furent,  à  des  degrés 
divers,  sensibles  aux  influences  du 
dehors  dont  il  est  si  difficile  de  s'affran- 
chir, leur  personnalité  n'en  souffrit  pas 
et  ne  fut  pas  étouffée,  comme  tant 
d'autres,  par  les  théories  courantes.  Par 
tempérament,  ils  ne  prennent  à  la 
nature  que  le  suhsiraluni  indispensable 
pour  donner  à  leurs  créations  la  vérité 
nécessaire.  Mais  au  delà  des  formes 
vivantes  auxquelles  s'arrêtait  brutale- 
ment Donatello,  ils  voient  la  forme 
irréelle  qui  est  le  vêlement  de  la  pensée 
et  qu'ils  surajoutent  à  leurs  figures  de 
saints  et  de  madones.  Et  voyez  la  gra- 
dation :  Luca  est  chrétien,  Andréa 
pieux,  Giovanni  mystique.  Cependant 
le  premier  reste  le  plus  grand,  [)arce 
qu'il  est  le  plus  simple.  II  écarte  tout  le 
secondaire  pour  s'attacher  au  principal; 
il  résiste  à  la  tentation  de  tout  dire  pour 
se  contenter  de  bien  dire  ce  qu'il  dit. 
Dès  lors,  le  bas-relief  lui  suffit  et  traduit 
toute  sa  pensée.  Ce  n'est  pas  impuis- 
sance :  il  n'a  fait,  il  est  vrai,  que  deux 
figures  en  ronde-bosse,  deux  anges, 
mais  elles  sont  exquises;  c'est  prédi- 
lection, parce  que  le  fond  lileutc  .irréte 
le  regard  et  le  force,  en  liniil.ml  son 
champ,     à     se    poser    sur     li'>     li^;iircs 


pour   en    recevoir    toute    l'impression. 

Ajoutons  que  les  œuvres  sont  en  gé- 
néral de  moyenne  dimension,  et  nous 
aurons  montré  la  pensée  directrice  de 
ces  maîtres  et  les  motifs  élevés  auxquels 
ils  obéissaient  en  créant  sans  relâche 
des  tabernacles,  des  tympans  et  des  ma- 
dones. Métier,  a-t-on  dit  1  métier,  si 
l'on  veut,  au  sens  le  plus  artistique  et 
le  plus  élevé  du  mot,  métier  qui  a  plus 
fait  pour  la  vulgarisation  du  grand  art 
que  bien  des  ateliers  fameux. 

Ceci  posé,  voyons  les  œuvres.  La  plus 
célèbre  de  celles  de  Luca  est  la  Canlu- 
ria,  série  de  douze  bas-reliefs  en  marbre. 
L'artiste,  qui  avait  à  soutenir  la  com- 
paraison avec  Donatello,  a  dès  lors 
donné  toute  sa  mesure.  Son  art  est  fait 
de  sobriété  et  d'élégance  dans  la  vérité. 
11  manque  de  fougue,  tant  il  est  or- 
donné :mais  l'harmonie  entre  lesdiverses 
parties  du  sujet  est  si  complète  que  la 
sensation  esthétique  est  intense.  Re- 
gardez ces  bambins  qui  dansent  au  bruit 
du  tambourin,  ces  vierges  candides  qui 
chantent  ou  ces  choristes  qui  exécutent 
leur  motet:  la  vie  éclate,  on  les  voit,  on 
les  entend. 

La  Canl(tri;i  fut  terminée  en  1  i  i(t. 
Kntrc  temps,  Luca  avait  fait  ])our  le 
Campanile  cinq  bas-reliefs  remarquables 
et,  en  lil'2,  il  recevait  la  commande 
d  un  tabernacle,  qui  se  trouve  aujour- 
d'hui à  Santa  ^Liria  de  l'erotola.  Il  nous 
intéresse  parce  que  nous  y  voyons  em- 
ployer, pour  la  première  fois,  la  terre 
cuite  émaillée,  dans  la  guirlande  de  la 
frise  et  la  bordure  du  soubassement. 
A  dater  de  ce  moment,  les  matières 
dures  n'apparaîtront  plus  que  dans  le 
monument  de  réxêquo  Federighi  H,">5 
si  beau  en  sa  simplicité,  dans  le  Christ 
de  San  Miniato  et  les  portes  de  bronze 
de  la  sacristie  du  Dôme.  Celles-ci  ne 
sont  pas  estimées  comme  elles  le  méri- 
tent, par  la  faute  sans  doute  de  leurs 
rivales,  les  portes  d'.André  de  Pise  et 
de  Ghiberli.  Elles  olVi-ent  pourtant  des 
morceaux  remar(|ual)les,  bien  supérieurs 
au  dédain    de  la   critique.   Les  aïK/r.i  en 


LES    DKI.I.A     liilHIilA 


p.irticulier  sont  dignes  du  génie  de  Luca  : 

ils  ne  sont  surpassés  que  par  les  iinijes 

adorateurs  du  tabernacle  de  V Iinprunel» . 

Nous  voici,   avec   eux,    aux    icuvres 


les  regardera  sans  parti  pris,  avec  le 
seul  désir  d'en  goûter  le  cliarnic,  les 
mettra  sans  peine,  dans  son  estime,  au 
niveau  des  plus  helles  leuvres  antiques: 


Luca  Della  Kobbi.i 


et  l'Enfant  Jrsus.  vH  jpital  des  InuLiccats  à  Florence.) 


émaillécs.  Où  trouver  figures  plus 
célestes,  plus  entièremeut  dégagées  de 
la  terre?  Ces  anges  planent  véritable- 
ment, tandis  que  leurs  traits  reflètent 
la  joie  mêlée  de  crainte  qu'ils  éprouvent 
en  face  de  l'Inconnaissable.  Quiconque 


variété,    élégance,    délicatesse    infinie, 
noblesse,  rien  ne  leur  manque. 

Que  dire  des  madones?  Elles  occu- 
pent dans  1  œuvre  totale  une  part  pré- 
pondérante. On  en  connaît  au  moins 
vingt-cinq  d'authentiques.  Sans  doute  il 


Li;s  i)i:i.i.A   liuiiiiiA 


Andrka  ])KI.I,A    Iti 


(Mii.sce  iiiitiuu.il  à  Flor 


on  existe  bien  davantage.  I,es  musées  se 
font  f,'loire  don  montrer.  Tontes,  par 
certains  cotés,  réalisent  un  type  nou- 
veau dans  l'art,  type  qui  esl  l'ahoulis- 
sanl  (les  cU'orls  du  moyen  Age  pour 
donner,  en  un  cadre  restreint,  la  [dus 
intensive  représentation  de  celle  (pii  l'ut 
la  mère  de  l)leu.  I.a  neiiituie  elle-même 


prolita    des    elForts   de    la    statuaire   et 
incontestablement  les  chefs-d'œuvre  de 
lël   eux-mêmes  sont  redevables 
aux   Délia    l{obbia  de  l'idée 
qu'ils  traduisent  :  uneA'ier}îc, 
incomparablement     belle, 
mère    du     Fils    de     Dieu. 
C'était   là    le  ()roblème    si 
lonf;lemps    insoluble.   Le's 
Byzantins  avaient  considéré 
Marie  comme  une  reine  aus- 
tère  et  grave,    sans  joie  et 
sans  sourire  ;  pour  le  moyen 
âge,  elle  était  restée  la  sou- 
veraine, la  A'ierge  puissante; 
es    ima;,Mcrs,    tout  en   inllé- 
chissant    son    corps    ffracile, 
laissaient   à  sa    |)hysionomie 
un  air  de  hauteur  compatis- 
sante qui  n'allait  pas  au  cœur. 
Avec    les    Délia     Hobbia,    le 
type  s'humanise,  non  pas  en 
s'abaissanl,  mais  en  s'impré- 
gnant  des  sentiments  les  plus 
purs  du  Cd'ur  humain.  Ils  se 
souvinrent  que    Marie   était 
mère  avant  tl'être  reine; 
chrétiens  sincères,  ils  la 
■^-      virent,  à  travers  l'Kvan- 
gile  et  la   tradition,  re- 
cueillie et  modeste  en  sa 
grandeur,  heureuse  sans 
doute,  mais    gémissante 
et  troublée  devant  l'ave- 
nir    sanglant      de      son 
Jésus  ;  «  On   comprend, 
(lit  M.    Meymond,  qu'un 
tel  motif  une  fois  entrevu 
ait  passionné  l'art  italien 
et  ait  pu  satisfaire  à  ses 
désirs  pendant  un  siècle. 
Ce  motif  pouvait   se  va- 
rier à  l'inlini  et  rester  toujours  beau,  à  la 
condition   de   se   tenir  dans  ses  limites 
normales.  Il  perdra  sa  beauté  le  jour  où 
l'idée    de    maternité,   en  s'all'aiblissanl, 
laissera    prédominer    l'idée    de     beauté 
charnelle,  le  jour  où  l'artiste  cessera  de 
dire  les  sentiments  de   la  mère,  pour  ne 
plus    songer    qu'il    produire    de    beaux 


DKI.I.A     liiilîlîIA 


École  des  Della  Robbia.  —  Iai   Visitation.  (TSglise  Saint-Jean  à  Pistoia 


visages.  »  On  ne  saurait  mieux  dire. 
Quanl  au  reproche  de  monotonie 
adressé  ù  cette  conception,  il  ne  résiste 
pas  à  un  examen  impartial.  \'oyez  la 
\ieige  des  Innocents  :  elle  parle;  elle 
annonce  son  Fils;  elle  dit  ce  qu'il  ne 
peut  encore  proclamer  :  Ego  sum  lux 
niiindi.  La  Vierge  d'Or  Sun  Michèle 
sourit  mystérieusement  pendant  que 
.\III.  —  3. 


IKnfanl  jette  au  monde  sa  bénédiction. 
Celle  de  V  Imprunela  est  dune  douceui' 
inlinie;  sur  son  visage,  ce  n'est  pas  la 
mélancolie  qui  éclate,  ce  n'est  pas  la 
tristesse  qui  règne,  c'est  Pindélinissable 
expression  que  les  Italiens  appellent 
raghezza  :  les  yeux  regardent  au  loin 
dans  l'avenir. 

Et   ainsi    des  autres  madones.    Sans 


l.i:S    DKI.I.  \     miHHIA 


doute  les  alliludcs  ne  sonl  pas  violem- 
ment variées,  pas  plus  que  les  senti- 
ments qu'elles  expriment.  Mais  quel 
art  |)rodi;,'ieu.\tlansremploi  des  nuances  I 
Andréa  en  cela  ne  diffère  point  de  Luca. 
Il  af^réniente,  il  est  vrai,  ses  compo- 
sitions d'encadrements  très  ornés  :  les 
f^uirlandes  de  feuillaj,'e  et  de  fruits,  les 


Anuuba   Uki.la   liDBiirA.       Un  bambiuu.  (Hoiiilal  dis  Iiino 


léles  d'an;;e3,  les  pilastres  ceinturés 
d'arabesques,  les  frises  ]tolychromes, 
tout  décèle  que  la  technique  s'est  |)er- 
fectionnéc.  i/allenlion  ne  converj^e  plus 
exclusivcnipiil  vers  les  deux  personna;,''es 
principaux   :    rllc   csl    sollicitée    par    la 


bordure  ou  par  les  anj^es  qui  peuplent 
le  haut  du  tableau.  Plus  tard,  Giovanni 
mettra  tout  un  monde  dans  un  espace 
restreint,  où  vinj^l  f5f,'ures  tiendront 
à  l'aise  sur  trois  ou  quatre  plans.  Il 
rivalisera  avec  les  [)eintres,  au  risque 
d'alfaiblir  l'imijression  f,'énérale,  en 
ré])ar])illant.  Eh  bien,  malf;ré  tout, 
le  lyi'edela  Vierf^e 
reste  celui  que 
nous  avons  décrit. 
Quand  bien  même 
Andréa  donne  au 
Bambino  les  atti- 
tudes ravissantes 
de  vie  et  de  natu- 
rel que  les  enfants 
prennent  tous, 
quand  ils  cares- 
sent ou  lutinenl, 
la  \'ier{fe  garde 
son  air},^rave,  avec 
deux  plis  d'an- 
f;oisse  au  coin  des 
lèvres,  et  dans  ses 
yeux  brillent  moins 
d'éclairs  de  joie 
que  de  larmes. 

Que  n'y  aurait-il 
]ias  à  dire  encore 
de  tant  d'autres 
chefs-d'(i-'uvre  ?  Il 
en  est  un,  du 
moins,  que  je  ne 
|iuis  passer  sous 
silence.  Je  veux 
p:irler  de  la  Vierf/e 
dell.i  Scala  dans 
^éf;li^e  de  Hipoli. 
C'est  un  spécimen 
complet  de  cet  art 
si  simple,  si  pon- 
déré ol  si  expres- 
sif. (Oue  de  pen- 
sées se  trahissent  sur  la  li^'ure  de  la 
\'ierf;e  !  que  de  visions  funèbres  de- 
vant ses  yeux,  et  qu'il  faudrait  peu  île 
chose  pour  en  faire  une  adilulonidi .' 
Saint  Dominique  et  saint  .Iac(|ucs  com- 
pali.-isenl   à    la   dmileiir  de  la  mère,  tous 


DKI.I.A     KiiHlilA 


deux  offrant  leur  vie  à  l'eiifanl  dans  un 
élan  d'amour.  Il  n'est  pas  jusqu'au  lis, 
qui  s'incline  vers  Jésus,  qui  ne  fasse 
songer  à  la  future  couronné  d'épines. 
Pourtant,  rien  de  recherché,  rien  de 
torturé.  La  nature  a  été  le  point  de 
départ  :  l'artiste  l'a  fixée,  dans  une  de 
ces  minutes  fugitives  où  le  cor|ishumain 


cultes  particulières  de  la  matière  qu  ils 
travaillaient,  ils  ont  abordé  souvent  les 
i;Tandes  scènes  de  ri-"van;;ile  et  sin^'u- 
lièrenicnl  élarj;i  les  limites  du  bas-re- 
lief. Celui-ci  s'était  d'ailleurs  transformé 
depuis  que  Paolo  Ucello  avait  retrouve 
et  codifié  les  lois  de  la  perspective.  La  dé- 
rnuverle  nvait  ?éduil  tout  lo  monde,  cl. 


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Andréa  Della  JIobbi.a.   —  .Mainte  .\Iail<lei»e  et  saint  Antoine.  (Cloître  de  la  Chartreuse  de  Florence.) 


devient  tout  un  monde,  où  tout  parle 
en  lui,  le  visaf^e,  la  main,  l'attitude. 
J'avoue  que,  de  nos  jours,  on  demande 
plus  de  relief,  plus  de  couleur,  une 
mise  en  scène  plus  bruyante  :  l'œil 
inexpérimenté  y  trouve  davantay:e  son 
compte.  L'homme  de  j^oùt  en  est-il  plus 
satisfait?  La  réponse  ouvrirait  le  champ 
aux  inépuisables  querelles  entre  les  par- 
tisans du  réalisme  et  les  tenants  de 
l'idéalisme.  Nous  n'avons  que  faire 
d'une  telle  discussion. 

Toutefois  les  Della-.Robbia  ne  se  sont 
pas  confinés  dans  ce  qu'on  peut  appeler 
la  s_"ul]jture  de  tjenre.  Mali;ré  les  diffi- 


en  premier  lieu,  son  auteur.  Ne  pas- 
sait-il pas  ses  nuits  à  faire  de  nouvelles 
recherches  ?  Quand  sa  femme,  émue  de 
pitié,  le  pressait  de  remettre  son  travail 
au  lendemain,  il  répondait  naïvement  . 
«  0  ma  chère,  si  vous  saviez  combien 
la  perspective  est  une  douce  chose?  » 
Celte  douce  chose  faillit  ruiner  le 
bas-relief  en  lui  donnant  des  prétentions 
irréalisables.  Ghiberti  était  allé,  dans 
les  portes  que  Michel-Aniie  appelait  «  les 
portes  du  Paradis  »,  à  l'extrême  limite 
du  possible.  Luca  résista  à  lentraîne- 
menl  et  se  contenta  du  relief  simple. 
Par  son  exem])le,  il  mit  on  yarde  Andréa 


Anduk.v  Oei.i.i  ItoiiiM.».  —  l.e  Cumunnement  ./<■  ta  .Vierge.  (Couvent  de  l'Observance  à  Sienne.) 
coiilre  les   iiiiiov.ilions  exafférées.  C'esl  î   il'jirl  ne  trouve  pas  à   Florence  les  plus 


|iour(nioi  les  plus  beaux  reliefs  com- 
plexes (fe  ce  dernier  n'ont  que  deux 
pians  :  la  perspective  y  est  indiquée. 
Ses  œuvres  sont  dis|iersées  et  le  pèlerin 


remarquables.  «  Elles  sont  dans  de 
petites  villes,  dans  des  couvents  reculés 
et  en  particulier  dans  le  monastère  de 
la  \'ertia.    •    .Xjoulons  que,  depuis  l'ai»- 


I.i;S     DIÎI.I.A     HOHHIA 


Andréa  Della  Kobbia.  —  Ma, loue  'le  la  Ciiilola.   (Santa  Fiora.) 


parilion  de  l'ouvrage  de  M.  lîeymond, 
il  n'est  plus  permis  aux  amateurs  con- 
sciencieux de  formuler  le  même  ret,'ret. 


Kn  étudiant  les  grandes  compositions 
d'Andréa,  on  est  frappé  de  leur  force 
expressive.  11  passait  pour  un  doux,  un 


I.KS    UKI.I.A     lloltlilA 


tendre.  Ce  serait  le  Racine  de  la  sculp- 
ture. Or,  comme  chez  le  firand  poêle, 
sa  douceur  cache  beaucoup  de  force  : 
celle-ci  n'est  |)as  violence,  mais  elle 
s'impose  parce  qu'elle  est  continue, 
l'eut-être  aussi  eût-il  t;an"6  dans 
l'admiration  (tant  d'autres  l'ont 
éprouvé!)  s'il  avait  eu  quelques  mor- 
ceaux très  brillants,  escortés  de  pièces 
faibles  ;  elles  serviraient  de  repoussoir. 
.\u  lieu  de  cela,  il  est  toujours  lui- 
même  cl  son  inspiration  ne  connaît  pas 
d'éclipsé.  N'en  faut-il  pas  chercher  la 
raison  dans  ce  fait  qu'esprit  foncière- 
ment reli;,'ieux,  il  s'absorba  pleinement 
dans  la  méditation  des  sujets  qu'il  de- 
vait traiter,  fermant  les  yeux  à  tout  le 
reste  et  ne  se  piquant  pas,  comme  cer- 
tains de  ses  contemporains,  d'aborder 
tous  les  sujets  et  de  traiter  é^'alemenl 
bien  le  sacré  et  le  profane?  Je  ne  vois 
pas  Andréa  faisant  une  Diane  ou  un 
Persée.  El  si,  comme  le  disait  le  sculp- 
teur Préault,  toute  la  difficulté  de  la 
sculpture  consiste  à  enlever  à  un  bloc 
de  marbre  ce  qu'il  a  de  trop,  il  est  à 
craindre  que  la  main  de  l'artiste  ne 
])erde  de  son  assurance,  quand  sa  pensée 
n'est  pas  claire  dès  le  début,  ses  lif,'nes 
arrêtées,  son  idéal  nettement  défini.  Le 
ciseau  est  l'esclave  de  l'âme  :  il  transmet 
ce  que  celle-ci  lui  donne. 

Celle  force  de  conviction  permit  à 
.Andréa  de  renou^•eler  des  sujets  qui 
avaient  été  traités  des  milliers  de  fois 
avant  lui.  Où  trouver  une  Crucifixion 
plus  belle  que  la  sienne?  Est-elle  vrai- 
ment et  profondément  pathétique  cette 
scène,  où  tous  les  personnaf,'es  pleurent, 
où  toutes  les  mains  ont  des  f^estes  de 
désolation,  où  néanmoins  la  variété 
dans  les  attitudes  est  telle,  chez  les  saints 
comme  chez  les  an^'es,  que  tous  les  dé- 
sirés de  la  douleur  sont  saisis  et  ex- 
primés! D'autre  part,  quelle  profondeur 
de  sentiment  dans  \'Aiiii<inci;ili<)n  .' 
L'.Anj;c  muet  et  };rave  en  face  de  la 
Vierffe  confondue  dans  son  humilité, 
tandisque,  dans  le  haut  du  tableau,  le  Père 
l^lernel,  soutenu  par  les  atij;es,  attcnii  la 


réponse  à  son  messajje.  N'oilà  bien  ce 
que  M.  Keymond  appelle  d'un  mol  si 
heureux  «  la  sculpture  intellectuelle  ", 
qui  ne  s'adresse  pas  .seulement  aux  sens, 
qui  satisfait  éf;alemenl  res|>rit  en  l'obli- 
^'eant  à  penser  et  à  concevoir. 

I,e  Coiironnemenl  de  la  Vierge  (cou- 
vent de  l'Observance,  près  de  Sienne) 
est  de  même  nature.  C'est  une  des  mer- 
veilles de  l'art  italien.  Il  faut  l'avoir 
étudié  de  près  pour  comprendre  ce 
qu'un  f,'rand  artiste  peut  mettre  de 
pensée  dans  un  cadre  restreint  et  com- 
ment les  idées  les  plus  élevées  se  tradui- 
sent matériellement,  sans  perdre  leur 
f,'randeur.  D'un  côté,  une  majesté  in- 
comparable, de  l'autre  une  ^'râce  ex- 
quise, faite  de  reconnaissance,  d'humi- 
lité et  de  candeur;  chez  les  personnages 
secondaires,  l'adoration  et  l'amour  avec 
les  suavités  de  l'extase  et  les  ravisse- 
ments d'une  contemplation  idéale.  C'est 
du  Kra  Anj^elico,  avec  plus  d'anatomie 
et  une  connaissance  plus  raffinée  des 
dra|)eries.  Andréa  n'a  rien  fait  de  plus 
beau,  quoique  certaines  autres  pièces 
dis|)ulentla  palme  au  Couronnement,  par 
exemple  le  retable  de  la  chajjelle  Médicis 
à  Santa  Croce,  la  madone  de  lu  Cinlola 
de  santa  Fiore  ou  encore  le  retable  de 
la  chapelle  de  Saint-.\ntoine  à  Gamal- 
doli.  On  remarquera  peut-être  le  nombre 
considérable  de  retables  exécutés  par 
nos  artistes.  M.  Muntz  fait  un  mérite  à 
Donalello  d'avoir  accepté  d'en  faire  un. 
Il  me  semble  que  c'était  alors  un  tra- 
vail (le  choix,  car  le  retable  dominait 
l'autel  el  ne  pouvait  manquer  d'attirer 
les  rcfîards  des  fidèles.  Les  sculpteurs 
chrétiens  y  trouvaient  leur  compte  ;  leur 
])iété  était  satisfaite  et  leur  amour  lé^'i- 
lime  de  la  notoriété  n'y  perdait  rien. 

Pourquoi  ne  peut -on  attribueraulhen- 
tiquemenl  aux  Délia  Hobbia  le  ;,'roupe 
fameux  de  la  Visilulion  de  Pistoie  ? 
Dans  l'art  de  la  terre  cuite,  il  n'existe 
pasd'd'uvre  plus  belle.  Jamais  personne 
n'a  traduit  plus  éloqucmnienl  les  sen- 
timents de  la  \'ierf;e  et  de  sainte  Elisa- 
beth, celle-ci   à   genoux,  dans   un  mou- 


I.KS     DIOI.I.A     nnlllilA 


AxDRf:A  Della  Robbia.  —  La   Crucifixion.   (Couvent  de  la  Yerna.) 


vement   irrésistible    d'amour,    avec    les   1   l'extase,  celle-là  confuse  d'un  tel  accueil, 
bras   ouverts   et   les   yeux    agrandis  par  I    jjrête  à  chanter   le  Magnifient,  non  pas 


I. i:s  DKi.i.A   lioitniA 


l'hymne  du  triomphe,  mais  le  cantique 
de  l'huniililé,  fif,'ure  idéale  (elle  que 
James  Tissot  essayait  naguère  de  nous 
la  représenter.  La  tradition  attribue  le 
groupe  à  Fra  Paolino  :  faute  de  docu- 
ments, il  est  diflicile  de  se  prononcer. 
Je  mentionnerai  enfin  les  médaillons 
des  l\v!ingélistes  :  ceux  de  Luca  à  la 
chapelle  Pazzi  et  ceux  d'Andréa  à 
l'éfrlisc  délie  Carceri  à  Pralo.  Les  lùi- 
faiil.i  de  l'hôpital  des  Innocents  sont 
célèbres  :  rien  de  plus  ravissant  que  ces 
bambins  enimaillolés,  si  touchants  avec 
leurs  bras  étendus  et  la  calme  ingénuité 
de  leurs  frais  visages  !  Célèbres  aussi 
les  Ar/Hoi'r/e.s- de  Luca  :  les  corporations 
se  disputaient  l'honneur  de  les  posséder 
de  sa^main.  II  créa,  pour  les  encadrer, 
l'art  de  la  décoration  polychrome,  de 
ces  guirlandes  somptueuses  dont  Ghi- 
berti  avait  rehaussé  les  montants  de  ses 
portes  de  bronze  et  qui  reparaissent 
partout,    dans    les    bordures     des    ma- 


dones, les  cintres  des  retables  ou  les 
nervures  des  plafonds.  Par  leur  compo- 
sition, elles  dérivent  du  moyen  ,Tge,  qui 
copiait  la  flore  indigène  :  nous  n'y  trou- 
vons que  les  fruits  des  environs  de  Flo- 
rence, oranges,  grenades,  pommes  de 
pin,  ]iastèques,  tandis  que,  par  un 
bizarre  phénomène  d'exotisme,  la  ro- 
sace romaine  ou  le  lotus  égy|)tien  s'éta- 
laient à  outrance  sur  les  portes  ou  les 
frises  des  renaissants  quand  même. 

Tels  furent  les  Délia  Robbia.  Ils  n'eu- 
rent pas  d'autre  ambition  ((ue  de  ré- 
péter, pendant  tout  un  siècle,  le  «  même 
hymne  d'amour  à  la  'V'ierge  Marie  ;  et 
l'on  [)eut  vraiment  dire  que,  parmi 
toutes  les  immortelles  créations  du  génie 
italien,  les  plus  tendres  et  les  plus  sé- 
duisantes sont  les  Litanies  fle<  llclla 
Kobbia   ». 

A.   .Mil.  Il  AT. 


>^V 


(Musée  municipal  <\  Vit«rbc.) 


LK    PAHDON    DE    IIUMENGOL 


Lorsque  le  toi  Grallon,  après  la  sub- 
mersion de  la  ville  dis,  se  rendait  à 
Tabbaye  de  Landévennec  en  compagnie 
de  saint  Guenolé,  qui  l'avait  sauvé  de 
ce  désastre,  il  passa  sur  le  sommet  du 
Menez-Ilom,  la  montagne  sacrée  de 
Bretagne,  et  de  ces  hauteurs  il  aperçut 
au  loin,  dans  le  vallon  du  Faou,  les  feux 
d'un  sacrifice  païen,  à  l'endroit  qu'on 
nommait  pour  cela  lUi- 
mengol  :  Uu  men  goulou- 
deiz,  rouge  pierre  du 
point  du  jour.  A  celte 
vue  son  cœur  se  serra 
de  tristesse,  et  à  l'instant 
même  il  fit  le  serment  de 
détruire  ce  sanctuaire 
d'idolâtrie  et  de  le  rem- 
placer par  un  temple 
dédié  à  Notre-Dame, 
mère  du  Sauveur.  Telle 
est  la  légende  et  tel  est 
le  fait  commémoratif  de 
la  fondation  de  Rumen- 
gol, 'devenu  le  pèlerinage 
le  plus  fréquenté  du  Fi- 
nistère. 

Il  offre  à  l'observation 
de  l'artiste  des  scènes 
animées  et  pittoresques, 
car  la  Cornouaille  et  le 
Léon  s'y  donnent  ren- 
dez-vous dans  leurs  types 
les  plus  caractérisés  et 
leurs  costumes  les  plus 
enluminés.  .Ajoutons  que 
le  tableau  est  serti  dans 
un  merveilleux  cadre  de 
nature. 

...  11  n'est  pas  encore 
jour.  Sous  mes  fenêtres 
des  voix  m'arrivent  qui 
s'éternisent  dans  des  con- 
versations en  langue  celtique.  Les  dis- 
coureurs crient  fort  et  leur  diapason 
atteint    des   notes    de  tête    très   drôles. 


Je  vais  voir  aux  rideaux.  Ils  sont  trois. 
nez  à  nez,  qui  parlent  ensemble  sans 
pouvoir  s'entendre,  naturellement  I  Les 
voilures  commencent  à  rouler.  Ils  sont 
effrayants,  ces  chars  à  bancs  qu'un  maigre 
bidet  emporte. 

Je  vais  parcourir  à  pied  les  trois  ki- 
lomètres qui  séparent  le  Faou  du  lieu 
de  pèlerinage.  Six   heures  du  matin  tin- 


LA  PORTE  CENTRALE  PENDANT  LA  MESSE 


tent  aux  horloges.  Les  premiers  pèlerins 

s'acheminent  en  chantant  des  cantiques. 

Des  femmes  portent  à  leurs  bras  des 


Li;     l'Ait  1)1  IN     Uli    I!UMKN(;OL 


piiqucts  gonllcs  de  provisions  ou  bien 
de  ces  paniers  pansus  et  un  peu  ridi- 
cules, qu'elles  ne  quitteront  pas  un 
instant  et  qu'elles  traîneront  à  la  pro- 
cession, à  l'église,  sur  l'herbe  et  en  voi- 
ture ;  paniers-armoires  :  paniers  «jarde- 
manger  !  Beaucoup  de  costumes  que  je 
vois  conservent  leurlournure  archaïque. 


Morlaix  est  représenté  par  ses  longs 
bonnets  pointus,  sortes  de  hennins  les 
jours  de  fêle.  Contre  un  muret,  trois 
pèlerins  se  sont  appuyés:  une  femme  de 
Daoulas,  un  homme  d'Irvillac  et  un  beau 
gars  de  Plougastel  en  bonnet  phrygien. 
Sous  l'ajouremenl  de  leurs  coilfes  en 
gobelets,  les  (^)uimpéroises  font  glisser 


T  T  P  E  -s     DE     PÈLERINS     I)  A  O  U  L  .' 


lliVII.I,  AC     ET     PLOl'OASTEI, 


Les  collerettes  du  pays  de  Chàteaulin, 
retroussées  sur  les  épaules  et  encajlrant 
le  visage,  rappellent  à  mon  esprit  cer- 
taine Catherine  de  Médicis  senibla- 
blemenl  engoncée  dans  sa  guimpe. 

Un  instant  je  m'arrête  à  l'examen  des 
coill'es  et  j'essaye  de  lire  à  ces  enseignes 
le  nom  du  village  et  le  lieu  d'origine 
des  processionnantes.  \'oici  les  vastes 
ailes  (le  l'iougasiel.  Ici,  les  coilfes  à  deux 
anses  du  I'"aou.  Là-bas,  les  cornettes  re- 
troussées du  vieux  (Joué/.ec.  Contre  moi, 
les  lingeries  légères  des  sveltes  filles  de 
Fontaven  et  de  Hannalec!  l*lus  loin,  les 
()oclies  de  mousseline  des  Léonardes  et 
les  solides   toiles   empesées  de  Carliaix. 


entre  toile  et  dentelle  des  feuilles  de 
papier  argenté  ou  mordoré,  et  cela  pro- 
cède bien  du  moyen  âge,  proiligue  de 
peinturlures  et  de  dessous   enluminés. 

X'oyez  les  vieux  meubles  I  \'oyez  sur- 
tout les  statues  polychromes  des  porches 
et  les  fresques  dont  les  imagiers  déco- 
raient les  niches  et  les  plafonds. 

.\  mesure  que  j'avance,  mon  atten- 
tion s'éveille  sur  la  diversité  des  beaux 
habits.  Des  montagnards  du  l.az,  ha- 
rassés par  une  nuit  de  voiture,  montrent 
leurs  jambes  lléchissanles  dans  les  cu- 
lottes courtes.  J'admire  bien  davan- 
tage la  vraie  braie  large  et  boulfanle  de 
l'Iogonnec,  ce  qu'on  nomme  les  bragou- 


LK     l'A  ni)  ON     Di:    MUMKNGOL 


liras  an  pays  d'Arvor.  Seuls  les  vieil- 
lards porteiil  encore  ce  costume  dans 
son  iuléf^rité  théâtrale. 

J'arrive  à  Runienj^ol  juste  pour  la 
première  messe  du  matin,  célébrée  en 
pleins  champs.  Dans  les  galeries  à  jour 
de  la  chambre  des  cloches,  l'airain  tonne. 
Le  spectacle  de  cette  foule  pieuse  sous 


Le  porche,  dont  le  tympan  porte  la 
représeulation  de  r.-\doralion  des  NLiges, 
mérite  une  mention  par  l'orif^inalilé  de 
son  demi-relief. 

La  A'ierge,  assise  sur  un  trône,  pré- 
sente l'Enfant  Jésus  aux  hommages  des 
rois  de  l'Orient.  Derrière  elle,  saint  Jo- 
seph s'appuie  sur  un  bâton.   Plus  loin, 


LES     BiirTlQCE.S     PIETSES     ET     LE     l'ORCnE     EST 


ht  \oùte  lini[)ide  du  ciel  ne  manque  pas 
de  grandeur. 

Les  pèlerins  s'agenouillent,  s'inclinent, 
se  relèvent  a\ec  un  calme  impression- 
nant qui  donne  une  idée  de  la  discipline 
de  leur  foi.  Je  me  retourne  vers  l'église, 
un  délicieux  monument  de  la  Renais- 
sance qui  date  de  1537.  On  y  trouve 
les  souplesses,  les  rondeurs,  le  gras 
sobre  et  délicat  qui  sont  la  vraie  touche- 
des  premières  années  de  la  Renaissance. 
La  porte  centrale  en  anse  de  panier  est 
encadrée  de  moulures  prismatiques. 
Deux  colonnettes  se  tordent  en  hélice. 
Le  gothique  fait  aussi  sentir  son  influence 
dans  ce  beau  monument. 


les  amusantes  têtes  de  l'tàne  et  du  buuf 
paraissent  sortir  de  la  pierre. 

Extérieurement  à  l'église,  un  cimetière 
sans  tristesse,  planté  de  croix,  semé  de 
dalles,  mouvementé  dans  sa  surface  et 
ombragé  de  beaux  arbres,  prévient  en 
faveur  de  ce  pèlerinage  célèbre. 

Les  messes  du  matin  se  succèdent 
pour  satisfaire  à  la  piété  des  fidèles  ac- 
courus sans  cesse  par  tous  les  chemins. 
Les  carillons  s'égrènent;  les  chants  s'é- 
lèvent; les  prières  se  murmurent;  les 
mendiants  prodiguent  leurs  bénédic- 
tions; des  pèlerins  se  signent  avec  des 
g^estes  larges;  les  chapeaux  tombent  de- 
vant   le    calvaire.    l)u     presbytère,     de 


M-:     l'AUDDN     DK     lUMENCOI. 


jeunes  abbés  on  surplis  blancs  s'échap- 
peiil  :  une  {grande  activité  de  foi  eni[)lil 
|{umen|,'ol. 

Je  suis  pousse  sous  le  porche  par  la 
foule  qui  se  presse  pour  entrer,  et  sans 
transition,  je  passe  du  plein  du  jour  à 
l'obscurité  ombreuse  de  la  nef.  Des  vols 
de  clartés  bleues,  jaunes,  violettes,  des- 


gars de  Bretagne,  et  leurs  pantalons 
étroits  moulent  leurs  jambes  nerveuses, 
tandis  que  leurs  petites  vestes,  étran- 
gement coupées,  ne  peuvent  joindre 
leur  taille,  qu'ils  entourent  d'un  fou- 
lard débordant  en  écharpe  sur  le  côté. 
Sous  la  clarté  jaunissante  des  lampa- 
daires, de  minuscules  arches  turriculées 


\-  E  N  D  E  U  s  E  s     D  K 


ccndent  des  hautes  verrières,  papillon- 
nent sur  les  piliers,  s'abattent  sur  les 
dalles  en  flaques  irisées,  mystérieuses. 
De  blanches  coifTes  se  teignent  de  ces 
lueurs  et  aussi  des  visages,  des  mains 
se  baignent  dans  ces  nuances  impal- 
pables. .\lors  les  pèlerins,  qui  prient 
avec  des  yeux  en  haut  et  des  doigts 
joints,  prennent  des  allures  de  vitrail. 
Devant  les  deux  autels  latéraux  et 
contre  les  grilles  qui  ferment  le  chteur, 
les  bannières  étincelanles,  gemmées, 
brodées  et  les  croix  processionnelles 
sont  dressées.  Près  d'elles,  leurs 
porteurs  écoutent  une  messe.  Ils  sont 
aL-^enouillés     sur    les    dalles,     les     forts 


prennent  des  significations  troublantes. 
Dedans,  el  scellées  dans  des  étuis,  se 
trouvent  des  reliques  revêtues  ainsi  dr 
l'apparat  de  temples  en  miniature. 

Des  filles  de  campagne,  largement  en- 
juponiiées,  sont  accroujjies.  Ici  des 
jeunes  gens,  all'aissés  sur  leurs  talons, 
montrent  la  ferrure  de  leurs  souliers. 
Dans  les  coins,  des  groupes  s'assoient 
par  terre,  jambes  étendues.  Harassés 
et  les  bottes  poussiéreuses,  deux  hommes 
très  grands,  à  figure  tragique,  fixent 
des  yeux  terribles  sur  la  statue  de 
Notre-Dame  de  Humengol.  Est-ce 
prière'.'  I*]st-ce  menace?  A  côté,  le  spec- 
tacle    pilovable    de     plusieurs     enfants 


I.K     l'AlilxiN     DE     liV.MKNdOI. 


idiols  et  scrofuleu\.   conlournant  leurs 
doif^ts  et  louchant  à  leur  bout  de  nez. 

Devant  moi  le  chceur  scintille  sous 
los  taillis  lumineux  des  cierj^cs,  cepen- 
dant que  les  verrières,  à  la  clarté  du 
soleil,  acquièrent  de  brillantes  tonalités. 
Par  contraste,  en  bas,  la  foule  parait 
d'ombre,   à  l'exception  de   la   lloraison 


lavoir  !  Deslillettés  emplissent  de  f,'rands 
chaudrons,  et  quelques  paysannes,  à  tour 
de  rôle,  lavent  leurs  pieds  dans  des 
cuvettes  en  l'er-blanc.  Ag^enouillée  sur 
le  lavoir,  une  femme  prie  sans  souci  des 
ambiances,  puis  elle  boit  un  bol  d'eau 
que  lui  tend  une  marchande  de  la  fon- 
taine.  L'eau  et  le  feu  entrent  toujours 


([Kll'l'K      UEi 


neigeuse  des  coilles  balancées  d'un  mou- 
vement de  houle.  Une  cohue  de  pèle- 
rins frottent  des  baguettes  écorcées 
sur  la  statue  de  Notre-Dame  de  Ku- 
mengol.  La  légende  veut  que  les  objets 
touchés  bénéficient  de  pouvoirs  précieux 
contre  la  foudre  et  l'incendie. 

Un  mouvement  extraordinaire  anime 
le  cimetière.  Les  vendeuses  de  cierges 
se  tiennent  devant  les  portes  et  les  pas- 
sages, car  chaque  arrivant  tient  à  hon- 
neur de  faire  briller  sa  flamme,  si  pe- 
tite soit-elle  ! 

.\  cinquante  pas  de  l'abside,  au  bord 
de  la  route,  se  trouve  la  fontaine  mira- 
culeuse qui  alimente  un  bassin  et  un... 


dans  le  cérémonial  des  pardons  bretons. 
Il  faut  y  voir  les  vestiges  des  croyances 
millénaires  dans  les  éléments  sacrés. 

...  Les  trois  cloches,  balancées  en- 
semble, annoncent  la  grand'messe.  Les 
routes,  la  place  se  vident  et  la  foule  se 
masse  dans  l'église.  Bientôt  les  tètes 
affleurent  les  portes,  puis  les  nouveaux 
arrivants  se  surajoutent  pour  déborder 
sur  les  tombes,  sous  les  arbres,  dans  le 
champ.  Les  familles  s'associent,  les  pa- 
roisses se  réunissent.  Des  taches  rouges, 
vertes,  bleues  s'élargissent  par  des 
admissions  nouvelles.  D'entre  les  groupes 
agenouillés  émergent  les  mâles  figures 
des  pères  de    famille.  Ils  sont   entourés 


LE    PAHDON     DE    UUMENC.DI. 


(lu    personnel    complet    de     la     ferme, 
enfants,  valets  et  chambrières. 

Adossés  aux  troncs  des  ifs  et  des 
chênes,  se  tiennent  les  métayers  de  Da- 
oulas,  leurs  épouses  et  leurs  derniers-nés. 
I, "incomparable  palette  de  leurs  habits 
étonne  les  peintres,  tandis  que  l'obser- 
vateur  admire    la    robustesse    de    leur 


battues.  Il  y  a  quelques  années  seule- 
ment, les  hommes  portaient  encore  une 
pure  coid'ure  moyenâgeuse,  avec  des 
rubans  devant,  et,  par  derrière,  une  série 
de  pompons  en  chaînette  scxtravasant 
des  larges  rebords.  Gel  immense  cha- 
peau cède  la  place  au  feutre  orné  de 
velours.    Les  jeunes  gens  adoptent  tous 


L  \     ti  lî  A  N  I)  '  M  K  S  S  E     E  .V     I'  L  E  I  .N     .\  l  R 


carrure  et  la  franchise  de  leur  regard. 

J-e  sentiment  de  la  parenté  est  très 
développé  chez  ces  braves  gens,  qui 
voyagent  par  tribus  de  famille. 

Tout  semble  hiérarchisé  chez  eux.  Les 
costumes  paraissent  des  uniformes.  Les 
garçons  portent  des  vestes  bleu  de  ciel 
à  deux  rangées  de  boutons  blancs  et  sur 
la  léle  le  béret.  Le  petit  bonnet  des  lillcs, 
divisé  par  quartiers,  comme  des  tran- 
ches de  melon,  alfecle  des  tons  réjouis- 
sants. Leurs  châles  atteignent  l'extrême 
gamme  des  couleurs  vives.  Après  leur 
première  communion,  les  filles  commen- 
cent à  surcharger  leur  chevelure  de 
l'énorme  coiffe  cylindrique   à    ailes   ra- 


cette  coilhire  moins  typique,  mais  plus 
pratique. 

Pour  protéger  leurs  pantalons  blancs 
des  souillures  de  la  terre,  les  hommes, 
quand  ils  s'agenouillent,  mettent  sur  le 
sol   leur  mouchoir. 

Des  m.iriiis  sont  montés  dans  les  ga- 
leries ajourées  du  clocher.  Leurs  cos- 
tumes se  profilent  bleu  sombre  sur  le 
bleu  clair  du  ciel,  et  leurs  cols  ont  des 
soulèvements  d'ailes.  Ils  empoignent 
les  cordes  des  cloches  et  ils  halenl,  ils 
larguent,  se  raccourcissent,  se  redres- 
sent. Un  cri  retentit,  répété  avec  mille 
accents  :  '•  La  procession  !  la  proces- 
sion !  "  Sur  If  fond   noir  de    la    porte 


LK     l'AMDoN     DE     1!  U  M  KMi  1 1 1. 


centrale,  une  rayonnante  bannière  la- 
mellée  de  flèches  d'or  paraît  projeter 
de  la  lumière.  A  la  base  de  la  hampe, 
un  paysan  serre  le  bois  à  pleine  brassée 
et  s'avance  d'une  allure  saccadée. 
Ainsi  qu'une  voile  de  navire  émer- 
gée des  profondeurs  inconnues,  un 
étendard  de  soie    blanche  grossit  dans 


Des  femmes,  en  toilette  de  gala  et 
coilFe  de  dentelle,  portent  le  brancard' 
où,  sur  un  trône  et  planant  sur  les  têtes, 
la  \'ierge  paraît  s'incliner  dans  un  mou- 
vement pitoyable  et  doux.  Les  prêtres 
viennent  enfin;  jeunes  abbés  promenant 
les  reliques  et,  par  derrière,  avec  leurs 
cheveux  blancs,  les  recteurs  entonnant 


LA     PROCESSION     —    LES     b'  I  T.  L  E  S     ET     LA     D  A  X  X  l  fc  R  K     rf  A  I  N  T  -  J  0  S  E  P  H 


l'obscurité  de  la  nef  pour  s'épanouir  sur 
le  seuil. 

D'autres  bannières  de  velours,  por- 
tant en  relief  de  saintes  images,  arrivent 
dans  le  soleil  comme  des  navires  de 
haut  bord. 

Assez  semblables  à  des  papillons,  les 
légères  oriflammes  volettent  en  façade 
xle  la  foule,  tenues  en  main  par  des 
fillettes.  La  solennelle  bannière  de  saint 
Joseph,  lune  des  plus  riches,  est  dis- 
putée tour  à  tour  par  les  jeunes  filles 
de  Rumengol  et  du  Faou.  Une  poussée 
irrésistible  se  produit. 

Voilà  la  statue  miraculeuse  de  Notre- 
Dame  de  Rumenffol  ! 


les  cantiques  à  Notre-Dame  de  Ru- 
mengol. La  procession  décrit  un  cercle, 
se  détache  un  moment  sur  l'horizon  du 
Faou,  remonte  dans  la  verdure  et  re- 
tourne ;■)  l'église. 

La  fête  profane  commence  aussitôt. 
La  gaieté,  cachée  jusque-là  sous  l'enve- 
loppe fermée  des  visages,  rit  au.x  yeux 
et  aux  lèvres.  Les  filles  sautillent;  les 
gars,  le  chapeau  sur  l'oreille,  se  dandi- 
nent. On  s'aborde;  on  cause;  on  va 
manger  l'emblématique  amande  douce 
ou  s'offrir  des  rubans  et  des  mouchoirs: 
l'amande  douce,  offerte  par  un  jeune 
homme,  constitue  une  déclaration  sou- 
vent suivie  il'un  mariaffe. 


L  !■:     P  A  li  1  ) I  > N     DE    H  L'  M  K N  G () L 


In  magiiinque  churlalan,nu  son  d'un 
liarmoiiiuni,  vend...  des  panacées?  Non 
pas  !  11  débite  des  cantiques  et  des  ob- 
jets de  piété.  Ce  philosophe  de  roulotte 
sait  exploiter  tour  à  tour  les  secrets  pen- 
chants de  ses  auditoires. 

Le  pardon  de  Humen^ol,  conmie  les 
antres  d'ailleurs,    facilite    les    mariâmes 


vacarme  des  roues.  Un  peu  ivres,  les 
conducteurs  se  dressent  avec  des  gestes 
tra(;iques.  Dans  leurs  mains,  les  pèle- 
rins rapportent  des  chapelets,  des 
images  et  aussi...  ô  signe  des  tempsi 
de  ces  balais  de  papier  coloré  pour  se 
chatouiller  le  cou. 

Mélancolique,   l'église    de    Humengol 


I.  A      11  K  N  T  K  É  E 


on  jiermettant  aux  jeunes  gens  de  se 
retrouver.  Je  remarque  des  lilles  de  la 
campagne  de  Carhai.\,  qui  voudraient 
être  coquettes  avec  leurs  jardins  suspen- 
dus sur  le  corsage.  Les  jeunes  hommes, 
en  passant,  fouillent  du  regard  ces  flo- 
i-aisons,  ornements  exubérants  de  leur 
|)oitrino.  Quelquefois,  si  l'un  d'entre 
eux  se  décide  pour  le  bouquet  de  roses 
ou  pour  le  parterre  de  géraniums,  il 
oirrc  des  amandes,  et  les  yeux  répon- 
dent...  de  même. 

...  Le  soleil  décime  sur  la  vallée  et 
rend  plus  lointaines  les  collines.  Les 
chars  ;'i  bancs  sortent  des  hangars,  et  le 
rcIniM-   aux   niéliiirii'x  s'elVcclue   dans  le 


tinte  1  .Angélus  du  soir.  Le  cimetière  est 
désert.  Fresque  vide  la  nef  I 

Sur  la  route,  deux  piétons  retardataires, 
pèlerins  d'amour  autant  c|ue  de  piété. 
Une  jeune  penrez  ijeune  fille  à  marier) 
de  Chàteaulin,  un  marin  de  Hrest.  Leurs 
silhouettes  se  versent  l'une  sur  l'autre 
dans  im  échange  de  baisers. 

Ils  se  retournent  vers  la  llèchc  encore 
entrevue  sur  le  ciel  noirci,  et,  leurs  mains 
nouées,  ils  unissent  la  religion  d'amour 
à  l'acte  de  dévotion. 

Puis,  tout  petits  et  serrés,  ils  s'éva- 
pnrcnl  sur  la  route  bi-une. 

(  ',  Il  A  H  Ils     (!  I  N  1  \  I    \. 


LKTOILE    DU    IJOI    CHAULES    DE    SL'KKK 


Peiulaiil  que  tous  ceux  tloiil  la  main 
était  encore  capable  de  tenir  une  épée 
se  préparaient  au  combat  clans  toute  la 
Mépublique  de  Pologne,  Charles-Gus- 
tave demeurait  en  Prusse,  occupé  par 
la  conquête  des  villes  et  par  des  pour- 
parlers avec  rélecteur. 

Après  une  facile  victoire,  le  subtil 
soldat  s'apercevait  soudain  que  cette 
conquête,  glorieuse  pour  le  lion  suédois, 
pouvait  lui  coûter  cher.  Le  retour  de 
Jean-Casimir,  roi  de  Pologne,  détruisait 
à  jamais  lespérance  de  conserver  la 
République  entière;  du  moins  le  mo- 
narque Scandinave  voulait-il  en  con- 
server la  plus  grande  partie  possible,  et 
avant  tout,  cette  Prusse,  province  riche 
et  fertile,  remplie  de  grandes  villes  et, 
de  plus,  limitrophe  à  ses  Ktals",  mais 
ce  pays  vaincu  demeurait  obstinément 
lidèle  à  son  premier  maître  et  à  la 
République. 

I.e  retour  de  .lean-Casimir  et  la 
guerre  déclarée  à  nouveau  par  la  confé- 
dération de  Tvsch  pouvaient  ranimer 
l'esprit  patriotique  de  ces  provinces,  les 
encourager  à  la  résistance. 

Charles-Gustave  le  comprit.  Il  résolut 
de  vaincre  à  jamais  la  rébellion,  d'écra- 
ser les  forces  du  roi  de  Pologne,  d  ôter 
aux  Prussiens  toute  espérance  de  secours. 

Il  devait  d'ailleurs  agir  ainsi,  ne  fût-ce 
qu  à  cause  de  l'électeur,  toujours  prêt  à 
soutenir  la  cause  du  plus  fort.  I.e  roi  de 
Suède  connaissait  maintenant  le  person- 
nage :  il  ne  pouvait  douter  un  instant 
que,  dans  le  cas  d'un  changement  de 
fortune  propice  aux  Polonais,  l'électeur 
de  Prusse  redeviendrait  leur  allié. 

Cependant  le  siège  de  Melboy  n'avan- 
çait guère.  Cette  forteresse  était  tou- 
jours défendue  avec  acharnement  par 
W'eiter.  Charles-Gustave  envahit  le  ter- 
ritoire de  la  République,  décidé  à 
XIII.  —  1.* 


atteindre  et  à  écraser  .Icau-t  .asiniir  dans 
son  dernier  refuge. 

l"]t,  comme  l'action,  chez  cel  homme, 
suivait  immédiatement  la  pensée,  ainsi 
que  le  tonnerre  suit  l'éclair  qui  l'an- 
nonce, avant  que  le  bruit  de  cette  nou- 
velle invasion  se  fût  répandu  en  Pologne, 
le  roi  de  Suède,  ayant  rassemblé  à  la 
hâte  ses  troupes  disséminées  dans  les 
campagnes,  atteignit  Varsovie  et.  sans 
s'y  arrêter,  alla  plus  loin,  se  jetant  en 
pleine  fournaise,  dans  l'incendie  terrible 
qui  dévastait  le  pays  tout  entier. 

Il  avançait,  pareil  à  la  tempête,  ilé- 
truisant  tout  sur  son  passage,  dévoré 
par  la  colère,  la  vengeance  et  la  haine. 
Dix  mille  cavaliers  le  suivaient  sur  les 
steppes  encore  couverts  de  neige.  Ils 
ma rch a ien  t  comme  le  souf Ile  de  l'ouragan, 
vers  le  midi  île  la  Ré|)ublique. 

Sur  sa  route,  le  Suédois  brûlait  et 
massacrait  tout  sans  pitié.  Ce  n'était 
plus  le  Charles-Gustave  d'autrefois,  le 
souverain  clément,  humain  et  gai.  Par- 
tout oij  il  apparaissait  aujourd'hui,  le 
sang  de  la  noblesse  et  le  sang  du  peuple 
aussi,  hélas I  coulaient  à  flots.  11  massa- 
crait les  rebelles,  pendait  les  prisonniers, 
ne  faisait  grâce  et  merci  à  personne. 

Mais,  ainsi  que  dans  les  ténèbres  de 
la  forêt  profonde  où  l'ours  taciturne  et 
redoutable  avance  lentement  sans  que 
les  loups  affamés  qui  le  suivent  osent 
encore  l'attaquer,  de  même  dans  ce 
désert  des  steppes,  d'innombrables  com- 
pagnies de  partisans  et  de  volontaires 
suivaient  pas  à  pas  l'armée  sui-doisc, 
toujours  prêts  à  lui  nuire.  Ceux  qui  le 
précédaient  sur  la  route  de  la  victoire 
détruisaient  les  ponts,  brûlaient  les  vil 
lages,  anéantissaient  les  provisions.  Le 
vainqueur  Scandinave  marchait  littéra- 
lement dans  un  désert,  ne  trouvait 
pas  un  abri  pour  le  repos,  pas  un  mor- 


I,  r;To[Li-:  Dr    noi   i:i!  Ain.ics   de  srKDK 


le.TU  fie  pain   pour  ses  soldais  all'anii-s. 

("Jiarles-Guslave  conipreiiail  enfin 
eombien  son  entreprise  deveiiail  lénié- 
raire.  F.a  f(uerre  l'enlourait  de  toutes 
paris,  chaque  jour  plus  terrible,  plus 
a^'ressive,  comme  une  marée  montante. 
La  Prusse  élail  on  l'eu,  la  (Irande- 
Polo';ne  qui,  jadis,  a\ail  accepté  la  pre- 
mière la  conquête  suédoise,  ne  s;>nf;eail 
aujourd'hui  qu'à  secouer  le  jouj;. 

La  Pelilo-FolofjMe  et  la  Liihuanie 
élaient  en  llammes.  elles  aussi. 

Dans  les  châteaux,  les  forteresses  et 
les  j,'^randes  villes,  le  pouvoir  des  Sué- 
dois se  maintenail  encore  ;  mais  les 
campag:nes,  les  champs,  les  prés,  les 
l'orcls,  les  rivicics  et  les  fontaines 
étaient  reconquis  par  les  Polonais. 

.Non  seulement  quelques  soldats  isolés, 
mais  même  un  régiment  entier  ne  pou- 
vaient s'éloigner  sans  péi-il  de  l'armée 
suédoise.  Sa  perte  était  certaine  :  les 
ti'ainards  disparaissaient  et  l'on  racon- 
tai! que  les  prisonniers  tombés  aux 
mains  des  paysans  pf'rissaienl  dans  de 
terribles  tortures. 

(Test  en  vain  c|nc  (".harles-GusIave 
taisait  aiinoucer  <laiis  les  vilhiL;cs  el  les 
])etilcs  \illes  que  IoliI  pavsaii  ayaiil 
amené  au  camp  suédois  un  genlilhomme 
polonais  fail  prisonnier,  mort  ou  \U\ 
que  tout  sert  rallié  h  la  cause  de  l'en- 
vahisseur dcvcnail  libre  el  alTranchi  de 
par  la  volonté  i-oy.de.  I>es  paysans  l'ai- 
saicnl  cause  commune  avec  la  noblesse. 
Le  peuple  des  monlaynes,  celui  des 
forêts  et  des  slepjies  se  cachaient  dans 
les  bois,  fuyant  de\ant  l'ennemi,  lui 
loudant  des  pièges  à  chaque  pas,  s'alla- 
([uanl  aux  éclaireui-s:  les  gourdins,  les 
faux  el  les  couteaux  des  paysans  étaient 
rouges  de  sang  suédois  tout  auLml  que 
les  sabres  des  seigneui's  et  des  nobles. 

l'^l  ce  qui  exaspérait  surtout  le  roi 
Charles,  c'est  que  ce  même  pays,  subi- 
lenieril  révolté  aujouid  hni.  il  l'avait 
conipii-.  quelques  nmi--  aupaiMvant, 
])resfpic  sans  difficnllc  D'où  \enaienl 
ces  forces  nouvelles,  celle  résistance 
inallenilne,     celle     "iiei-re    sans    merci. 


dont  il  ne  pouvait  plus  prévoir  la  lin? 

Aussi,  les  conseils  de  guerre  étaient 
fréquents  à  l'élat-major  de  r.irméc. 

Parmi  ceux  qui  accompagnaient  le  roi 
dans  cette  campagne,  il  y  avait  le  pi'iuce 
.Adolphe,  frère  de  .'sa  Majesté,  Itobert 
Douglas,  Henri  ilorn  \\'aldeniar,  comte 
de  Danemark,  Mùller  Aszendjcrg,  él,  le 
plus  célèbre  de  tous,  le  vieux  bandit, 
.Alfred  \\'itlemberg ,  feld-maréchal  el 
généralissime.  D'autres  encore.  Ions 
connus  jiour  leur  génie  militaire  et  leurs 
exploits  et  dont  la  gloire  n'était  sur- 
passée que  par  celle  du  roi. 

Tous,  d'ailleurs,  commençaient  à 
craindre  que  cette  vaillante  armée  ne 
pérît  de  privations  et  de  fatigues.  Le 
vieux  ^^"iltenlberg  se  prononçait  nette- 
ment contre  la  campagne  nouvelle  ; 

—  Connnent  \'otre  ^L^jcslé  poiirra- 
t-elle  atteindre  un  ennemi  qui  nous  fuit, 
qui  évite  toute  rencontre,  qui  nous  pré- 
cède sur  la  route  de  Pologne  et  qui 
détruit  tout  sur  son  passage'?...  Que 
ferons-nous  lejouroii  noschevaux  crève- 
ront de  faim  et  où  le  même  sort  menacera 
nos  soldais?  Où  sont  les  armées  nou- 
velles qui  nous  \iendronl  en  aide?  Les 
châteaux,  les  l'oi-leresses  où  nous  pour- 
rons nous  reposer  et  nous  ravitaillei'? 
Je  n'ose  certes  pas  comparer  mon  mérite 
à  celui  de  mon  roi  ;  maissi  j'étais  Charles- 
Gustave,  je  ne  rist(uerais  point  une  gloii-e 
si  chèrement  ai-quise,  au  prix  de  tant  de 
victoires,  dans  une  lelle  campagne. 

Mais  (^harles-tîustave  lui  répondit 
simplement   : 

—  .Il'  p.nli'rais  comme  vous  si  je 
m'appelais   \\  ittemberg. 

Il  s'avançait  donc,  d'une  marche  in\in- 
cible,  malgré  tant  d'obstacles,  en  jiour- 
suivant  le  glorieux  chef  de  l'armée 
polonaise,   Czarniecki. 

Celui-ci,  n'ayant  p.is  de  troupes  assez 
nombreuses  ,  assez  disciplinées  pour 
enti-eprendre  luie  hilli'  ouverte,  évitait 
toute  rencontre  ;  il  fuyait  devant  les 
Suédois,  mais  continuait  contre  eux  une 
guerre  acharnée  d'embuscades.  L'aimée 
snédoisi-    no  savait    jam.iis   an    juste   où 


I.  ÉTOILK    DU     MOI    CIIARLKS    DK    SfKDK 


se  trouvait  cet  invisible  el  redoutable 
adversaire,  toujours  prêt  à  des  attaques 
iuatteiKluos   et   rapides  comme  Téclair; 


ou  vent  parmi 
es  brouillards 
du  crépuscule 
el  de  la  nuit  g^laciale,  les 
Suédois  croyaient  voir 
des  ennemis  embusqués 
dans  les  bois,  dissimulés 
dans  les  massifs  des  fo- 
rêts impénétrables  ;  fous 
de  rage,  ils  commen- 
çaient contre  ces  adver- 
saires imaginaires  une 
fusillade  inutile  et  déri- 
soire. Une  fatigue 
froyable  accablait 
soldats  Scandinaves  : 
marchaient  en  avant,  sur 
celte  terre  conquise,  mais 
ennemie,  suivis  pas  à  pas 
par  le  froid,  la  faim  et  le 
désespoir,  avec  la  crainte 
perpétuelle  dune  attaque 
décisive  de  leur  invin- 
cible el  redoutable  adversaire. 

Ils  parvinrent  enfin  à  le  rejoindre  aux 
environs  de  Goleb,   près  de  la  Mslule. 


I.   ÉTOILK    Di;     HOI     C.  MAUI.KS     DK    SLKDK 


Plusieurs  réf,'imerils  polonais,  déjà  prêts 
;iu  combat,  s'étaiil  précipités  avec  vio- 
lence sur  l'ennemi,  semèrent  dans  ses 
rangs  l'épouvante  et  le  désordre. 

Ce  fut  d'abord  Wolodvjowsky,  avec 
son  fameux  réf;imciit  de  Landau,  qui 
attaqua  le  prince  héritier  de  Danemark, 
tandis  que  Samuel  X'iawecki,  avec  ses 
chevaliers,  anéantissait  la  lésion  étran- 
gère des  merccnairesanglaisdeW'ikilson. 

Kn  un  clin  d'<fil,  les  Suédois  furent 
repf)ussés  jusqu'à  la  Vistule.  En  voyant 
le  désastre,  Douglas  s'empressa  d'arriver 
à  la  rescousse  avec  ses  troupes  d'élite. 
Mais  ce  renfort  ne  put  arrêter  la  débâcle 
générale.  Les  Suédois,  alfolés,  se  préci- 
pitaient, du  haut  des  bords  de  la  Vis- 
tule, très  escarpés  en  cet  endroit,  dans 
le  fleuve,  recouvert  d'une  épaisse  couche 
de  glace  sur  laquelle  les  blessés  et  les 
morts  s'amoncelaient. 

Mais  en  ce  moment,  Cliarles-Gusla\e. 
avec  ses  régiments  et  son  artillerie,  arriva 
lui-même  sur  le  champ  du  combat,  et  la 
fortune  changeante  sembla  sourire  aux 
Suédois.  Les  troupes  de  réserve  de  Czar- 
niecki,  mal  disciplinées,  ne  surent  pas 
résister  à  l'attaque  inattendue  de  l'armée 
ennemie  tout  entière  et  bientôt  se  mirent 
à  fuir  dans  la  direction  du  Wiepar. 

Czarniecki ,  voulant  du  moins  pré- 
server d'une  perle  certaine  ses  troupes 
d'élite,  celles  qui  avaient  si  vaillamment 
commencé  la  journée,  Czarniecki,  déses- 
péré, lit  sonner  la  roli-aite.  lue  partie  de 
l'armée  polonaise  leirectua  dans  la  direc- 
tion du  Wiepar,  l'autre  dans  celle  de 
Kouskowoli,  abandonnant  le  champ  de 
bataille;  et  la  victoire,  un  instant  incer- 
taine à  Charles-Gustave,  triomphait  une 
fois  de  plus. 

La  joie  était  immense  dans  le  camp 
suédois.  Non  pas  que  les  trophées  et  le 
butin  de  cette  victoire  fussent  bien  glo- 
rieux. (Juel(|ues  sacs  d'avoine  et  quel- 
ques chariots  vides.  Mais  Charles,  celte 
fois-ci  du  moins,  ne  songeait  pas  au 
bulin.  Il  lui  fallait  le  réconfort  moral 
d'une  victoire.  Il  l'avait  obtenu. 

Il   était    henrenx   de  constater  <pie  la 


fortune  lui  demeurail  lidclc  comme  aux 
jours  d'autrefois,  qu'il  lui  avait  suffi 
d'apparaître  et  tle  vaincre.  Kl  quel 
adversaire  ?  Cet  illustre  Czarniecki,  le 
dernier  espoir  de  .Jean-Casimir  et  de  la 
République  1 

Il  espérait  que  cette  nouvelle  allait 
se  répandre  bientôt  dans  le  pays  entier, 
que  toutes  les  voix  de  la  défaite  répé- 
teraient à  l'unisson  la  terrible  vérité. 
Oui  1  Czarniecki  est  vaincu  !  Et  les  pol- 
trons et  les  lâches,  exagérant  les  pro- 
portions du  désastre,  enlèveraient  tout 
courage  à  ceux-là  même  qui  venaient  de 
reprendre  les  armes  ! 

.Aussi,  lorsqu'on  lui  apporta  les  sacs 
d'avoine,  seul  el  dérisoire  butin  du 
combat,  le  roi  de  Suède,  en  s'adres- 
sant  à  ses  généraux  encore  tout  sou- 
cieux, leur  dit  : 

—  Que  le  voile  d'inquiétude  (|ui 
assombrit  votre  visage  se  dissipe,  mes- 
sieurs, car  voici  la  plus  grande  victoire 
que  nous  ayons  renqiorlée  depuis  un 
an,  et  elle  peut  mettre  une  lin  à  la 
guei-re  elle-même. 

Mais  Wiltcniberg,  qui,  plus  .■•oulfrani 
et  plus  faible  que  d'habitude .  voyait 
tout  en  noir,  lui  répondit  : 

—  Remercions  Dieu  de  nous  avoir 
accordé  la  victoire.  Elle  nous  permet, 
du  moins,  de  continuer  tranquillement 
celte  campagne:  —  et  pourtant.  Votre 
.Majesté  le  sait  bien.  —  si  les  armées 
de  Czarniecki  se  dis|)er.sent  bien  vite, 
elles  renaissent  avec  une  rapidité  non 
moins  surprenante. 

Le  roi  l'interrompit  : 

—  Certes,  monsieur  le  maréchal, 
votre  gloire  de  grand  capitaine  est  égale 
à  celle  de  Czarniecki.  el  pourtant,  si  vous 
aviez  subi  un  échec  [)are'i  à  celui  qui 
vient  d'abattre  son  orgueil,  vous-même, 
d'ici  deux  mois,  ne  pourriez  pas  rassem- 
bler une  armée  nouvelle. 

Oui,  désormais,  la  victoire  est  cer- 
taine. Czarniecki  seul  pouvait  nous  la 
disputer.  Mais  Czarniecki  est  vaincu,  et 
il  n'v  a  plus  d'obstacles. 

Les     généraux     ^uédms     partagèrent 


1.   KlOl  MC    1)1      liiH     i:ilAlU.l£S     UE    SUKDK 


hieiilol    la   joie   de  leur  ^^lorieiix   MHiverain.  Sa  confiance   les  gagnait   peu   à   peu. 

Les  troupes,  grisées  par  leur  tri(imi)he.  tlélilèrent  sous  les  yeux  de  Sa  Majesté 
avec  (les  cris  d'enthousiasme  et  des  chants  de  victoire. 

Czarniecki  ne  les  in(|uiétait  plu>.  I.e  grand  ennemi,  terrassé, 
n'existait  plus!  Et  cette  pensée  leur  faisait  oublier 
les  misères  récentes!  Elle  rendait  acceptables  les 
épreuves  prochaines.  Les  paroles  royales,  que 
plusieurs  officiers  avaient  entendues,  s'étaient 
répandues  dans  le  camp  suédois,  et  tous  commen- 
çaient à  croire  vraiment  à  une  tivs 
grande  et  très   importante  \icloire.   Les 


I.KTOILE    1)C    liiil     Cil  Alil.KS    DE    SUÈDE 


jours  (le  veiifieaiu'o  ot  de  (Inniiiuitioii 
absolue  étaient  eiiliii  venus. 

Le  roi  accorda  aux  troupes  quelques 
heures  de  repos,  l'-lles  élaienl  campées 
ù  Krowienik  et  à  Lvrsvn:  des  vivres 
étaient  venus.  On  avait  pillé  et  brûlé  les 
maisons  abandonnées  par  les  habitants  ; 
quelques  paysan.s,  pris  les  armes  à  la 
main,  furent  pendus  séance  tenante, 
après  quoi  un  grand  festin  eut  lieu. 
Puis  les  soldats  Scandinaves  s'endor- 
mirent d'un  jirofond  sommeil  —  profond, 
car  pour  la  première  fois  de])uis  bien 
lonjjtemps,  ce  sommeil   était   tranquille. 

Le  lendemain,  à  l'heure  du  réveil,  les 
premières  paroles  qui  voltifrèrent  sur  les 
lèvres  de  tous  furent  celles-ci  : 

i>  Czarniecki  est  vaincu.  " 

l/armée  suédoise  se  remit  en  marche 
dans  les  meilleures  disi)ositions. 

La  journée  était  froide,  mais  sereine. 

Un  vent  gflacial  avait  gelé  les  mares 
si  nombreuses  sur  la  route  de  Lublin,  et 
cette  route,  maintenant,  était  devenue 
excellente.  Deux  réffiments  de  dragons, 
sous  le  commandement  du  Français 
Dubois,  étaient  partis  en  éclaireurs  dans 
la  direction  de  Grabow,  s'éloignant  ainsi 
du  gros  de  l'armée  à   près  d'une  lieue. 

Une  telle  imprudence  eût  semblé  im- 
possible, naguère.  Mais  aujourd'hui  la 
gloire  et  la  terreur  rrune  r(''cenli-  vic- 
toire marchaient  (lc\aiil  ceux  qui,  hier 
_encore,  auraient  senii)li'-  voués  à  une 
mort  certaine. 

L'armée  suédoise  continuait  tranquil- 
lement sa  marche.  Du  fond  des  bois, 
des  cris  menaçants,  comme  autrefois, 
ne  la  saluaient  plus  an  passage.  Des 
coups,  portés  pal-  (rin\isibles  ennemis, 
ne  frappaient  plus  les  envahisseurs. 

A  la  nuit  tombante,  Charles  arriva  à 
(Irabow.  Le  roi  élait  disjios  et  d'excel- 
lente humeur.  Il  songeait  déjà  à  un  repos 
bien  gagné,  lors(|ue  le  général  .Vs/.eberg 
lui  lit  dire  par  l'oflicier  de  garde  qu'il 
désirait,  i)our  all'aire  grave,  causer  avec 
Sa  Miijesté  ce  soir  même. 

dette  audience  lui  fut  accordi'i'. 

Il  euli-a  qnel(|Mes   ijislanis   après   dans 


les  appartements  du  roi  ;  .\s/eberg  n'était 
pas  seul,  un  oflicier  du  régiment  de 
dragons  de  Dubois  l'accompagnait.  Le 
roi  qui,  de  son  regard  perçant,  gravait 
à  jamais  au  fond  de  ses  souvenirs  tous 
les  visages  ayant  traversé  sa  vie,  et  dont 
la  mémoire  était  tellement  étonnante 
qu'il  se  rappelait  les  noms  de  tous  ses  sol- 
dats, le  roi  reconnut  aussitôt  cet  officier. 

—  (Ouelles  nouvelles  m'aiiporle/.-vous, 
Fried '?  demanda-l-il.  Dubois  e>t-il  de 
retour? 

—  Sire,  Dubois  est  mort  !  répondit 
Fried. 

Le  roi  se  truuliia.  Il  s'a]ieri;ul  entin 
que  le  capitaine  de  dragons  était  pâle 
comme  un  morl  et  cpie  son  uniforme 
était  déchiré  et  couvert  de  poussière  el 
de  sang. 

—  Et  mes  dragons?  \'os  deux  régi- 
ments? 

—  Tous  morts,  sire,  t(nis.  jusqu'au 
dernier.  Je  suis  le  .seul  qui  ail  échappé. 

Le  visage  .soudain  assombri  du  roi 
devint  encore  plus  soucieux  el  plus  taci- 
turne : 

—  Qui  a  l'ail  cela  ? 

—  Czarniecki  ! 
Charles-Gustave  se  tut  et  après  avoir 

regardé  longuement  .Vs/.eberg,  atterré, 
lui  aussi,  après  un  assez  long  silence,  il 
conlinua  à  interroger  l'officier. 

—  Tout  ceci  est  presque  incroyable. 
Tu  as  assisté  à  ce  cnmbal.  Tu  as  vu  ce 
massacre? 

—  .\insi  que  j'ai  le  Ixudicur  île  con- 
templer maintenant  les  traits  de  mon 
souverain.  Il  m'a  chargé  de  saluer  ^'otre 
Majesté  el  de  lui  dire  (|n'il  allait  main- 
tenant passer  sur  l'antre  rive  de  la  \'is- 
lule,  mais  qu'il  continuerait  ù  nous 
suivre,  toujours  prêt  à  l'attaque,  .le  ne 
sais  s'il  a  dit  vrai. 

—  C'est  bien,  dil  le  roi  de  Suède  en 
all'ectanl  d'être  calme.  Ses  lrou]>es  sont 
donc  ])lus  nombreuses  que  nous  ne  le 
croyions. 

—  Quatre  mille  hommo  au  moins, 
sire,  peut-être  davantage.  Ils  nous  onl 
attaqués  ])rès  de  \'iersiczyn,  \ers  lequel 


I/KTOILK     DL"     l!(il     CIIAHIKS    Dli    SLKDr, 


lo  colonel  Dubois  s'étnil  clirif,'c,  en  s'écar- 
taiit  (le  la  f,'ran(lc  route:  car  on  lui  avait 
:i|)j)ris  que  des  troupes  ennemies  allaient 
nous   y    barrer    le   passaire.    (Vêlait    un 


—  Cet  homme  a  dû  vramicnl  conclure 
un  pacte  avec  les  puissances  infernales, 
dit  le  roi  brusquement.  Car  o.<er  s'atta- 


piège  infâme.  Nous  sommes  tombés  :  quer  à  nous  aussitôt  après  une  défaite 
dans  un  j^'uet-apens.  Pas  un  de  mes  :  comme  celle  d  hier,  ceci  est  au-dessus 
camarades  n"a  pu  échapper  au  massacre,    i   des  forces  humaine?. 


I.   KTUII.  !•;     1)1'     uni     C.  II  Alil.KS     DK    SUKDli 


—  Les  craitilcs  du  maréflial  de  ^^'it- 
Icniberf;  se  soiil  iralisées.  murmura 
Aszcherj;. 

—  Vous  ne  savez  que  prévoir  cl  aii- 
h<iiu'er  le  malheur,  s'écria  le  roi.  mais 
jamais  le  conjurer! 

.Vszeber};  pâlit  el  se  lut.  Gharles- 
(îuslave,  lorsqu'il  élail  de  bonne  hu- 
meur, semblait  la  bonté  même,  mais  il 
lui  sullisail  (le  froncer  les  sourcils  pour 
iii.-pirer  une  terreur  panique  à  tous  ceux 
de  son  enlouraj^e.  Pourtant,  il  se  calma 
cl  continua  à  questionner  Fried. 

—  Les  troupes  de  (^zarniecki  sont 
donc  bien  vaillantes  ! 

—  Incomparable^,  sire,  surtout  la 
cavalerie. 

—  Oui,  ce  sont  ^ans  doute  les  rcffi- 
nicnts  qui  nous  oui  attaques  les  pre- 
miers hier,  à  Goleb.  De  \ieux  soldats, 
>ans  doute.  Et  Gzarniecki  lui-même,  il 
a  déjà  repris  couraj;e? 

—  Oui,  sire,  el  à  un  tel  point,  qu'on 
|)oui-rail  croire  que  c  csl  lui  qui  a  rem- 
piii-lé  la  victoire,  hier.  En  tout  cas,  ils 
ont  déjà  oublié  leur  défaite  de  la  veille. 
Ils  ne  pensent  plus  qu'il  celle  i-evanchc 
obtenue  aujourd'hui.  J'ose  répéter  à 
\olre  Majesté  ce  que  (vzarniccki  lui- 
même  mu  charfifé  de  redire.  Mais  au 
moment  où  j'allais  enfin  partir,  épar- 
jjné  par  miracle,  lui  vieux  soldat,  de 
force,  d'allures  herculéennes,  s'approcha 
cl  me  dit  qu'il  était  celui  dont  la  main 
>airiléf;e  avait  frappé  jadis  d'un  coup 
iiioi-lcl  le  jjrand,  l'inimorlel  Guslave- 
.\dolphc.  Cet  homme  osa  aussi  insulter 
\'olre  Majesté,  el  les  autres  faisaient 
clioiMis.  L'audace  des  Polonais  ne  con- 
naît plus  de  bornes.  Je  suis  parti,  pour- 
suivi |)ar  une  loiifjne  clameur  d'insultes. 

—  Ivl  qu'imporlent  leurs  insultes  ? 
décria  Charles-Gustave.  Gzarniecki  n'est 
pas  écrasé,  son  armée  existe  encore  : 
\nilà  l'essentiel.  Haisoii  de  ])lus  pour 
<(intinuei-  noire  marche  en  avant,  afin 
d'atteindre  el  d'écraser  le  plus  lût  pos- 
sible la  dernière  .iiniée    polonaise.    Mes- 


sieurs, je  ne  vous  retiens  plus.  A  demain. 

Les  officiers  s'inclinèrent  et  sortirent. 

(>liarles-Guslave  resta  seul  cl  pensif, 

.\insi,  celle  victoire  de  Goleb  était 
iinilile.  Elle  ne  chan^'cail  rien  à  la  situa- 
tion ])résenle,  au  contraire.  Elle  n'avait 
fait  sans  df>ute  qu'auf^menler  la  rage  et 
le  ressentiment  du  pays  allaqué  sans 
raison  par  les  Suédois,  cn\ahi  el  terro- 
risé par  eux. 

Gharles-Gustave  aireclail  toujours 
devant  ses  généraux  el  ses  courtisans 
une  inébranlable  confiance. 

Mais  lorsqu'il  songeait  à  celle  f;uerre, 
commencée  jadis  sous  de  si  heureux 
auspices  —  de  plus  en  i)lus  difficile  à 
présent  —  dans  son  ànie  inquiète  le 
doute  jiîrandissait  cha(|uo  jour.  Tous  les 
événements  de  celle  campa^'tie  étaient 
si  bizarres,  si  inattendus  1  11  ne  voyait 
pas  d'issue  possible  à  tout  cela.  Il  se 
faisai.l  l'cITel  d'un  homme  qui  s'avance 
vers  la  mer,  sur  un  rivage  de  sable  el 
qui  s'enfonce  davantage  à  chaque  pas, 
qui  sent  que  le  sol  lui  mancpie  cl  que 
l'épouvante  envahit. 

Mais  il  croyait  toujours  aux  étoiles 
propices. 

Maintenant  encore,  il  ouvrit  la  fenêtre 
et  se  mit  à  contempler,  dans  le  ciel  in- 
fini, celle  qu'il  avait  choisie  pour  sym- 
bole de  sa  destinée.  C'est  celle  qui 
occupe  le  sommet  de  la  constellation  de 
la  Grande  Oin-se. 

Le  firmament  était  limpide,  le  ciel 
calme  el  serein;  aussi,  en  ce  moment 
même,  elle  élincelait  de  mille  feux,  avec 
des  rellets  bleus  cl  rouges,  d'une  incom- 
|)aral)l('  beauté.  Mais,  dans  l'immensilé 
de  l'espace,  >ui'  li'  fond  sombre  de 
l'abime,  un  nuage  sinistre  s'avançait 
lentement  vers  elle,  tounne  s'il  avait 
ximlii  élcindic  cl  menacer  la  destinée 
el  l'cloilc  (lu  rni. 


Il  IN  n  I   Si  IN  M  I  wicz. 


Tr:,iliicl,nn    </<■ 


I.KTUll.i;     m       liDI     CIIAliLKS     1)K    SIKDK 


llenriSienkiewicz, routeur  de  (Jiio  \'a(lis.' 
osl  l'écrivain  le  plus  célèbre  de  la  litté- 
rature polonaise  contemporaine.  La  pro- 
fondeur d'analyse  psychologique,  la  vérité 
et  le  relief  des  caractères,  l'intensité  de 
coloris  et  le  pittoresque  des  tableaux  de 
mœurs,  dont  ses  œuvres  sont  remplies, 
expliquent  et  justifient  leur  succès. 

Sa  gloire  est  immense  dans  tous  les 
pays  slaves  —  jamais,  à  aucune  époque  de 
la  littérature  polonaise,  un  romancier  n'a 
bénéficié  d'une  pareille  popularité.  Il  est 
grandement  temps  que  nous  fassions  con- 
naissance, nous  aussi,  avec  l'œuvre  puis- 
sante et  variée  de   ce   merveilleux  artiste. 

Cette  œuvre  se  compose  de  deux  parties 
nettement  distinctes  :  l'une,  qui  comporte 
les  études  de  nid'urs  contemporaines,  où 
sont  étudiés  tous  les  milieux  possibles  de 
la  société  polonaise  d'aujourd'hui  ;  l'autre, 
plus  populaire  encore,  où  revivent  les 
grandes  luttes  d'autrefois,  admirables 
récits  historiques  qu'anime  un  souffle 
d'épopée  et  d'inspiration  tragique,  car  ils 
évoquent,  de  l'abîme  insondable  du  passé, 
les  visions  sublimes  et  grandioses  des 
siècles  évanouis  —  tout  le  mirage  du 
temps  jadis. 

M.  Henri  Sienkiewicz  est  né  en  1854. 
Après    avoir  fait   de    brillantes   études    à 


l'Université  de  KiefT,  où  se  passe  raclion 
de  son  premier  roman  —  .V.i  in.irnp  —  il  fil 
un  long  voyage  en  Amérique,  doal  le  récit 
pittoresque  et  vivant,  du  jour  aulcndemain, 
le  rendit  célèlire. 

Après  avoir  publié  plusieurs  nouvelles 
d'un  sentiment  délicat,  d'une  forme  litté- 
raire impeccable,  dont  le  succès  fui 
immense  et  dont  les  plus  connues  ont  paru, 
il  y  a  quelques  années,  en  traduction  fran- 
(.-aise,  sous  le  titre  de  JS.irli'l,-  r.-ilni/iinir. 
Sienkiewicz  aborda  enfin  ces  uuvres  de 
longue  haleine,  ces  vastes  épopées  mo- 
dernes ou  historiques  qui  devaient  lui 
conquérir  définitivement  une  gloire  uni- 
verselle et  des  succès  sans  précédents 
dans  l'iustoire  des  lettres  slaves. 

Ce  fut  d'abord  l'admirable  série  des 
romans  historiques,  l'.ir  h-  fer  ri  Ip  fi-ii.  Ir 
l)(^lii!/i'.  Mi'ssirr  Vt'itUiihjjitinaki.  puis  les 
études  de  mours  contemporaines,  parmi 
lesquelles  /.(  F.iinilli'  l'n/:iiiiir/;i  est  peut- 
èlre,  en  géhéral,  l'cr'uvre  la  plus  |)uissanle, 
la  plus  parfaitement  belle  de  l'écrivain 
polonais. 

Afin  de  donner  à  nos  lecteurs  une  idée 
approximative  du  talent  de  M.  Sienkiewicz, 
nous  donnons  aujourd'hui  la  traduction 
d'un  fragment  d'un  de  ses  admirables 
romans  historicjues,  /p  Drliii/f. 

/.('  J)rl:ii/r  dépeint  avec  une  intensité 
merveilleuse  de  coloris  historiques  les  cata- 
strophes et  les  épreuves  sans  nom  qui 
firent  du  règne  de  .lean-Casimir  l'époque 
la  plus  tourmentée  et  la  plus  malheureuse 
de  l'histoire  polonaise,  si  fertile  en  mal- 
heurs, en  cataclysmes,  en  éprouves  de 
toutes  sortes.  Le  xvii"  siècle  fut  rempli,  en 
Pologne,  par  une  série  de  guerres  vraiment 
surhumaines,  dont  le  récit,  palpitant  d'in- 
térêt et  de  relief,  fournit  le  sujet  du 
roman  de  M.  Sienkiewicz. 

.lean-Casimir,  né  en  1609,  élu  roi  après 
la  mort  de  son  frère  Ladislas,  en  1649, 
avait  déjà  vu  son  règne  ensanglanté  par 
de  terribles  guerres  contre  les  "Tartares  et 
les  Cosaques,  lorsque,  soudain,  un  nouvel 
orage  se  déchaîna  sur  cette  malheureuse 
république  de  Pologne,  dévastée  et  meur- 
trie. Le  roi  Charles-Gustave  de  Suède  lui 
déclara  la  guerre  11  envahit  le  pays  tout 
entier,  détrôna  Jean-Casimir  et,  maître 
absolu  du  territoire,  fut  sur  le  point  d'être 
proclamé  roi  de  Pologne.  C'est  cette  inva- 
sion de  l'armée  suédoise  que  Sienkiewicz 
dépeint  dans  son  beau  livre,  où  passe  un 
soufûe  d'épopée  qu'anime  le  reflet  des 
grandes  luttes  et  des  grandes  épreuves  du 
temps  jadis. 

S.   H. 


LA     PKCIIK    1)K    LA    THIITL 


Sous  le  ciel  bleu,  lorsque  Teaii  chante 
sur  les  cailloux  des  graves,  qu'à  la  sur- 
face (les  lacs  courent  des  frissons,  il  y  a, 
dans  le  commerce  des  |iêclieurs  de 
truites,  des  caractères  à  silhouetter,  à 
noter  dinléressantes  ébauches  de  gestes. 

Si  vous  villég;iatureE  dans  la  mon- 
taf^ne,  au  long  des  ruisseaux  pyrénéens, 
si  le  sport  de  la  |)êche  à  la  truite  vous 
tourmente,  interviewez,  avant  de  vous 
livrer  à  cet  exercice,  quelques-uns  des 
ilisciples  de  saint  Pierre  qui  vivent,  près 
de  Icau,  des  heures  silencieuses.  Sans 
doute,  vous  apprendrez  de  l'un  de  ces 
patients  que  la  pèche  à  la  ligne  volante 
à  la  mouche  artificielle  est  la  plus  diffi- 
cile à  pratiquer,  tandis  qu'un  autre  vous 
assurera  que  la  capture  de  la  truite  au 
moyen  de  l'asticot  veut  de  celui  qui 
amorce  avec  un  ver  blanc  une  science 
peu  banale.  .\e  vous  troublez  ])as  de  ces 
opinirins  diirérenles.  .Nos  deux  lignards 
ont  également  raison.  Que!  (|ue  soit  le 
mode  de  pêche  qu'on  emploie  à  son 
égard,  la  truite,  en  effet,  plus  que  tout 
autre  poisson  i)eut-êlre,  exige  de  ceux 
qui  la  convoitent  des  qualités,  un  talent 
même  dont  le  pêcheur  de  goujons  n'a 
cure. 

La  pêche  de  la  truite  à  la  ligne  volante 
ou  à  la  mouche  artificielle  — /li/-fshinf/ 
—  est  des  plus  séduisantes.  Le  lancé,  le 
jet  d'un  insecte  habillé  de  plume,  de  sa- 
tin et  de  soie,  est  d'un  art  supérieur; 
c'est  aussi  la  pêche  de  la  truite  par 
excellence,  celle  qui  a  le  plus  de  parti- 
sans, celle  qui  fait  naître  le  plus  de 
jouissances  sportives.  En  dehors  de  ces 
considérations,  ce  genre  de  pèche  a  un 
avantage  encore  :  il  ne  réclame  point 
d'amorces  répugnantes,  et  la  ligne,  sauf 
accident,  sert  parfois  pendant  plusieurs 
séances,    armée   de  la   même    mouche. 

Les  meilleures  lignes  —  cannes  ou 
gaules,  soie,  crins  ou  cordonnet  —  sont 
encore  celles  (|ue  l'on   possède,  c'est-à- 


dire  celles  qu'on  a  le  mieux  en  main. 
Chaque  pêcheur  —  ou  presque  —  a  son 
idée  quant  à  la  confection  de  ces  lignes, 
et  il  n'est  pas  commode  de  l'en  éloigner. 
Une  gaule  ou  longue  canne,  très  llexiblc 
vers  le  scion,  en  bois,  en  roseau  ou  en 
bambou  et,  sur  sa  longueur,  munie  d'an- 
neaux dans  lesquels  passe  le  fil  de  soie 
qui  se  déroule  d'un  moulinet  fixé  près 
du  gros  bout  de  l'engin,  à  proximité  de 
la  main,  constitue  une  ligne  acceptable. 
Ce  moulinet  n'est  |ias  indispensable 
dans  les  Pyrénées,  là  où  une  truite  cou- 
rante pèse  1 JO  grammes  et  où  une  pièce 
d'une  livre  est  une  exception.  Au  fil  de 
soie  s'ajoute  un  bas  de  ligne  de  :{  mètres 
environ,  en  crins  de  Florence;  celte 
ligne  est  armée  de  mouches  artificielles 
montées  sur  racine  anglaise.  Il  est  pra- 
tique de  ne  pêcher  qu'avec  deux  mou- 
ches, pour  la  raison  qu'il  est  extrême- 
ment difficile  don  bien  mameuvrer  un 
plus  grand  nombre.  La  première  mou 
che,  placée  au  bout  de  la  lijrne,  imite 
une  mouche  noyée;  la  seconde,  fixée  à 
un  mètre,  doit  sautiller  —  d'où  son  nom 
de  "  sauterelle  ■>  —  se  débattre  comme 
un  insecte  vivant  tombé  à  l'eau. 

On  peut  encore  établir  sa  ligne  avec 
du  cordonnet  bleuté  et  du  crin  de  Flo- 
rence de  même  teinlo.  une  canne  légère, 
en  roseau  de  Savoie,  pliante  à  volonté, 
et  un  scion  en  coudrier  bien  llexible.  1-a 
ligne  doit  être  un  peu  moins  longue  que 
la  canne.  J'insiste  sur  la  qualité  du 
scion,  dont  dépend  presque  exclusive- 
ment, nul  ne  le  conlcstc,  le  "  ferrage  » 
de  la  truite.  Aux  cnviror.s  de  Caulerels 
et  de  (iavarnie,  la  nuance  de  cette  ligne 
s'harmonise  heureusement  avec  la  cou- 
leur foncée  des  gaves. 

N'oici,  également,  une  autre  manière 
de  monter  une  boime  ligne  olfrant  de  la 
résistance  et  une  grande  commodité 
pour  le  jel.  Le  bas  de  celle  ligne  est 
constitué  en  racine  anglaise  et    le  corps 


LA    PKCIIE    DK    LA    THUIÏE 


est  fait  de  crins  de  cheval  —  de 
six  à  huit  crins  à  l'origine,  avec 
augmentation  progressive,  ration- 
nelle, allant  jusqu'à  vingt  de  ces 
crins,  à  l'extrémité,  c'est-à-dire  à 
l'attache  du  scion.  —  Cette  ligne, 
très  légère  dans  les  parties  des- 
tinées à  toucher  l'eau,  possède, 
auprès  du  scion,  une  rigidité 
susceptible  de  faciliter  singulière- 
ment l'envoi  de  lai.iorce,  et  pour 
peu  qu'on  ait  lancé  ou  vu  lancer 
une  mouche  arlilicielle,  on  com- 
prend que  la  construction  de  cet 
engin  révèle  des  avantages. 

La    pèche   de   la    truite    à    la 
^^       mouche   artificielle  est  de  toutes 
H  les    saisons,  mais  elle  n'est  vrai- 

ment fructueuse  que  pendant 
certains  mois,  parmi  lesquels  avril 
et  mai  sont  à  retenir,  à  la  condition 
d'avoir  des  eaux  assez  claires.  On  s'y 
livre  sur  des  berges  dénudées  ou  des  at- 
terrissements,  partout  où  le  «  lancé  »  de 
l'amorce  est  possible,  partout  où  nul 
obstacle  —  arbres  ou  haies  —  ne-  gène 
le  jet  du  fd  dans  ses  évolutions,  dans 
son  développement.  J'ai  vu,  cependant, 
des  pêcheurs  envoyer  superbement  la 
ligne  en  des  endroits  couverts:  un  entre 
autres,  qui,  tenant  sa  canne  à  pêche  in- 
clinée en  avant,  très  légèrement  à 
gauche,  envoyait,  par  un  balancement. 


sa  ligne  adroite,  puis 
la  déployait  vivement, 
d'un  coup  sec.  Dans 
cette  manicuvre,  d'un 
véritable  artiste,  les 
mouches,  ainsi  lan- 
cées, ne  tombaient  pas  sur  l'eau;  elles 
s'y  posaient  —  presque. 

Le  jet  peut  aussi  s'obtenir  —  la  main 
droite  tenant  la  canne  —  par  un  mou- 
vement du  poignet  qui  fait  décrire  au 
lil  un  cercle  au-dessus  de  la  tête,  et  par 
un  abaissement  brusque  de  l'avant-bras 
qui,  lorsque  le  lil  revient  à  son  point  de 
(lépart,  porte  l'amorce  au  loin,  douce- 
ment, légèrement,  à  la  surface  de  l'eau. 
Les  beaux  lanceurs  de  lils  sont  assez 
rares,  même  parmi  les  bons  pêcheurs 
de  truites.  Mais,  si  vous  réussissez  le 
geste  que  je  viens  d'essayer  de  décom- 
poser, c'est-à-dire  si  vos  mouches  se 
posent,  grâce  à  votre  savoir,  comme  de 
vrais  insectes,  comme  des  insectes  vi- 
vants, ne  renouvelez  pas  trop  long- 
temps l'expérience  au  même  endroit. 
N'est-ce  pas,  en  eifet,  au  premier  ou  au 
second  coup  de  ligne  que  la  truite  happe 
généralement  la  mouche?  Reprenez 
l'opération  un  peu  plus  loin  :  après 
quelques  secondes  de  paix,  vous  senti- 
rez peut-être,  alors,  une  résistance 
énorme  qui  fera  battre  à  votre  cn'ur  la 
chamade  de  l'espérance.  .Attendez  un 
peu,  pourtant,  pour  vous  réjouir,  car  il 
y  a  à  parier  que  vous  n'avez  sur  l'hame- 
çon qu'un  truite  de  faible  taille.  Peu  à 
peu,  l'expérience  vous  garantira  contre 
l'émotion  que  procurent  d'aussi  gros 
effets  pour  une  toute  petite  cause. 

La  truite,  très  vorace,  se  précipite  sur 
tout  ce  qui  remue,  même  sur  tout  ce 
qui  brille;  elle  rejette,  il  est  vrai,  aussi 
facilement  ce  qu'elle  saisit,  po^ur  peu  • 
que  le  pêcheur  —  question  de  sang- 
froid  et  de  scion  —  lui  laisse  le  temps 
de  «  cracher  >>  l'amorce.  Maints  pêcheurs, 
donc,  n'attachent  pas  d'importance  à  la 
couleur  des  mouches  et  sont  contre  la 
tradition  qui  est  de  varier,  chaque  mois, 
la     nuance     des     insectes.     Toutes    les 


(A     l'KC.Ill-:    I)K    I.A    TKL'ITE 


amorces  en  plumes,  en  ell'el,  se  ternis- 
sent au  contact  (le  l'eau,  et  une  mouche 
de  mai  ressemble  bientôt  à  une  mouche 
d'août. 

Cependant,  si  des  pécheurs  trouvent 
toutes  les  mouches  également  bonnes, 
voire  celles  qui  s'éloignent  le  plus  de  la 
réiilité,    el    comme    formes    et    comme 


parures,  il  en  est  d'autres, 
au  contraire  —  et  non  des 
moins  adroits  —  qui  changent  presque 
de  jour  en  jour  la  teinte  de  leurs 
amorces.  Aussi,  lorsque  vous  aurez 
choisi  un  cours  d'eau,  un  lac,  un 
gave,  pour  pécher  la  truite,  s'il  vous 
plaît  de  satisfaire  ;i  celte  précaution, 
observe/,  avant  d'admettre  sur  vos 
hamevons  une  amorce  arliliciellc,  les  in- 
sectes —  mouches  et  moucherons  —  qui 
habitent  les  rives, attrapc/-cn  (juclques- 
uns,  ctudic/.-en  la  conformalinn,  nole-'- 
(Mi  les  couleurs,  la  grosseur,  et  présentez 


LA    PKCHE    DE    LA    TliL'ITE 


à  la  truite  que  vous  rêve/,  d'atteindre 
des  mouches  de  mêmes  teintes  et  de 
même  volume.  La  truite,  déjà,  connaît 
ces  insectes,  elle  en  a  apprécié  le  goût, 
la  saveur,  par  ceux  que  le  hasard  ou 
toute  autre  cause  a  mis  à  portée  de  sa 
bouche  :  en  lui  offrant  l'illusion  d'un 
mets  semblable,  fif;urant  sur  ses  menus 
habituels,  vous  tromperez  sa  gourman- 
dise et  ferez,  peut-être,  davantage  de 
victimes. 

La  pêche  de  la  truite  à  la  mouche  ar- 
tificielle est  ])roductive,  par  un  temps 
clair  :  le  matin,  de  l'aube  jusqu'au  grand 


soleil:  le  soir,  à  p;irlir  de  quatre  heures 
jusqu'au  crépuscule.  On  peut  pêcher 
toute  la  journée  si  le  tem[)s  est  couvert. 
Certains  pêcheurs  lancent  l'amorce  ;i 
tout  instant  du  jour,  quelque  temps  qu'il 
fasse;  cependant,  s'il  a  tonné  ou  plu,  si 
l'air  est  chargé  d'électricité,  il  est  pru- 
dent de  ne  pas  jeter  sa  ligne  :  les  prises 
qu'on  fait  alors  sont  plutôt  des  rac- 
crocs. 

Cherchez  la  truite  dans  les  courants, 
aux  endroits  où  l'eau  se  brise  et  crée  de 
l'écume  blanche,  autour  des  rochers  où 
il  y  a  de  l'ombrage,  si  rien  ne  doit  con- 
trarier le  lancer  de  la  ligne.  Il  y  a  des 
pêcheurs  qui  souhaitent  un  peu  de  brise 
susceptible  de  faire  tomber  des  feuilles, 
des  insectes  qui  retiennent  le  poisson 
entre  deux  eaux,  prêt  à  s'élancer  sur 
l'amorce,  si  elle  est  habilement  amenée 
à  la  surface.  D'autres  préfèrent  le  calme 
au  moindre  soupçon  de  vent.  11  en  est 
qui  assurent  que  la  truite  va  de  préfé- 
rence aux  environs  des  sources  des 
gaves,     puisqu'elle     remonte     toujours. 


LA    P1%CIIE    Di;    LA    TRUITK 


Enfin,  il  est  des  pêcheurs  qui  choisissenl 
le^  courants  peu  profonds,  tandis  que 
d'autres  aiment  à  envoyer  l'amorce  sur 
les  nappes  d'eau  de  belle  épaisseur.  Les 
remous,  les  chutes,  les  anfractuosités, 
les  roches  qui  surplombent  les  trous 
faiblement  ensoleillés  et  y  sèment  comme 
des  taches  d'ombre,  les  lagunes  encais- 
sées séduisent  la  truite  —  et  c'est  là 
qu'elle  se  tient. 

Lorsque  le  pécheur  connaît  les  bons 
coups  d'un  cours  d'eau,  il  utilise  sa 
science  dans  un  silence  absolu  et  enve- 
loppe comme  de  mystère  ses  actes.  Par- 
fois, le  soleil  le  trahit  et  plaque  sa  sil- 
houette sur  le  bleu  du  ^;ave.  Il  change 
de  place,  alors,  car  il  est  "  brûlé  »,  pour 
l'instant,  à  l'endroit  qu'il  avait  choisi. 
Même,  c'est  en  vain,  souvent,  que  les 
lignards  inexpérimentés  s'obstinent  à 
prendi-e  plusieurs  truites  sur  le  même 
coup.  Le  bon  lanceur  de  111  se  contente 
d'une  seule  pièce  et  va  plus  loin  expé- 
rimenter son  savoir,  sa  chance  —  quitte 
à  revenir  un  peu  plus  tard  h  la  place 
qu'il  délaisse. 

La  prise  d'une  truite  constitue  un  en- 
semble d'opérations  qui  exigent  une 
bonne  amorce,  un  scion  excellent,  du 
coup  d'fpil,  de  la  décision, et  un  mouve- 
ment de  poignet  irréprochable.  En  de- 
hors d'une    simple  tension   du  lil  de  la 


ligne,  rien  ne  guide,  en  effet,  dans  la 
pêche  à  la  volante,  lorsque  le  poisson 
saisit  l'amorce  —  et,  encore,  arrive-l-il 
que  la  truite  relient  cette  amorce,  par- 
fois, sans  révéler  son  contact  par  la  plus 
légère  secousse.  On  peut  donc  dire 
qu'une  truite  qui  mord  n'est  pas  une 
truite  "  ferrée  »,  et  qu'une  truite  ferrée 
n'est  même  pas  une  truite  prise.  La  ré- 
sistance de  la  truite,  dans  l'eau,  est 
vraiment  remarquable,  et,  si  elle  est  un 
peu  grosse,  il  faut  des  précautions  pour 
1  amènera  l'épuisetle.  Ueplus,  le  mucus 
qui  renvelop])e  fait  qu'elle  échappe, 
parfois,  aux  mains  du  pécheur. 

l)ans  la  pèche  de  la  truite  à  la  mouche 
artificielle,  j'ai  eu  l'occasion  de  consta- 
ter un  fait  assez  curieux  que  je  veux 
noter  au  passage.  On  sait  que  par  un 
tem])s  orageux,  après  une  bourrasque 
par  exemple,  le  poisson  remue  beau- 
coup. Eh  bien,  il  m'est  arrivé  de  prendre 
une  truite  par  le  Aentre,  après  qu'elle 
avait  manqué  I  amorce  —  et  cela  s'ex- 
plique par  le  mouvement  de  retrait 
qu'on  imprime  à  la  ligne. 

La  pèche  de  la  truite  à  la  volante  ré- 
clame de  bonnes  jambes.  Il  faut  ■•  rô- 
der »  sur  les  berges,  à  la  recherche  des 
places  fréquentées  par  le  poisson  et  per- 
mettant l'envoi  de  l'amorce. 

.Il:  AN   M  A  Ml  m. 


"TTÏiiirL' 


5^s^*  :  "jt 


E  N-  T  II  K  E      II  E     L  . 


A  K  M  r  U  E  r 


LE    MUSKK     !)•  ARTILLERIE 


Je  ne  puis  faire  ici  l'énumération  de 
toutes  ses  richesses.  Je  vais  essayer  seu- 
lement d'attirer  l'attention  sur  les  ob- 
jets les  plus  remarquables,  parmi  lesquels 
il  faut  compter  la  série  d'armures  his- 
toriques, dont  le  dernier  catalogue,  éta- 
bli en  1S90  par  le  colonel  Robert,  a 
assez  bien  fixé  les  attributions. 

Le  musée  d'artillerie  possède  la  série 
complète  des  harnois  royaux,  depuis 
François  I*'  jusqu'à  Louis  XH'.  Sans 
être  aussi  riche  que  l'Armeria  de  Ma- 
drid, où  l'on  peut  admirer  par  dou- 
zaines les  armures  de  Charles-Quint  ou 
de  Philippe  II,  il  nous  montre  cepen- 
dant de  beaux  spécimens  de  ces  magni- 
fiques    panoplies,    pour    lesquelles    on 


n'avait  épargné  ni  1  argent  ni  !:i  peine 
L'élégante  écrevisse  noire  touchée  d'ar- 
gent, qui  appartint  à  Henri  IL  en  et 
un  des  plus  beaux  exemples.  Avec  l,i 
fameuse  armure  repoussée,  conservée 
au  Louvre,  c'est  certainement  le  plus 
beau  harnois  complet  qui  existe  à  Paris. 
Toutes  deux  ont  le  mérite  d'être  bien 
complètes.  Celles  de  François  II,  de 
Charles  IX,  d'Henri  III,  qui  ne  le  sont 
pas,  ou  qui,  pour  mieux  dire,  ne  sont 
que  des  demi-armures,  se  font  remar- 
quer par  leur  belle  conservation.  Celle 
d'Henri  IV^ est  peut-être  plus  intéressante 
encore,  parce  qu'elle  nous  montre 
l'habit  de  guerre  du  Béarnais,  qui  ne 
semble  pas  avoir  déployé  un  grand  luxe. 


L1-;    MU  SKI-;    DAHTII.I.KHIIC 


On  peut  voir  trois  armures  de 
Louis  XIII.  L'une  est  complète,  et  pour 
l'homme,  et  pour  le  cheval,  ("est  la 
seule,  parmi  celles  qui  ont  appartenu  à 
nos  souverains,  qui  possède  ses  bardes. 
El  c'était  alors  une  anomalie,  car  la 
défense  du  cheval  était  depuis  lon-;- 
lemps  tombée  en  désuétude.  Une  autre 
armure  de  Louis  .\III,  en  acier  noirci,  à 
énormes  cuissots  imbriqués  en  queue 
d'écrevisse,  est  encore  munie  de  son 
épais  renfort  de  plastron  à  l'épreuve  du 
mousquet.  Le  poids  des  armes  défen- 
sives était  alors  énorme;  certaines  de 
ces  pièces  de  renfort  pesaient  plus  de 
60  livres,  et,  quand  on  allait  à  la  tran- 
chée, on  s'aidait  encore  dune  rondache 
dont  le  poids  n'était  guère  inférieur. 
En  effet,  c'est   au  moment   où  l'armure 


& 


CASyl    K     DE     TOCUXOI        -      XV'    SIECLE 

va  disparaître  qu'elle  devient  le  plus 
massive.  .Aussi  est-ce,  se  basant  sur 
des  cuirasses  ou  des  boucliers  aux- 
(|uels  ils  ne  savaient  pas  donner  leur 
date,  que  les  érudits  romantiques  éta- 
blissaient le  poids  des  fameuses  armures 
que  portaient  les  croisés.  Il  ne  faudrait 
pas  chercher  iiien  loin  pour  trouver  des 


tableau.x,  peints  au  temps  de  Louis-Phi- 
lippe, oii  ces  croisés  sont  représente- 
avec  des  corselets  ou  des  corps  à  las- 
selles,  tels  qu'en  possédaient  les  piquiers 
de  Sirol  ou  de  Turenne. 

Les  solécismes  archéologiques,  qui 
abondent  encore  aujourd'hui  dans  les 
stalues  oii  les  peintures,  ne  sont  d'ail- 
leurs pas  moins  considérables.  Il  vaut 
mieux  n'en  point  parler  :  la  critique  est 
vraiment  trop  facile.  .K\x  commence- 
ment du  siècle,  on  était  à  cet  égard 
dans  l'ignorance  la  plus  crasseuse.  Ainsi, 
on  attribuait  froidement  à  Godefroy 
de  Bouillon  un  admirable  corps  d'ar- 
mure, repoussé,  doré,  qui  provient  de 
l'arsenal  de  Sedan  et  date  de  la  fin  du 
xvi'  siècle.  On  peut  voir  dans  la  grande 
salle  des  armures  ce  merveilleux  har- 
nois.  qui  vaut  une  fortune. 

On  attribuait  encore  à  Jeanne  d'.Vrc 
la  belle  armure  blanche  pour  combattre 
à  pied,  qui  est  dans  une  autre  salle,  car 
on  ne  s'était  pas  donné  la  peine  de  lire 
sa  date  de  fabrication,  1515,  gravée 
pourtant  dans  la  paume  du  miton  droit. 
On  sait  aujourd'hui  qu'elle  a  apparteiui 
;i  un  Medici,  soit  à  Julien,  oncle,  par 
alliance,  de  François  l"',  soit  à  Lorcnzino 
duc  d'Urbin.  J'incline  à  croire  que 
c'est  à  ce  dernier  qu'elle  a  appartenu, 
el  c'est  probablement  le  pape  Léon  X 
(|ui  la  conmianda  pour  lui  à  l'armurier 
milanais  Negroli  quand  il  l'investit  de 
la  seigneurie  de  hlorence,  au  mois  de 
mai  1515. 

Les  Negroli  de  Milan  étaient  alors 
fameux  entre  tous  les  batteurs  de  plates 
lombards.  Alliés  et  successeurs  des 
Missaglia  d'Ello,  ils  forgeaient  des  har- 
nois  pour  tous  les  souverains  d'Europe. 
Les  (cuvres  des  vieux  Missaglia  comp- 
tent, entre  toutes,  parmi  les  plus  pré- 
cieuses. Celle  que  nous  figurons  ici  est 
une  des  pièces  capitales  du  musée  d'ar- 
tillerie ;  à  Vienne  seulement  il  en  existe 
d'aussi  belles.  C'est  une  armure  mila- 
naise, comme  on  dit,  et  dont  les  fines 
cannelures  sont  du  même  type  que  celles 
(les    armures    dites    n}ii.iiniiliciiiics.   en 


LK    MUSKE    I)  Airn  I.LEltli: 


rhonncui-  de  Icmpereur  allemand,  qui 
iiima  tant  la  guerre,  les  joutes  et  les 
tournois.  Ces  armures  à  gouttières, 
quelles  soient  milanaises  ou  bavaroises, 
datent  des  premières  années  du  xvi'' siècle 
ou  des  dernières  du  xv'=.  En  France, 
comme  en  Espagne,  elles  sont  toujours 
restées  à  l'état  de  rareté  ;  on  ne  les 
portait  |)oint  couramment,  tandis  qu'en 
Allemagne  on  en  fit  usage  jusque  vers 
1540.  .Ainsi,  Charles-Quint,  en  tant  que 
souverain  espagnol,  ne  porta  pas  d'ar- 
mure maximilienne.  A  TArmeria  de 
.Madrid,  où  ces  harnois  se  comptent 
par  douzaines,  on  n'en  trouve  pas  un 
seul  de  ce  modèle.  Mais,  au  musée  de 
\'ienne,  il  en  existe  plusieurs. 
Les  cannelures  des  armures 
maximiliennes  sont  de  beau- 
coup antérieures  à  cette  forme 
même  d'armures  ;  on  les  observe 
dans  beaucoup  d'armures,  dites 
gothiques,  el  qui  datent 
des  règnes  de  Charles  \  II 
et  de  Louis  .\I. 

Certames  armures  du 
musée  d'artillerie  sont 
très  intéressantes  parce 
qu'elles  nous  montrent 
des  types  transitoires 
entre  les  armes  complè- 
tement lisses  du  lemps 
de  Louis  \I  et  celles 
chargées  de  cannelures 
qui  lurent  de  mode  sous 
le  règne  de  Charles  VI 1 1 . 
.Vu  reste,  le  musée  d'ar- 
tillerie possède  quelques 
belles  armures  ar- 
chaïques,  entre  les- 
quelles brille  au  premier 
rang  celle  qui  vient  de 
la  collection  de  Pierrefonds.  Malheu- 
reusement on  n'y  observe  aucun  de  ces 
types  admirables,  datant  de  la  première 
moitié  du  xv'^  siècle,  comme  on  en  voit 
aux  musées  de  Berne  ou  de  A'ienne. 

Toutefois,  à  partir  de   1460  environ 
jusqu'à   Louis  XIV,  notre  musée  pari- 
sien  nous  présente  une  série  complète 
-XIII.  —  5. 


de  tous  les  types,  lis  sont  bien  disposés 
dans  les  deux  salles  du  bas.  A  gauche, 
ce  sont  les  armures  de  guerre,  dont 
certaines,  juchées  sur  des  chevaux  bar- 


AR.MURK     DE     JOUTE     ALLEMANDE     —     riX     DIT     X  V     SIÈCLE 


dés,  composent  ce  que  les  amateurs 
appellent  la  grande  chevauchée.  11  y  a  là 
des  pièces  superbes.  Malheureusement, 
les  mannequins  d  hommes  el  de  che- 
vaux, mal  agencés  et  mal  assemblés,  ne 
satisfont  point  l'œil.  Le  manque  absolu 
de  costumes,  de  housses,  d'épées,  et  ie 
toutes  les  pièces   habiluelles  d'équipe- 


I.K    MLSKK     1)   AU  11  I.I.KUIK 


ment,  est   en    tout   indigne   dun   y;rand 
musée.   La  parcimonie  systématique  du 
Ministère  de  la  Guerre  est  seule  cause 
de  cet  état  déplorable  et  humiliant. 
Le  seul  monta^'e  à  peu  près  lionorahle 


j/j).  {ii<n    t) 


\0. 


'•«^^^ 


est  celui  de  l'arnuirc  de  joule  de  1  em- 
]>ereur  Maximilien  IL  C'est  le  colonel 
Uobert  (|ui  le  fit  exécuter  avec  soin. 
Lne  "(randc  housse,  brodée  aux  cou- 
leurs impériales,  habille  le  cliesal  des 
oreilles  jusqu'aux  sabots.  Lu  beau 
chanfrein  repoussé  richement  et  une 
liarde  de  crinièi'c  de  pareil  travail  com- 
|)lèlenl  le  liarnaeliemcnt  àc  la  bête. 
L'armure  de  l'homme  laisse  à  décou- 
vert les  bras  et  les  jambes.  Celles-ci 
n^avaient,  en  elTcl,  pas  besoin  de  dé- 
l'enses   de   fer,    car    le   cavalier   jnulaiil 


galopait  le  long  d'une  barrière  placée  à 
sa  gauche  et  qui   n  avait  guère  plus  de 
1°\2()   en    hauteur.    Pour  éviter    de    se 
froisser  le  genou  contre  cette  palissade 
i|iii    le   séparait    de   son    adversaire,    le 
jouteur    avait     la     cuisse 
prise   dans   une  espèce  de 
large  étui  d'acier  accroché 
au  panneau  de  la  .selle  et 
X  qui    s'a]ipelait    le    garde- 

jambe.  La  poitrine  et  la 
gorge  sont  extraordinai- 
rement  abritées.  Car,  en 
outre  de  la  cuirasse,  elles 
disparaissent,  à  gauche, 
derrière  un  énorme  pla- 
card armorié  ou  manteau 
d'armes,  et,  à  droite,  der- 
rière la  rondelle  déme- 
surément élargie  de  la 
lance,  quand  celle-ci  se 
trouve  placée  en  arrêt. 
Celte  armure  de  Maximi- 
lien IL  qui  date  de  l."),')0, 
donne  une  très  bonne  idée 
des  formes  archaïques  que 
s  1  on    conservait    pour   les 

'  j  joutes     et     les     tournois. 

^  Ainsi,  si  l'on  considère  le 

casque,  on  voit  que  c'est 
une  salade  difTcrant  à 
peine  de  celles  que  l'on 
portait  cent  ans  aupara- 
vant pour  aller  à  la  guerre. 
Une  autre  salade  du 
'Il  même   musée,  datant  éga- 

lement tlu  x\  1''  siècle  et  qui 
a  appartenu  à  un  llad/.i\\il,  ducd  Olyka, 
présente  le  même  caractère.  Elle  faisait 
partie  d'un  beau  harnois  qui  appartient 
au  musée  de  \'ienne  et  dont  toutes  les 
pièces  sont,  comme  elle,  profondément 
gravées  et  rehaussées  d'une  peinture  ou 
émail  à  froid  de  ti-ois  tons. 

Kn  armures  de  joutes,  sui-loul  alle- 
mandes, le  musée  d'ai'tillerie  est  assez 
riche.  La  salle  de  di-oite  leur  est  consa- 
crée, à  elles,  comme  aux  armures  de 
champ  clos  et  de  rempart,  et  aussi  aux 
armures  ayant  appartenu  à  des  person- 


I,K    MLSKK    I)   AKTI  LI.  liHIK 


B  (P  l'  R  N  r  I  lî  N  0  T  T  E    DE   P  V  R  E  M  E  .V  T    DE    H  E  N'  K  I    II 


M  11  R  1  O  X     ITALIEN    —    XVI"    S  I  È  C  L  K 


nayes  célèbres.  Parmi  celles-ci,  on  re- 
marque celles  du  comte  de  Soissons 
l.')70  ,  du  duc  de  Bouillon  [Iblâ  ,  celle 
ilu  duc  de  Guise  (1580),  celle  de  ilonl- 
morencv  d'Amville  (1575j,  celle  du  duc 
de  Mayenne  (1590),  celle  de  Sully 
Kîl,")  .  Quant  à  celle  du  fameux  baron 
des  Adrets,  comme  on  l'a  appelé  si 
long^lemps,  sa  date 
exacte  doit  être  fixée 
vers  1(530,  et  elle  a  dû 
appartenir  à  César  de 
\aulscri-e,  gendre  du 
l'amcux  baron,  et  qui 
devint  lui-même  baron 
des  Adrets  par  héritage 

Il  en  existe  encore 
quelques  autres  dont 
les  attributions  fantai- 
sistes ont  été  ramenées 
à  de  plus  vraies,  ou 
tout  au  moins  à  de  plus 
vraisemblables  ;  tel  est 
le  harnois  que  l'on  crut 
si  longtemps  être  celui 
du  fameux  duc  d'Kper- 
non  et  que  l'on  sait 
aujourd'hui  avoir  été 
la  propriété  de  l'un  de 
ses  fils,  comme  en  té- 
moigne une  couronne  de 
marquis  gravée  sur  le  haut  du  plastron 

I.a   plupart  de  ces  erreurs   tradition 


A  s  y  U  E     DE     HENRI 


nelles  sont  d'autant  plus  inexplicables 
que  rien  n'est  plus  facile  à  dater 
exactement  qu'une  armure.  En  elTet,  sa 
forme  se  modèle  exactement  sur  celle  du 
costume  civil.  Elle  en  reproduit  les  exa- 
gérations, les  ornements,  et  jusqu'aux 
broderies  et  aux  passementeries.  Les 
armures  de  nos  rois  sont  absolument 
typiques  sous  ce  rap- 
port. Prenons,  par 
exemple,  celles  des 
trois  petits  ^'alois. 
Toutes  trois  sont  des 
demi-armures,  légères, 
dont  l'architecture  fon- 
damentale est  la  même  ; 
toutes  trois  sont  cou- 
vertes de  gravures  et 
dorées  en  plein.  Mais 
celle  de  François  II  n'a 
pas  le  buse  aussi  cam- 
i)ré,  ni  les  hanches 
aussi  saillantes  que 
celles  de  ses  deux  frères. 
Dans  l'armure  de 
Henri  III,  ces  carac- 
tères s  exagèrent  en- 
core, le  large  dévelop- 
pement de  la  bracon- 
nière  et  des  tassetles 
accuse  la  finesse  de  la 
taille,  dont  l'élégance  s'augmente  par  la 
cambrure   en   polichinelle    de   la    partie 


I.I-:    MLi^Ki;    L)   AHTlI.I.KlilK 


ini'érieure  du  phi>lioii.  L'jirchéolofrue 
anglais  .Mevi-ick  a  donné  le  nom  tfiul  à 
la  fois  juste  et  pittoresque  de  cosse  de 
liais  ;i  celte  dis|)osilion  en  hrcchel  d  oi- 
seau qu'an'ectenl  les  cuirasses  de  Fran- 
vois  II  et  Charles  IX.  Il  couvient  de 
laisser  le  nom  de  polichinelle  à  la  saillie 
encore  jilus  marquée  qui  caractérise 
l'époque  de  Henri  III.  Le  décor  de  ces 
trois  armures  n'est  pas  non  plus  le 
même.  Dans  celle  de  Charles  IX,  ce 
sont  les  fins  chevrons  obliques  (|ui 
rayent  la  cuirasse,  les  brassards,  les  tas- 
settes,  comme  les  minces  f^anses  dor 
rayaient  le  pourpoint,  les  manches  et 
les  chausses.  Dans  celle  de  Henri  III, 
des  fleurettes  enserrées  dans  de  petits 
compartiments  rappellent  les  velours 
ciselés  de  Gênes,  etc. 


If  ll.N  II  ACII  !■:     ITALIEN  xi:     —     MILIEU     DD     XVI 


I/exemple  de  mauvais  goût  le  plus 
étonnant  que  puisse  présenter  un  har- 
iiois  royal  nous  est  fourni  ])ar  celui  de 
Louis  .\I\',  où  des  tableaux  d'histoire, 
soigneusement  gravés  à  l'eau-forto,  cou- 
vrent loule  la  surface  de  l'acier,  dmil  nu 


a  réservé  hi  blancheur.  Cette  teuvre 
fut  exécutée,  çn  1()('>8,  par  un  armurier 
de  Brescia.  Krancesco  (îarbagna.  C'est 
un  des  derniers  harnois  complets,  avec 
grèves  et  solerets,  que  l'un  ail  fabriqués. 
Si  les  armuriers  balleurs  de  plates 
n'avaient  point  perdu  sous  le  rapport  de 
l'habileté  technique,  ils  n'avaient  certai- 
nement pas  gagné  sous  le  rap])orl  de 
l'élégance.  Car  un  autre  harnois  de 
Louis  XI\',  alors  qu'il  n'était  que  dau- 
phin et  âgé  de  dix  h  douze  ans,  est 
certainement  plus  gracieux,  ou  tout  au 
moins  plus  dans  la  tradition  du  beau 
harnois  de  plates.  El  ce  petit  harnois 
est  d'autant  plus  remarquable  (ju'il  est 
presque  en  tout  semblable  à  l'un  des  trois 
qui  ont  appartenu  à  Louis  .\HI.  Comme 
lui,  il  est  d'acier  noirci,  avec  de  grandes 
tassetles  reliées  à  la 
taille,  très  écourlée, 
directement,  sans  bia- 
connières  ;  les  épau- 
lières,  très  larges,  h 
nombreuses  articula- 
tions, couvrent  pres- 
que complètement  le 
plastron.  Ces  deux 
habits  de  l'er  ont  dû 
être  battus  par  le 
même  armurier,  sans 
doute  |)ar  ce  Petit 
dont  on  relève  le  nom 
dans  des  comptes  de 
sellerie  royaux  et 
dont  l'histoire  est 
malheureusement  en- 
core inconnue.  Ce 
Petit  ou  ces  l'élit  — 
car  on  croit  qu'ils 
étaient  plusieurs  — 
faisaient  surtout  lourd 
et  solide.  Leurs  pièces 
d'armes  atteignent  des 
poiils  ell'rayaiits  :  certains  de  leurs  ren- 
forts de  cuirasse  et  de  leurs  roiidaches 
de  tranchée  pèsent  plus  de  .")0  livres. 
Mais  c'étaient  là  des  objets  d'un  bon 
travail  et,  si  l'en  peut  dire,  de  tout 
npcis.  car  ils  liaient  à  l'épreuve,  ne   se 


I.i;    MUSKK    1)   AU TII.I.KlMi: 


A  lî  M  r  K  E     [I  E     .1  1 1  U  T  E     DE      M  A  X  I  M  I  L  I  i 


laissant    point    traverser  par  une  halle 
de  mousquet. 

Puisque  nous  parlons  de  rondaehes, 
nous  pouvons  dire  que  le  musée  d'artil- 
lerie en  possède  une  très  belle  suite  :  elle 
comprend  près  de  cent  pièces,  parmi  les- 
quelles une  trentaine  sont  de  très  beaux 
objets  d'art  appartenant  au  wr'  siècle  et 
de  travail  italien  ou  allemand.  Celle  que 
nous  fijfurons  ici  reproduit  le  triuniphe 
lie  Gnialée,  d'après  Raphaël.  Ces  magni- 
fiques boucliers  étaient  des  pièces  de 
parement   que  1  on  portait   dans   les  cé- 


rémonies avec  des  casques,  des  épées, 
des  gantelets,  devant  les  princes  ou  tous 
autres  grands  personnages.  Comme  on 
le  sait,  la  rondache  fut  longtemps  l'in- 
signe même  des  capitaines  de  gens  de 
pied.  En  marche,  l'orticier  la  faisait 
porter  par  son  page.  Ces  boucliers  ronds, 
mesurant  en  général  de  0'",50  à  0"',t)(l 
de  diamètre,  représentent  le  dernier  type 
de  la  série  d'armes  défensives  dont  les 
plus  anciennes  sont  les  écus  et  les  pa- 
vois. D'écus  anciens,  il  ne  saurait  être 
question,  on  ne  connaît  plus  ces  objets 


I.i:    MISKE    D'AliTILI.KHI  !•; 


A  1!  M  r  11  E     ni  TE     1(     AUX     LIONS     11    —     151'.  Il 

archaïques,  qui  disparaissent  dès  le 
xi\"  siècle,  que  par  les  figurations  des 
manuscrits  nu  les  descriptions  des  textes. 
Mais,  pour  les  pavois,  on  est  un  peu  plus 
riche.  Ainsi,  le  musée  d'artillerie  en 
possède  un  du  .\v''  siècle.  Sur  un  corps 
de  l>ois  cintré  esl  marouflée  une  toile 
peinte  avec  des  armoiries  et  des  rin- 
ceaux. 11  en  pu.ssède  un  autre,  anglais, 
de  la  même  époque  :  là,  le  bois  est 
reconvori  de   peau  avec  quekpies  traces 


de  peinture.  Et  il  eu  existe  encore 
quelques  autres,  ainsi  que  des  tar^'cs. 
De  celles-ci,  la  plus  précieuse  est  celle 
qui  a  appartenu  au  roi  de  Hongrie, 
Malhias  Corvin.  lîlle  date  donc  du 
xv"^  siècle.  Les  écussons,  encore  bien 
conservés,  ne  laissent  aucun  doute  sur 
son  attribution.  Celte  belle  lar};e,  objet 
rare  entre  tous,  fut  sans  doute  volée  à 
la  galerie  d'.Ambras,  sous  .Napoléon  1''. 
l'allé  fit  partie  de  la  collection  du  duc 
d'Istrie  et  passa  par  achat  au 
musée  d'artillerie.  II  faut  encore 
signaler  les  nombreuses  petites 
rondi'Ilcs  à  poing,  boces  ou  bro- 
quels  en  usage  aux  x\''  et  xm"  siè- 
cles et  qui  servaient  surtout  dans 
les  duels.  Leur  usage  s'est  con- 
servé encore  aujourd'hui,  dans 
toutes  les  régions  de  la  mer  Rouge 
et  du  golfe  Persique.  Les  Somalis, 
les  .Arabes,  les  Béloutchis  s'en 
servent  avec  le  sabre  et  l'épée.  <  >n 
imployait  la  rondelle  de  poing 
[Kiiir  parer  les  coups  de  taille, 
tant  que  l'escrime  de  la  rapière 
ne  prévalut  pas  sur  celle  de  la 
large  épée  à  garde  simple,  car 
jamais  ou  presque  jamais  on  ne 
faisait  de  parade  avec  la  lame. 
Les  petites  larges  ou  bras  armés 
sont  une  modification  du  brocjuil. 
Ces  défenses,  en  général  légères 
el  de  forme  oblongue,  se  fixaient 
à  l'avant  bras  gauche,  qu'elles 
dél'endaicnt  depuis  le  coude  jus- 
qu'à l'extrémité  des  doigts.  Il  v 
en  a  qui  se  terminent  par  un  fer 
aigu  et  tranchant  pouvant  faire 
office  de  dague.  Au  reste,  les  amateurs 
d'armes  de  duel  trouveront  au  musée  d'ar- 
tillerie de(|uoi  satisfaire  aniplonient  leur 
curiosité.  La  collection  d'épées,  nolani- 
nieut,  est  extrêmement  riche,  et,  en 
général,  les  montures  sont  très  sin- 
cères. Kpées  de  guerre  ou  d'armes, 
épées  de  ville  ou  de  ceinture,  estocs, 
estramaçons,  espadons  ou  épée«  à  deux 
mains  dites  encore  épées  de  brèche,  ra- 
pières,   carrelets,    llamberges,    coliclu'- 


LE    MUSKK    DAIiTlI.l.  KHIE 


inardes,  lous  les  types  sont  largement 
cl  lichemenl  représenlés.  Rappelons  que 
la  signification  de  ce  dernier  vocable  est 
bien  nellc  et  que  son  orif;ine  est  absolu- 
ment ilouteuse.  On  sait  que  l'on  entend 
|)ar  colicheniarde,  et  cela  depuis  fort 
peu  d'années,  en  somme,  une  épée  dont 
la  lame,  de  coupe  trian;^ulaire,  comme 
dans  lépée  de  duel  moderne,  présente 
un  talon  fort  large  qui,  jusqu'au  pre- 
mier tiers  de  la  lame,  ne  perd  point  sa 
largeur,  jusqu'à  ce  que,  en  ce  point,  i 
meure  par  un  brusque  ressaut  à  partir 
duquel  la  lame  va  en  s'effilant  comme 
une  alêne.  Tous  les  escrimeurs  com- 
prendront le  parti  qu'on  pouvait  tirer 
d'une  épée  ainsi  équilibrée  el  qui,  très 
légère  à  la  main,  n'en  avait  pas  moins 
une  autorité  considérable  pour  lo-,  p  i- 
rades  et  les  battements,  voire 
Croisses,  faits  avec  le  fort  de 
lépée.  Mais,  quant  à  l'étymologie 
c'est  une  autre  affaire.  On  i  dit 
sans  qu'on  puisse  retrouvei  1  m 
vcnleur  de  cette  rumeur,  que  la 
colicheniarde  avait  tiré  son  nom 
d'une  corruption  de  mots 
vrai  nom  serait  épée  à  la 
Kd-nigsmarck,  du  nom  de 
son  inventeur,  à  la  fin  du 
wii''  siècle.  Cette  explica 
lion  semble  pécher  par  la 
base  Le  mot  colichemardt 
ne  se  trouve  pas  dans  les 
dictionnaires  du  xmii'"  siè- 
cle. Celui  de  Trévoux  est 
absolument  muet  sur  ce 
point.  Plus  tard,  on  le 
trouve  bien  dans  certains 
glossaires;  il  y  désigne  une 
épée  dans  le  sens  péjoratif 
du  terme-,  c'est  une  breltc 
une  rouillarde,  une  longue 
rapière  rouillée. 

Les  longues    rapières,    et 
qui  ne    sont    pas    rouillées, 
abondent    au    musée   d'artillerie.    Dans 
les  vitrines  de  la   salle  de  droite,   il  y 
en  a  une  grande  quantité   de  superbes. 
En    voici     une    belle     entre     toutes   : 


sa  co(|uille  en  panier,  d'acier  le  plus 
lin,  ciselée,  taillée,  repercée,  évidée 
à  miracle,  est  une  véritable  dentelle 
luisante.  On  peut  prendre  celte  su- 
perbe épée  comme  un  modèle  de  cet 
art  espagnol  qui  jetait  ses  dernières 
lueurs  au  wiii"  siècle,  car  ces  belles  ra- 
pières sont  toujours  beaucoup  moins 
anciennes    qu'on    ne    croit.    Les    plus 


.ARMIRE    PAR    M  ASSACiLI  A,    DE    MILAN    I  Début  du  XVI«  siècle,  i 


archaïques  ne  sont  guère  antérieures  à 
101(1,  el  les  plus  modernes  datent  du 
règne  de  I^ouis  W.  Cette  forme  d'épée 
était  tellement  en  honneur  en  Espagne, 


I.I-;    MISKK    l>   AltTI  I.I.KIU  K 


(i  V  È  r.    K  R  A  N  (;  A  I  s  E    - 

qu'elle  en  devenait 
comme  l'emblème. 
Ainni,  dans  le  somp- 
tueux portrait  que 
Hyacinthe  Uigaud  lit 
du  jeune  roi  Phi- 
lippe V,  on  voit  le 
petit-fils  de  Louis  XIV 
ayant  au  côtc^  une  de 
ces  riches  rapières  à 
forme  si  caractéris- 
tique. A  peine,  avant 
Xciasquez,  trouve - 
t-on  une  ou  deux  de 
ces  épécs  reproduites 
dans  des  portraits;  le 
Irait  vaut  qu'on  le 
remarque.  Ces  ra- 
pières n'allaient  point 
sans  leui-  (idole  et 
inséparable  compa- 
gne, la  {grande  dajfue 
à  f,'arde-niain  pareille- 
ment ajouré,  à  longs 
quillonsé  vidés  en  spi- 
rale el  à  lame  lonetie. 


nfiiiRia  d'aï:. Ml  111-;  fi.amanuk 


à  talon  démesurément 
élargi  e(  agrémenté 
de  denticules  et  de 
foiicsl rations  qui  per- 
mettent de  les  recon- 
naître entre  Routes. 
Ce  furent  là  les  der- 
nières armes  de  duel 
que  l'on  mania  de  la 
main  gauche.  Kn 
France,  à  partir  du 
règne  de  Louis  \l\', 
la  dague  tomba  en 
désuétude.  L'escrime 
de  la  courte  épée  en 
avait  aboli  l'emploi. 
Les  coups  que  l'on  ne 
pouvait  parer  avec 
l'épéc  étaient  arrêtés 
par  la  main  gauche, 
ordinairement  munie 
d'un  gant  é|iais,  et 
colle  mode  dura  l'orl 
longlonips.  Il  faut 
ai'rivcr  ji'siju  .1  l.i 
Iteslaui'alion        i)omi 


I.  !■:  M  f  s  !■;  1-:  u  a  irr  i  l  l  e it  1 1; 


voir  proscrire  offîciellenienl  cet  usage 
que  tout  011  somme  justifiait  et  que 
les  conventions  modernes  considèrent 
comme  une  félonie.  Et  l'on  peut  se  de- 
mander pourquoi,  car  il  y  avait  autant 
de  danj.'-er  à  parer  avec  la  main  qu"à 
parer  avec  le  l'er.  et  les  conditions 
étaient  égales  pour  les  combattants. 

Les  rapières  plus  anciennes  que  ces 
formes    à    panier    ou    à 
coupe    ont     leur    garde 
élégamment   contournée 
en  branches  mul- 
tiples,     dont     les 
courbes     savantes 
montrent    la  maî- 
trise des  forgerons 
du  temps  passé.  Il 
serait  presque  im- 
possible     aujour- 
d'hui  de    trouver. 


rien  de  plus  beau  :  complète,  avec  sa 
dague,  sa  ceinture,  ses  pendants  et  son 
petit  baudrier  pour  la  dague  (mode 
exclusivement  allemande),  elle  est  forgée 
du  plus  fin  acier.  Dans  cet  acier  ont  été 
incrustés  des  massifs  d'or.  El  ceux-ci 
ont  été  ciselés  en  délicats  ornements 
qui  transparaissent  sous  l'émail. 

Mais,  s'il  fallait  citer  toutes  les   mer- 
veilles accumulées  dans  les  cinq 
^^Êi  ou  six  vitrines  du  fond  de  celte 

"        ^  salle,  on  pourrait  écrire  pendant 

des  jours  :  arquebuses,  pisto- 
ets  aux  fûts  de  bois  dur  com- 
plètement   incrustés     d'ivoire 
ou  de  nacre,  aux  canons  minu- 
tieusement    gravés    il     l'eau- 
)rte  ou  bien  ciselés,  incrustés, 
amasquinés,  touchés  d'or  ou 
l'argent,  sont  rangés  là  côte  à 
■'>te  comme  un  défi  porté  |iar 


l;  .\  P  I  È  R  K    E  s  P  .1 

en  dehors  de  quelques 
merveilleux  faussaires 
qui  travaillent  dans 
l'ombre  pour  approvisionner  les 
grandes  galeries,  un  ouvrier  capable 
de  façonner  sur  ll'enclume  et  de 
souder  à  chaude  portée  ces  entre- 
lacs d'acier  qui  simulent  de  véri- 
tables paraphes.  Entre  toutes  celles 
de  notre  musée,  une  de  ces  épées 
est  particulièrement  admirable. 
C'est,  sans  doute,  l'œuvre  d'un 
artiste  bavarois,  peut-être  de  ce 
Hans  Mielich  dont,  à  défaut  d'teu- 
vres  certaines,  on  connaît  au  moins 
des  séries  de  dessins  conservés  à 
Munich.  Une  tradition  veut  que 
celte  arme  ait  appartenu  au  roi 
Henri  IIl.  Au  hasard  des  ventes, 
elle  a  passé  dans  plusieurs  collec- 
tions illustres  avant  d'arriver  sous 
le  toit  des  Invalides.  Je  ne  connais 


le  passé  à  notre 
pauvre  art  déco- 
ratif moderne. 
Notre  musée  d'artillerie  nous 
en  fournit  un  puissant  exemple, 
avec  la  fameuse  armure  aux 
Lions,  que  nous  figurons  ici. 
C'est  une  des  pièces  capitales 
du  musée,  mais  on  ne  sait  mal- 
heureusement pas  grand'chose 
sur  elle,  sinon  qu'elle  vient  de 
l'arsenal  de  Sedan.  Elle  a  appar- 
tenu à  un  duc  de  Bouillon,  ou 
peut-être  à  un  prince  de  la 
maison  de  Savoie,  comme  semble 
l'indiquer  la  croix  d'arg€nt  dont 
est  orné  son  plastron.  C'est  la 
une  œuvre  sur  l'attribution  de 
laquelle  il  est  permis  d'hésiter, 
.le  l'ai  attribuée  jadis  au  fameux 
Coleman  d'Augsbourg,  l'armu- 
rier   préféré    de    Charles-Quint, 


I.]-:  MUSKK  ivAirni.LKiui-; 


(|ui  travailla  aussi  pour  les  rois  de 
France.  Mais  à  celle  époque  je  n'avais 
|)as  encore  étudié  sur  place  les  armes 
(le  l'Armeria  de  Madrid.  Je  croirai 
plus  volontiers  aujourd'hui  que  l'ar- 
mure aux  Lions  est  une  œuvre  italienne 
sortie  des  ateliers  milanais.  Seul  un 
Negroli  a  pu  repousser  dans  la  masse 
avec  une  telle  fermeté  el  un  pareil 
caractère  les  mutles  de  lion  qui  for- 
ment épaulières,  comme  celui  qui 
forme  le  timbre  du  casque.  L'armure 
aux  Lions  est  un  modèle  admirable  de 
ces  animes  ou  cuirasses  articulées  en 
écrevisses,  que  l'on  portait  surtout  pour 
combattre  à  pied. 

A  défaut  d'autres  armures  complètes, 
d  un  pareil  travail,  le  musée  d'artillerie 
possède  plus  d'une  pièce  exécutée  avec 
une  maîtrise  égale.  Que  l'on  examine 
soigneusement  tous  les  casques,  toutes 
les  rondaches,  toutes  les  pièces  déta- 
t-hées  qui  remplissent  les  vitrines,  et 
1  on  se  retirera  émerveillé.  J'ai  figuré 
ici  un  débris  flamand  du  wii"  siècle. 
C'est  une  simple  cuirasse  qui  a  perdu 
ses  épaulières  et  ses  brassards,  et  aussi 
ses  tassettes.  Mais  elle  a  conservé  son 
armet  dont  le  ventail  est  travaillé  en 
grille  suivant  une  mode  qui  se  continua 
de  Henri  III  jus(|u'à  Louis  XIII.  Si  ce 
harnois  était  complet,  il  vaudrait  une 
fortune.  Il  est  fait  d'acier  mince,  comme 
il  convient  à  une  armure  de  parement, 
qu'on  ne  devait  point  porter  à  la  guerre. 
L'acier  a  été  repoussé  sur  toute  sa  sur- 
face, la  cuirasse  comme  le  casque  sont 
couverts  d'ornements  et  de  person- 
nages de  modelé  gras  el  délicat,  comme 
si  l'artiste  inconnu  qui  exécuta  celte 
belle  pièce  avait  voulu  prouver  qu'à 
1  é|)0(|ue  niémp  où  disparaissait  l'usage 
de  l'armure,  les  armuriei-savaientatleint 


le  plus  haut  point  où  pût  prétendre  leur 
art.  Au  reste,  dans  ce  musée,  on  ne 
sait  où  arrêter  son  admiration,  lanl  elle 
estap|)elée  de  toutes  parts.  Les  armures 
les  moins  ornées,  comme  celles  que  les 
Allemands  de  la  lin  du  x\'  siècle  por- 
taient pour  aller  à  la  joule  ou  pour  se 
heurter  dans  les  tournois,  sont  aussi 
merveilleuses  comme  lechni(iue  que  les 
harnois  de  parement  le  sont  dans  leur 
décoration.  Les  bourguignottes  à  l'an- 
tique, les  morions  repoussés,  les  armels 
gravés  se  comptent  par  centaines. 

Et  il  faudrait  encore  citer  mille  autres 
choses  :  les  masses  et  les  haches 
d'arme,  les  coutelas,  badelaires,  cime- 
terres, cinquedea  ^cc  sont  ces  larges  da- 
gues que  l'on  appela  si  longtemps  lan- 
gues de  bieuf),  armes  mixtes  où  un 
pistolet  à  simple  ou  double  canon 
s'allie  à  un  marteau,  à  une  épée  ou  à 
quelque  autre  lame,  tout  est  travaillé 
à  miracle.  La  série  des  armes  d'hast 
nous  présenti'  la  plupart  des  types  en 
usage  depuis  le  w"  siècle  jusqu'à  la 
Révolution.  Et  nous  ne  parlons  pas  de 
la  collection  des  armes  orientales,  où 
les  corselets  indiens  rivalisent  derichesse 
avec  les  yatagans  el  les  palaclies,  où  les 
kri^s  malais  chargés  de  pierreries  lui- 
sent à  côté  des  carquois  dont  le  revê- 
tement velouté  disparait  sous  les  incrus- 
tations et  les  broderies.  C'est  là  qu'on 
peut  voir  de  rarissimes  armures  de 
cheval,  provenant  du  Japon,  cl  aussi  le 
harnois  d'acier  doré  habillé  de  satin 
jaune,  qui  appartint  à  un  empereur  de 
Chine,  qui  fui  pris  lors  du  pillage  du 
Palais  d'Eté,  el  que  d'audacieux  voleurs 
ont  essayé  d'enlever  nuitamment,  il  y  a 
quelques  années. 


M  \  I  II  ] 


.M  A  I  N  1 1  l<  I 


s     —      X  V  1  ■ 


LKS     KLK PUANTS 


Le  poète  hindou  \'ina-Suali  a  dit  de 
l'éléphant  «  qu'il  était  l'homme  des  âges 
disparus  ».  Débarrassée  de  l'hyperhole 
de  la  poésie  orientale,  cette  délinition 
ne  manque  pas  de  mérite.  L'éléphant 
n'est  pas  seulement  un  des  animaux 
dont  l'intelligence  se  rapproche  le  plus 
de  celle  du  roi  de  la  nature,  mais  c'est 
aussi  le  pachyderme  qui.  par  sa  taille 
gigantesque,  son  volume  démesuré,  rap- 
pelle bien  les  colosses  des  temps  passés. 
On  dirait  que  c'est  un  spécimen  que  la 
nature  a  voulu  conserver  pour  nous, 
afin  de  nous  donner  une  idée  de  la  faune 
de  titans  qui  peuplait  le  globe  à  l'aorore 
de  notre  ère. 

Dans  les  jungles  désertes  de.  l'Asie, 
comme  dans  les  immensités  broussail- 
leuses du  centre  de  l'Afrique,  l'existence 
de  l'éléphant  s'écoule  dans  une  tran- 
quillité complète.  Les  fauves  les  plus 
féroces  hésitent  à  attaquer  cette  masse 
formidable.  .Animé  par  un  instinct  de 
sociabilité,  commun  à  tant  d'herbivores, 
il  vit  en  troupeaux  paisibles.  Le  simple 
aspect  de  ceux-ci  suffit  pour  démentir 
tous  les  récits  qu'on  a  faits  de  leur 
méchanceté,  de  leur  férocité,  de  leur 
amour  de  vengeance.  Us  sont  là,  » 
l'ombre  de  la  forêt,  les  uns  cueillant 
avec  leur  trompe  des  bourgeons  et  des 
branches  d'arbres,  les  autres  s'évenlant 
avec  les  feuilles;  quelques-uns  sont 
couchés  et  dorment,  tandis  que  les 
jeunes  courent  joyeux  aux  environs. 
Incontestablement,  l'appétit  de  ces  ani- 
maux est  formidable,  et  l'on  frémit  de 
songer  que  le  grand  éléphant  africain 
du  Jardin  des  Plantes  engloutit  tous  les 
jours  deux  bottes  de  foin,  trois  bottes  de 
luzerne,  deux  bottes  de  paille,  une  botte 
de  carottes,  j  à  6  kilogrammes  de  pain, 
"20  litres  de  son  et  j  litres  de  pommes 
de  terre!  C'est  un  gros  mangeur,  il  n'y 
a  pas  de  doute.  Dans  l'Inde,  à  défaut 
de  fourrage,  l'éléphant  absorbe  jusqu'à' 


100  livres  de  ri/  cl  boit  l'M)  à  ISO  litres 
d'eau.  En  Afrique,  il  mange  l'herbe  verte, 
les  feuilles,  les  branchages  et  les  écorces 
des  arbres.  Dans  l'Afrique  centrale,  il 
se  sustente  d  un  arbre  épineux,  mais 
à  épines  molles,  nommé  arbre  :iu.r 
L'Iàphanls. 

L'éléphant  possède,  en  même  temps 
que  l'appétit  des  potentats,  l'humeur 
pacifique  et  débonnaire  des  ventrus. 
Quand  il  est  repu,  trouvant  que  le 
monde  est  assez  grand  pour  lui  et  pour 
eux.  il  ne  moleste  jamais  aucun  des 
innombrables  êtres  qui,  à  ses  cotés, 
vivent  des  dons  de  la  nature.  Le  voisi- 
nage de  ces  colosses  n'est  inquiétant 
que  pour  les  champs  cultivés,  les  élé- 
phants étant  très  friands  de  céréales, 
de  canne  à  sucre  et  même  de  millet. 
Mais  les  Hindous,  parait-il,  arrivent  à 
les  écarter  à  l'aide  dune  fragile  palis- 
sade de  bambous,  que  les  pachydermes 
en  question  n'essayent  pas  de  traverser. 

Contrairement  à  l'idée  vulgaire,  l'élé- 
phant évite  autant  que  possible  les 
rayons  du  soleil  ;  il  reste  pendant  le 
jour  dans  les  fourrés  les  plus  épais;  il 
profite  des  nuits  fraîches  et  obscures 
pour  accomplir  ses  pérégrinations. 
Comme  tous  les  pachydermes,  il  est 
plutôt  nocturne  que  diurne.  Si  le  voya- 
geur surprend  pendant  le  jour  un  trou- 
peau d'éléphants,  il  les  voit  couchés 
tranquillement  l'un  à  côté  de  l'autre. 
Il  n'y  a  que  les  plus  jeunes  qui  paissent, 
étant  plus  turbulents. 

Ces  animaux  cependant  ont,  pour  se 
défendre,  non  seulement  leur  volume, 
leur  force  écrasante,  leur  sociabilité, 
leur  instinct  de  solidarité,  mais  aussi 
quelques  sens  singulièrement  aiguisés. 
Le  plus  parfait  chez  eux  est  celui  île 
I  odorat,  grâce  à  la  susceptibilité  extra- 
ordinaire de  la  trompe,  qui  est  aussi  le 
siège  du  toucher.  L'éléphant  paraît  en 
comprendre   tout   le    prix    et   en   sentir 


LES     Kl.KlMl  AN  TS 


loule  la  délicalesse,  car  clans  les  com- 
hals  qu'il  soutient,  c'est  toujours  sa 
trompe  qu'il  cherche  k  |)réserver.  Même 
]iour    déraciner    les    arbres,    dont    les 


racines  servent  parfois  à  sa  nourriture, 
au  lieu  de  mettre  à  profit  la  force  pro- 
dif^ieuse  de  sa  trompe,  il  les  renverse 
avec  sa  tête.  A  l'abreuvoir,  sa  trompe 
se  transforme  en  tuyau  de  pompe  et, 
après  s'être  désaltéré,  l'éléphant  s'en 
sert  pour  s'en  asperger  dans  tous  les 
sons.  A  défaut  d'eau,  si  le  soleil  le 
brûle,  il  aspire  du  sable  ou  de  la  terre 
et  se  les  souflle  sur  l'échiné  pour  se 
lafraichir.  Mutin,  lorsqu'il  est  accablé 
de  chaleur  et  de  fatigue,  il  va  chercher 
avec  sa  trompe  dans  son  [)ropre  gosier 
de  l'eau  qu'il  dégorge  et  s'en  arrose  le 
dos  et  les  épaules. 

Mais  c'est  surtout  comme  organe 
d'odorat  (\uv  sa  trompe  est  merveilleuse 
et  lellcinenl  puissante  que,  si  lo  vent 
est  favorable,  elle  (laire  la  présence  de 
l'ennemi  à  plusieurs  kilomètres  !  Par 
contre,  ses  autres  sens  manquent  de 
perfection  :  l'ieil  ne  distingue  les  objets 
qu'à  peu  de  distance;  l'oreille  n'a  pas 
de  (inesse. 

Si  l'animal  ménage  cet  appendice 
(piaiid    il    llaiic    un   danger,  il   s'en   sert 


au  contraire  pendant  tous  les  moments 
de  sa  vie  paisible.  On  ne  sait  ce  qu'il 
faut  le  |)lus  admirer,  ou  de  la  force 
de  cet  organe,  ou  des  niouvenicnls 
variés  qu'il  peut  exécuter,  ou  de 
l'aflrcssc  avec  laquelle  il  saisit  les  objets. 
(Iràce  au  bout  qui  le  termine,  l'éléphant 
peut  ramasser  une  pièce  de  monnaie, 
un  morceau  de  papier,  un  brin  d'herbe. 
Avec  cette  même  trompe,  il  fait  l'éla- 
gage  des  arbres:  il  trace,  dans  des 
foui-rés  impénétrables,  des  chemins  qui 
étonnent  les  gens  du  métier,  et,  grâce 
à  cet  appendice,  il  représente  toute 
l'administration  des  ponts  et  chaussées 
des  forêts  vierges.  Il  est  vrai  que  ses 
défenses,  qui  sont,  comme  on  le  sait, 
les  incisives,  l'aident  dans  cette  be- 
sogne; c'est  avec  elles  qu'il  soulève 
les  fardeaux,  qu'il  renverse  les  pierres, 
qu'il  creuse  des  trous.  Les  mâles 
adultes  portent  des  défenses  d'une 
quinzaine  de  kilogrammes,  les  femelles 
de  <  kilogrammes  seulement.  Ces  dé- 
fenses d  ivoire  —  dont  on  connaît  la 
valeur  commerciale  —  sont  souvent  la 
cause  de  sa  perte  et  le  but  de  sa 
chasse. 

Les  vrais  chasseurs  d'éléphants  pour- 
suivent leur  gibier  au  sein  des  forêts 
vierges.  L'éléphant  s'enfuit  comme  une 
gazelle  dès  qu'il  sent  l'homme:  mais 
est-il  blessé,  il  devient  aussi  tei'rible 
qu'il  était  timide  avant  d'être  attaqué. 
Assez  souvent,  sinon  toujours,  il  s'élance 
sur  le  chasseur,  telle  une  locomotive 
roulant  à  toute  vapeur,  la  trompe  sou- 
levée, les  oreilles  couchées  à  plat,  ivre 
de  fureur.  S'il  commence  sa  charge 
d'assez  loin,  de  fa(,'on  à  donner  au  chas- 
seur le  temps  d'épauler,  il  y  a  es|>oir  de 
l'attoindi'c  d'une  halle  et  de  lui  faire 
rebrousser  chemin  :  mais,  si  l'homme  n  a 
|)as  le  temps  de  faire  face  à  l'animal  qui 
charge  et  de  viser,  il  est  perdu.  L'élé- 
phant s'empare  de  lui,  le  foule  aux 
pieds  et  l'écrase,  eu  commençant  sou- 
vent par  se  donner  le  plaisir  de  le  coller 
contre  un  arbi'c  et  de  le  labourer  de  ses 
défenses,    .\ussi,   dans   ces    londitinns, 


LES     ÉLÉPHANT; 


ost-ce   là    la   chasse   la  plus  dangereuse 
qui  existe  au  monde. 

Il  V  a  peu  d'hommes  qui  airrontont 
ainsi  le  danger.  Ordinairement,  on 
dresse  à  ces  pauvres  bétes  des  traque- 
nards. Ainsi  les  Indiens,  qui  sont  passés 
maîtres  dans  cet  art,  choisissent  un 
endroit  au  voisinage  d'un  cours  d'eau 
—  on  sait  que  les  éléphants  adorent  le 
bain  et  les  longues  ablutions  —  et  con- 
struisent, à  l'aide  de  pieux  de  5  à 
()  mètres,  un  immense  enclos.  Entre  ces 
pieux,  dislancés  de  façon  à  laisser 
passer  un  homme,  on  entrelace  des 
lianes  et  des  bambous.  Aux  angles  de 
l'extrémité  par  laquelle  doivent  arriver 
les  éléphants,  sont  ménagées  des  ouver- 
tures qu'au  moyen  de  poutres  on  peut 
fermer  instantanément.  De  ces  deux 
points  partent  en  guise  d'ailes  doux  clô- 
tures roctilignes  destinées  à  ramener 
aux  ouvertures  le  troupeau  qui  dévierait 
à  droite  ou  à  gauche.  Il  est  à  peine 
besoin  de  dire  que  toutes  ces  barri- 
cades ne  résisteraient  pas  à  un  coup  de 
trompe,  mais  les  indigènes  comptent 
moins  sur  la  solidité  de  la  clôture  que 
sur  la  timidité  de  ces  animaux.  Quand 
ce  piège  ou  corral  est  fini,  les  rabat- 
teurs, au  nombre  de  deux  mille  à 
cinq  mille,  se  mettent  à  l'œuvre.  Ils 
ont  souvent  à  former  un  cercle  de 
plusieurs  lieues;  leur  marche  doit  être 
prudente  afin  de  ne  pas  inquiéter  les 
éléphants  outre  mesure  et  de  ne  pas 
les  faire  fuir  dans  des  directions  oppo- 
sées. La  traque  peut  durer  deux  mois, 
truand  les  ailes  des  rabatteurs  tou- 
chent au  corral,  ils  n'attendent  plus 
que  le  signal.  Alors,  le  silence  de  la 
forêt  est  troublé  par  les  cris  des  sen- 
tinelles, les  roulements  des  tambours, 
les  détonations  des  armes  à  feu.  Le 
bruit  croissant  toujours,  les  éléphants 
cherchent  à  percer  la  ligne,  mais  ils 
sont  à  chaque  fois  repoussés  par  un 
vacarme  épouvantable.  Au  coucher  du 
soleil,  le  spectacle  redouble  d'intérêt. 
Les  feux,  qui  ne  font  que  fumer  pendant 
le  jour,  deviennent  plus  vifs  ;  ils  répan- 


dent une  lueur  rouge  dans  l'obscurité 
et  éclairent  les  divers  groupes  d'une 
lumière  fanlastique.  Des  feuilles  sèches 
font  jaillir  toute  une  ligne  de   llammes 


KLKniANT     D    A  Kl;]  y  CE     DE     0     A     i     AXS 

qui  s  élève  ci^uronnéc  d  une  fumée  tour- 
billonnante; le  corral  seul  reste  dans 
une  obscurité  profonde. 

Enfin,  les  éléphants  y  arrivent.  Le 
plus  vieux  d'entre  eux,  leur  guide, 
donne,  tête  baissée,  dans  l'enclos,  où 
tout  le  troupeau  le  suit.  A  l'instant,  le 
corral  s  éclaire  comme  par  enchante- 
ment. Les  chasseurs  entourent  la  clô- 
ture et  repoussent,  en  brandissant  leurs 
torches,  toute  tentative  des  éléphants 
pour  s'échapper. 

Le  lendemain,  on  fait  entrer  dans  le 
corral  des  éléphants  domestiques  montés 
par  leurs  cornacs.  Successivement,  ils 
entourent  et  isolent  chacun  de  leurs 
congénères  et  permettent  aux  preneurs 
d'éléphants,  hommes  adroits  et  expéri- 
mentés, de  glisser  entre  leurs  jambes  et 
d'attacher  leurs  lacets  aux  pieds  de 
l'éléphant  sauvage. 

L'éléphant  ainsi  pris,  grâce  à  la 
complicité  de  ses  frères  domestiques, 
est  attaché  entre  deux  arbres.  Au 
bout  de  quelques  jours  de  jeûne,  il  com- 
mence à  bien  manger,  mais  il  est  loin 
d'être  réduit  :   il  est   furieux  comme  au 


l.KS     KI.i;  PUANTS 


ilébul  de  sa  ca|>(iire.  il  manu-uvre  sa 
trompe  avec  rage  cl  essaye  datleinclre 
ceux  qui  le  soignent  :  mais  ses  gardiens, 
aUenlifs,  reçoivent  sur  la  pointe  de  leurs 
piques  les  coups  qu'il  leur  porte,  le 
lerritient  avec  du  l'eu  et  de  la  fumée. 
Cctlo  lc(.''>n,  en  lui  fournissant  la  me- 
sure de  la  puissance  de  l'homme,  est 
ordinairement  très  efficace.  Les  élé- 
phants domestiques  aident  à  parfaire 
son  éducation,  mais  le  captif  ne  peut 
guère  travailler  avant  cinq  ou  six  mois. 
Les  mâles  sont  plus  difficiles  à  dresser 
que  les  femelles. 

Dans  rindc,  comme  nous  venons  de 
le  voir,  on  chasse  les  éléphants  surtout 
pour  les  ])rendre  vivants  et  les  utiliser: 
(lu  reste,  leur  destruction  est  interdite. 


Ces  animaux  y  aident  la  population  à 
une  foule  de  tra\aux.  Ils  ne  figurent 
pas  seulement  en  grand  apparat  dans 
les  cérémonies  des  souverains,  mais  ils 
y  sont  employés  par  les  agriculteurs  au 
labourage,  par  les  commerçants  au 
transport  des  fardeaux.  (  )n  leur  fait 
porter  de  la  terre,  traîner  des  chariots, 
transporter  des  matériaux  lourds,  tels 
que  poutres,  pierres,  etc.,  procéder  au 
chargement  et  au  déchargement  des 
navires. 

Les  Anglais,  empruntant  1  éléplunil 
aux  indigènes,  l'ont  adopté  comme  bête 
de  somme  et  de  chasse;  ils  l'utilisèrent 
même  à  la  guerre,  non  plus,  comme  au 
vieux  temps,  pour  jeter  l'épouvante 
dan-   les   rangs  de   l'ennemi,  mais   [lour 


3]en;,o 


■M\NTS     lIltssftK     l).\X.S     I.R     CORIIAI. 


I.KS     KLKIMI  ANTS 


-.'^.Àr:'-'»-^ 


ÉLÉPHANT     SAl-VAl.  E     ENTHE     U  E  l"  X     ÉLÉPHANTS     DOMESTlyrE- 


Iransporler  les  cliels  de  l'armée,  le^ 
bagages,  les  tentes,  les  malades,  les 
blessés  et  '.Tiême  pour  traîner  les  canons. 
L'éléphant  est  un  des  rares  animaux 
quipuissents'acquitterd'unetâchequand 
le  maître  n'est  pas  là  pour  les  surveiller. 
Dans  une  excellente  monographie  sur 
l'cléphanf,  M.  le  professeur  Romanes, 
que  les  Anglais  (.onsidèrent  comme  un 
grand  naturaliste,  raconte  qu'aux  Indes 
les  Anglais  emploient  couramment  ce 
pachyderme  comme  l)onne  d'enfants.  Il 
est  chargé  de  conduire  au  jardin  public 
des  misses  et  des  gentlemen  de  cinq  ans. 
La  bonne  bêle  les  place  délicatement 
sur  son  dos  ;  elle  les  porte  hors  de  la 
ville,  dans  un  site  liien  choisi;  elle  les 
assoit  à  l'ombre  et  surveille  leurs  jeux. 
Sa  trompe  ne  permet  pas  aux  inconnus, 
aux  chiens  cl  aux  gens  suspects  de  s'ap- 
procher de  ses  petits  maîtres.  (Juand  le 
soir  tombe,  l'éléphant  enlève  délicate- 
ment  s:;s  jeunes   amis   dans   sa    trompe 


mollement  roulée;  il  les  installe  confor- 
tablement sur  la  selle:  il  rentre  au  logis 
par  le  chemin  le  plus  court. 

En  général,  ses  actions  sont  si  pleines 
de  raison,  qu'il  a  fourni  aux  Indiens  le 
symbole  des  connaissances  les  plus  éle- 
vées. Ganéça,  le  dieu  de  l'art  et  de  la 
science,  est  représenté  avec  une  tête 
d'éléphant.  Dans  ces  conditions,  les 
Anglais  n'ont  pas  eu  de  difficulté  à 
interdire  la  chasse  dans  leur  empire 
asiatique. 

Malheureusement,  il  n'en  est  pas  de 
même  dans  nos  colonies  africaines.  Là, 
l'homme  fait  à  ces  géants  une  guerre 
acharnée,  persévérante,  mortelle.  L'élé- 
phant d'Afrique  —  qui  se  distingue  de 
l'éléphant  d'Asie  par  son  front  unifor- 
mément bombé,  sans  dépression  au  mi- 
lieu, ses  oreilles  très  grandes,  et  par  ses 
sabots  qui  sont  au  nombre  de  trois  et 
non  de  quatre  à  ses  pattes  postérieures 
—  remontait,   à  l'époque  romaine,  jus- 


I.KS     KI.KI'IIANTS 


qu  iuix  rc'f^ions  boisées  du  Maroc,  de 
l'Algérie  et  de  la  Tunisie.  Aujourd'hui, 
il  est  extirpé  de  ces  contrées  et  n'arrive 
que  jusqu'au  Niger.  Dans  les  réfjions 
sau\ages  du  continent  noir,  la  chasse 
pratiquée  contre  ces  animaux  a  pour 
but  leur  destruction.  L'utilité  de  ces 
pachydermes  se  trouve  ainsi  limitée  à 
ri\oire.  L'exportation  de  cette  substance 
—  dont  jusqu'en  1883  l'K^'ypte  avait 
gardé  le  monopole  —  suit  une  ])rogres- 
sion  constante.  L'Etat  indépemlant  du 
(]ougo  en  exporte  aujourd'hui  plus  de 
,'iOOO()()  kilogrammes,  soit  le  double  de 
ce  (|u'elle  exportait  il  y  a  dix  ans. 

Dans  les  bassins  de  la  Sangha,  de 
l'Oubanghi,  du  Congo  et  dans  les  régions 
des  lacs  où  l'éléphant  abonde,  la  chasse 
à  ri\oire  rend  vnins  les  efTorls  de  la 
domeslication  du  pachyderme  qui  le 
produit.  Cependant,  dans  les  contrées 
que  nous  venons  de  nommer,  le  con- 
cours de  l'animal  parait  être  très  pré- 
cieux. L'absence  complète  de  voies  de 
communication  rend  en  elFet  l'accès  de 
ces  contrées  fort  difficile.  Les  transports, 
par  exemple,  de  la  côte  à  Brazzaville  ne 
peuvent   se   l'aire  aujourd'hui   qu'à  dos 


d'homme.  C'est  une  dislance  d'environ 
fUK)  kilomètres  qu'un  nègre,  ])0uvanl  à 
peine  porter  "2.")  kilogrammes,  met  plu- 
sieurs semaines  à  franchir.  Le  transport 
d'une  tonne  dans  ces  conditions  revient 
au  chilVre  énorme  de  2  00(»  francs  et 
exige  quarante  porteurs.  Or  deux  élé- 
phants porteraient  facilement  ce  fardeau 
en  vingt  jours  et  on  n  aurait  à  faire 
pour  eux  que  des  dépenses  minimes. 
Cela  n'empêcherait  point  l'exportation 
de  l'ivoire,  car  on  pourrait  très  bien, 
comme  on  fait  aux  Indes,  priver  à  un 
niomenl  donné  l'animal  de  ses  défenses. 
Si,  en  .M'rique,  on  laisse  la  chasse 
s'exercer  dans  l'avenir  avec  le  même 
acharnement  que  dans  ces  trente  der- 
nières années,  on  peut  prévoir  dès 
maintenant  la  date  de  la  disparition  de 
l'espèce.  Il  est  donc  utile,  il  est  urgent 
de  plaider  la  cause  et  de  refréner  ces 
massacres.  L'éléphant  domestique  peut 
rendre  d'immenses  services  à  nos  colo- 
nies africaines,  où  rétablissement  de 
routes  carrossables  ou  ferrées  n  est  pas 
près  de  s'accompiii-. 

•  ,1  .      Di;      Lc.\   I   U  !■(.. 


ÉI,ftPHANT      [lilNXE      Ji'EXr.VNT.- 


Louis  Glasser.  éditeur,  à  Leipzig.  Taille^douce  et  lithographie 

VUES    DIVERSES    DE    MATEXCE    nÉlNIES    SCR    LA    MÊME    CARTE    SIESmANT    23    X    31     CESTIMÈTRE 


LES 


CARTES  POSTALES  ILLUSTRÉES 


Il  y  a  vingt  ans  et  plus  que  les  col- 
lections de  chromos,  après  avoir  fait 
fureur,  ont  été  abandonnées.  Les  pre- 
mières de  ces  images  étaient  imprévues, 
gracieuses,  et  méritaient  le  succès  ;  le 
cachet  artistique  fut  assez  vite  remplacé 
par  une  surabondance  de  production  où 
la  préoccupation  commerciale  apparais- 
sait seule  :  on  offrait  ces  images  non 
plus  isolément,  mais  par  feuilles  en- 
tières; les  grands  magasins  en  distri- 
buèrent ;  le  public,  sollicité  sans  me- 
sure,  se   déroba    subitement. 

En  sera-t-il  de  même  des  cartes  pos- 
tales illustrées  dont  la  mode  se  répand 
aujourdhui?  A  bien  prendre,  ce  sont 
des  images  comme  les  chromos  d'autre- 


fois, et  presque  du  même  format.  Mais 
il  y  a  des  différences  morales  très  grandes 
entre  ces  deux  expressions  à  peu  près 
semblables  des  arts  graphiques,  et  l'on 
peut  prédire  aux  cartes  une  destinée 
plus  durable  qu'aux  chromos. 

Pendant  l'été  de  1875,  trois  familles 
allemandes  voyageaient  sur  les  bords 
du  Rhin  ;  on  fraternisa  et  on  convint 
de  se  donner  plus  tard  de  ses  nouvelles. 
Seul  le  libraire  Schwartz,  d'Olden- 
bourg, un  des  voyageurs,  tint  parole  ; 
mais  il  ne  reçut  pas  de  réponse.  Piqué 
au  jeu,  il  revint  à  la  charge  en  écrivant, 
celte  fois,  une  simple  devise  illustrée 
d'une  petite  gravure.  L'idée  fut  admirée 
et  ses  oublieux  amis  s'empressèrent  de 


I.KS    l'.AIiTKS    l'OSTALKS    I  1. 1.  i:STIt  lïES 


le  l'cliciler.  La  carte  postale  était  l'on- 
dée. Voici  comment  les  Allemands,  sou- 
cieuv  de  fixer  les  dates  en  leur  ('MVfiir, 
racontent  son  orip^ine. 

I/Bs  caries  postales  ont  donc  pris  nais- 
sance en  AUemafirne  ;  tout  au  moins  y 
circulaient-elles  en  extrême  abondance 
alors  qu'elles  étaient  rares  clic/  nous. 
Aujourd  liui  encore,  malgré  leur  déve- 
loppement, nous  cil  faisons  un  bien 
l'aiblo    usage. 

Dans  presque  tous  les  pays  étrangers, 
les  caries  postales  sont  en  faveur.  L"An- 
fjlctcrre  et  les  l'>tals-rnis  ne  sont  pas 
encore  bien  entrés  dans  le  mouvement,  ce 
r(Ui  s'explique  par  rusaf;e  des  Clirislniiis 


citrJ.i.   qui    ne    s'emploient  qu'au  moment 
de  Noël. 

Toutes  les  administrations  postales 
accordent  au  transport  de  ces  cartes,  tant 
pour  le  prix  que  pour  les  dimensions 
acceptées,  des  facilités  que  les  postes  fran- 
çaises, jalouses  du  maintenir  leur  situation 
de  routine,  leur  refusent. 

Avec  l'adresse    sur   le    côté   uJ    hoc    et 
quelques  mots  au   bas  de  l'image,- l'affran- 
chissemenl  coûte,  comme  on  sait,  10  cen- 
limes.   Cela  s'admet  :  c'est  une  correspon- 
dance, et  elle  est  encore  ainsi 
tarifée,  bien  que  ne  coijtant 
que    l'inq     centimes    partout 
ailleurs.  Si  I  on  met  toujours 
1  adresse  sur  le  coté  voulu  et 
rien  sur  l'autre,    c'est   encore 
H)  centimes.  Pourquoi,  puis- 
que ce  n'est  plus  une  corres- 
pondance ■?     Mais      n'écrivez 
rien,   ni  adresse   ni    mol,    et 
mettez  la  carte  sous  une  bande 
n'occupant  que  le  tiers  de  la 
surface      (le      tiers,      grands 
dieux  !  à  un  millimètre  près) 
cl  écrivez  l'adresse  sur  cette 
bande,   le   tout   voyagera  au 
tarif   des    imprimés,    c'est-à- 
dire    à    1    centime    d'afTran- 
chissement,  5  grammes    n'é- 
tant  pas  dépassés.  Il  est  vrai 
(pi'il    faut  dire    voyagera    et 
non    pas   parricndr»,  quand 
il    s'agit    d'un    imprimé    à     1    centime. 
Puisque   nous   parlons  de  l'Adminis- 
tration des  postes,  on  nous  pardonnera 
une  digression.  Voici  pour  181t8  le  mou- 
vement postal  de  l'Allemagne: 

Recettes  .   .   .      i8G7.3.'{  UOl  franc-. 
Dépenses.    .   .      lf)'.)50--> -iiH       — 

nénéficcs.    .    .        17  231  OÔS  francs. 


\'oiri  Icniduvemcnl  postal  delà  P'rance 
qui  vient  d'ailleurs  en  quatrième  ligne, 
après   les   Étals-Unis   et   l'Angleterre  : 

Recettes.   .   .     •221  ««2  ()7ti  francs. 

Dépenses.   .   .      l7iOf)3H72       — 

Rénéficcs.    .    .        ^(ISISiOJ   francs. 


I.KS    CARTES     IMiSTALKS    ILLUSTREES 


Bien  que 
les  centimes 
soient  négligés,  chose 
grave  en  matière  admi- 
nistrative, ces  tableaux  sont  exacts,  car 
ils  sont  publiés  par  le  Bureau  inter- 
national de  Berne.  Mais,  pour  en  avoir 
connaissance,  il  faut  user  de  ruse.  La 
Direction  de  Berne,  qui  est  libérale, 
donnerait  volontiers  communication  de 
ses  rapports,  mais  l'administration  fran- 
çaise s'y  oppose.  Il  ne  faut  pas  Irop 
renseigner  le  public. 


Même  en  tenant  compte  de  la  dilfé- 
rence  de  population,  on  voit  que  le  mou- 
vement postal,  symptôme  fidèle  de  l'ac- 
tivité commerciale,  est  de  moitié  moindre 
en  France  qu'en  Allemagne,  et  c'est  une 
triste  constatation.  Mais  on  remarque 
aussi  que  les  bénéfices  de  l'Administra- 
tion sont  trois  fois  plus  élevés  en  France 
qu'en  Allemagne,  et  même  six  fois  en 
tenant  compte  de  la  différence  du  mou- 
vement. C'est  que  notre  Administration, 
que  l'Europe  ne  nous  envie  plus,  ne 
pense  qu'à  une  chose  :  gagner  de  l'ar- 
gent par  ses  tarifs  en  alourdissant  les 
transactions  et  en  entravant  le  déve- 
loppement des  affaires.  On  conçoit  qu'elle 
n'en  soit  pas  liera  et  qu'elle  redoute 
les  comparaisons.  Dans  cet  énorme 
cartes 


Velteii,  éditeur,  à  Karlsrahc. 


Chromolithograplii 


LES    CARTES    l'OSTALES    ILI.USTHKES 


illustrées  jouent  un 
rôle  considérable. 

L'âme  allemaude 
a  trouvé  dans  Icn- 
voi  des  caries  pos- 
tales la  symbolisa- 
lion  de  toutes  ses 
tendances,  et  elle  a 
une  si  grande  con- 
liance  dans  l'image 
seule  qu'il  ne  reste 
|)r("sque  ])as  do  vide 
pour  y  ajouter  quel- 
ques mots.  Plus  positifs,  nous  dési 
plus  de  place  à  nos  épanchements. 

Les  événements  du  jour  donnent 


'diteiir.  à  Karslruhe, 


Chromulithogruphii: 


à  la  création  de  cartes  qui  les  rappellent. 

Elles  forment  comme  un  Hiemen/o  illustré. 

Quand    le   kaiser    lit    son  vovage    de 


Viillinger,  éditeur,  à  Zurich.         Ohromolitliogruplilo. 


L  K  s     A  1.  !■  K  s     C  c  I  M  1  V  U  E  8 


LES    CARTES    POSTALES    1 1.I.LSTUEES 


Meissner  et  Bucb,  éJiteurs,  à  Leipzig. 


Palestine,  de  nombreuses  cartes  le  re- 
présentèrent — ■  d'avance,  car  tout  était 
réglé  —  dans  ses  majestueuses  atti- 
tudes. Des  représentants  des  éditeurs 
partirent  pour  Jérusalem  avec  d'innom- 
brables cartes  portant  l'adresse  des  sou- 
scripteurs. Le  jour  de  l'entrée  du  souve- 
rain dans  la  cité  sainte,  elles  furent 
expédiées  par  la  poste,  et  ces  nouveaux 
pigeons  voyageurs  apportèrent  partout 
la  bonne  nouvelle.  Encore  qu'il  soit 
sincèrement  disposé  à  encourager  de  sa 


personne  tout  ce  qui  plaît  à  ses  peuples 
et  tout  ce  qui  peut  faire  marcher  leurs 
affaires,  l'empereijr  n'a  pas  pu  signer 
ces  cartes.   Mais  il  faut  avouer  qu'elles 


ileissner  et  Buîb,  éditeiirs,  à  Lsipzi?. 
Seeger,  éditeur,  à  Stuttgart.  CARTES    MILITAIRES,    IMPRIMÉES  EX    COCLEURS 


LES    CAUTES    POSTA  l.KS     I  I.I.USTHKKS 


^r^    0 


Eil.  de  Konig,  éditeur,  à  Heidelberg. 
SCÈNES     DE     I,  A    VIB     DES     ÉTUDIANTS 

ne  sont  pas  banales  pour 
avoir  élé  reçues  de  cette  façon. 
Les  souscripteurs  qui  les  ont 
payées  1  mark  ont  fait  une 
bonne  alTaire  et  les  éditeurs  une 
opération  merveilleuse.  I']n 
Franco, la  l'aillite  serait  aubout 
d'une  telle  entreprise  ! 

Comme  on  le  verra  par  les 
représentations  de  cartes  qui 
illustrent  cet  article,  choisies 
parmi  les  cartes  allemandes, 
les  sujets  varient  à  l'infini. 

Ce  sont  d'abord  les  sites  et 
les  monuments  de  ce  pays  si 
pittoresque  où  les  vestifjes  du 
passé,  partout  religieusement 
conservés,  se  dressent  au  mi- 
lieu d'une  nature  variée. 

Les  costumes  militaires 
et  les  manœuvres  des 
troupes  entretiennent  un 
amour  de  l'armée  qui 
n'est  pas  prêt    à  s'étein-  » 

(Ire;  mais  les  coutumes 
des  étudiants  et  les 
mœurs     de     la     ville        Kdg.  schmiJt,  ù.iiteu 


Odrt«s  colorii^cs. 


,  À  Drosdo. 

.SCftNRS     MONDAINES 


LES    CAUTES    PdSTAI.KS     1 1. 1.f  ST  H  KKS 


ly|)es  féminins  et.  enliii,d"iiinombral>lcs 
scènes  de  fantaisie  et  il'arl  nlFrenl  au 
goût  de  chacun  l'occasion  de  se  mani- 
fester. La  fabrication  des  caries  pos- 
tales allemandes  réunit,  dans  sa  va- 
riété, tous  les  procédés  graphiques 
actuellement  connus. 

-Nos  voisins  sont  passés  maîtres  dans 
la  photographie  et  ses  applications,  f|ni 


:A^<?\ 


Otto  Elsncr,  éditeur,  à  Berlin. 

TRIST.^N     KT    T.SEIILT     (3'    acte) 

inspirent  aussi  de  noinbreuses  scènes. 
Les  représentations  théâtrales  sont 
figurées  par  des  cartes  qui  célèbrent 
les  succès  du  jour.  Les  héros  de  la 
légende  antique  et  ceux  du  drame 
wagnérien  sont  présentés  dans  toutes 
leurs  attitudes.  Les  chansons  patrioti- 
ques et  les  airs  célèbres  sont  égale- 
ment notés.  Les  maîtres  de  la  musique 
ont    aussi    leurs    portraits  multipliés. 

Les  tableaux  et  les  objets  d'art  sont 
aussi    vulgarisés.    De    même    de   beaux 


Panl  Albert,  éditeur,  à  Eer'.in. 
L  o  H  K  N  G  n  I  : 


CTr.  ixo    DE    BERGE i!Ac   (dernier  actc) 

portent  tles  noms  barbarement  scienti- 
fiques, tels  que  phototypie.  photolitho- 
graphie, photocollographie,  etc.  Mais 
ces  procédés  donnent  des  épreuves  mo- 
nochromes, alors  que  les  cartes  postales, 
allemandes  sont  généralement  en  cou- 
leurs. La  chromolithographie,  de  pré- 
férence à  l'impression  typographique, 
est  employée  à  leur  fabrication,  et  ce 
n  est  pas  une  petite  alFaire  que  d'établir 
une  belle  carte.  C'est  d'abord  une  aqua- 
relle exécutéede  main  de  maître,  sachant 
embellir  la  nature  sans  la  défigurer; 
puis  une  mise  en  couleurs  demandant 
jusqu'à  douze  tons  et  plus;  autart  de 
pierres,  autant  de  tirages.  Des  sommes 
importantes  sont  facilement  dépensées 
avant  d'avoir  commencé  la  fabrication 
proprement  dite.  Il  faut  donc,  en  ne 
répartissant  que  quelques  centimes  par 
carte  pour  ce  premier  amortissement,  en 
avoir  vendu  de  grandes  quantités  avant 
de  rentrer  dans  les  frais  d'établissement, 
le  surplus  du  prix  de  vente  étant  néces- 
saire pour  couvrir  les  frais   de   fabrica- 


LKS    CAliTICS    l'nSTALKS    1 1. 1.UST  1!  KES 


"^RCKpi^ÇHERlIS. 


.1.  Weiiilnrî,'.!,  éditeur,  u   \  unue. 

lion  eux-mêmes.  On  se  rend  compte 
aussi  du  débit  nécessaire.  (îes  cartes  se 
vendent  de  15  à  W  centimes. 

En  France  où  les  modes,  si  elles  sont 
parfois  lentes  à  venir,  sont  au  moins 
f^énéraloincnl    raisonnécs,    la  carte   pos- 


lalc  illustrée  cherche  encore  sa  voie. 
Ou  commence  à  en  voir  beaucoup;  on 
ii'iMi   trouve   pas  un  grand   nomlire  de 

■niarquablcs.      (-omme     pour 
I  lenncs   chromos,  le    nombre   écraserait 
l;i  qualité  et  amènerait  vile  la  satiété. 

Faire  un  clioix  constitue  déjà  un  actede 
goût,  et  ce  choix  va  devenir, parle  nom- 
bre, de  plus  en  plus  difficile.  Une  collec- 
tion choisie  peut  être  symptomatique  et, 
avant  dunir  définitivemciil  leurs  carac- 
tères, les  fiancés  demanderont  bientôt  à 
scruter  récipro(|uement  leurs  collections. 


I.Itli-n'tMt  AunUlt,  édlt.,  A  Munich. 


I)  F.  F,  T  11  (1  V  F.  N     ET    SA     M  A  I  S  0  N 


ChromolitlioKraphio. 


LKS    C.AHTES     l^OSTAI.KS     I  M-U  S  l' li  KKS 


Au  sorlir  d'une  rcprésenlalion  lhô:Uralc,  lini- 
nrcssinn  ressentie  sera  rappelée  par  un  portrait 
de  l'auteur,  d'un  acteur,  voire  de  la  façade  du 
théâtre.  .\|)rès  une  lecture  de  Lamartine,  une  vue 
de  Saint-Point  ou  du  lac  du  Bourf^et...  Après 
une  visite  de  musée,  le  choix  de  quelques  toiles... 
Les  émotions  peuvent  être 
évoquées  à  l'infini  et 
communiquées  par  un  ^'rii- 
cieu\  envoi. 

Par   les  cartes   postales 
les  fleurs  auront  leur  lan- 


TYPES    DE    BEACT 


On  comprend  qu'une  col- 
lection de  cartes  reçues  par 
la  poste,  mais  avec  un  mot 
d'envoi,  prend  tout  de  suite  a.  Ackermanu 
une  meilleure  tournure. .  Les 
murailles  de  Carcassonne  ge  .profileront 
toujours  majestueuses,  mais, qu'un  ami 
les  ait  vues  et  vous  les  ait  envoyées  par 
souvenir,  avec  un. mot  .d'émotion,  leur 
silhouette"  évoquera  d'autres  pensées. 
Plus  modestement,  un  petit  coin  de 
France  fera  battre  le  cœur. 


Impressions  pliototjpiques. 


't 


g;ag:e,  la 
nature 
par lera 
toutes  ses 
voix  et 
même  — 

sinistre  perspecti\e  I  —  les  opinions  po- 
litiques   pourront     s'affirmer. 

11    faut    cependant    se    garder   de   ce 
préju^ié  qu'une  carte  n'a  de  \'aleur  qu'à 


Th.  Stoefer,  éditeur,  à  Nuremberg, 


I.KS    CAHTKS     POSTAI.KS     1 1.  M' ST  li  KES 


lii  coiulilion  (l'avoir  circulé.  Envoyée 
par  un  ami,  cela  se  conçoit;  mais 
adressée  par  une  adminislrntion,  quel 
est  l'intérêt? 

C'est  sur  cette  convention  que  se 
basent  des  entreprises  spéciales.  Dans 
ces  condition.s,  la  carie  postale  revient 
à  l!.5  centimes  environ,  qui  se  décom- 
posenl  ain«i  :  10  centimes  pour  la  valeur 
moyenne  de  la  carie,  10  centimes  pour 
sou  aH'ranchissemeiit  et  le  reste  pour 
l'entrepreneur  qui  les  expédie  en  bloc  à 
ses  correspondants,  avec  mission  pour 
ceux-ci  de  les  réexpédier  aux  deslina- 
laires.  Une  vue  de  Heyroulh  porte  donc  le 
timbre  de  la  poste  de  Beyrouth.  Saul'des 
las  exeejjlionuels,  le  plus  clair  de  l'opé- 
ralion  est  d(>  tripler  le  prix  de  revient. 
Mieux    vaut   consai'rer   ce  prix  ù   la 


fabrication  soignée.  Toute 
vul;,Mrisation  ne  se  maintient 
que  par  sa  perfection  rela- 
tive, et  l'art  seul,  comme  le 
style,  rend  les  n-uvres  du- 
rables. 

11  serait  au.ssi  d'un  gracieux 
usage  que  chacun  [)ût  avoir 
ses  cartes  postales  propres  : 
on  y  mettrait  un  emblème, 
une  vue  de  sa  maison,  un 
objet  qui  vous  est  cher,  ilo 
souvenirs  photographiqucv 
d'excursions  et  ces  manifes- 
tations familières,  d'un  Cii- 
ractère  personnel,  formeraient 
de  charmantes  collections. 
On  y  retrouverait  ses  amis 
mieux  que  sur  le  bristol 
banal  des  cartes  de  visite. 

On  y  arrivera,  car  tout  ce 
qui  est  juste  arrive  avec  le 
temps.  C'est  pourquoi  les 
cartes  postales  illustrées  ont 
devant  elles  un  long  avenir. 

A.    (ÎAMEn. 


LK     MOUVEMENT    LITTKHAIUE 


Il  y  :i  lui  charme  |iarliculier  aux  (inivies 
clo  Georges  Rodenbach,  et  c'est  une  heu- 
reuse l'orlune  de  lire  le  nouveau  livre 
posthume  qui  vient  de  paraître  à  la  librairie 
Oi.i.rMioiin-,  If  rtoiirl  lies  /?rHmra.  Tilre 
évocateur,  qui  annonce  bien  indircclement 
l'ouvrage,  car  dans  co  recueil  de  contes  cl 
(le  chioiiiqucs,  s'il  y  a  un  peu  de  brunies, 
il  n'y  M  pas  du  tout  de  rouet. 

Tout  n'est  pas  d'égale  valeur  dans  ce 
sflerl.v,  qui  présente  trop  de  variété  de 
Ions  et  de  sujets  pour  que  le  même  homme 
[luissc  étfalcment  y  réussir.  La  note  scep- 
liquc  et  boulevardière,  grivoise  et  leste, 
sonne  un  peu  faux  ici,  dans  des  histoires 
scabreuses  comme  l'Amour  et  la  Morl  ou 
/<•  Chusrirur  îles  Villes.  Le  merveilleux  sied 
mieux  au  talent  de  l'auteur,  qui  rend  avec 
une  âpre  mélancolie  les  terreurs  et  les 
mirages  des  visions,  des  féeries  et  des 
folies.  Dans  ce  genre,  l'Aiiii  des  inii'oirs, 
(Cortège,  Sut/rjeslion,  Orrjueil,  et  l'histoire 
d'Ursule,  une  folle  qui  devient  mère,  ont 
cette  douloureuse  et  attendrissante  pitié 
qui  est  le  meilleur  fonds  du  talent  de  Ro- 
denbach. 

.\  vrai  dire,  je  donnerais  tout  le  volume 
entier  pour  les  dix  pages  du  commence- 
ment. Cela  s'appelle  Déménagement.  C'est 
du  bon,  de  l'excellent,  du  meilleur  Ro- 
denbach de  derrière  les  brumes.  L'auteur 
va  déménager;  il  y  a  dix  ans  qu'il  habite 
1  appartement  qu'il  quitte,  et  il  dit  ses 
tristesses  d  âme  qui  s'attache  aux  choses. 
Cela  est  délicieux  de  finesse,  d'analyse,  de 
style  ;  c'est  du  Xavier  de  Maistre  qui  au- 
rait quitté  le  Midi  pour  le  Nord  et  qui 
aurait  apitoyé  son  sourire. 

Malade,  il  range,  trie,  classe  ses  papiers 
pour  le  départ  : 

Ah  !  les  lettres  qu'on  relit!  Tout  le  passé_ 
qui  se  lève,  réapparaît  incolore  et  comme  en 
pleurs.  Le  papier  jauni  a  la  couleur  du  vieux 
linge.  Et  l'encre  pâlie  semble  d'elle-même 
vouloir  retourner  au  néant.  Ah  I  les  vieilles 
lettres  !  Layette  d'un  enfant  mort  I  Trousseau 
«le  mariage  retrouvé  durant  le  veuvage  et 
qui  dort  dans  ses  plis  ! 


Je  lelisaiH...  Condjien  de  cho.scs  pour  Icv 
quelles  on  se  passionna,  s'exalta,  s'irrita, 
déjà  si  vaines  et  si  lointaines,  dans  un  tel 
recul  qu'elles  .sont  comme  si  elles  n'avaient 
pas  été.  Et  les  lettres  d'amour  plus  vaincs 
encore...  Les  lettres  encore,  sans  cesse.  El 
toujours  ce  besoin  de  les  relire  qui  devient 
une  petite  lièvre  pressée  dont  les  joues  se 
fardent...  On  semble  vouloir  rebâtir  son 
passé  avec  toutes  ces  lettres...  (;h;Mcau  de 
papier! 

Je  retrouvai  dans  lui  des  tiroirs  à  mettre 
en  ordre  tous  mes  souvenirs  de  famille,  toute 
mon  enfance.  Les  portraits  surtout,  les 
miens  d'abord  :  celui  fait  à  sept  ans,  celui 
fait  à  quinze,  mes  autres  visages  —  visages  de 
premier  communiant  —  c'est-à-dire  aussi  mes 
autres  âmes. 

Puis  d'autres  portraits,  ceu\  de  ma  mère, 
de  mon  père.  Ah  !  comme  ils  me  replongèrent 
dans  la  douleur  de  leur  mort.  Je  les  revis, 
vivants,  heureux,  là-bas.  dans  la  grande  de- 
meure en  province,  et  moi,  enfant,  auprès 
d'eux.  C'était  fini,  tout  cela,  abouti  à  un  cime- 
tière de  banlieue,  avec  leur  nom,  mim  nom. 
siu'  la  pierre  d'un  caveau. 

Dans  la  maison  en  face,  il  y  a  un  enter- 
rement de  jeune  fille.  Il  assiste  au  départ 
du  cortège. 

Dr.  quelques  minutes  après,  la  voiture 
verte  des  pompes  funèbres  arriva;  et  en  un 
clin  d'ieil,  pour  ainsi  dire,  les  employés  eurent 
enlevé  de  la  façade  la  portière  écussonnée. 
relevée  par  des  embrasses,  défait  et  replié 
les  draperies  ;  repris  les  candélabres,  les  tré- 
teaux, tous  les  accessoires  de  cette  mobile 
chapelle  ardente.  Presque  instantanément,  il 
n'y  eut  plus  rien,  plus  aucune  trace  de  nioil 
et  de  convoi.  La  maison  ne  se  désignait 
plus,  était  déjà  pareille  aux  autres.  Les  em- 
ployés avaient  opéré,  prestes,  insouciants, 
comme  des  déménageurs.  Oui!  la  morl,  un 
déménagement... 

El  le  déménagement,  une  petite  mort,  .le 
le  sentis  bien,  le  lendemain.  J'avais  mal 
dormi,  la  nuit.  A  l'aube,  je  sommeillais  d'un 
de  ces  demi-sommeils  agités  de  rêves  qu'on 
ne  peut  démêler  des  réalités,  frontière  indé- 
cise des  sensations,  clair-obscur  de  la  con- 
science. J'entendais  des  pas  ;  je  croyais  les 
voitures  de  déménagement  déjà  arrivées  dans 
la  rue,  et  les  employés  aussi.  Mais,  en  res- 
souvenir du  convoi  de  la  veille,  il  me  sem- 
blait y  voir  encore,  également,  le  corbillard 
et  les  hommes  des  pompes  funèbres...  <in 
allait  se  tromper. 


IA-:  Mi)L  vi:mi:n  T   i.i  iikha  lui: 


Kn  peml.inl,  il  mit  le  départ  de  son  dù- 
ménagemenl  : 

Je  me  rappelai  ceux  des  Pompes  funèlircs 
i|ui,  vis-à-vis,  avec  la  même  rapidité  invrai- 
semblable, avaient  vite  enfourne  dans  leur 
voiture  tout  l'appareil  de  la  mort.  En  ce 
moment,  on  enfournait  ma  vie.  Était-ce  cela, 
ma  vie  ?  Elle  tient  donc  si  peu  de  place  ! 
Ktaient-ce  là  mes  meubles? Ah!  qu'ils  parais- 
sent laids  avec  des  housses,  des  draps,  de  la 
[loussièrc.  ainsi  entasses  et  dans  la  lumière 
crue  du  jour!  Oui  !  c'était  bien  comme  un 
enterrement,  l'enterrement  d'une  part  de  ma 
vie 

Mon  appartement  était  vide.  Je  ne  le 
reconnus  guère...  Plus  rien  de  moi  n'y  était. 
Tout  de  suite,  il  fut  lui-même.  En  bas,  le 
vestibule  de  la  maison,  également,  fut  débar- 
rassé avec  promptitude. 

Il  ne  fiarda  pas  plus  longtemps  trace  de  ma 
vie  que  l'autre  n'avait  gardé  trace  de  la 
mort. 

Et  quand  la  vdilure  de  déménagement 
s'achemina,  tourna  le  coin  de  la  rue.  eut  dis- 
paru, ce  fut  comme  si  un  corbillard  empor- 
tait la  période  vécue  là,  cette  période  de 
dix  années  (l'âge  de  la  première  communiante 
d'en  faecl  qui  était  morte  aussi. 

Ce  sont  les  meilleures  pages  du  livre; 
elles  ont  une  pénétration,  une  sincérité 
vécue,  une  tristesse  naturelle  qui  va  au 
cœur  parce  qu'elle  en  vient. 

Dans  le  reste  du  livre,  Paris  tient  à  peu 
près  toute  la  place,  et  c'est  tant  pis.  Roden- 
bach  était  merveilleusement  septentrional. 
Son  milieu,  c'était  Bruges.  Les  tableaux 
jjarisiens  étaient  moins  faits  pour  lui.  Il  y 
était  moins  habile.  Il  ■  cmbrugeoisait  » 
l'aris. 

Ses  scènes  de  Paris  se  couvrent  d'une 
biume,  —  la  brume  humide  des  canaux 
des  Flandres,  ([u'il  retrouve  ou  croit  re- 
Irciuvei-  ;ui  quai  de  Jemmapes,  au-dessus 
du  canal  Saint-.Marlin.  Flamand  déraciné, 
il  se  meut  plus  à  l'aise  au  milieu  des  siens 
et  sous  son  ciel.  A  Paris,  il  ne  se  retrouve 
(|ue  par-  les  jours  pluvieux,  en  hiver,  aux 
heures  de  tristesse.  Comme  pour  certains 
photographes,  les  temps  couverts  lui  sont 
meilleurs. 

Le  soleil  et  la  gaieté  l'elVarouchent  ; 
l'edelweiss  des  neiges  ne  pousse  pas  sur 
la  Côte  d'Azur,  et  le  MouIin-Rougc  de 
Montmartre  ne    ressemble   pas  aux    lents 


moulins  verts  qui  hérissent  les  plaines 
herbues  et  luxuriantes  du  pays  de  Waes. 
Rodenbach  a  été  un  grand  attristé,  et  ce 
livre  posthume  est  empreint  d'une  mélan- 
colie plus  poignante  encore  par  les  appro- 
ches et  la  prévision  de  la  mort,  qui  le 
hantait  avec  une  douce  terreur  derrière  la 
voiture  du  déménageur. 


Dans  un  style  agréable,  clair,  facile, 
M.  Ernest  Daudet  nous  raconte  un  nou- 
veau roman,  YHéritage  des  Kertouan,  paru 
chez  Pi.oN-NoiitniT.  C'est  un  cas  de  con- 
science intéressant  et  délicat. 

In  archiviste  paléographe  du  départe- 
ment du  Finistère,  M.  Malgorn,  reçoit  un 
jour  la  visite  d'un  châtelain  voisin,  le  mar- 
quis de  Kerlouan,  qui  lui  dit  :  «  Venez 
donc  classer  mes  archives.  >■  Le  voilà 
parti  au  château  avec  sa  Clle  Fernando 
Malgorn.  Le  marquis  se  prend  d'alTection 
pour  son  classeur  et  pour  la  jeune  fille,  à 
qui  il  fait  de  beaux  cadeaux  qu'il  rapporte 
d'une  chambre  mystérieuse  toujours  close 
et  impénétrable. 

En  classant  les  liasses,  l'archiviste  lit 
une  histoire  tragique  de  naufrages  et  de 
naufrageurs.  Un  vaisseau ,  ÏArtémise,  a 
autrefois  sombré  en  vue  de  la  côte.  Les 
trésors  qu'il  renfermait  et  qu'on  a  sauvés 
des  épaves  avaient  été  déposés  dans  une 
cabane  qu'on  Dt  garder  par  deux  hommes. 
Ceux-ci  furent  trouvés  le  matin  b.Tillonnés 
et  occis.  L  assassin  fut  arrêté,  convaincu 
d'avoir  aidé  à  la  perte  du  navire  et  con- 
damné à  mort.  Le  marquis  de  Kerlouan  fut 
mêlé  comme  témoin  à  ce  procès,  dont  le 
cas  tragique  est  émouvani  autant  que 
mystérieux. 

Bientôt  le  marquis  meurt.  Il  fait  de 
Malgorn  son  légataire  universel. 

(k'Iui-ci,  soudain  devenu  très  riche, 
visite  son  château  et  entre  dans  la  chambre 
close,  où  un  portrait  de  femme  inconnue 
est  accroché  au  mur.  Il  n'y  découvre  rien 
d'autre  et  il  ne  songe  plus  qu'à  user  de  sa 
fortune.  11  va  dans  le  Midi  avec  sa  fdie. 

■\  Pau ,  ils  font  connaissance  de  quel- 
ipies   f.imilles  :    l'une  où    l''ernalide   se  lie 


LE  Mur\):Mi:\T   i.ii  ri;iiAiui-; 


avec  la  demoiselle  de  compagnie,  miss 
Dawson,  toute  charmante,  et  une  autre, 
où  la  comtesse  de  Floret  couche  en  joue  la 
riche  héritière  pour  son  fds. 

En  se  quittant,  comme  il  arrive  aux 
eaux,  on  se  promet  de  se  revoir  et  de  se 
retrouver  à  Kerlouan. 

En  paperassant  chez  lui,  Malp;orn  dé- 
couvre quelques  détails  sur  cette  alîaire 
de  l'Arli-misp,  qui  l'attire  par  son  mystère 
même.  11  trouve  que  ce  vaisseau  conte- 
nait une  fortune  renfermée  dans  de  petits 
tonneaux.  Il  trouve  aussi  qu'à  un  moment 
donné  le  marquis  avait  eu  beaucoup  d'ar- 
gent entre  les  mains;  il  avait  acheté  dos 
terres  d'émigrés  sans  que  la  provenance 
des  fonds  fût  bien  limpide. 

Intrigué,  il  scrute  la  chambre  close.  11 
décroche  le  tableau  de  femme.  Derrière, 
un  nom  a  été  effacé,  mais  on  lit  encore 
Cadix.  Le  portrait  masquait  une  cachette. 
Malgorn  y  découvre  des  papiers  :  c'est  l'in- 
ventaire des  trésors  que  contenait  le  ba- 
teau. Il  découvre  aussi  une  trappe  secrète, 
dont  il  presse  le  ressort.  Le  voil.i  dans  un 
souterrain,  entouré  de  tous  les  barillets  de 
l'A;-/é;)i (.<(".  Ainsi  cette  fortune  dont  il  jouit 
a  été  mal  acquise. 

11  n'en  veut  pas. 

Il  ne  gardera  que  l'équivalent  de  la  for- 
tune des   Kerlouan   avant   cette    aubaine. 

Voilà  le  cas.  C'est  celui  d'un  honnête 
homme  qui  n'accepte  pas  le  bien  mal  gagné. 

A  la  comtesse  de  Floret,  qui  arrive  pour 
caser  son  fils,  il  avoue  la  diminution  de  sa 
fortune.  La  comtesse,  à  ce  coup,  gagne  le 
large,  et  Georges  ne  veut  plus  d'une  jeune 
fille  dédorée. 

Celle-ci,  outragée,  en  fait  une  maladie. 
Elle  est  soignée  avec  dévouement  par  son 
amie  miss  Dawson,  dont  le  frère,  modeste 
professeur,  arrive  et  se  prend  à  aimer  Fer- 
nande, riche  ou  pauvre,  peu  lui  importe. 
11  la  demande  en  mariage. 

Malgorn,  loj-alement,  lui  raconte  tiuite 
l'histoire  et  conduit  ses  hôtes  à  la  chambre 
close. 

Ea  entrant,  miss  Dawson  et  son  frère 
Georges  aperçoivent  le  portrait  et  s'é- 
crient : 


—  Ah  !  notre  graud'mère  ! 

En  effet,  leur  grand-père  se  trouvait  sur 
VArlémise.  Chassé  du  Mexique  pour  des 
causes  politiques,  il  se  rendait  à  Lisbonne 
avec  tout  son  bien  quand  le  navire  sombra. 

Malgorn  est  heureux  de  pouvoir  resti- 
tuer à  ces  pauvres  enfants  le  bien  qui  leur 
appartient.  Il  épouse  miss  Dawson  et 
Georges  épouse  Fernande. 

Tel  est  ce  récit  agréaljle  et  romanesque, 
d'une  couleur  exacte  et  un  peu  légendaire, 
comme  tout  ce  qui  touche  à  la  Bretagne. 
11  est  émaillé  de  pittoresques  descriptions. 
Sous  forme  de  Mémoii-es,  c'est  Malgorn 
qui  conte  l'aventure  à  la  première  per- 
sonne. Livre  intéressant,  honnête,  ((u'uno 
jeune  fille  peut  lire  et  dont  l'intérêt  croit 
à  travers  les  scènes  dune  enquête  palpi- 
tante et  bien  conduite. 


La  Bretagne  exerce  un  prestige  do  poésie 
et  de  mystère.  Ses  chantres  prennent  aus- 
sitôt une  place  à  part  par  le  caractère  de 
leur  inspiration  et  l'originalité  extérieure 
de  leurs  chants.  La  littérature  bretonne  n'a 
pas  plus  quitté  son  costume  que  les  gas 
bretons.  Théodore  Botrel  est  un  de  ces 
bardes  bien  sincères  et  bien  populaires  ; 
il  a  la  fraîcheur  des  choses  primitives  et 
sincères.  Né  à  Dinan,  où  son  père  était 
forgeron,  il  a  émigré  de  lui-même  vers 
l'ouest ,  pour  s'enfoncer  davantage  en 
pleine  Bretagne  bretonnante,  on  terre 
celtique  et  trégorroise,  au  Port-Blanc, 
où  il  a  entendu  et  noté  les  sùnes  et  les 
gweizes  plaintives ,  et  dans  les  chansons 
de  Botrel,  la  Bretagne  s'est  reconnue,  — 
bien  qu'à  lire  le  préfacier,  un  Breton  de 
vieille  roche,  Anatole  Le  Braz,  on  sente 
une  vague  appréhension  de  voir  le  pays 
envahi  par  le  répertoire  de  Paris,  comme 
si  les  temps  prédits  par  l'enchanteur 
Merlin  étaient  révolus. 

Botrel  et  Le  Braz  luttent  le  bon  combat 
pour  la  sauvegarde  de  l'originalité  bre- 
tonne et  celui-ci  le  dit  excellemment  : 

"  Nous  sommes  plusieurs  qui  nous 
efforçons  de  recueillir  le  parfum  de  cette 
fleur  de  sentiment  qui   fut  la   parure  de  la 


M-:    Mor\  KMKNT     I,  Il  T  K  H  A  [  U  K 


Hrel;igne  cl  qui.  à  son  heure,  embauma  le 
monde...  Nous  nous  efforçons  d'en  subli- 
nuM-  dans  nos  chants  la  goutic  «le  pure 
csseiicp.  " 

Ils  veuleni,  aii\  rofiains  des  casirnes  et 
lies  commis  \  oxa^eiirs,  en  subslituei' d'nu- 
Ires  qui  flcuienl  l'odeur  des  genêts  de  la 
lande  et  la  poésie  du  sol  armoricain.  C'est 
vers  cet  idéal  que  tendent  les  deux  vo- 
lumes que  vient  de  faire  paraître  Théo- 
dore Botrel  chez  Ondut,  d'abord  /i'.<r  Clian- 
xDiis  de  chez  nous,  puis  les  Conir.i  du  LU 
rlii.i,  suivis  de  Ch.insons  à  dire.  Sans  Irop 
(le  littérature,  sans  trop  de  vul;j;arité,  il 
resle  simple,  tendre,  touchant  ol  douce- 
ment attristé.  Cette  page  est  d'une  note 
juste,  pittoresi|ue,  évocatrice  ; 

('.liez  nous,  le  ■■  chez  nous  ■■  de  là-ha-; 
C'est  toi,  cher  petit  coin  de  terre 
Qui  part  d'Ille-el- Vilaine  et  vas 
l'inir  avec  le  Finistère  : 

("est  toi,  l'aïeule  auï  grands  jcut  douv 
Des  Celtes  aux  larjçes  épaules, 
Au  cœur  fort,  aux  lonj;s  cheveux  rouv. 
Premiers  fils  des  premières  f, ailles. 

C'est  toi,  la  terre  du  granit 

i;t  de  l'immense  et  morne  lande. 

Pieuse  Armor  au  sol  bénit 

Par  les  grands  saints  venus  d'Irlande. 

Où  l'on  rencontre  à  chaque  pas 

Des  menhirs  près  des  Christ  en  |iieiro. 

Di'i  le  ciel  est  si  bas,  si  bas 

(Ju'on  y  voit  monter  sa  prière  ! 

Tantôt,  les  vieilles  ballades  de  ces  con- 
trées légendaires  sonnent  comme  l'écho 
d'un  lointain  biniou  entre  les  cromlechs. 

On  lit  avec  plaisir  toutes  ces  évocations, 
tous  ces  tableaux  qui  ont  déjà  :i  Paris  une 
petite  pointe  d'exotisme,  les  lleiceaiix.  l,i 
Dmiifrc  licuelle,  la  Fancliolle,  M;i  dotirc 
Aniirlle.  et  la  plus  populaire  de  toutes  ces 
romances,  /.i  l'uiiiipoliiisr,  qui  court  les 
rues,  cette  antichambre  de  la  Gloire. 

Quittant  ses  genêts  et  sa  lande, 
Ijuand  le  Breton  se  fait  marin, 
VjU  allant  aux  pèches  d'Islande, 
\'ciici  quel  est  le  doux  refrain 

Que  le  pauvre  gas 

l'reiliiiine  tout  bas  ; 
.l'aiine   Paimpul  et  sa  falaise. 
Son  église  et  son  grand  pardon  ; 
.l'aime  surtout  la  Paimpolaisc 
U'iii  m'attend  nu  pays  breton  I 


L'air  est  déli.iausenient  bercear;  L' 
livre  donne  le  nom  de  l'auteur  :  K.  Keju- 
Irier.  Je  le  regrette  presque:  je  me  phi- 
sais  îi  y  entendre  l'écho  anonyme  de.-, 
romances  de  là-bas,  transmises  par  la 
seule  tradition. 


Il  y  a   aussi  de   la   couleur  locjle   cl   du 
pittoresque  dans  la  sombre  histoire  l'iUiiti- 
de  Picardie  de  Pontsevrez,    eaux-forles  de 
Louis-KdouardFournier,  éditée  par  la  librai- 
rie Mav.  C'est  un  drame  cruel  :  une  pauvre 
fille,   orpheline  avec  trois  frères  et  soeurs 
en  bas  âge,   poursuivie   pai-  les   assiduités 
d'un  ivrogne  qui  assassine  deux  personres 
.et  meurt  lui-même  d'un  coup  de  couteau. 
La  tentative  intéressante   (jue  révèle  ce 
petit  ouvrage  est  d'avoir  voulu  rendre  les 
mœurs  et  le    langage    des    grossiers   pê- 
cheurs du  Tréport  sans  cesser  d'être  litté- 
raire. Il  y  a  là  un  petit  problème  que  nous 
avons  déjà   abordé   ici.    Pour  rendre   l'as- 
pect et  la  vie  des  paysans,  faul-il  adopter 
leur  patois?  On   répèle  (pie   Molière  a  fait 
jargonner  ses  Limousins,  ses  Picards,  ses 
Suisses;  mais  ces  dialectes  de  scène  sont 
bien  conventionnels,  et  ils  ne  produisent 
d'effet  que  par  leur  imprévu,  qui  doit  être 
court,  sous  peine  de  périr  par  l'habitude. 
I    l  ne   comédie    tout   entière     écrite   de  ce 
!    style  serait  intolérable,    même  signée   de 
I   Molière.  On  a  joué,  à  Paris,  des  comédies 
!    en  patois   wallon   comme    T.iti   t'pi'rrii/tii. 
et  pour   les  uon-Walloiis.   ce    ii'élail    pas 
I    supportable. 

I  L'habileté  est  de  demeurer  littéraire 
et  de  donner,  par  de  certains  tours,  l'im- 
])ression  de  paysannerie,  sans  a\oir  re- 
cours aux  artifices  grossiers  du  patois 
maladroitement  transcrit  et  orlhographié. 
Le  conte  de  M.  Pontsevrez.  donne  cette 
note-là,  sans  trop  user  de  barbarismes  et 
de  jargon.  lît  c'est  là  précisément  le 
talent,  de  faire  penser  à  des  paysans  sans 
cesser  d'écrire  en  fiançais. 


M.   llenrv   Hordea 
•jiuaii    (''dili'    chez 


dans  /.■  /'./(/.s  ii.il^il. 
in-\mi  mil  I ,  éludie 


i.K   \i(ir\i:Mi:NT   i.n  iiniAiitE 


lo  charme  qu'exerce  le  clocher  sur  le  dc- 
laciné,  comme  dit  Barrés,  de  retour  dans 
sou  foyer.  C'est  uoe  reprise  de  possession 
par  la  petite  patrie,  et  la  thèse  est  vraie 
à  la  condition  qu'on  ait  laissé  là  des  sou- 
venirs d'une  enfance  assez  longue,  et  sur- 
tout un  amour  en  germe  qui  se  développe 
a\ec  l'âge.  Autrement,  il  y  a  bien  à  pa- 
rier qu'il  faudra  renvoyer  la  voix  de  la  pe- 
tite patrie  là  où  a  déjà  émigré  la  voix 
du  sang.  11  n'y  a  au  fond  que  la  Voix  de  la 
luémoire  et  des  hal)itudes.  ou  que  celles-ci 
soient  localisées. 

Le  récit  de  ce  roman  est  l'histoire  d'un 
amour  malheureux.  Lucien  Ilaland  aimait 
.\nnie  Merans,  mais  celle-ci  épouse  un 
iléputé,  Jacques  Alvard,  qui  est  naturel- 
lement un  vilain  sauteur.  En  littérature, 
le  député  est  devenu  le  type  du  traître 
d'autrefois.  Cet  Alvard  est,  en  effet,  un 
mari  déplorable,  quoique  ministre  ;  il  a 
pour  maîtresse  une  Italienne  mariée, 
M'"'  Ferresi,  qui  devient  soudain  veuve. 
Annie  connaît  l'indignité  de  son  époux  ; 
elle  le  quitte,  et  ne  tarde  pas  à  mourir. 
Lucien  épouse  la  sœur  de  la  malheureuse. 

Cette  action  comporte  une  curieuse 
étude  des  mœurs  électorales,  et  aussi  des 
descriptions  ingénieuses  et  pittoresques 
de  Talloire  at  des  rives  du  lac  d'Annecy, 
que  nous  connaissions  déjà  très  bien  par 
André  Theuriet.  Mais  il  n'en  va  pas  du 
roman  comme  du  droit,  où  non  Lis  in  idem. 
L'art  est  plus  large;  autrement,  que 
ferait-on  de  tous  les  saint  Sébastien  et  de 
toutes  les  Madeleines"?  11  y  a  bien  deux 
places  pour  Talloire  dans  la  maison  des 
éditeurs. 


Il  manquait  une  bonne  monographie  de 
la  Légion  d'honneur.  M.  L.  Bonnoville  de 
Marsang\,  devançant  de  deux  ans  l'époque 
ilu  centenaire  de  celle  institution,  fondée 
en  1802,  a  écrit  sur  ce  sujet  un  bon  et  gros 
livre,  1res  illustré,  édité  chez  H.  Lai/Hens, 
sous  le  patronage  du  grand  chancelier. 

L'auteur  a  pris  la  question  sous  tous 
les  angles.  Il  nous  conte  d'abord  la  créa- 
tion de  l'ordre  de  la  Légion  d'honneur  par 


Napoléon  ]"■,  et  son  histoire,  intimement 
liée  à  l'histoire  générale,  jusqu'à  nos 
jours.  11  en  raonlre  l'organisation,  le  fonc- 
titmucment;  puis,  ayant  ainsi  épuisé  le 
fond,  il  passe  aux  accessoires,  qui  sont 
intéressants.  Il  nous  dit  quels  sont  les 
drapeaux,  les  villes  qui  ont  été  décorés. 
Il  énumère  les  femmes  ipii  ont  eu  la  croix, 
et  les  motifs  de  celte  distinction.  Alors 
nous  entrons  dans  le  palais  de  la  chan- 
cellerie de  la  Légion  d'honneur,  dont  on 
nous  fait  les  honneurs  avec  un  détail 
pieux  et  minutieux.  On  nous  nomme  tous 
les  chanceliers  successifs,  avec  leur  bio- 
graphie. La  fin  est  consacrée  aux  maisons 
déducalion  que  la  Légion  d'honneur  en- 
lietienl  pour  le  plus  grand  bien  de  tant 
de  pauvres  filles. 

On  ne  voit  pas  ce  qui  peut  manquer  à 
celte  monographie  complète,  et  quel 
point  de  vue  encore  pourrait  s'imposer. 
II  semble  bien  que  tout  y  est  et  qu'il  fau- 
dra à  présent  attendre  assez  longtemps 
pour  recommencer. 

Napoléon  attachait  un  grand  prix  à  la 
croix,  qui  était  alors  réservée  aux  héro^ 
s'étaut  distingués  par  une  action  d'éolal. 
Elle  a  un  peu  changé  d'attribution.  11  est 
curieux  de  voir  que  l'Empereur,  si  auto- 
ritaire, si  fidèle  à  la  discipline  rude,  ferme 
et  intraitable,  si  foncièrement  militaire, 
hésitait  à  ôter  la  croix,  même  pour  une 
faute  grave  contre  la  discipline. 

Lisez  ce  billet,  il  est  signiOcalif  : 

M.  de  Lacépède,  grand  chancelier  de  la 
Légion  d'honneur,  rend  compte  du  renvoi  en 
France,  sous  escorte,  d'un  militaire  décoré 
pour  action  d'éclat,  mais  que  son  insubordi- 
nation a  fait  renvoyer  du  rcfriment  auq<iel  il 
appartenait. 

3  février  ISOS. 
Le  faire  venir  en  toute  liberté  à  Paris,  où 
le  grand  chancelier  l'interrogera.  Puisque 
cette  décoration  lui  a  été  donnée  pour  une 
action  d'éclat,  je  ne  veux  pas  la  lui  ôter,  mai.s 
tâchez  de  concilier  les  intérêts  de  ce  brave 
avec  la  discipline. 

N  A  r  o  L  É  o  N  . 

Le  fait  est  tout  à  fait  typique  et  con- 
state quelle  valeur  morale  l'Empereiu- 
attachait  à  cet  insigne. 


.  K     MdlXKMKNT     1, 1  TT  K  II  A  I  l(  K 


Il  olait  un  peu  moins  aisé  alors  qu'au- 
jourd'hui (le  l'obtenir,  et  les  projets  mi- 
nistériels que  nous  voyons  voler  au  Par- 
lement eussent  été  vigoureusement  sabrés 
|i:ir  l'Empereur.  On  est  stupéfait  de  lire 
(lucllos  prouesses,  quels  héro'ismes  surhu- 
mains et  dignes  de  l'antique  ont  accomplis 
Ions  les  légionnaires  des  premières  four- 
nées. Ils  n'ont  eu  la  croix  qu'après  nombre 
de  campagnes,  de  blessures  et  d'épreuves. 
La  liste  de  leurs  noms,  qui  est  aux 
Archives,  avec  leurs  états  de  services,  est 
admirable,  comme  un  glorieux  martyro- 
loge, et  on  ne  saurait  la  lire  que  la  tilc 
découverte  et  chapeau  bas.  11  y  a  eu  du 
changement. 

Un  exemple  entre  cent  constatera  les 
diflicullés  qui  se  dressaient  au-devant 
d'une    telle    distinction. 

Le  propre  frère  de  Lazare  Carnot  a  fait 
toute  sa  carrière  militaire  sans  être  che- 
valier de  la  Légion  d'honneur,  et  il  n'eut 
la  croix  (|u'à  sa  retraite  comme  général. 
(Test  moins  ardu  aujourd'hui. 

Tout  ce  chapitre  fait  penser  à  ces  vers 
de  l'Aiglon,  de  Hostand,  (|ui  vient  de 
paraître  : 

1'^  I,  A  M  U  li  A  u 

.Avcz-viius  jamais  vu  la  croiv  ? 

I,R     Dl'O 

tluns  lies  vitrines. 

V  l.  .\  51  U  E  A  U 

Monseigneur,  il  fallait  voir  ca  sur  des  poitrines  I 
I,à,  sur  le  drap  lionibi;,  goutte  de  sang  ardent 
Oui  descendait  et  devenait,  en  descendant, 
De  l'or  et  de  l'émail  avec  de  la  verdure... 
C'était  l'omniR  un  bijou  sortant  d'une  blessure. 

Le  Duc 
Ce  devait  être  be;iu,  mon  ami,  je  le  crois. 
Sur  la  |iuilrine,  là. 

F I,  A  :m  n  !■:  a  v 
Miii  '.'  .le  n'ai  pas  la  croix  ! 
Liî  I)im: 
Après  ce  ipic  lu  lis,  modeste  et  grandiose  ? 

Flambe  a  v 
l'our  l'avoir,  il  fallait  faire  bien  autre  cliose  ! 

L'Empereur  n'était  pas  assez  prodigue 
de  son  ordre  pour  y  admettre  les  femmes, 
—  outre  qu'il  eut  toujours  les  femmes  en 
médiocre  eslime. 


On  rapporte  ù  ce  propus  que,  lorsque 
M""'  de  Genlis  eut  été  nonimce  l'un  des  con- 
servateurs de  la  Hibliothèquc  de  l'Arsenal, 
avec  un  traitement  de  <iOOO  francs,  elle  trouva 
injuste  que  les  femmes  fussent  exclues  de  la 
nouvelle  Légion.  Dans  le  but  de  faire  cesser 
ictlc  sorte  d'ostracisme,  elle  rédigea  un  nic- 
muire,  où,  énumcrant  toutes  les  femmes  de 
l'époque  cél(ibres  par  leur  talent  —  et,  sans 
doute,  elle  ne  s'oubliait  pas  —  elle  conviait 
l'Empereur  A  les  décorer,  et  rien  ne  prouve 
mieux  quel  était  le  prestige  de  l'étoile  impé- 
riale que  cette  démarclie  tentée,  pour  l'ob- 
tenir, par  la  célèbre  comtesse,  jadis  honorée 
des  faveurs  du  duc  d'Orléans. 

M""  de  Genlis,  explique  XL  Ma/as,  obtint 
de  son  gendre,  le  général  Valence,  sénateur. 
de  présenter  le  factum  A  Napoléon.  Il  essaya 
de  le  faire  à  l'occasion  d'une  grande  présen- 
lation  qui  eut  lieu  en  mars  180S.  Napoléon 
comprit  de  suite,  ne  le  laissa  pas  achever, 
repoussa  la  supplique  en  termes  énergiques  ; 
et  l'auteur  de  Delphine  vil  s'évanouir  pour 
jamais  ses  (laiteuses  espérances. 

Viiil.'i  bien  le  gcsie  ([u'on  attendait  de 
Napoléon  si  ou  lui  pnqiONait  de  décorer 
une  femme. 

L'idée  d'avoir  fondé  des  maisons  d'édu- 
cation de  la  Légion  d'honneur  est  géné- 
reuse et  embellit  encore  celte  belle  pen- 
sée. Il  faut  songer  à  ce  qu'était  l'Empereur 
pour  ces  petites  pensionnaires  de  M"'  Caui- 
pan,  et  quel  émoi  quand  il  leur  rendait 
visite!  Léon  Gozlan  l'a  dit  quelque  part: 

Dès  que  l'Empereur  était  sorti  de  la  classe, 
vite  on  inscrivait  ses  réponses  ;  on  gravait 
ses  mots  licureux  dans  sa  mémoire;  on  les 
brodait  ;  ils  étaient  envoyés  aux  parents. 
Parmi  les  jeunes  filles  qu'il  avait  exaltées 
d'un  regard,  d'un  compliment,  d'une  tape, 
d'une  poignée  de  bonbons,  les  plus  glorieuses 
étaient  celles  (|ui,  l'ayant  suivi  pas  i\  pas, 
avaient  furtivement  ramassé,  grain  à  grain, 
sur  ses  traces,  le  tabac  tombé  île  sa  taba- 
tière, et  l'avaient  enfermé,  imisu  dans  un 
sachet,  pour  le  porter  svu-  leur  cirur. 

Le  livre  de  M,  de  Marsangy  est  coniplel 
et  agréable.  Peut-être  la  proportion  eût- 
elle  été  mieux  gardée  en  faisant  moins 
libéralement  large  la  place  de  Napoléon  I"', 
Mais  c'est  peut-être  sous  le  premier  Em- 
pire que  l'histoire  de  la  Légion  d'honneui' 
est  le  plus  intéressante  :  ajoutez  pourtant 
l'époque  do  la  guerre  do  ISTO, 


c  A  i;  s  E  RIE  SCI  !•:  N  r  1 1  ■  I  ( j  i ;  e 


En  assumant  les  rosponsabililOs  d  une 
succession  (|ue  le  talent  d'un  technicien 
éiuilit  cl  le  charme  d'un  causeur  apivablc 
ont  rendue  fort  difficile  îi  remplir,  il  est  cer- 
tain que  je  me  trouve  devant  une  charge 
devenue  plus  lourde  par  les  qualités  de 
mon  devancier,  retenu  désormais  ailleurs 
par  de  nouvelles  et  importantes  fonctions. 
Mon  .excellent  ami,  M.  II.  Mareschal,  qui, 
pendant  de  si  longs  mois,  a  écrit  dans  le 
Monde  Moderne  la  revue  scientifique  a  su, 
grâce  à  son  esprit  d'assimilation  et  sou 
savoir  d'adaptation  si  grands,  rendre 
facile,  je  dirai  pleine  de  plaisir,  la  lecture 
de  questions  arides  en  elles-mêmes  et 
dont  l'étude  dérouterait  souvent  les  per- 
sonnes <|ue  leurs  occupations  ou  leur 
caractère  n'ont  pas  constamment  dirigées 
vers  les  choses  des  sciences,  .aujourd'hui, 
pourtant,  c'est  la  science  qui  est  notre 
directrice:  nous  sommes  à  une  époque  où 
le  prestige  des  lettres  a  dû  céder  devant 
un  autre  toujours  plus  grand  et  plus 
influent,  celui  des  sciences.  Le  siècle  qui 
vient  de  s'éteindre  sous  ce  mirifique  coup 
de  tonnerre,  la  grande  Exposition  de  UIOO, 
n'est  qu'une  longue  apologie  des  applica- 
tions scientifiques  dont  Papin,  Lavoisier 
<?t  Pasteur  ont  été,  en  quelque  sorte,  les 
trois  grandes  chevilles  ouvrières.  Il  fau- 
drait pouvoir  revivre  dans  quelques  siècles 
pour  savoir  si  leur  gloire  p;'dira  devant  le 
souvenir  des  littérateurs  qui  ont  illustré  la 
Erance  aux  temps  passés,  et  si  les  hommes 
<pii  ont  enfanté  des  œuvres  d'imagination 
d'une  valeur  inestimable  seront  pour  la 
postérité  supérieurs  à  ceux  qui  ont  décou- 
vert la  vapeur,  l'oxygène  et  le  sérum-. 

C'est  dans  l'industrie  des  chemins  de 
fer  que  cette  remarque  trouve  les  appli- 
cations les  plus  nombreuses  et  les  plus 
tangibles  ;  le  public  devient  chaque  jour 
plus  exigeant,  il  demande  une  vitesse  et 
un  confort  auxquels  n'auraient  pas  songé 
nos  pèros;  rien  ne  l'arrête,  pas  même  le 
spectacle  attristant  de  ces  accidents  qui 
viennent  rarement,  mais  trop  souvent 
XIII.  -  7. 


encore,  arrêter  les  ingénieurs  dans  cette 
marche  de  géant,  chaipie  jour  plus  accé- 
lérée et  dont  l'allure  ne  semble  pas  avoir 
de  limites. 

Nous  avons  pu  voir  à  l'Exposition,  dans 
le  pavillon  de  MM.  Schneider  et  C",  une 
locomotive  qui  est  l'appareil  tracteur  le 
plus  puissant  qu'on  ait  construit  jus(|u'ici 
et  qui  mérite  de  nous  arrêter  (fig.  l  i. 

Son  inventeur,  M.  Thuile,  après  avoir 
mené  ses  calculs  jusqu'au  l)Out  et  conduit 
les  opérations  de  construction,  n'a  pas  pu 
jouir  des  lauriers  que  son  beau  travail  lui 
promettait;  il  est  mort  sur  le  champ 
d'honneur,  au  mois  de  juin  dernier;  s'ctant 
penché  en  dehors  du  gabarit  pendant  un 
essai  de  sa  locomotive  entre  Chalon  et 
Poitiers,  sa  tête  heurta  le  parement  d'un 
pont,  elle  fut  brisée  et  la  mort  vint  aussitôt. 

Cette  locomotive  peut  entraîner  en 
palier,  c'est-à-dire  sur  les  portions  hori- 
zontales de  la  ligne,  un  train  de  deux  cents 
tonnes  à  une  vitesse  de  cent  vingt  kilo- 
mètres; ce  poids  correspond  à  uu  train 
de  luxe  composé  d'une  dizaine  de  voilures 
à  intercirculation  et  d'un  ou  deux  fourgons 
chargés  de  bagages;  nous  ne  compton.s 
pas  dans  ce  tonnage  le  poids  de  la  loco- 
motive et  du  tender,  qui,  charges  des  com- 
bustibles, pèsent  à  eux  seuls  cent  trente- 
huit  tonnes,  c'est-à-dire  presque  autant 
que  le  train  lui-môme. 

La  vitesse  de  120  kilomètres  peut  ne 
pas  sembler  excessive  au  premier  abord, 
car  à  certains  moments  nous  voyons  sou- 
vent nos  trains  atteindre  et  dépasser 
110  kilomètres  sur  les  grandes  lignes; 
mais  il  faut  penser  que  cela  n'arrive  que 
dans  des  circonstances  particulières  et  sur 
des  parcours  très  courts,  lorsque  la  voie 
est  bien  droite  et  quand  on  se  trouve  dans 
les  portions  en  pente;  tandis  que  la  parti- 
cularité de  la  locomotive  Thuile  est  de 
pouvoir  fournir  des  vitesses  courantes  de 
120  kilomètres  dans  toutes  les  circon- 
stances, excepté  naturellement  celles 
très   défavorables   d'une   rampe   ou   d'une 


CAisKiiii:   sc.iKNTiiigii; 


courbe  trop  accentuée;  il  est  même  cer- 
tain qu'en  pente  on  arriverait  à  dépasser 
les  120  kilomètres  annoncés  et  à  pouvoir 
atteindre  130  ou  liO  kilomètres,  ce  qui  ne 
représente  que  quelques  secondes  (20  à  2") 
pour  couvrir  le  kilomètre!... 

On  conçoit  que  pour  arriver  à  construire 
une  machine  pouvant  donner  de  pareils 
résultais,  il  fallait  changer  complètemenl 
les  dispositions  des  locomotives  aux- 
quelles nous  sommes  habitués.  L'aspect 
extérieur  se  trouve  même  complètement 
modifié  :  la  longueur  de  la  locomotive  avec 
son   tonder   atteint   près  de  2'>  mètres,  sa 


Le  mécanisme  n'a  rien  de  spécial  en  lui- 
même,  sinon  qu'il  a  été  calculé  en  vue  de 
la  puissance  élevée  h  laquelle  il  doit  être 
soumis  ;  il  n'y  a  pas  d'organe  nouveau 
constituant  une  révélation  dans  l'art  de 
construire  les  locomotives.  Chaque  élé- 
ment a  été  disposé  en  vue  de  la  meilleure 
utilisation.  Les  deux  cylindres  on  n'en 
voit  qu'un  V  sur  la  figurej  sont  complète- 
ment extérieurs,  ce  qui  facilite  les  visites 
el  le  graissage;  ils  sont  placés  entre  les 
deux  lour-i  du  bogie  d'avant,  sous  la  gué- 
rite <lu  mécanicien;  étant  donnée  cette 
silualion,  il  s'eii^\iil    que  les    conduits   qui 


l-'ig.  1. 


La  locomotive  système  Thuile  avec  son  tender  pouvant  remorquer  en  palier  des  trains 
de  200  tonnes  à  une  vitesse  de  120  kilomètres. 


guérite  placée  à  l'avant  pour  le  mécanicien:  B.  B'  roues  motrices;  C,  obemicée  ;  D.  D'  essieux  dn  bo^ie, 
d'avant;  E  E'.  E",  es«ieux  du  bogie  d'arrière;  F.  un  des  deux  cylindres;  G,  bielle  du  piston;  G'  bielle 
d'accouplement  ;  H,  guérite  située  à  l'arrière  pour  les  cbauffeurs. 


Ini'iiic  (liipue  et  ramassée  ne  présente 
aucune  saillie  pouvant  offrir  une  résistance 
à  l'air,  la  cheminée  très  courte  C  et  la 
guérite  d'avant  A  disposée  en  coupe-vent, 
pour  le  mécanicien,  achèvent  de  lui  donner 
une  caractéristi(iue  qui  lui  permet  d'être 
distinguée  de  toute  autre. 

Klle  est  portée  par  quatorze  roues  dont 
les  essieux  soutiennent  le  mécanisme;  sur 
les  sept  essieux,  deux  sont  accouplés  BIV 
el  correspondent  aux  roues  motrices  pro- 
prement dites;  à  l'avant  nous  avons  un 
bogie  ;i  deux  essieux  DD'  et  à  l'arrière  un 
antie  bogie,  mais  composé  de  trois 
essieux  !•;  L'  \i". 

Le  poids  total  de  la  locomotive  seule,  en 
ordre  de  marche,  est  de  80  t.  fiOO,  réparti 
comnic  il  suit  : 

Siu-  le  hoBic  d'avant 19',8nn 

riur  l'essieu  moteur Ki'.OOO 

Sur  l'essieu  accouplé 1  fi', 000 

Sur  le  bogie  arrière 28',80n 

SU',600 


transportent  la  va|)eur  sont  fori  longs  ; 
mais  ou  a  supprimé  les  inconvénients  de 
cette  disposition  en  calculant  largement 
les  diamètres.  Les  bielles  G  G'  sont  très 
développées  ;  celles  qui  servent  ;i  relier  le 
piston  aux  roues  motrices  G  ont  2'",  10  de 
longueur,  et  les  bielles  d'accouplement  G 
ont  2", 80  de  développement. 

Disons  deux  mots  de  la  cliaudière. 

Sa  contenance  est  considérable,  puisipie 
vide  elle  oceiqie  une  capacité  de  I0"'^,05(> 
et  qu'elle  peut  contenir  7  3:10  litres  d'eau 
et  4"", 700  de  vapeur;  la  grille  occupe  une 
supii'Dcie  de  i'"',08  et  la  surface  totale  de 
ehaulTe  en  contact  avec  l'eau  207™', 700;  la 
pression  de  la  vapeur  n'est  jamais  supé- 
rieure à  I.")  kilogrammes  par  centimètre 
carré,  mais  la  puissance  développée  atteiml 
le  chiffre   considérable  de    1  700  chevaux. 

Ainsi  ipie  nous  le  disions  plus  haut,  le 
mécanicien  se  trouve  placé  îi  l'avant  dans 
une  guérite  spéciale  A,  ce  (pii  conslilue 
un    a\anlaire    considérable,    car  il  est  bien 


C  A  f  s  K  n  I K    s  C I  K  N  T  I  K 1  y  l  i: 


placé  pour  inspecter  la  voie  et  découvrir 
les  signaux;  d'autre  part,  il  est  seul  et, 
par  conséquent,  nullement  distrait;  toute- 
fois, cette  circonstance,  ijui  semble  au  pre- 
mier abord  fort  beureuse,  pourrait  devenir 
un  inconvénient,  car  il  y  a  lieu  de  penser 
dans  quel  état  d'esprit  doit  se  trouver  un 
lionime  conduisant  une  machine  à  ces 
vitesses  vertigineuses,  et  si  la  grosse  res- 
ponsabilité qui  lui  incombe  ne  doit  pas 
le  placer  dans  une  position  défavorable 
que  la  solitude  ne  peut  qu'augmenter.  Les 
chauffeurs,  au  nombre  de  deux,  sont 
]ilacés  à  l'arrière  dans  une  guérite,  qui 
leur  est  spécialement  destinée  et  qui  est 
en  communication  avec  le  tender. 

Malgré  son  isolement  à  l'avant,  le  méca- 
nicien est  en  rapport  avec  les  chaufTeurs 
à  l'aide  d'un  cornet-acoustique  et  de  si- 
gnaux phonétiques  ;  malgré  cela,  il  semble 
ijue  l'homme  d'avant  devrait  être  accom- 
pagné d'un  collègue,  qui,  au  besoin,  en 
cas  d'accident,  syncope  ou  autre,  pourrait 
le  remplacer  et   manœuvrer  les  appareils. 

La  l'onction  des  chauU'eurs  porte  sur  la 
surveillance  et  l'alimentation  des  foyers; 
ils  ont  aussi  à  leur  disposition  un  frein  sur 
lequel  ils  peuvent  agir  en  cas  de  besoin. 
Celle  du  mécanicien  est  autrement  com- 
pliquée :  il  faut  qu'il  s'occupe  du  régu- 
lateur, des  appareils  de  changement  de 
marche,  des  freins,  des  purgeurs,  sifflets 
et  de  la  turbine  qui  actionne  le  dynamo 
servant  à  l'éclairage  électrique  de  la  loco- 
motive et  du  tender. 

Ce  tender  a  été,  lui  aussi,  l'objet  d'une 
étude  particulière  ;  sa  disposition,  d'ail- 
leurs, le  distingue  des  autres,  sa  longueur 
entre  tampons  est  de  10", 80  et  son  poids 
à  vide  de  23 ',700.  Il  est  porté  sur  cinq 
essieux  disposés  en  deux  bogies  :  l'un 
avant,  composé  de  deux  essieux  et  l'autre 
arrière,  composé  de  trois.  Son  approvi- 
sionnement en  charbon  peut  être  de 
7  000  kilogrammes  et  la  quantité  d'eau 
qu'il  peut  transporter  est  de  27"^, 500,  de 
sorte  qu'en  pleine  charge  le  tender  à  lui 
seul  pèse  plus  de  58  tonnes.  Il  est  muni 
de  freins  à  main  et  de  freins  Weshinghouse 
qui  agissent  à  la  fois  sur  les  dix  roues. 


11  fut  un  temps  où  le  prix  d'une  locomo- 
tive se  calculait  au  poids,  et  ce  prix,  h  peu 
de  chose  près,  revenait  à  I  franc  le  kilo- 
gramme ;  ainsi  une  machine  de  00  tonnes 
coûtait  00  000  francs,  les  grosses  machines 
pour  les  trains  de  marchandises  attei- 
gnaient 70  000  et  même  80  000  francs; 
aujourd'hui  cette  règle  n'existe  plus,  car  si 
elle  est  restée  la  même  pour  les  locomotives 
d'anciens  modèles  qui  n'exigent  aucune 
étude  spéciale,  il  n'en  est  pas  de  même 
pour  celles  qui,  comme  la  locomotive 
Thuile,  demandent  un  travail  de  pré- 
paration considérable  et  des  procédés  de 
fabrication  nouveaux.  Ainsi  la  machine 
qui  nous  occupe  ne  devrait  coûter  que 
140  000  francs,  suivant  la  règle  ancienne, 
tandis  qu'en  réalité  elle  revient  à  plus  du 
double. 


Un  vétérinaire  de  Londres,  M.  J.-A.-W. 
Dollar,  vient  d'imaginer  un  appareil  fort 
ingénieux  (fig.  2),  qui  rendra  sûrement 
beaucoup  de  services  à  ses  confrères  et  à 


J L. 


ix: 


Fig.  2.  —  Table  d'opération  pour  les   chevaux. 

L'animal  est  maintenu  dans  un  bâti  métaUique  qui  le 
rend  solidaire  avec  lui  ;  l'appareil  peut  piloter  autour 
d'un  axe  horizontal  île  façon  à  permettre  toutes  les 
positions.  A  A'  cadres  latéraux  réunis  à  l'aide  de 
traverses  D.  I.  B.  B'  :  c>,  chaîne  munie  de  courroies 
set  vaut  à  maintenir  les  pieds  du  cheval;  C,  ceinture 
entourant  le  ventre  de  l'animal  et  fixée  après  une  des 
traverses  I  de  la  table  ;  T  T',  tréteaux  soutenant 
l'appareil  sur  le  sol  ;  M,  manivelle  actionnant  la  chaîne 
des  pieds  ;  N,  manivelle  actionnant  a  ceinture  sous- 
ventrière. 

lui-même  pour  procéder  à  des  opérations 
sur  les  chevaux.  On  sait  les  difficultés  qui 
se  présentent  quand  il  faut  agir  sur  un 
animal  malgré  les  anesthésiques  qu'on  lui 
administre.    Il    faut    d'abord     coucher    le 


( ;  A  u  s  i;  li  1 1:   s c.  1 1-:  n  t  i  i'  i  o  l' i-: 


cheval  à  terre  sur  un  lit  île  paille  ;  ce 
n'est  pas  toujours  facile,  lopératour  doit 
pour  cela  exi}j;er  le  concours  de  plusieurs 
hommes  :  les  luades  de  l'animal,  effrayé 
par  la  chute  brutale,  sont  dangereuses 
non  seulement  pour  lui,  mais  encore'  pour 
les  assistants. 

Avec  la  nouvelle  table  d'opériilion,  tous 
ces  inconvénients  ont  disparu.  Disons  en 
deux  mots  de  quoi  elle  se  compose  :  deux 
tréteaux,  solidement  fixés  dans  le  sol, 
supportent  l'appaieil  propremeni  dit  qui 
n'est  autre  que  deux  cadres  parallèles  A  A 
réunis  par  une  série  de  tirants  D  H  B'  I  ; 
le  tout  peut  pivoter  autour  d'un  axe  hori- 
zontal dont  les  deux  extrémités  seules 
existent  et  sont  situées  sur  le  bâti. 

L'appareil  étant  placé  dans  sa  position 
normale,  il  est  facile  d'y  faire  pénétrer  le 
cheval  en  ouvrant  une  des  traverses  laté- 
rales ;  une  fois  emprisonné,  on  maintient 
sa  tête  dans  une  garniture  spéciale  de 
façon  <i  éviter  tout  mouvement;  chaque 
pied  est  pris  dans  une  courroie  maintenue 
à  une  chaîne  horizontale  et  le  ventre  est 
entouré  d'une  large  ceinture  solidaire  de 
la  traverse  supérieure  ;  ainsi  enserrée  de 
tous  les  côtés,  la  bête  fait  partie  en  quel- 
que sorte  de  l'appareil,  elle  ne  fait  plus 
(|u'un  avec  lui.  Il  s'agit  maintenant  de  la 
dégager  du  sol  de  façon  à  permettre 
l'orientation  du  cadre  dans  tous  les  sens  ; 
pour  y  arriver^  on  actionne  successive- 
ment deux  manivelles  dont  l'une  N  a  pour 
ell'et  de  soulever  la  sous-ventrière  et 
l'autre  M  do  tendre  la  chaîne  qui  entrave 
les  pieds,  l.e  cadre  étant  sensiblement 
équilihré,  on  peut  le  faire  tourner  sui- 
vant les  nécessités  de  l'opération  ;  on 
peut  même  l'amener  à  prendre  la  position 
extrême,  c'est-à-dire  placer  le  cheval  le 
dos  en  bas  et  les  pieds  en  l'air.  ,\fiii  de 
maintenir  fixe  la  position  choisie,  on  agit 
sur  un  levier  1  qui  bloque  la  rotation.  On 
conçoit  combien  cet  appareil  peut  être 
utile  en  iiiiinobilisant  le  cheval  et  en  pré- 
sentant commodément  la  partie  malade  à 
l'opérateur,  qui  peut  alors,  sans  crainte 
d'aucun  danger,  tenir  la  bête  sous  une 
■ici ion  efficace. 


Certains  mots  1res  usuels  dans  des  mé- 
j  tiers  déterminés  sont  pourtant  restés  coni- 
;  plètement  ignorés  du  public.  Ainsi  condi- 
tionner une  soie  est  une  locution  très 
courante  chez  les  fabricants  et  marchands 
de  soie  et  pourtant  il  est  impossible  de 
savoir  ce  qu'elle  veut  dire  si  on  ne  l'ex- 
plique pas.  (Conditionner  un  objet  quel- 
conque, c'est    le    remettre,    soit    à    l'aide 


Fig.  3.  —  Une  des  étuves  de  la  Chambre  de 
commerce  de  Paris  pour  établir  le  conditionne- 
ment de  l:i  .sole. 

E.  F,  conduites  de  gnz  se  reliant  à  la  partie  supérieure 
en  UD  point  où  se  trouve  un  régulateur  île  tempéra- 
ture ;  T,  thermomètre  :  E,  balance  île  précision  dont 
an  des  Ilèaux  soutient  le  crochet  auque  sont  attaohi-4 
les  écheveaux  de  soie  C. 

d'essais,  soit  à  l'aide  de  calculs,  dans  les 
contlilions  qu'il  devrait  présenter  s'il  se 
trouvait  à  l'état  normal. 

(!clle  opération  est  des  plus  importante 
pour  la  soie,  car  cette  matière  est  forte- 
ment hygromélri(ine  et  peut,  suivant  les 
circonstances,  retenir  des  quantités  d'eau 
très  variables;  or,  comme  elle  représente 
une  valeur  très  grande  relalivemeni  à  son 
poids,  il  est  intéressant  pour  les  transac- 
tions de  connaître  quelle  est  la  quantité 
réelle  de  soie  qui  existe  dans  une  livrai- 
son, (le   façon   à   ce    ipie   le   prix    ne    poric 


('.Al'SKHlK     SC.IKNTI  l'iijl   K 


que  sur  la  soie  pure  et  non  sur  la  soie  mé- 
langée d'eau. 

La  Chambre  de  commerce  vient  d'in- 
staller à  la  Bourse  du  commerce,  rue  de 
Viarme.  un  bureau  mis  à  la  disposition  du 
puljlic,  où  chacun  peut  venir  chercher  sur 
les  ballots  de  soie  qu'il  possède  des  ren- 
seignements les  plus  précis.  11  est  dirigé 
par  M.  Perso/.  (|ui,  d'ailleurs,  a  perfec- 
tionné, avec  M.  Hogeat,  les  étuves  qu'on 
emploie  aujourd'hui  et  qui  avaient  été 
primitivement  imaginées  par  Talabot. 

.\u  lieu  d'employer  le  lot  entier  de  soie, 
comme  jadis,  on  se  contente  de  prélever 
un  échantillon.  On  place  celui-ci  dans 
1  étuve  dont  nous  montrons  une  image 
avec  ces  lignes  ;  elle  est  chaulTéc  au  gaz  ;  un 
régulateur  automati(pie  T,  de  M.  d'Arson- 
val,  permet  de  maintenir  une  température 
de  I  10  degrés    fig.  3  . 

Le  crochet  qui  supporte  l'écheveau  de 
soie  C  est  solidaire  du  fléau  d'une  balance 
de  précision  B  située  sur  le  couvercle  de 
l'appareil.  On  pèse  l'écheveau  avant  d'allu- 
mer* le  gaz  et  on  fait  la  tare.  .\u  fur  et  à 
mesure  que  la  soie  sèche,  (m  voit  le  fléau 
de  la  balance  s'incliner  du  coté  des  poids; 
lors(|u'on  suppose  que  la  siccité  est  com- 
])Iète,  c'est-à-dire  après  une  demi-heure 
environ,  on  pèse  à  nouveau  avec  soin; 
la  dilléreace  des  poids  indique  la  quantité 
d'eau  disparue,  ce  qui  permet  d'obtenir  le 
poids  de  soie  sèche,  c'est-à-dire  le  poids 
(le  la  quantité  de  soie  seule  contenue  dans 
l'éthantillon. 

Toutefois,  il  existe  encore  une  autre 
difficulté,  car  la  soie  théoriquement  sèche 
n'existe  pas  en  pratique,  de  sorte  que 
celle  qui  sort  de  l'étuve  est  une  soie  anor- 
male dont  les  conditions  dérouteraient  les 
industriels;  aussi  a-t-on  l'habitude  d'ajou- 
ter au  poids  de  la  soie  sèche  une  valeur 
de  dix  pour  cent  :  c'est  ce  qu'on  appelle  le 
laiij-  lie  reprise,  qui  ramène  la  soie  dans 
une  condition  moyenne. 


Une  application  de  l'automobilisme,  que 
les  Parisiens  ont  pu  constater  depuis 
quelque    temps    et  qui   rendra   sans  doute 


d'immenses  services,  est  celle  qu'on  vient 
d'en  faire  au  matériel  des  sapeurS-poni- 
piers. 

On  sait  qu'une  des  conditions  qu'on 
cherche  à  réaliser  dans  tous  les  services 
d'incendie  est  de  pouvoir  faire  parvenir 
auprès  du  foyer  du  sinistre,"  des  hommes 
et  des  pompes  avec  la  jilus  grande  rapi- 
dité possible,  f^ettc  question  de  la  rapidité 
joue  un  rôle  capital  dans  tous  les  projets 
qu'on  fait  en  vue  d'améliorer  le  matériel 
de  sauvetage.  La  traction  par  chevaux, 
malgré  tous  les  systèmes  employés  pour 
le  harnachement  rapide,  ofire  a  cet  égard 
certains  inconvénients;  aussi,  est-ce  avec 
intérêt  que  l'on  songea  dés  l'apparition 
des  voitures  électriques  a  appliquer  le 
même  système  aux  transports  de  sauve- 
tage. Il  n'y  avait  pas  à  songer  à  employer 
la  vapeur  ou  l'essence  de  pétrole,  car  le 
temps  exigé  par  la  mise  en  iram,  si  réduit 


-ïi-^^i-r^.^*!^ââîB^    i 


Fig.  4.  —  Une  des  nouvelles  voitures  électriques 
du  corps  des  sapeurs-pompiers  de  Paris. 

P,  boite  des  accumulateurs,  interchangeable  ;  Af,  mani- 
velle de  direction  ;  F.  frein  mis  à  1*  disposition  des 
hommes  pour  le  cas  où  le  cnnlucteur  ne  pourrait  pas 
se  servir  dn  sien. 


fùt-il,  est  encore  appréciable  et  aurait  l'ail 
tomber  dans  les  mêmes  inconvénients  que 
la  traction  animale;  tandis  qu'avec  l'élec- 
tricité, on  n'a  plus  aucune  diiïiculté  à 
déplorer  :  la  voiture  est  toujours  i)rête  à 
marcher,  il  n'y  a  rien  à  installer  au  moment 
du  départ,  un  homme  sur  le  siège,  un  tour 
de  manivelle  et  la  voiture  est  en  route.  Il 
est  impossible  de  rêver  un  système  plus 
instantané  pour  le  départ  de  la  voiture  du 
dépôt. 


Fig.  6.  —  Le  ballon  dirigeable  de  M.  de  Santos-Dumont. 


N,  aérostat  de  forme  allongée  établi  en  soie  japonaise  ;  O,  gouvernail  ;  £  F,  bâtis  en  acier  servant  à  supporter 
tous  les  appareils;  H,  hélice  motrice  en  soie  tendue  sur  une  carcasse  d'aluminium;  R,  roues  servant  de  volant 
pour  la  marche  et  de  support  an  moment  de  l'atterrissage  ;  Â,  réservoir  à  eau  pour  le  lest  ;  B,  réservoir  à  essence. 


Plusieurs  modèles  de  voitures  ont  déjà 
été  construits  d'après  ce  principe.  Le  pre- 
mier était  simplement  destiné  au  transport 
du  personnel  et  du  petit  matériel  ;  nous 
avons  aujourd'hui  des  voitures  pour  les 
îfrandes  échelles  et  même  des  pompes 
montées  sur  caisson  électrique  iflg.  4  t. 

Les  accumulateurs  installés  sous  la  voi- 
ture dans  une  caisse  spéciale  P  sont  inter- 
changeables; une  fois  la  force  électrique 
dépensée,  on  n'a  qu'à  défaire  les  chaînes 
qui  supportent  cette  boite  et  à  changer 
celle-ci  pour  une  nouvelle  qui  est  chargée. 


Depuis  1884,  on  ne  s'était  plus  occupé 
de  la  navigation  aérienne;  ce  n'est  que 
dernièremenl  que  la  question  a  été  reprise 
111  Allemagne  par  le  comte  /.eppelin,  et 
chez  nou.s  par  M.  de  .Sanlos-Dumont. 

Ces  deu.v  explorateurs  emploient  l'un  et 
l'autre  un  moteur  à  pétrole  construit  sur 
le  même  principe  que  ceux  qui  sont  em- 
ployés pour  les  voitures. 

Un  petit  moteur  installé  sur  une  cai'casso 
en  acier  est  placé  à  la  portée  du  naviga- 
teur, qui  est  monté  sur  une  selle  légère;  à 
ses  pieds  se  trouvent  des  pédales  dont  il 
se  sert  pour  opérer  la  mise  en  train  de 
l'appareil  ;  les  deux  roues  situées  au-des- 
sous du  siège  servent  de  volant  en  cours 


de  marche  et  peuvent  également  être 
employées  avec  profit  au  moment  de 
l'atterrissage.  Le  moteur,  dont  la  force  est 
de  10  chevaux,  peut  faire  l.")00  tours  à  la 
minute  ;  grâce  aux  transmissions  cette 
vitesse  est  réduite  à  180  tours  sur  l'arbre 
horizontal  qui  reçoit  l'hélice  motrice'  du 
ballon.  Celle-ci  est  située  aune  des  extré- 
mités, elle  est  en  soie  du  Japon  et  se 
trouve  tendue  sur  une  carcasse  en  alumi- 
nium (Og.  Ti). 

A  coté  du  conducteur,  on  peut  voirdeux 
boites  cylindriques  dont  les  extrémités 
sont  allongées  en  forme  de  pointe  ;  la  plus 
grande  A  est  remplie  d'eau  qui  sert  de 
lest,  l'autre  B  est  un  magasin  à  essence. 

Un  gouvernail  (i  situé  sur  l'aérostat 
même  est  actionné,  suivant  les  besoins, 
par  le  conducteur. 

Tel  est  l'appareil  ;  maintenant  de  «[uoi 
est-il  capable  ?  L'expérience  nous  le  dira 
sans  doute. 

Bien  que  très  intéressants  en  eux- 
mêmes,  ces  travaux  sur  la  direction  des 
ballons  ne  donneront  sans  doute  aucun 
résultat  pratique;  la  question  est  à  l'étude 
et  y  sera  encore  longtemps.  La  solution 
de  la  navigation  aérienne  est  théoriipic- 
ment  possible  assurément,  mais  en  pra- 
tique on, n'y  arrivera  pas!  C'est  un  autre 
pôle  nord  ! 

A.     1>  A    C  II  Nil  A. 


CHKOMUUK    TIIKATRALK 


Mes  prévisions  pessimistes  du  début  de 
la  saison  ne  se  réalisent  pas  tout  à  fait. 
J'en  suis  aise,  croyez-le,  et  je  serai  tout  à 
fait  heureux  le  jour  où  l'événement  me 
donnera  complètement  tort.  Nous  n'en 
sommes  pas  encore  là,  malheureusement, 
mais  enfin  je  salue  avec  joie  quelques 
(l'uvres  qui  contiennent  plus  que  des  pro- 
messes et  qui  permettent  de  bien  augurer  de 
l'avenir  en  se  réjouissant  du  temps  présent. 

La  rentrée  a  été  abondante  en  premières 
de  toute  sorte.  Les  plus  saillantes  furent  : 
cellesde  la  Comédie-Française,  du  Théâtre- 
Antoine,  du  Gymnase  et  du  Vaudeville. 


CoMtniE-FR.v>ÇAisE.  —  Alkeslh,  drame  en 
cinq  actes,  en  vers,  dont  un  prologue 
d'après  Euripide,  par  M.  Georges  Hivollet. 

Des  trois  grands  tragiques  grecs,  Euri- 
pide n'est  peut-être  pas  le  plus  puissant, 
mais  il  est  sûrement  le  plus  humain. 
Eschyle  a  plus  de  grandeur  farouche, 
Sophocle  plus  de  majesté,  de  tendresse 
et  d'horreur,  mais  dans  Alccsli'  dont 
M.  Georges  Rivollet  vient  de  nous  donner 
avec  Alkestis  une  très  fidèle  et  très  heu- 
reuse translation,  Euripide  se  rapproche 
d'une  humanité  moins  archa'ique,  plus 
moderne,  pour  ainsi  dire,  et  s'affranchit 
de  la  loi  inéluctable  de  r'Avxy/.f,  dont  la 
poétique  grecque  est  accablée.  Cette  his- 
toire du  dévouement  d'Alceste  consentant 
à  mourir  pour  sauver  les  jours  d'Admetos, 
son  époux  et  son  roi,  garde  bien  encore 
l'empreinte  de  la  Fatalité  aveugle  qui  exige 
une  victime,  sans  expliquer  pourquoi  ; 
mais,  en  consentant  à  l'échange,  Thanatos 
s'avoue  vaincu  et  sa  défaite  se  change  en 
déroute  lorsque  Iléraklès  vient  lui  ravir 
jusque  dans  la  tombe  la  douce  reine  «  au 
regard  de  gazelle  ».  Il  y  a  dans  ce  débat 
nouveau  une  tendance  manifeste  à  n'ac- 
cepter pas  les  arrêts  sans  appel  du  Destin 
qui  dut,  en  son  temps,  paraître  aux  ortho- 
doxes du  paganisme  une  véritable  hérésie. 


L'infaillibilité  des  dieux  mise  en  doute,  il 
s'en  fallait  de  peu  qu'elle  ne  fut  niée  tout 
à  fait.  Les  grands  schismatiques  du  catho- 
licisme n'ont  pas  fait  pire  et  l'Eglise  les  a 
frappés  d'excommunication  majeure...  .le 
ne  sache  pas  que  pareil  traitement  ait 
jamais  été  réservé  au  grand  tragique  par 
les  pontifes  de  son  temps. 

En  intitulant  sa  pièce  draine  plutôt  que 
tragédie.  M.  Georges  Rivollet  a  été  heu- 
reusement inspiré.  Dans  Alcestc,  en  effet, 
la  règle  fondamentale  des  trois  unités 
reçoit  quelque  atteinte  par  l'introduction 
du  personnage  épisodique  d'Iléraklès,  vé- 
ritable Deus  ex  machina,  qui  fait,  pendant 
un  instant,  dévier  Faction,  s'il  ne  la 
dédouble  pas  tout  à  fait.  Tandis  que  le 
cortège  funèbre  porte  au  champ  de  repos 
la  victime  volontaire  de  l'amour  conju- 
gal, tandis  que  les  sistres  résonnent  au 
loin  dans  la  campagne  et  que  les  sanglots 
d'Admetos  scandent  de  plaintives  onoma- 
topées le  rythme  des  danses  et  celui  des 
chants  de  mort,  la  joie  ingénue  du  héros, 
ignorant  du  deuil  de  son  hôte,  crée  une 
diversion  théâtrale  dont  l'ingénieux  et 
frappant  contraste  relève  du  genre  de  pro- 
cédés dont  la  scène  moderne  a  usé  et 
abusé.  Cette  innovation,  pour  heureuse 
qu'elle  soit,  n'en  est  pas  moins  une  rup- 
ture essentielle  avec  les  principes  fonda- 
mentaux. A  ce  seul  point  de  vue  de  <i  mé- 
tier »,  si  l'on  peut  user  d'un  terme  pareil 
à  propos  d'oeuvres  capitales  dans  lesquelles 
le  métier  disparait  sous  l'art  noble  et 
impollué,  Alceste  mériterait  une  place  à 
part,  mais  l'œuvre  m'attire  et  me  charme 
par  une  autre  cause  plus  élevée  :  son 
humanité! 

Alceste  est  un  drame  humain,  non  parce 
que  les  hommes  y  agissent  à  l'exclusion 
des  dieux  —  le  dialogue  de  Pho'ibos-Apollon 
avec  Thanatos,  dieu  de  la  mort,  au  prolo- 
gue, et  l'intervention  directe  d'Héraklès, 
demi-dieu,  venant  dénouer  l'action,  à 
laquelle  il  n'a   pris    dès  le    début  aucune 


C.llHiiMiit   i:     TlIKA  TliAl.i; 


part,  provive  le  contraire  —  mais  parce 
ijue  dans  cette  pièce,  dieux,  héros,  rois, 
peuples,  y  penscit,  y  discutent,  y  agissent 
en  hommes  dont  le  libre  arbitre  se  révolte 
contre  la  Fatalité.  Les  événements  qui  se 
déroulent     en    péripéties     graduellement 


Jupiter,  il  se  révolte  encore  contre  le  cour- 
roux célesle.  S'il  ne  réussit  pas  à  con- 
vaincre et  à  fléchir  Thanatos  rôdant  autour 
du  palais  pour  y  saisir  sa  proie,  il  n'en 
discute  pas  moins  avec  le  dieu  des  tom- 
beaux   et    le    menace  de  la    colère    d'un 


.\ll»ort  l.i\ni(jert 

Aîl-estis.  —  Premier  acte. 


émouvantes  sonl  d'une  liumanité  tangible. 
Les  souffrances  et  les  révoltes  des  uns,  les 
fureuis  et  les  espérances  des  autres,  les 
luttes  de  tous,  sonl  l'écho  des  joies  et  des 
douleurs  d'une  luiniauilé  amoureuse  et 
gémissante. 

Pho'i'bos-Apollon,  dans  le  prologue,  expo- 
sant les  molifs  qui  expliquent  l'intérêt  qu'il 
porte  à  .\driiclos,  rappelle  sn  lutte  contie 
!<•  père  des  Dieux,  el,  au  souvenir  du 
incurirc    de    son   fds    Asclépios,    lue    par 


iiuiiKirlcI.  Irtimme  cnccire.  lléraUlés  redres- 
seur de  loris,  dont  II  prédit  la  victoire. 

Admète,  tout  en  s'inclinant  devant  l'arrêt 
du  Destin  qui  le  condamne  à  vivre,  ne  s'en 
indigne  pas  moins  contre  la  loi  cruelle  cjui 
le  sépare  de  la  bien-aimée. 

Phérès,  le  vieillard  centenaire,  qui  se 
répand  en  lameulalions  hypocrites  iur  la 
mort  de  l'enfant  sacrifié  à  son  égoïsme,  se 
redresse,  combatif,  sous  les  sarcasmes  du 
cliM'ur  cl   dispide  à  l'opiniiiu' publique    les 


ClIUnNIi^H   I-;     TIIKATUAI.K 


reslos  incprlains  d'une  existence  éphémère. 

linrin  Iléraklès,  secouant  son  ivresse 
ingénue  et  ignorante  des  douleurs,  pour 
voler  au  combat  dont  Alccste  est  le  prix, 
se  mesure  avec  raveuglc  Destin  et  le  ter- 
rasse en  lui  arrachant  sa  proie. 

Voilà  bien  des  sacrilèges,  bien  des  cri- 
mes commis  contre  le  dog.ne  de  l'intailli- 
bilité  d' 'AvïY'/'-';  ;  ce  sont  ces  hardiesses 
novatrices  qui,  jointes  à  l'émotion,  au 
pathétique  et  au  charme  du  drame  doivent 
classer  Alcesle  à  part  dans  l'aihniration 
qu'on  doit  aux  chefs-d'œuvre  de  l'anti- 
quité et  je  félicite  M.  Georges  Hivollet  de 
sa  translation  respectueuse,  qui,  tout  en 
adaptantà  notre  langue  et  à  notre  carac- 
tère le  drame  d'Euripide  a  su  cueillir 
intacte  cette  fleur  d'art  éclose  au  jardin  de 
Beauté. 


Tiiéathe-Antoine.  —  Sur  lu  fui  des  cluiles. 
drame  en  trois  actes  de  M.  (labriol  Tra- 
ricu\. 

Deux  amis  d'enfance  Olivier  et  Claude, 
deux  frères  en  amitié,  ont  passé  leur  jeu- 
nesse à  se  dévouer  l'un  pour  l'autre  :  Oli- 
vier, riche  héritier,  aidant  Claude  de  sa 
bourse,  lui  permettant  ainsi  d'achever  ses 
études  et  de  devenir  une  célébrité  médi- 
cale ;  Claude,  acquittant  sa  dette  par  une 
tendresse  fraternelle  que  rien  ne  semblait 
devoir  altérer  jamais.  Malheureusement, 
l'amour  est  venu  se  jeter  h  la  traverse  et 
désunir  ces  deux  cœurs.  Olivier  s'est 
marié,  il  a  épousé  sa  cousine,  la  belle  et 
ardente  Jacqueline  que  Claude  aimait,  en 
secret,  trop  Cer  pour  oser,  lui,  bâtard  sans 
fortune,  avouer  son  amour,  et  trop  dévoué 
à  son  ami  pour  ne  pas  accepter  héro'ique- 
ment  le  sacrifice  du  silence.  Sous  prétexte 
d'études  à  terminer  et  de  grands  travaux 
à  accomplir,  Claude  s'est  enfui;  il  cherche, 
dans  la  fournaise  parisienne,  à  tuer  son 
cœur  par  l'étude,  tandis  qu'Olivier,  entre 
sa  femme,  sa  tante  Edmée,  une  vieille  fille 
dévouée  qui  lui  sert  un  peu  de  mère,  et 
un  vieil  ami,  le  docteur  Monnier,  ([ui  lui 
prodigue  ses  soins,  assiste,  clairvoyant, 
résigné,  au  travail  funèbre  que  la  tuber- 


culose accomplit  lentement  et  sûrement 
dans  son  organisme,  victime  de  ce  mal 
inéluctable,  dont  il  se  sait  atteint  hérédi- 
tairement et  dont  il  a  constaté  la  march.- 
erfrayante,  lors  de  la  mort,  survenue  quel- 
ques mois  plus  tôt,  de  son  fils,  un  bébé  de 
deux  ans,  enlevé  en  quelques  heures  par 
une  méningite  suspecte^  dont  l'origine 
atavique  ne  lui  laisse  aucun  doute  sur  son 
élat...  Non  seulement  il  se  sait  condamné, 
lui,  mais  il  comprend  qu'il  ne  peut  que 
procréer  des  êtres  condamnés  comme  lui 
et  il  redoute,  non  sans  raison,  pour  celle 
qu'il  aime,  la  contagion  du  redoutable 
Oéau.  C'est  pour  cette  double  raison  ipiil 
a  cessé,  avec  Jacqueline,  toute  relation 
intime,  mais  il  croit  de  son  devoir  d'épar- 
gner à  la  jeune  femme  la  douleur  d'une 
telle  révélation,  et  son  sacrifice  reste 
silencieux  et  héro'ique,  car  Jacqueline 
s'imagine  qu'Olivier  ne  I  aime  plus  et  le 
malheureux  préfère  la  laisser  dans  cette 
erreur  plutôt  i\\ie  de  la  détromper  à  un  tel 
prix. 

Cependant,  il  veut  lutter  contre  sa  des- 
tinée et,  pour  tenter  l'impossible,  il  rappelle 
près  de  lui  son  ami,  dont  la  science  mieux 
éclairée  viendra  peut-être  en  aide  ii  la 
thérapeutique  sommaire  du  docteur  Mon- 
nier. Claude  a  répondu  à  l'appel  ;  il  a 
jugé  du  premier  coup  la  gravité  du  mal, 
mais  n'a  pas  perdu  tout  espoir.  Il  faut  des 
soins  minutieux,  une  méthode  sévère  et 
méticuleuse,  qui  exigeraient  près  du  ma- 
lade la  présence  d'un  maitre  en  l'art  de 
guérir.  Que  ne  reste-t-il?  Que  n'abandonne- 
t-il  ses  travaux?  Que  ne  renonce-t-il 
à  l'avenir  qui  s'ouvre  devant  lui  ?  Le 
sacrifice,  certes,  serait  grand  ;  mais  ne 
le  doit-il  pas  à  Olivier  par  qui  il  est 
devenu  ce  qu'il  est  "?  Mais  Claude,  en  re- 
voyant Jac<iueline,  a  senti  se  réveiller  en 
lui  la  passion  qu'il  croyait  éteinte,  et,  pour 
ne  pas  trahir  son  devoir  d'amitié,  il  veut 
fuir.  Il  s'en  explique  franchement  avec 
Jacqueline.  La  jeune  femme  le  supplie  de 
tenter  le  miracle,  elle  lui  montre  la  gran- 
deur et  la  beauté  du  devoir  qui  les  proté- 
gera contre  la  tentation  criminelle  et, 
cédant   à    ces  sollicitations,  d'accord  taci- 


en  liuMijr  I-:    iii  kath  a  m: 


lement  avec  ^on  clésii',  Claude  consenl  à 
rester. 

Ce  qui  devait  aii-ivei'  arrive. 

Au  contact  de  cette  passion  ardente, 
Jacqueline,  dans  une  crise  d'amour  trop 
longtemps  refusé  à  sa  nature  ardente,  est 
devenue  la  maîtresse  de  Claude,  et  s'aper- 
<.oit  un  jour  que  celte  faute  s'a),'gravc  d'un 
<l»nf;er  :•  la  maternité...  Les  ^dçux  cou- 
pables traînent  l'épouvantable  remords 
■ilavoir  conservé  la  vie  au  malbeureux 
pour  lui  infliffcr  cette  atroce  douleur  de 
se  savoir  trahi  dans  son  amour  et  dans 
son  an.itié...  Seuls,  en  face  de  leur  crime, 
ils  discutent  entre  eux  les  moyens  de  le 
cacher,  mais  aucun  n'est  possible.  Oli- 
vier surprend  leur  secret.  Cette  blessure 
morale  est  jjIus  mortelle  encore  que  le 
mal  physique.  Le  moribond,  après  le  pre- 
mier moment  d'indignation,  envisage 
l'avenir  avec  la  clairvoyance  et  la  sûreté 
<le  jugement  de  ceux  qui  déjà  n'appar- 
tiennent plus  à  la  terre  :  il  enjoint  à  Claude 
de  partir,  mais  lui  ordonne  en  même 
temps  de  se  tenir  prêt  à  répondre  à  son 
premiei'  appel  :  l'enfant  qui  doit  naître  et 
que  la  loi  lui  donne,  il  le  gardera,  c'est 
lui  qui  sera,  sans  subir  la  loi  fatale  de 
l'atavisme  physiologique,  l'héritier  de  la 
fortune  de  celui  dont  légalement  il  portera 
le  nom;  quant  à  la  malheureuse,  dont  la 
faute  est  atténuée  par  la  méprise  à  laquelle 
le  silence  d'Olivier  a  donné  lieu,  elle  est 
pardonnée  déjà.  Dans  un  codicile  ajouté 
à  son  testament,  le  moribond  fixe  ses  vo- 
lontés dernières,  enjoint  à  Claude  de 
rendre  après  s^i  mort  l'honneur  qu'il  a 
ravi  à  Jacipieline,  en  s'unis.sant  régulière- 
ment à  elle,  dessein  qu'il  avait  déjà  déli- 
bérément formé  avant  de  connaître  l'abo- 
minable vérité,  et,  tranquille  désormais 
sur  l'avenir  de  ceux  qu'il  laisse  après  lui, 
en  règle  avec  sa  conscience  qui  lui  dit, 
par  la  bouche  du  brave  docteur  Monnier, 
tpi'il  est  des  vérités  mortes  sous  la  lumière 
non  encore  éteinte  desiiuelles  nous  mar- 
chons dans  la  vie,  comme  il  en  est  d'aïutres 
<léjà  nées  dont  la  lueur  ne  brillera  que  pour 
de  futures  générations,  semblables  en  cela 
aux  étoiles  défuntes  dont   le  diamanl  scin- 


tille toujours  aux  cieux  alors  que  nos  yeux 
ne  perçoivent  pas  encore  la  lueur  des  pla- 
nètes si  lointaines  que  leur  clarté  n'appa- 
raîtra que  dans  un  avenir  encore  éloigné, 
Olivier,  livre  à  la  fraîcheur  mortelle  d'une 
nuit  d'automne,  sa  poitrine  dénudée,  et 
aspire  à  longs  traits  dans  l'air  glacé  la 
libératrice  et  la  consolatrice  de  Ions  les 
maux  du  corps  et  de  l'âme,  la  mort. 

Ce  drame  qui  s'élève  aux  sommets  tra- 
giques est  une  œuvre  noble,  abondante  en 
pféçeples  d'une  robuste  et  sereine  philo- 
sophie et  sert  de  développement  à  la  belle 
thèse  du  dévouement  et  de  l'abnégation. 
L'auteur,  M.  Gabriel  Trarieux,a  eu  le  rare 
Ijonheur  de  donner  à  sa  pensée  la  forme 
impeccable  il'un  style  dont  la  sévérité 
n'exclue  ni  la  poésie  ni  la  grâce  émue  que 
conqiorlent  un  tel  sujet. 


TniiATiu;  PI  ("iVMNASiî.  —  /„•»  Bourse  au  In  vlv! 
Comédie  en  quatre  ailes  de  M.  .Mfied 
Capus. 

En  dépit  de  sou  titre  dramatique,  la 
pièce  de  M.  Alfred  Capus  est  une  obser- 
vation joyeuse  de  la  vie  et  des  caractères 
de  notre  temps.  L'humoriste  doublé  d'un 
philosophe  indulgent  qu'est  l'auteur,  sait, 
d'un  trait  léger,  mais  nettement  tracé,  sou- 
ligner les  bizarreries  et  les  ridicules  de  la 
comédie  parisienne.  Très  renseigné  sur 
les  nombreux  compromis  de  conscience 
qui  forment  la  base  de  la  morale  courante, 
M.  Alfred  Capus  dédaigne  d'en  ratiociner; 
il  se  contente  de  les  mettre  à  nu,  de  les  at- 
tirer en  pleine  lumière  et  s'amuse  à  nous 
montrei  les  marionnettes  humaines  dont  il 
sait  à  merveille  manier  les  ficelles.  Son  es- 
prit malicieux  n'aspire  point  au  triomphe 
des  rires  sonores  et  se  garde  des  vulgarités 
et  des  brutalités  du  vaudeville,  il  estime 
que  le  sourire  discret  de  la  comédie  de 
nnj'urs  est  le  régal  des  délicats  et  met  son 
ambition  à  les  satisfaire.  Il  regarde  les 
hommes  d'un  air  narquois,  soulève  à  demi 
le  masque  hypocrite  derrière  lequel  ils 
abritent  leurs  vices  et,  satisfait  de  cet 
examen  cpii  le  mel  à  l'abri  de  toute  jobar- 


:iiiin.\  11,) ri:    tiikatk  ai.I': 


ilise,  il  les  laisse,  sans  plus,  agir  à  leur 
{ïuise,  suivant  leur  tenipéramcnl...  Son 
ironie  n'est  jamais  méchante,  ni  acerbe, 
elle  pique  souvent  et  ne  blesse  jamais; 
maniée  d'une  main  ilélicatc,  elle  effleure 
les  sujets  qu'elle  se  contente  d'égratigner 
au  vol.  Plus  fin,  ou  si  Ion  veut,  d'esprit 
moins  spécialement  boulevardier  que  Meil- 
hac,  il  possède  le  don  de  l'émotion  dont 
cet  homme  de  grand  talent,  c]ui  fid  un  par- 
fait égo'iste,  était  totalement  dépourvu.  Lui, 
au  contraire,  sait  toujours  faire  la  part 
indulgente  des  enirainements,  de  la  néces- 
sité, et  ([uand  il  se  mêle  de  dessiner  une 
<le  ces  figurines  pimpantes  et  jolimenl 
troussées  qu'on  ajipelait  hier  les  femmes 
«  à  la  Meilhac  »,  et  qu'il  se  pourrait  qu'on 
appelât  demain  les  femmes  ■  à  la  l'.apus  •■, 
son  crayon  s'amollit  en  grâce  et  son  trait 
s'adoucit  à  la  manière  du  dreuze  de  la 
(bruche  c.i.ssëc. 

Il  y  a,  dans  la  comédie  du  Gymnase,  deux 
délicieuses  figures  de  Parisiennes  incon- 
scientes, dont  le  dessin,  d'une  netteté 
de  pointe  sèche,  s'harmonise  de  façon 
charmante  avec  la  grâce  et  la  douceur 
d'un  pastel.  Pervenche  et  M"'"  Herbault 
sont  des  types  ijue  nous  rencontrons 
chaque  jour.  Si  nous  ne  les  découvrons 
pas  nous-mêmes,  c'est  que  notre  regard 
n'est  pas  suffisamment  exercé  à  percer 
les  petits  mystères  de  ce  monde  futile  et 
froufroutant,  qui  papillonne  et  ondoie  sous 
le  soleil  de  Paris  à  la  façon  d'une  fleur  qui 
aurait  des  ailes...  et  des  épines;  Capus, 
lui,  les  voit  de  son  œil  de  myope;  il  en 
cinématographie  les  capricieux  ébats  et 
en  note  les  bourdonnements;  il  jette  sur 
elles  son  filet  de  gaze  et  les  pique  sur  son 
carton  de  collectionneur,  sans  en  altérer 
la  couleur  ni  le  parfum,  sans  leur  faire 
perdre  un  seul  grain  de  la  poussière  d'or 
qui  les  habille  de  lumière. 

Et  quelle  sûreté  de  trait  dans  ses  études 
masculines  1  \e  connaissez-vous  pas  ce 
Jacques  Herbault  qui,  d'imprudence  en  in- 
conscience, glisse  peu  à  peu  jusqu'à  la  li- 
mite extrême  où  l'homme  d'honneur  côtoie 
la  police  correctionnelle,  regarde  avec 
stupeur   la  ruine   dont    il    est    l'auteur   et 


envisage  sans  tro|)  d  étonnement  l'éven- 
tualité d'un  croc-en-jambe,  d'unç  chique- 
naude donnés  à  la  stricte  observance  du 
devoir,  à  la  condition  de  toujours  demeu- 
rer correct  et  homme  du  monde  '.'  El 
Brassac  !  Est-il  donc  un  étranger  pour 
nous,  cet  homme  d'affaires,  ce  brasseur 
de  coups  de  fortune,  ce  «  bluffer  >■  dont 
la  moralité  douteuse  s'élève  parfois  jus- 
qu'à une  probité  rtlative  qui  lui  fait 
écarter  de  son  chemin  toute  opération 
louche,  du  moment  qu'elle  ne  lui  est  pas 
absolument  indispensable".' 

(^e  soni  là  des  personnages  qui  s'élèvent 
jusqu'au  type,  ils  caractérisent  leur  temps, 
dont  ils  deviennent  le  symbole.  C'est  la 
marque  a'un  auteur  comique,  au  sens 
noblement  philosophique  du  mot,  de  syn- 
thétiser ainsi  et  de  peindre  la  généralité 
en  la  condensant  dans  une  exception. 

Les  aventures  et  les  mésaventures  du 
ménage  Herbault,  la  perversité  ingénue 
de  Pervenche,  la  gymnastique  acrobatique 
de  Brassac,  exécutant  sur  la  corde  raide  la 
danse  des  millions,  qui  forment  l'intrigue 
de  la  comédie  que  le  Gymnase  vient  de 
représenter  avec  tant  de  succès,  constituent 
un  des  spectacles  les  plus  gaiement  sati- 
riques auxquels  il  nous  ait  élé  donné  d'as- 
sister depuis  longtemps. 


V.vvuEviLLE.  —  Sylvie,  ou  la  curieuxe  d'ammir. 
pièce  en  quatre  actes  de  M.  .\bel  Hermanl. 

Comiaissez-vous  les  Confessions  d'une 
Aïeule?  Ce  roman  écrit  en  forme  de  mé- 
moires dans  lequel  M.  Abel  Hermant  fit 
raconter  autrefois  à  la  jolie  et  amoureuse 
marquise  Sylvie  de  Beauvoisin,  comment 
par  la  faute  d'une  série  d'événements  dans 
lesquels  la  Révolution,  le  Directoire  et 
quelques  autres  régimes  politiques  subsé- 
quents précipitèrent  sa  vie  aventureuse, 
elle  passa  successivement,  des  bras  du 
marquis  son  premier  époux,  dans  ceux  du 
fermier  Nicolas  Gagnon,  acquéreur  de 
biens  nationaux,  pour  se  réveiller,  sur 
l'ordre  de  l'Empereur,  dans  ceux  du  maré- 
chal duc  de  Spalato,  et  s'endormir  enfin 
sur  le  cd'ur  d  un  jeune   aide  de  camp  du 


l.IllKiNlgrK    TlIKATliAI.K 


maréchal,  le  comte  Henri  de  Suberville, 
ami  trenfance  de  la  volage  marquise,  a 
fourni  à  Tauloui'  le  sujet  d"uno  pièce  d'une 
délicieuse  et  spirituelle  inconvenance  dans 
laquelle  l'art  et  la  délicatesse  sauvent, 
avec  une  adresse  extrême,  tout  ce  qu'un 
pareil  sujet  pouvait  présenter  de  scabreux. 
M.  Abel  llermant  excelle  dans  ce  genre. 
Ses  iruvres  précédentes,  l,i  Moule,  In 
(^arriiTc,  la  lionnr  Ilâlessi',  mettaient  à 
nu,  non  sans  une  certaine  férocité  de  bon 
Ion,  les  i)laii'K,  les  tares,  les  ridicules  de 
la  société  contemporaine.  Monde,  demi- 
monde,  société  diplomatique,  il  a  tout 
observé  avec  une  suite  de  méthode  indis- 
cutable, et  c'est  avec  impassibilité  qu'il 
dressa  le  bilan  de  ses  observations.  Son 
ironie  —  car  l'ironie  est  l'arme  usuelle  des 
écrivains   do  la    jeune   frénération    —   son 


■  Ki'jant'.  lîurpiu't. 

Premier  acte. 

ironie  est  moins  ■■  cordiale  •■  que  celle  de 
M.  ("apus,  les  piqûres  en  sont  plus  pro- 
fondes, elle  vont  souvent  jusqu'à  la  chair, 
^lais  il  sait  retenir  le  coup  (|u'il  porte  et 
ne  s'engaf;e  jamais  à  fond. 

Dans  Si/lrir,  le  champ  d'études  est  plus 
vaste;  ce  n'est  plus  une  société,  un  frag- 
ment de  société  seulement  qu'il  soumet  h 
son  examen,  c'est  une  série  de  mondes 
divers  enchevêtrés  l'un  dans  l'autre  par 
les  perturbations  sociale;'  du  commence- 
ment du  siècle.  Il  se  plail  à  en  tirer  la 
pliilosoplue  ])arfois  mordante  sous  une 
forme  volontairement  légère. 

l.a  pièce  est  amusante  et  habillée  avec 
un  luxe  de  costumes  cpii  en  fait  un  spec- 
tacle aussi  agréable  aux  yeux  qu'.'i  l'i-spril. 


M 


I'    1.1  ir.  vui:. 


Troisième  acte. 


LA    MUSIQUE 


Th^athe  >ation  VI,  ni-:  i/Opéha-Comique.  — 
Lî  Basnrhe,  opéra-comique  en  trois  actes, 
paroles  de  M.  Albert  Carré,  musique  de 
M.  A,  Messager. 

Depuis  bien  longtemps  je  n'avais  passé, 
à  rOpcra-Comique,  une  aussi  agréable 
soirée.  A  formuler  cette  opinion,  je  n'étais 
pas  le  seul  :  et  je  ne  sais  qui  je  dois  le 
plus  féliciter,  du  directeur  de  TOpéra-Co- 
mique,  des  auteurs  ou  du  ministre  qui 
donna  la  permission  à  M.  A.  Carré  de 
monter  ce  charmant  opéra-comique  dont 
il  est  l'auteur,  et  pour  lequel  M.  André 
Messager  a  écrit,  glanant  les  fleurs  les 
plus  parfumées,  les  plus  resplendissantes 
de  son  inspiration,  une  partition  tout  sim- 
plement exquise. 

Tous  les  rôles  sont  interprétés  fort 
agréablement.  Dans  le  duc  de  Longue- 
ville    il   n'est    pas  possible  d'être  d'un  co- 


mique plus  fin,  plus  spirituel  et  plus  en 
voix  que  ne  l'est  l'excellente  basse  chan- 
tante, M.  Fugère  ;  il  chante  son  grand  air 
du  troisième  acte  avec  une  telle  verve  que 


re.minin       est  un  vrai  problè    .     me 


ce  ne  sont  pas  des  bis  mais  des  ovations 
sans  fin  et  bien  méritées  décernées  à  l'ar- 
lisle  aimé  par  un  public  d'autant  plus  exu- 
bérant qu'il  est  seul  maintenant  à  manifester 
ses  approbations,  la  claque,  l'horripilante 
claque  ayant  été  récemment  supprimée  à 
rOpéra-Coraique. 

Quant   il   M""  Rioton,    elle  est  tout  sim- 
plement exquise  dans   le  gracieux  rôle  de 


i.A    MiSKUi: 


Colette  et  lorsqu'elle  vient,  dans  le  décor 
de  la  Salle  du  Trône  de  l'hôtel  des  Tour- 
nelles,  en  grand  costume  de  reine  de 
l-'rance,  on  ne  peut  que  regretter  que  son 
gracieux  profil  ne  soit  pas  destiné  à  être 
l'effigie  très  fine  et  très  gracieuse  frappée 
sur  notre  monnaie. 

Malheureusomeiit  il  en  est  des  reines 
comme  des  fées.  Elles  ne  sont  jolies  que 
lorsqu'elles  sont  du  domaine  du  Rêve,  de 
la  fiction  !...  Vivantes  et  régnantes  en  des 
temps  fabuleux,  en  des  pays  rêvés!...  Mais 
M""  Hioton  n'est  pas  seulement  charmante, 
ce  qui  est  beaucoup  déjà,  mais  serait 
insuffisant  ,'i  l'Opéra-Comique  ;  elle  est 
aussi  une  adroite  comédienne  et  surtout 
une  très  agréable  cantatrice.  Elle  chante 
avec  un  senliment   naïf  cette  pastourelle, 

ij'l.'l   Ml   il  i^plÇjTil'  ^'N 

Il  était  un'  foisun'bergè.re  Qui  gardait  sur  le 


bord  de IVau.Soii  blanc  troupeau  Danslatcugè.re, 

mais  elle  a  détaillé  avec  un  art  exquis  ses 
«■ou|ilets  du  troisième  acte,  lorsqu'elle 
raconte  au  roi  Louis  XII  la  cérémonie  de 
son  mariage  avec  Clément  Marot  qu'elle 
s'obstine  à  prendre  pour  le  roi  de  France. 


En  l'honneur 


notre  hyme'.ue' .  e 


Au  lieu  de  vous  raconter  le  sujet  de  ce 
charmant  opéra-comique,  je  préfère  vous 
conseiller  d'aller  l'applaudir  ou  tout  au 
moins  de  le  lire  chez  vous.  Vous  vous 
léjouirez  à  la  lecture  de  toutes  ces  scènes 
si  bien  enchevêtrées  les  unes  aux  autres, 
et  dans  la  partition  dont  chaque  page  méri- 
terait d'être  citée,  vous  retrouverez  une 
poésie  de  C^lément  Marot  admirablement 
interprétée  musicalement  par  l'auteur  et 
que  chantait  si  bien,  et  de  sa  plus  belle 
voix,  M.  Soulacroix,  lors  des  premières 
rcitrésentalions  en  mai  1890. 


Jesuisay.mé   de  la  plus  bel 


Le  Clément  Marot  de  cette  reprise  est 
M.  Jean  Périer,  bon  comédien,  qui  s'est 
fait  applaudir    dans    cette   j(jlie    romance 


A  ton  amour  simple  et  sin.cfe     .     re. 


i(u'il  a  détaillée  avec  beaucoup  de  goût.  Ces 
applaudissements  étaient  d'autant  plus 
mérités  que,  desservi  par  un  organe  peu 
lyri([ue,  .M.  Jean  Périer  ne  pouvait  effacer 
le  souvenir  de  Soulacroix. 

L'orchestre  s'est  surpassé  :  et  M.  Mes- 
sager qui  le  conduisait  a  eu  la  modestie  de 
ne  pas  vouloir  recommencer  le  passepied 


>"'''fjiF|!^|^l^ 


que  le  public  applaudissait  et  redemandait 
instamment.  Les  décors,  les.  chirurs,  la 
mise  en  scène,  dans  ses  moindres  détails, 
sont   ce    qu'ils    sont   toujours,  à   l'Opéra- 

Cimii([ue,  des  plus  soignés. 


Oi'iin   1 1  I  AiHK    i^ïlioàtro  île  la  itcpubliquc  . 

—  I.n  Hoirie  de  kaha.  opéra  en  (jualrc  actes, 
(le  J.  Harbicr  et  M.  Carre;  musique  de 
C,h.  ("lounod.  —  /.;im]>a,  opcra-comique,  en 
trois  actes,  do  Molesvillc;  mu.sique  d'IIérold. 

—  Piiiil  et  Virginie,  opéra  en  trois  actes,  de 
J.  Barbier  et  M.  Carré  ;  musique  de  Victor 
Massé. 

Comme  on  peut  le  voir,  le  directeur  de 
l'Opéra  populaire,  M.  Durel,  a  eu  le  bon 
esprit  de  n'ouvrir  cette  nouvelle  scène 
lyrique  qu'avec  trois  ouvrages  tous  mon- 
tés et  représentés  consécutivement  avec 
beaucoup  de  succès.  Le  succès  répondra- 
t-il  à  ce  grand  eflorf?...  Je  le  crois,  car  les 
premières  recettes  ont  été  des  plus  bril- 
lantes ;  puis,  pour  le  conquérir,  et  ce  qui 
est  plus  difficile,  le  gardei',  M.  Durct  a 
tout  fait.  Aidé  de  M.  A.  Itancs,  l'érudil 
musicien,  il  a  soigneusement  recruté  une 
bonne  troupe  artistii|ue  bien  homogène  : 
pas  d'étoile  absorb.inl  tout   cl  entourée  de 


i.A    Misigri-: 


non-valeurs,  mais  un  ensemble  d'artistes 
pleins  de  bonne  volonté  et  doués  de  sé- 
rieuses qualités  lyriques.  M.  Duret  a  confié 
la  direction  de  l'orchestre  à  un  tout  jeune 
compositeur  de  talent;  il  n'a  que  vingt-six 
ans,  M.  Henri  Busser,  grand  prix  de  Home 
de  1893  et  dont  les  lecteurs  du  Morul- 
Moderne  n'ont  certainement  pas  oublié 
l'Archet,  la  jolie  mélodie  publiée  dans  la 
numéro  îiO. 

M.  Biisser  dirige  fort  bien  :  et,  de  même 
que  son  orchestre,  les  chœurs  tri's  bien 
stylés  ont  mérité  les  plus  sincères  encou- 
ragements. Si  je  disais  que  les  chn-urs  se 
sont  fait  bisser!  La  Société  des  concerts 
du  Conservatoire  ou  le  choral  de  l'Opéra 
n'ont  jamais  été  à  pareille  fête. 


Que Dieuvous accoiTLpHgiie,  ô  filles  sabe. 


eniies'.QueDieQSoitavec  vouso  fillesde  Sion 

Ce  charmant  chœur  dialogué  de  la  Reine 
de  Sabu  n'est  pas  le  seul  à  avoir  eu  du 
succès.  Dans  le  rôle  de  Denoni,  M"'  Gil- 
lard  a  été,  avec  juste  raison,  très  remar- 
quée. Elle  a  fort  gracieusement  détaillé 
cette  mélodieuse  romance  : 


Adoniram,    c'est    M.    Emile    Cazeneuve 
qui  vaillamment  a  enlevé  l'andantc 


iiispirez-moi     ra.ce  di  .  vi 

Très  touchante,  M"«  J.  Brielti  a  donné 
au  rôle  de  la  reine  de  Saba.  à  Balkis,  une 
allure  des  plus  poétiques  et,  sans  affec- 
tation, elle  a  bien  nuancé  sa  cavatine 


ré.5i"iie-toi  mon  cœur,        ou.bli  .  e. 


Le  rôle  de  Soliman  ayant  été  inter[)rété 
par  un  baryton  au  lieu  d'une  basse,  je  ré- 
serve mes  appréciations  sur  M.  Stamlei- 
qui    a     chaulé  agréablement    le  larghetto 


Sous  les  pied-. 

et  dire  que  c'est  en  parlant  de  cette  jolie 
partition  renfermant  des  pages  remar- 
quables qa'Azévedo  écrivit  dans  l'Opinion 
nnlionnh'  du  i  mars  1862  :  •'  M.  Gounod 
n'est  pas  mélodiste  ou  l'est  si  peu  que  ce 
n'est  vraiment  pas  la  peine  d'en  parler...  ■ 
Ohé  les  arrêts  de  la  critique,  ohé!... 

L'écueil  de  la  direction  de  l'Opéra  popu- 
laire réside  dans  cette  phrase  que  je  copie 
textuellement  chez  un  de  mes  confrères. 
M.  A.  Lemonnier  :  "  Le  voilà  enfin, 
l'Opéra  populaire  désiré  depuis  si  long- 
tenùps  par  le  public  d'abord,  ensuite  par 
tous  les  compositeurs  ([ui  ont  besoin  de 
prouver  sur  une  scène  hospitalière  qu'ils 
ont  assez  de  talent  pour  être  représentés 
un  jour  à  l'Opéra  ou  à  l'Opéra-Comique.  •• 
Si  M.  Duret  veut  faire  de  son  théâtre  une 
scène  de  combat,  ses  jours  sont  comptés  ; 
s'il  persiste  à  diriger  son  Opéra  populaire 
en  vue  de  satisfaire  le  bon  goût  musical 
des  quartiers  qui  l'environnent,  avec  des 
ouvres  déjà  connues  et  que  le  public  ser;» 
très  heureux  de  réapplaudir,  son  avenir 
est  illimité.  Car  il  ne  faut  pas  l'oublier, 
le  Théâtre  de  la  République  est  un  grand 
théâtre  de  quartier,  et  sa  plus  sérieuse 
clientèle  est  formée  par  l'industrie,  le  com- 
merce et  les  ateliers. 

Les  grands  succès  de  /Campa  et  de  Paul 
et  Viri/inie  sont  là  pour  me  donner  raison, 
et  si  la  direction  de  l'Opéra  voulait  per- 
mettre h  M.  Duret  de  remonter  soit  la 
Muette,  soit  la  Juive  ou  la  Reine  de 
Chypre,  ce  serait  chaque  soir,  pour  le 
public,  une  fête,  et  pour  la  direction  des 
résultats  inespérés. 


L'Odéon  continue  à  faire  de  la  bonne 
musique.  Que  dis-je!  il  monte  des  ouvrages 
nouveaux.     Pour    la     Phèdre    de    Racine 


i.A   Misii.>ri: 


M.  Massenet  mieux  inspire  fjue  jamais  a 
écrit,  (ligne  pendant  de  celle  qu'il  composa 
pour  les  Erinnije»  de  Leconte  de  Lisie, 
une  remarquable  partition.  Cette  nouvelle 
œuvre  débute  par  l'ouverture  déjà  célèbre, 
<'omi)Osée  il  y  a  environ  vingt-cinq  ans  et 
(jui  fifçura  souvent  et  chaque  fois  avec 
succès  aux  programmes  des  concerts  sym- 
phoniques,  et  continue  par  une  série  d'en- 
Ir'acles  Thésée  aux  enfers,  Sacrifice, 
Offrande,  Marche  athénienne.  Imploration 
■.\  Neptune,  Ilippolyte  et  Aricie  et  quel- 
ques courtes  phrases  musicales  soulignant 
parfois  la  déclamation  des  artistes  drama- 
tiques de  rOdéon.  De  toutes  ces  pages 
fort  belles  et  d'un  charme  musical  dont 
Massenet  semble  seul  avoir  le  secret,  il 
faut  mettre  hors  de  pair  avec  ses  son- 
neries de  trompettes  en  tierces  super- 
posées sur  les  unissons  dans  le  registre 
grave  des  fliites  la  marche  athénienne  et 
le  dernier  entr'acte  qui  porte  le  titre  Ilip- 
polyte et  Aricie.  Celte  page,  perle  de  ce 
riche  ccrin  mélodique,  est  un  exquis  duo 
de  clarinette  et  de  cor  anglais  accompagné 
par  les  violons  en  sourdine  qui  a  été 
acclamé  et  redemandé  avec  instance  à 
l'excellent  orchestre  que  dirige  avec  un 
sentiment  artistique  des  plus  expressifs 
M.  Kd.  Colonne,  le  digne  interprète  de  ce 
<harmeur  souvent  imité,  jamais  égalé 
(pi'est  Massenet. 


TuicATHE  i.i:  1  \  KuxAissAMjr..  —  Les  l'eliles 
Vestales,  opéra  b  luITc  en  trois  actes  de 
MM.  E.  Dcpré  et  Hernède,  musique  de 
MM.  1".  I.e  Hey  et  .Justin  Clérice. 

.\près  le  grand  ail  avec  Gonnod  cl  Mes- 
sager, je  m'en  voudrais  d'oublier  l'opé- 
rette. A  la  (iaité,  théâtre  des  reprises,  on 
a  réaffiché  hx  2S  jours  de  Clnirelle.  pas- 
sons. Aux  Variétés,  l'excellent  musicien 
I,.  Varney  a  écrit  une  partition  sui'  une 
pièce  de  MM.  Victor  de  Cottens  et  Pierre 
Weber.  Celte  pièce  n'est  ni  une  revue, 
ni  une  comédie,  ni  une  opérette,  ni  un 
■\audeville,  ni...  passons,  et  arrivons   aux 


amusantes  Petites  Vestales,  si  luxueuse- 
ment montées  par  M.  O.  de  Lagoanère. 
Musique  pimpante  et  sentimentale,  sujet 
fort  amusant,  réparties  spirituelles  et 
lestes.  Que  faul-il  de  plus"?...  une  bonne 
interprétation;  mais  avec  MM.  Guyon  fils, 
l'icaluga,  M°"*  (ierniaine  Riva  et  Éveline 
Sanney,  elle  est  des  plus  brillantes,  el  si 
je  voulais  citer  tous  les  bons  artistes,  il 
me  faudrait  vous  donner  le  tableau  com- 
plet de  la  troupe  de  la  Henaissance. 

Un  peu  leste,  le  sujet  des  Petites  Ves- 
tales est  cousin  germain  de  .Miss  Helyell 
el  de  la  Belle  Hélène.  Cypris,  l'action  se 
passe  en  Grèce,  est  aimée  du  sculpteur 
Scopas  dont  les  élèves  el  les  praticiens 
font  plus  de  bruit  que  de  besogne. 


.ment    quipre'.fèreiitlapeiiilure,MMis  ill'autbiiiiplus 

iji'l  I  I    t  liî  I  [  I'  'tI'I   1    I 

i1h  talent  Quand  onveutfair'delasculptu  .  re. 

.laloux,  Palacklès  fait  enlever  la  jeune 
fille  par  le  grand  prêtre  de  Vesta,  Adol- 
plios,  qui  dirige  Jn  couvent  de  jeunes 
filles  vouées  au  culte  de  la  déesse  du  feu. 
Après  de  nombreuses  el  hilarantes  péri- 
péties parmi  lesquelles  se  trouve  assez 
ingénieusement  motivée  l'absence  des 
bras  de  la  Vénus  de  Milo,  les  deux  jeunes 
gens  se  retrouvent  et  se  marient. 

Quoicpic  la  fin  soit  très  morale,  ce  n'est 
pas  un  spectacle  pour  jeunes  filles  et,  pour 
les  dédommager,  je  leur  conseille  de  se 
contenter  de  jouer  la  jolie  valse  lente  qui 
sert  d'entr'acte  au  troisième  acle. 

Gl'  1  1. 1.  A  I    M  1      It  \  N  V  lus. 


Les   Petites  Vestales 


MM.    K.   Oi.riui  el   Bkhm'ii.e  oI'KKA     uuifke  MM.  I'.  I.i;  Hky  etJ.  Ci.kkk: 

VJ^LiSB        LiEI^TE  E  IST  T  K,  '  .A.  C  T  B 


PIANO 


Publié  arer  l'aulorisulion  de  M.  Paul  Dupont,  éditeur,  Paris.  —   Tous  droits  réservés. 
XIII.  -  ^. 


r.nS    PETITES    VESTALES 


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i:\'km:mi;nts  (;K()(;r,APiiiQri:s 

i:r  coLo.MAL  .\ 


Le  11  janvier  1890,  le  gouvernement 
portugais,  qui  venait  de  procéder,  dans 
des  pays  africains  lui  appartenant  en 
propre,  à  certaines  mesures  de  police, 
recevait  du  gouvernement  anglais  le  billet 
amer  que  voici  : 

Le  gouvernonioni  anglais  désire  avec  insis- 
tance que  les  instructions  suivantes  soient 
envoyées  immédiatement  par  tiïlé^'raphe  au 
piuverneur  du  Mozambique  :  [iuppelez  aus- 
sitôt toutes  les  forces  portugaises  se  trouvant 
actuellement  sur  le  Chirv.  ainsi  ii'ie  sur  le 
territoire  des  Maliololos  et  dans  le  Mashona- 
land.  Le  f^ouverncmcnt  an};lais  est  d'avis  que, 
l'aute  de  cela,  les  assurances  données  par  le 
gouvernement  portugais  ne  sont  qu'illusoires, 
et  M.  Pétre  (le  ministre)  se  verra  forcé,  con- 
formément à  ses  instructions,  de  quitter  im- 
médiatement Lisbonne  avec  les  membres  de 
la  légation,  s'il  ne  recevait  pas,  (:^;T  Ai'niis- 
Mini,  une  réponse  satisfaisante. 

De  plus,  on  apprenait  à  Lisbonne  qu'une 
escadre  anglaise,  concentrée  à  Gibraltar, 
surveillait  l'entrée  du  Tage,  et  que,  en 
Afrique,  d'autres  escadres,  battant  le 
même  pavillon,  faisaient  les  cent  milles 
devant  les  côtes  des  possessions  portu- 
gaises. Ce  que  voyant,  le  ministre  des 
affaires  étrangères,  M.  Somez,  répondit  à 
son  aimable  correspondant,  M.  de  Salis- 
bury  : 

En  présence  d'une  rupture  imminente  avec 
la  Grande-Bretagne,  et  considérant  toutes 
les  conséquences  qui  pourraient  en  résulter, 
le  gouvernement  portugais  se  soumet  aux 
exigences  formulées  dans  les  deux  dernières 
notes  du  gouvernement  anglais.  Tout  en 
réservant,  à  tout  égard,  les  droits  de  la  cou- 
ronne portugaise  sur  les  territoires  susmen- 
tionnés de  l'Afrique,  ainsi  que  le  droit  qu'elle 
possède,  en  vertu  de  l'article  12  de  la  con- 
vention de  Berlin,  de  recourir  ù  un  arbitrage 
pour  la  solution  de  la  question  en  litige,  le 
gouvernement  du  Roi  envoie  au  gouverneur 
du  Mozambique  les  "luiiins  que  lui  impose  la 
Grande-Bretagne. 

Le  Portugal  réclama  l'arbitrage  aussi 
ardemment  que  les  Boërs  le  réclament 
aujourd'hui.  Mais  l'Angleterre  avait  une 
raison    suffisante    pour    repousser    alors, 


comme  aujourd'hui,  l'arbitrage  :  elle  n'étail 
pas  dans  son  droit.  ï^lle  voulut  com- 
mander. Dès  que  la  convention  du  20  aofil 
1890  fut  connue  à  Lisbonne,  un  mouve- 
ment d'indignation  révolutionnaire  éclata  : 
le  ministère  qui  l'avait  conclue  tomba  ; 
tout  était  à  craindre  :  les  Cortès  no  rati- 
fièrent pas  la  convention,  et  elle  devint 
caduque,  tlependant  l'Angleterre  envahis- 
sait le  Manica,  en  expulsait  le  gouverneur 
portugais,  et  ses  navires  de  guerre  for- 
çaient les  passes  du  Zambèze.  Elle  avait 
résolu  d'imposer  sa  volonté;  elle  y  réussit 
par  le  traité,  dont  nous  aurons  à  parler, 
du  11  juin  IS'.il  :  elle  avait  démembré,  à 
son  profit,  et  par  la  force,  l'Afrique  cen- 
trale portugaise. 

Conclusion  :  de[iuis  lors,  dircz-vous,  le 
Portugal  a  dû  demeurer  l'ennemi  do  qui 
la  si  fort  malmené'?  Lcoutez,  plutôt... 

Dix  ans  sont  passés  —  un  jour  dans  la 
vie  des  peuples. — L'Angleterre,  poursui- 
vant avec  une  persévérance  admirable  et 
une  confiance  superbe  la  réalisation  de 
sa  maxime  :  dermir  toujours  plus  ijramh, 
s'est  heurtée  à  un  autre  petit  peuple  et  a 
résolu,  cette  fois,  de  le  supprimer,  «c  La 
race  saxonne,  écrivait  dans  son  fameux 
ouvrage  Greater  Rritain  sir  Charles  Dilke, 
la  race  saxonne  est  dans  le  monde  la  seule 
race  exterminatrice  {cxlirpnlinfj'i.  ••  Le 
inonde  vit  alors  avec  étonnement  un  em- 
pire de  trois  cents  millions  d'hommes  aux 
prises  avec  deux  petits  peuples,  les  Boërs, 
qui  comptent,  réunis,  trois  cent  mille  ha- 
bitants. La  (|uestion  était  simple  :  un  gros 
voulait  manger  un  petit.  Comme  le  gros 
était  très  gros,  les  puissances  en  furent 
réduites  à  une  neutralité  impatiente  ; 
quelques-unes,  cependant,  ne  purent  tenir 
secrètes  leurs  préférences  :  la  Hollande 
offrait  au  président  Krïiger  l'hospitalité 
sur  un  navire  de  guerre,  la  France  recevait 
le  président  en  chef  d'État.  Or,  seul,  le 
Portugal  a  fait  ceci. 

Dès  avril  l'JOO.  il    a    autorisé   le   dcbar- 


i;  \"  i;  N  K  M  K N T  s  ( ;  i; (  1  (  ;  I i  A 1  •  1 1 1  g  i ■  i-: s 


quemeiil  sur  son  propre  lerriloiro,  à 
lieïra,  des  troupes  ;iiiglaises  de  sir  Fred. 
C;irrinfjlon,  et  leur  passage  à  travers  le 
Mozambique  jusqu'en  Rliodesia .  Ces 
troupes  devaient  prendre  à  revers,  sur  le 
Limpopo,  les  Boërs.  Le  Portugal  déclara 
qu'il  agissait  ainsi  en  observation  de  notes 
échangées  avec  l'Angleterre,  en  1891  : 
ces  notes  n'ont  jamais  été  publiées.  Mais 
ce  (|u'il  oublia  d'expliijuer,  ce  fut  l'accueil 
chaleureux  que  firent  aux  soldats  anglais 
ses  propres  fonctionnaires.  Ces  fonction- 
naires, plus  récemment,  en  septembre, 
.sont  allés  à  Komati-Poort  passer  une  revue 
d'autres  soldats  anglais,  organisée  en 
l'honneur  du  roi  Charles  de  Portugal. 
Enfin,  le  !i  décembre,  le  Daily  Mail  an- 
nonçait que  le  matériel  saisi  par  les  auto- 


poudre'et  de  dynamite  —  a  été  livré  par 
CCS  autorités  au  consul  d'.\ngleterre  à 
Delagoa-Hay. 

lin  IH70,  si  la  Suisse  avait  permis  à  l'Al- 
lemagne de  nous  attaquer  aussi  sur  le  Jura  ; 
en  1871,  si  la  Suisse  avait  livré  à  l'Alle- 
magne les  fusils  qui  tombaient  des  mains 
lasses  de  nos  réfugiés,  qu'aurions -nous 
dit?  Que  la  Suisse  était  l'alliée  de  l'.Mle- 
magne. 

Le  l'ortugal,  dans  la  guérie  contre  les 
lîoérs,  est  le  smil  allié  de  l'Angleterre. 

Ceci  vaut  ipielques  éclaircissements. 


Nous  voyons,  dans  les  Smjits,  que  les  an- 
ciens Scandinaves  étaient  des  gens  rusés. 
Débarqués  sur  les  côtes  d'Allemagne,  ils 


'  I      AFRIQUE       OR'-'         y jj,Ji.^,Aj 


«*;  IUHt{MI 
0  ce  A  AI 


ml    ^  -r^^^P  ft^'rf" 


INDIEN 


L  K  s    r  0  li  T  U  G  A  I  s     DANS    L  '  A  K  U  1  y  f  K    n  C     SUD 


rites  portugaises  au  moment  où  un  corjis 
boër  s'était  réfugié  sur  leur  territoire  - 
en  tout  G  millions  de  cartouches,  -2  000  fu- 
sils, 2  pièces  de  campagne,  un  canon 
aulniualiqiie,  2   iiulrailleuses,   i   tonnes   de 


y  fureni  reçus  à  bras  ouverts  par  les  habi- 
tants, les  bons  (;hérus([ues  :  "  (juel  cadeau, 
leur  demandèrent  ceux-ci,    vous   sérail   le 
plus  agr('Nd)le  ?     -  Une  poignée  de  lene. 
Ouellc    Miodeslie  1    ••    Mais    il   adxint    ipie. 


K  A'  1  :  N  !■:  M  i:  n  t  s  r,  v.  o  (  ;  m  ai»  1 1 1  q  l' i-:  s 


lorstiue    les    Scandinaves    eurent    reçu   la 
poignée  de  terre  chérusque,  ils  la  répan- 
dirent en  poussière  ténue  sur  tout  le  pays 
el     prétendirent      que 
tout    le     pays    était    à 
eux.  (le  fut  aux  autres 
d'en  sortir. 

Missionnaires  e  l 
commerçants  anglais, 
dans  l'Afrique  du  Sud 
—  et  dans  bien  d'au- 
tres endroits  encore  — 
ont  appliqué  mille  fois 
les  maximes  de  la  di- 
plomatie des  anciens 
Scandmaves. C'est  ainsi 
que,  partis,  au  commen- 
cement de  ce  siècle, 
des  établissements  de 
la  côte  du  Cap,  ils  par- 
venaient bientôt  sur  le 
fleuve  Orange  et  le 
franchissaient  aussitôt. 
Cette  marche  vers  le 
Nord,  qui  ne  devait 
s'arrêter  que  sur  les 
bords  du  lac  Tanga- 
nyika,  fut  surtout  l'œu- 
vre d'un  homme  de  gé- 
nie :  sir  Cecil  Rhodes. 
De  cet  homme  et  de 
cette  œuvre,  nous  avons 
parlé  suffisamment  ici 
mènïe  {Revue  de  juillet 
et  novembre  1900)  ; 
mais  le  temps  n'était 
pas  encore  venu  de 
décrire  l'arrivée  de  la 
vague  britannique  sur 
les    frontières    de    l'Afrique     portugaise. 

Trois  obstacles  se  dressaient  devant  les 
Anglais  entre  l'Orange  et  le  Tanganyika  : 
l'Allemagne,  ([ui  de  1883  à  1888  étendait 
son  influence  sur  le  Namaqualand,  le  Da- 
maraland,  le  pays  des  Hereros  et  qui  sem- 
blait chercher  à  tendre  la  main,  à  travers 
le  Betchouanaland,  aux  Boërs  des  Répu- 
bliques sud-africaines;  —  ces  deux  Répu- 
bliques qu'on  disait  alors  désireuses  de 
conquêtes  (on  rapporte  qu'à  la  fin  de  ISS7 


un  géographe  soumit  au  président  Kriiger 
une  carte  sur  laquelle  les  territoires  du 
Transvaal  étaient  coloriés  on  jaune  et  ceux 


A      il  A  L)  i.  K  E     —     PAYSANNES 

de  Lo-Bengula  en  brun  sombre  :  i<  Faites- 
les  jaunes  aussi  »,  aurait  dit  M.  Kriiger 
en  indiquant  le  Malabeleland  et  le  Souazi- 
land  i  —  et  le  Portugal,  qui  travaillait  à 
unir,  par  des  explorations  multipliées, 
l'Angola  de  l'ouest  au  Mozambiipie  de  l'est. 
Avec  l'Allemagne,  les  négociations  fu- 
rent aisées.  L'empereur  pensait  comme 
son  ex-chancelier,  le  prince  de  Bismarck  : 
«  L'Angleterre  est  plus  importante  pour 
nous   que    le   Zanzibar   et  toute    l'Afrique 


K  \  l':\  KM  i;\  TS    (i  KiiC  H  Al'll  HJIK 


orienlalo.  »  lù  </ii'-  luiilr  iAfrii/iic  du  Sud, 
pounail-on  ajouter  aujourd'hui.  C'est  pour- 
quoi rAUcmagnc  consentit  à  s'arrêter  au 
20"  degré  de  longitude  est  Greonwich  : 
elle  recevait  seulement  une  étroite  bande 
do  terre  qui  se  prolongeait  jusqu'au  /.ani- 
bèzc  supérieur.  —  Avec  les  Hépubliquos 
hoi'rs,  il  a  fallu  se  battre;  el  la  guerre  dure 
<l('puis  qualorzi'  mois.  A  la  date  du  !"■  ilé- 
cenibrc,  le  W.ir  o/fici'  avouait  les  p(M'tes 
suivantes  :  "iT'.t  officiers  morts,  1 1  035  sous- 
officiers  et  soldats  morts  ;  au  total,  morts, 
prisonniers  ou  rapatriés  comme  invalides  : 
40  728  officiers,  sous-officiers  et  soldats. 
L'Angleterre  commence  à  penser  que 
l'extiriiation  de  l'obstacle  républicain  lui 
ciiùlera  bien  chfr.  —  Et  le  Portugal? 

Malgré  l'opinion  anglaise,  dos  Portu- 
gais, bien  avant  le  siècle  de  Livingslone, 
ont  exploré  l'arrière-pays  et  du  Mozam- 
bi(|UO  et  do  l'Angola.  Dos  ll'itHI,  l'un  d'eux, 
Hmiii'Ii),  fDiidait  Tété,  sur  le  Zamboze,  et 
nn\r;iit  à  s<'s  compatriotes  le  marché  du 
Maiiioa.  L'Angleterre  n'était  encore,  comme 
dit  une  vieille  chanson  du  temps  de  Sha- 
Uospoare,  qu'  ■■  un  nid  de  cygnes  sur  un 
étang  ».  Au  xvii"  siècle,  les  Portugais  re- 
oonnaissonl  le  cours  du  Zambèzo  ;  au  xvm', 
ils  atteignent  le  lac  Moero,  dans  l'Ktat  in- 
dépendant actuel  du  Congo  ;  du  côté  de 
r.\ngola,  ils  poussent  jus([u'au  centre  du 
.Mouata-"\'amvo.  Puis  vint  un  long  som- 
meil,dont  les  réveillent  les  découvertes  de 
.Stanley.  Les  grands  voyages  de  Serpa 
Pinlo,  de  Cordoso,  de  Capello  et  Ivens, 
font  reprendre  l'ancienne  idée  do  réunir 
r.\ngola  au  Mozambique,  définitivement. 
C'est  alors  que  le  Machonaland, d'une  pari, 
lo  M()uata-Yamvo,de  l'autre,  reconnaissent 
lo  ])rotectorat  portugais;  les  liavaux  <\i'  la 
ligne  de  Saint-Paul-dc-Loanda  Ji  .\inliaca 
CtOO  kilomètres)  sont  activement  poussés  ; 
ceux  de  la  ligne  de  Lourenzo-Marqnès  à 
la  frontière  transvaalionne,  inaugurés  on 
j\iiii  ISSil;  la  navigation  des  bouches  du 
Zambèze  est  améliorée.  Lo  Portugal  allait 
barrer  l'Africpie  australe,  d'oui'sl  on  est,  do 
Loanda  à  Quilimane. 

Alors  intervint  l'Angletorro. 

Déjà,  elle   avait  disputé  au     l'orlugal  la 


possession  de  la  baie  de  Delagoa.  Coite 
baie,  large  de  20  kilomètres,  profonde 
de  51 ,  forme  le  meilleur  port  de  la  cote  sud- 
ost  d'Afrique,  le  port  de  Lourenzo-Mar- 
(|uès.  De  plus,  c'est  la  porte  naturelle  du 
Transvaal.  Le  maréchal  de  Mac-Mahon, 
alors  président  delà  Hépublii(ue  française, 
choisi  comme  arbitre,  confirma  los  droits 
du  Portugal  sur  la  ]néciouso  baie  2't  juil- 
let IX7!'>  .  l.'.Vnglotorre  se  souvint  sans 
doute  de  ce  fâcheux  précédent,  lorsqu'un 
nouveau  conflit  éclata  entre  elle  et  le 
Portugal,  sur  le  haut  Chiré,  dans  le  Nyassa. 
La  tribu  des  Makololos  ayant  arboré  des 
drapeaux  anglais,  le  major  Serpa  Pinto 
enleva  ces  drapeaux,  leur  fit  rendre  les 
honneurs  militaires  et  les  renvoya  au 
consul  britannique,  à  Quilimane.  Nous 
avons  dit  quelle  altitude  brutale  prit  lord 
Salisbury,  l'ultimatum  tju'il  adressa  au 
ministère  portugais  et  la  soumission  à 
laquelle  fut  réduit  celui-ci.  ("est  que  los 
diverses  compagnies  de  l'Afritiue  australe, 
Brilisli  lifcliuannlnnil  C°,  <ynlr.il  liri- 
linliC",  etc.,  venaient  de  se  fondre  en  une 
seule  :  la  fameuse  lirilish  South  Africi 
(^omjiiiny,  plus  connue  sous  le  nom  de  la 
Churtcred.  cl  que  l'àme  de  l'organisation 
nouvelle  était  Cecil  Rhodes. 

Or  Cecil  Rhodes  était  assez  puissant 
pour  poser  au  Portugal  le  dilemme  que 
devait  poser  au  Transvaal  M.  (Chamber- 
lain :  la  soumission  ou  la  guerre.  Le  Trans- 
vaal choisira  la  guerre.  Le  Portugal  choisit 
la  soinnission. 

Kl  c'est  ainsi  que  lui  conclu  le  traité  du 
Il  juin  1801,  qui  brisait  définitivement  la 
puissance  portugaise  dans  l'Afrique  du  Sud. 
On  verra,  sur  notre  carte,  les  limites  qu'il 
imposait  à  l'Angola,  d'une  part,  au  Mozam- 
bique, de  l'autre.  Entre  ces  deux  tronçons 
se  faisait  place  largement  la  poussée  bri- 
tanni<iue  ;  elle  recouvrait  le  .Matabélt'land, 
lo  Machonaland,  franoliissail  lo  /anibèze 
enlie  Zambo,  à  dioite,  et  Sochéko,  h 
gauche,  arrivait  au  lac  Bangouelo,  s'épan- 
dail  du  lac  Nyassa  au  lac  Tanganyika. 
Cecil  Rhodes  avait  vaincu  ;  désormais  il 
pouvait  construire  sa  ligne  télégraphique 
transafricaine,  étudier  le  tracé  do  son  cho- 


1-:  y  K  N I-;  m  i  :  v  r 


i;  A  iMi  iiiri-: 


mincie  fer  traiisafricaHi  ;  désormais  il  pou- 
vait se  lourner  vers  le  Transvaal  et  prépa- 
rer le  raid  Jameson. 

C^e  n"est  point,  certes,  que  les  immenses 
territoires  laissés  au  Portugal  par  le  bon 
vouloir  de   l'Angleterre   manquent   de   va- 


recèle  également  cent  richesses  qui  atten- 
dent d"ètre  exploitées  :  l'or  du  Manica  et 
du  Sofala,  le  caoutchouc,  le  café,  le  tabac, 
le  coton,  le  santal  du  Nyassa,  l'arachide 
et  rivoirc  de  la  région  du  Mozambique,  le 
caoutchouc,  le  riz,  le  café,  la  houille  de  la 


i  r  i;     LE     Z  A  51  B  È  Z  E     P  0  R  T  F  fi  A  I  i 


I  N  D  I  U  È  N  E  S     P  lî  É  P  A  R  A  X  T     LA 


leur.  L'Angola,  qui  en  est  encore  au  début 
de  l'exploitation  agricole,  industrielle  et 
commerciale,  est  d'un  commun  avis  une 
colonie  d'avenir.  Sur  le  plateau,  les  euro- 
péens peuvent  se  livrer  au  travail.  Les 
cultures  vivrières  sont  abondantes  :  l'une 
d'elles,  le  ma'is,  peut  trouver  dans  l'Afrique 
du  Sud  mèuie  un  emploi  certain  ;  le  café 
et  la  canne  ù  sucre,  dès  à  présent,  don- 
nent des  résultats;  des  terres,  exception-' 
nellement  riches  en  caoutchouc ,  se 
trouvent  dans  le  voisinage  de  l'Etat  indé- 
pendant. Enfin  la  colonie  possède  des 
gisements  houillers.  Sur  la  mer  opposée, 
l'Eslado  (la  Africa  oriental  —  tel  est  le 
nom,  depuis  le  30  septembre  1891,  de 
l'ancienne      colonie    du    Mozambique     — 


Zambézie,  la  canne  à  sucre  du  district  de 
Lourenço-Marquez...  Mais  ces  territoires 
africains,  qui  s'étendent  sur  plus  de  '2  mil- 
lions de  kilomètres  carrés,  que  peuplent 
7  millions  et  demi  d'habitants,  exigent, 
pour  leur  mise  en  valeur,  d'énormes  capi- 
taux et  la  situation  financière  du  Portugal 
est  critique,  chacun  le  sait.  Mais,  de  plus, 
est  mort  le  rêve  des  jingoes  portugais  :  la 
jonction  de  ces  territoires  sur  les  rives  du 
Zambèze.  Et  voilà  pourquoi  Lisbonne, 
sans  un  regard  pour  ce  qu'on  lui  laissait, 
n'a  eu  que  des  regrets  pour  ce  qu'on  lui 
prenait  ! 

Dans  la  presse  illustrée,  que  de  poings 
fermés,  que  de  pieds  de  nez,  que  de  menaces 
à   l'adresse  de   John    PjuII,  «   ogre  britan- 


i;  \'  K  N 1-:  M  !■:  n  t  s  c.  i-;  (  m  ;  h  a  r  ii  i  g  r  i-:  s 


nique  »,  «  avaleur  breveté  de  colonies  »! 
Une  amusante  caricature  transformait  le 
monument  historique  du  roi  Joseph  I", 
place  du  Commerce,  à  Lisbonne,  en  une 
slaluo  rie  la  reine  Vietoria.  Au-dessous, 
un  lis^iil  : 

l.'liistoirc  (lu  Porlu^'nl  compte  aujourd'hui 
(lru\  IremblcnientS  de  terre  :  celui  de  1"55  et 
eelni  ihi  20  août  ISdO  date  du  traité  anglais. 
).r  marquis  de  Pond)al  a  fait  reconstruire  une 
ville  nouvelle  sur  les  ruines  de  l'ancienne  Lis- 
lionne.  Aujciurd'hui  il  faudrait  refaire  la  même 
chose,  parce  que  la  capitale  portugaise  est 
devenue  ville  anglaises  ilans  ce  dessin,  nous 
offrons  au  gouvernement  un  nouveau  projet 
de  monument,  sans  modifier  en  rien  les  lignes 
générales  du  monument  primitif  tpii  a  encore 
l'audace  d'affirmer  que  nous  fumes  un  peuple 
digne  et  respecté. 

Le  caricaturiste  qui  écrivait  ces  lignes 
ou  1890  sans  doute  aujourd'hui -parlerait 
de  doter  son  pays  «  d'un  gouvernement 
enlièroment  anglais  qui  arriverait  à  donner 
l'illusion  qu'il  est  portugais  ».  C'est  que, 
nous  l'avons  vu,  Lisbonne  et  Londres  sont, 
dans  la  réalité  des  clioses,  alliés;  et  même 
leur  alliance  vient  de  s'éprouver  sur  cette 
])icrre  de  louche  qui  est,  pour  les  alliances, 
la  guerre.  La  victime  de  l'impérialisme 
anglais  aide  aujourd'hui  l'impérialisme  an- 
glais il  dépouiller  une  autre  victime. 


La  Irance  a  épiiiuvé  un  échec,  le  mois 
dernier.  Elle  a  perdu,  d'un  trait  de  [ilume, 
environ  (iOO 0(1(1  kilomètres  carrés.  11  est 
juste  tl'ajouter  (|ue  nous  avons  perdu  ce 
chilfre  respectable  de  kilomètres  carrés, 
un  peu  de  la  manière  dont  perd  un  denii- 
iiiilliori  le  monsieur  qui  a  acheté  un  billet 
d'un  rrinic,etqui  ne  gagne  pas  à  la  loterie. 
Nous  avions  un  billet,  un  énorme  dossier 
remis  aux  arbitres,  il  Herne  ;  mais  les  kilo- 
mètres carrés,  nous  ne  les  avions  jamais 
eus,  nous  les  réclamions  au  Brésil,  depuis 
deux   siècles...    nous    ne    les    réclamerons 

On  sait  qu'il  s'.igil  du  contesté  l'r.iuco- 
hi-ésilien. 

Lu   juin    IS'.tS,   nous   aMins  exposé    dans 

Im  tli'iw   les  pièces   du   procès,   et    donné 

l'Iiotoyraphies  rommunifiufes 


une  carte  du  territoire  en  litige.  Que  le 
lecteur  nous  permette  de  le  renvoyer  à 
celte  carte;  il  y  verra,  d'un  simple  coup 
d'oeil,  quelle  importance  réelle  a  le  juge- 
ment (]ue  viennent  de  rendVe  les  arbitres 
de  Herne.  Du  procès,  nous  ne  rappelle- 
rons ici  que  l'indispensable.  Le  territoire 
en  litige  avait  été  neutralisé  dès  1700.  par 
une  convention  franco-portugaise.  Au 
traité  d'itrecht,  treize  ans  plus  tard, 
Louis  XIV  renonçait  à  ses  droits  et  pré- 
tentions sur  les  terres  situées  entre  le 
fleuve  des  Amazones  et  la  rivière  Japoc 
ou  Vincent-Pinson.  Qu'était,  au  juste,  cette 
rivière"?  Mais  c'est  l'Oyapock  actuel,  sou- 
tenait le  Brésil,  successeur  en  Amérique 
du  Portugal.  Non,  prétendions-nous,  le 
terme  indien  Japoc  signifie  Hirirre  qui 
fait  (lu  hruil  et  s'applique  i»  tous  les  cours 
d'eau,  coupés  de  chutes  nombreuses,  de 
cette  contrée  ;  le  vrai  Japoc,  c'est  l'Ara- 
gouary.  La  conversation,  sur  ce  thème, 
dura  deux  siècles;  elle  aurait  pu  en  durer 
quatre-vingts.  Cependant  l'or  avait  été 
découvert  dans  le  territoire  contesté;  les 
fusils  y  partaient  tout  seuls  :  il  était  urgent 
de  s'entendre. 

Peut-être  M.  Chamlierlain  eùt-il  adopté, 
comme  moyen  d'entente,  la  guerre.  Nous 
préférâmes  l'arbitrage.  En  avril  I8'.I7,  le 
gouvernement  de  la  Confédéi-ation  helvé- 
tique fut  prié  de  Iraneher  le  dilTérend;  en 
décembre  1900,  il  a  l'ail  e<innailre  s<in 
jugement:  nous  avons  perdu;  tout  le  ter- 
ritoire contesté  est  recunnu  biésilien.  Le 
Japoc,  c'est  l'Oyapock,  a-t-on  déclaré  i< 
Berne  :  la  France  ira  donc  jusqu'à  l'Oya- 
pock, et  pas  plus  loin.  Cependant  on  nous 
a  accordé  une  liche  de  consolation,  un 
petit  coin  de  8  000  kilomètres  carrés,  situé 
entre  l'ancienne  frontière  et  la  ligne  de 
faite  des  monts  Tumac-IIumac.  Il  est 
"incontestable  que  S  00(1  kilomètres  carré-^ 
constitueraient  une  jolie  ferme,  en  l'rance  ; 
mais  sur  les  monts  'l'umac-IIuinac!...  L'or 
du  territoire  contesté,  ses  piiturages,  sa 
rade  de  Carapaporis  eussent  bien  mieux 
fait  notre  alTaire.  Mais  Uciiie  mm  pas  voulu. 
N'en  parlons  plus! 

ti.isroN     H<irvii:ii. 
par  l;i  Snrii'li-  tir  (ii'-oi/r!ij)liif.l 


LE    MOXD«E    ET    LES    SPORTS 


LA      LUTTE     ET     LES     LLTTEIR; 


nepuis  miel(|iies  années,  pendant  le  mois 
de  déceniljie,  on  peut  assister,  dans  cer- 
tains établissements  de  Paris,  à  des  cham- 
pionnats de  lutte  t|ue  les  amateurs  de  ce 
genre  de  sport  suivent  avec  le  plus  grand 
intérêt.  Ces  luttes  sont  à  demi  sérieuses; 
mais  le  seul  fait  que  les  combattants  agis- 
sent pendant  la  moitié  du  temps  pour  la 
gloire  suffit  encore  pour  attirer  les  vrais 
amateurs.  Il  n'est  pas  douteux  que  les 
directeurs  de  ces  établissements  publics 
ont   pour  principal  souci   de  voir   grossir 


de  la  série  des  soirées,  les  suivantes  per- 
draient une  grande  partie  de  leur  intérêt, 
et  la  recette  en  souffrirait.  Il  est  donc 
certain  ([ue  les  luttes  ne  sont  pas  toutes 
sérieuses  et  que  les  résultats  ne  sont  pas 
tous  décisifs. 

Afin  d'augmenter  encore  le  prestige 
d'une  séance  et  d'enlever  l'enthousiasme 
de  la  salle,  on  s'arrange,  à  prix  d'or,  pour 
que  tel  lutteur  -  ne  citons  pas  de  nom 
—  qui  est  considéré  comme  imbattable  se 
laisse  vaincre  par  quelque  nouveau  venu 


■  i:  I  s  E    D  i: 


la  recette  et  de  prolonger  le  nombre  des 
représentations  le  plus  possible,  afin  de 
retenir  le  spectateur  pendant  plusieurs 
semaines,  tout  en  maintenant  à  peu  près 
fixe  le  déboursé  qu'ils  ont  fait  pour  l'en- 
semble des  engagements.  Si  tel  lutteur 
réputé  était  Inmhé  dès  le  commencement 


autour  duquel  on  a  fait  beaucoup  de  ré- 
clame et  de  tapage.  A  part  ces  faits  qui 
heureusement  ne  sont  pas  constants,  les 
luttes  sont  sérieuses,  et  la  prime  promise 
au  vainqueur  de  la  soirée  est  véritablement 
octroyée  à  celui  qui  a  pu  se  montrer  supé- 
l'ieur  à  ses  collègues. 


i.K   MoMu;   Kl    i.i;s 


UMiHTS 


La  lutlc  est  un  véritable  coiiihal  dans 
lequel  la  force,  l'adresse,  la  science  el  la 
loyauté  sont  aux  prises.  La  force  est 
donnée  en  grande  |)arlie  par  le  poids  de 
l'individu,  cotte  qualité  a  même  une  telle 
importance  qu'il  serait  injuste  de  mettre 
en  face  l'un  de  l'autre  deux  hommes  pré- 
sentant un  écart  de  poids  trop  considé- 
r:il)li»:  l'adresse  est  ac(|uise  p.irune  grande 


sont    fliterdits   et    entraînent    immédiate- 
ment l'arrêt  de  rengagement. 

En  France,  on  ne  distingue  que  deux 
catégories  de  lutteurs;  ceux  dont  le  poids 
est  inférieur  à  170  livres  et  ceux  dont  le 
poids  est  supérieur  à  ce  chiffre;  ce  sont 
les  poids  légers  et  les  poids  lourds,  (^etle 
classiOcation  est  sujette  à  revision,  car  il 
est   absolument  injuste  de  faire  concourir 


LA     CKIXTIMI  E      TAU     D  E  R  R  I  iï  li  K 


liabiluile  (lu  spiirt  i;l  par  des  (nullités  na- 
turelles de  vitesse,  d'agilité,  de  pré- 
voyance des  coups  à  venir,  etc.  ;  la  science, 
à  elle  seule,  peut  déterminer  la  supério- 
rité d'un  sujet:  celui  qui  connaît  bien  les 
coups,  (pii  sait  les  moyens  de  les  éviter, 
qui  arrive  à  engager  son  adversaire,  par 
des  feintes  ou  des  surprises,  à  se  livrer 
est  à  peu  près  sûr  de  la  victoire:  la  loyauté 
enfin  a  son  importance,  car  si  la  lutte  est 
un  combat,  ainsi  (lue  nous  le  disions  plus 
haut,  elle  n'en  reste  pas  moins  un  sport  et 
tous  les  moyens  (pii  auraient  pour  résullijt 
de   blesser    ou   de   meurtrir    l'adversaire, 


un  homme  de  l'2  livres  |)ar  exemple  avec 
un  lutteur, comme  Pons,  qui  pèse  2i-0 livres. 

Kn  Amérique,  la  division  des  sections 
est  plus  rationnelle;  il  y  a  quatre  classes  : 
les  poids  iilumes,  pour  les  hommes  ne 
pesant  pas  IDO  livres;  les  poids  légers, 
compris  entre  100  el  liO  livres;  les  poids 
moyens  entre  120  ot  110,  el  les  poids 
lourds,  pour  les  hommes  supérieurs  à 
I  iO  livres. 

En  France,  la  lutte  est  essentiellement 
courtoise;  il  existe  dès  règles  dont  on 
ne  connaît  guère  l'origine  ;  malheui'eu- 
semenl,  elles  sont  toujours  violées,  aussi 


i.K  MiiXDi:  i:r   i.i:s  spohts 


I2S 


compte-t-on  installer  piocliaincmenl  un 
comité  composé  d'hommes  de  sport  con- 
naissant bien  la  question,  qui  aura  pour 
mission  de  reviser  les  règles  et  de  trou- 
ver des  moyens  pour  que  leur  application 
ne  soit  point  soumise  au  caprice  des 
lutteurs  et  des  arbitres  doccasion. 

Les  principes  qui  régissent  les  règles  de 
la  lutle  française,  i|ui  n"est,  somme  toute, 


dites  cravates,  le  renversement  des  doigts, 
etc.,  qui  provoquent  une  grande  douleur 
et  forcent  le  patient  à  abandonner  la  par- 
tie. Nos  professionnels  ayant  eu  souvent 
f»  supporter  les  mauvais  traitements  de 
leurs  adversaires  moins  courtois,  ont  em- 
ployé à  leur  (our  les  mêmes  procédés,  ils 
s'y  sont  habitués  petit  à  peti(,  si  bien 
([u'aujourd'hui  telles  prises  interdiles  [jai- 


LE      B  F.  A  s     R  11  U  L  K 


qu'une  copie  de  la  lutte  gréco-romaine, 
sont  d'interdire  les  coups  produits  par  des 
chocs,  les  lâchers  qui  entraînent  des  chu- 
tes à  terre,  et,  en  général,  toute  manœuvre 
pouvant  occasionner  des  blessures  ou  un 
tort  physique  quelconque  ;  malheureuse- 
ment, les  entrepreneurs  de  grandes  luttes, 
afin  de  corser  leurs  programmes,  ont 
engagé  des  combattants  américains  et 
turcs  ((ui  ont  moins  d'égards  que  les  nôtres 
et  qui  n'hésitent  pas  à  employer  tous  les 
moyens  possibles  pour  avoir  raison  de 
leur  adversaire,  y  compris  les  luxations 
des  bras,  les  torsions  du  cou,  autrement 


les  règlements,  sont  tolérées  par  les  arbi- 
tres, qui'  ont  peur  de  se  mettre  tout  le 
monde,  y  compris  le  public,  à  dos  en  se 
montrant  trop  sévères. 

I.e  résultat  de  la  lutte  dépend  souvent 
de  l'engagement,  c'est  pourquoi  on  assiste 
au  commencement  du  combat  à  ces  prises 
de  mains  qui  semblent  toujours  un  peu 
ridicules  à  ceux  qui  ne  sont  pas  de  la 
partie.  On  voit  le  lutteur  qui  connaît  les 
règles  et  qui  sait  profiter  de  ses  moyens 
physiques,  offrir  souvent  un  bras  afin  de 
provoquer  un  coup  qu'il  possède  bien  et 
d'où  il  est  sûr  d'avance  de  pouvoir  sortir 


101 


I.K    Ml)\I)K    KT    I.KS    SIM  lier  S 


à  son  avaiilafje  ;  celui  qui  ne  conuail  pas  la 
feinte  s'y  laissera  prendre,  mais  un  autre 
plus  adroit  cherchera  également  de  son 
côté  à  fournir  un  départ  à  son  profit,  si 
bien  qu'au  commencement,  on  voit  i|ue  le 
souci  des  adversaires  n'est  point  de 
chercher  à  s'éviter,  mais  au  contraire  à  se 
livrer  ninluellenienl. 

Nous    n'avons  pas    la   prélenlion  d'iiuli- 


cuisse  droite;  il  est  alors  facile  de  l'ac- 
compagner jusqu'à  terre  en  posant  l'épaule 
droite  sur  sa  poitrine  pour  l'empêcher  de 
se  retourner.  La  parade  de  la  ceinture  par 
devant  est  classique  et  connue  de  tous  les 
lulleurs;  au  moment  où  l'on  cherche  à 
vous  entourer  la  taille  avec  les  hras, 
portez  les  deux  poings  sons  la  mâchoire 
de  l'adversaire  pour  le  forcer  à   renverser 


LA     CItAVATE     (COri'      Df;KKN[)|-) 


quer  ici  Imis  les  couijs  possibles;  ils  va- 
rient même  à  l'infini  ,  mais  d'une  façon 
générale  ils  se  résument  à  deux  mouve- 
ments, tous  les  autres  n'étant  que  des  va- 
riantes :  la  reinliire  et  les  tours. 

La  (Pinliirr  par  devant,  qui  esl  une  opé- 
ration très  couranle  dans  le  cours  dune 
lutte,  consiste  à  entourer  la  taille  de  l'ad- 
versaire avec  les  deux  bras,  à  l'enlever  de 
terre,  aie  balancer  légèrement  à  gauche  el 
fortement  à  droite  pour  se  débarrasser  de 
ses  jambes  ;  on  [)orle  ensuite  le  pied 
gauche  en  arrière  et  on  met  le  genou  droit 
à  terre  de  façon  à  tenir  l'adversaire  sur  l.i 


la  lèle  en  arrière;  si  vous  en  avez  la  fnrce, 
allongez  les  deux  bras  en  avaiil  el  vous 
serez  dégagé. 

Les  loiii-s  sont  de  dilTérentes  espèces  : 
il  y  a  le  loiir  ilf  It'lo,  le  loiir  île  liras,  le 
/')(;/■  ilr  hanrlir,  etc.  Ils  consistent  à  ame- 
ner ro|)posanl  derrière  celui  qui  engage, 
el,  dans  celte  position,  i\  le  prendre  par 
la  tête,  par  la  hanche,  par  les  deux  bras, 
ou  même  lui  seul  bras  ;  puis,  tout  en  le  main- 
tenant dans  celte  position,  à  se  mettre  ;'» 
genoux  el  exécuter  une  tension  de  corps 
(pii  lui  fait  faire  un  grand  arc  de  corde  en 
l'air;  Il  retombe  alors  sur  le  sol,  où  il  esl 


I.1-:  MoNDi:  KT  i,i;s 


facile  de  lui  appuyer  les  deux  épaules.  Ces 
tours  font  beaucoup  d'effet  dans  les  assauts 
et  sont  très  en  usage  chez  les  lutteurs.  La 
parade  est  également  amusante  à  regar- 
der ;  ([uaud  Tadversaire  se  sent  pivoter  en 
Tair,  il  doit  chercher  à  se  raidir  de  façon 
à  ne  pas  tomber  allongé,  mais  à  rester 
dans  la  position  dite  rlu  [tonl,  la  tète  et 
les  pieds  seuls  louchant  la  terre;  un  pi  vo- 
lage rapide  permet  alors  au  lutteur  de  se 
dégager. 

Le  père  des  lutteurs  modernes  est  un 
nommé  Herpin,  qui  resta  champion  pen- 
dant bien  des  années;  toute  la  période  du 
second  Kmpire  lui  appartient  :  il  ne  connut 
ladéfaitequ'en  I8ti7. 
battu  par  Marseille 
aine,  ;i  la  salle  Mon- 
tesquieu ;  le  frère 
do  ce  dernier,  Mar- 
seille jeune,  qui  est 
resté  également 
champion  pendant 
longtemps,  est  le 
fameux  entropre- 
neur  de  luttes  qui 
firent  courir  tout 
Paris  à  la  foire  de 
Neuilly  ;  il  est  mort 
depuis  deux  ans. 
Nous  avons  eu  en- 
core, comme  célé- 
brité, Faouet,  qui  a  i  v  i  v 
remplacé    Marseille 

comme  poids  lourd,  puis  le  pâtre  Etienne 
et  ensuite  François  le  Bordelais.  Ce  dernier 
est  resté  sur  la  brèche  pendant  des  années  ; 
il  a  commencé  d'abord  comme  lutteur 
en  1847,  puis  il  est  devenu  arbitre  et  pro- 
fesseur; aujourd'hui,  il  est  considéré 
comme  un  des  maîtres  les  plus  réputés 
du  sport.  Il  fut  champion  pendant  dix  ans, 
et"  fut  remplacé  par  Piétro.  C'est  lui  qui  a 
bien  voulu  poser,  avec  un  de  ses  élèves, 
les  différentes  photographies  qui  accom- 
pagnent ce  texte. 

Aujourd'hui,  l'étoile  de  la  lutte  qui  attire 
le  public  dès  que  son  nom  parait  sur  une 
afflche,  est  le  fameux  Pons,  un  des  plus 
lourds  lutteurs   connus  ;  il  est,  pour  ainsi 


dire,  impossible  de  le  tomber:  s'il  l'a  été, 
raconte-t-on,  c'est' par  courtoisie  pour  des 
adversaires  étrangers  qui  étaient  venus  en 
France  se  mesurer  avec  lui  et  qu'il  n'a  pas 
voulu  laisser  retourner  dans  leur  pavs 
sans  un  semblant  de  victoire!  Parmi  ces 
derniers,  il  faut  nommer  le  turc  Kara 
Amed,  qui  eut  l'honneur  de  tomber  Pons 
après  avoir  été  /oHffci' par  lui.  Un  des  plus 
terribles  lutteurs  fut  Yousouf,  qui  mourut 
dans  le  naufrage  de  la  Bourgoijne  ;  il  n'était 
qu'au  commencement  de  sa  forme,  mais 
tout  présageait  qu'il  n'aurait  jamais  trouvé 
son  maître.  Pitlazenskî  est  également  un 
des  étrangers  venus  à  Paris  et  qui  tomb.i 
Pons  après  avoir 
été  battu  par  lui. 

Les  lutteurs  ga- 
gnent beaucoup 
d'argent...  quand 
ils  en  gagnent;  dès 
qu'ils  arrivent  à  être 
Lonnus,  ils  n'accep- 
tent pas  d'engage- 
ment à  moins  de 
loO  francs  par  soi- 
rée ;  s'il  s'agit  d'une 
représentation  sen- 
sationnelle, les  di- 
recteurs doivent 
augmenter  les  ho- 
noraires, qui  mon- 
K  r  li  ;  tent    alors    jusqu'à 

500  francs.  On  nous 
a  dit  que  certains  lutteurs  avaient  aussi 
été  paj'és  4  000  francs  pour  des  luttes 
devant  faire  époque. 

Jusqu'à  ces  derniers  temps,  la  lutte  sem- 
blait être  un  sport  exclusivement  réservé 
aux  professionnels  ;  aujourd'hui  pourtant 
bien  des  jeunes  gens  et  même  des  hommes 
d'âge  mûr  prennent  des  leçons  de  lutte, 
non  pour  en  faire  un  moyen  de  défense 
naturelle,  mais  comme  sport  pur;  il  serait, 
en  effet,  difficile  de  trouver  un  exercice 
plus  profitable  à  la  dépense  physique  ;  tous 
les  muscles  agissent  en  même  temps, 
ceux  des  bras,  des  jambes,  du  cou,  du 
torse. 

Eu.NST  NoMis. 


MÉMENTO    ENCYCLOPÉDIQUE 
Événements  de  Novembre  1900. 


1,  —  Inaugura 
nionuiiteut  élevé 
soldats  morts 
M.  lîallav.  gnuv.r 
rsl  nommé  gou 
que     occidentale 


m 


tion.    à    liivsl.    du 

à  la  mémoire  des 

poui-  la  patrii'.  — 

V  '"       iiourilc  la  (luincr. 

t->>,W     verneur  de  l'Afri- 

mm  '■"  ■■'-''"'-""■"* 


MiiNUMEXT    nu   l'UfcslDENT    CARNOT,    A   LYON 


proportionnel  et  d'ëicctinn  du  OpuxiI  ledrral 
par  If  peuple,  repousse  ces  deux  projets. 

5.  —  Encyclique  du  pape  auv  évêques  sur 
le  Hédempteur.  Le  pape  conclut  en  invitant 
les  évèques  à  faire  connaître  au  monde 
(pie  le  Hédempteur,  pourra  seul  conquérir  le 
salut  et  la   paix. 

6.  —  .\u  Sénat  cl  à  la  Chambre,  reprise 
des  travaux  parlementaires.  —  M.  Jonnarl 
ari-ixeollicirIK-inenI  A  .\l|.'er  prendre  possession 
du  gouvernement  général  de  l'Algérie. 

7.  —  M.  Mac-Kinhy  c-sl  réélu  président  de 
la  République  des  États  Onis  par  l!'.i2  voix 
eniitie  .\I.  liryaii.  «pu  ulitienl   i:)r>  voix. 

8.  -  A  la  Chambre,  I  interpellation  sur  la 
politique  du  gouvernement  se  termine,  après 
une  vive  discussion,  par  l'adoption  d'un  ordre 
du  jour  de  confiance,  voté  par  :iU7  voix 
contre  237.  —  Moyennant  une  indemnité  de 
loonim  (lollais,  l'Espapne  cède  aux  l'Hats-Unis 


de  M.  C.liaudié.  M.  Cous- 
luiier  rsl  nommé  gouver- 
neur de  la  Guinée  en  lem- 
plaeemeul  de  M.  Ballay. 

2.  —  l"n  |)iésenee  de 
rixtension  du  mouvement 
carliste  en  Espafjne.  le 
gouvcinement  proclame 
toute  la  Péninsule  en  état 
de  siège. 

3.  —  MorI,  à  Paris,  du 
critique  Pierre  Véron.  - 
.V  Saint- Pélersbouru,  |>nse 
de  la  première  pierre  de 
l'asile  de  nuit  l'onde  avec 
les  2r)  000  roubles  donnés 
par  M.  Félix  Faure,  pen- 
dant  sa   visite    en    liussie. 

4.  -  I.e  président  de  la 
liépublique,  accompagné 
<lu  président  du  conseil 
des  ministres, des  ministres 
du  commerce,  de  la  marine 
et  des  travaux  publics, 
arrive  à  Lyon  pour  pré- 
sider la  cérémonie  d  inau- 
guration du  monument 
élevé  à  la  mémoire  du 
présidentCarnot,  as>avsi]ié 
à  I-\on  le  2  1  jum  IM'i.  Le 
monunienl  est  l'œuviv  de 
MM.  (iauquier,  statuaire, 
et  Nodin,  arehiteetc.  —  Le 
peuple  suisse,  appelé  à  se 
prcitioiu'er  sui"  les  jirojels 
d'éleelifui  du  Conseil  na- 
tional   Nuiv.int    le   s\sli''nii' 


M.  .M.^e-Kl^L^.^ ,  iiil.>iiiKNT   uk   i,.\ 


DKS    KTATS-rXIS 


M  KM  KNTO     K.NC.VC.I.nl'KlHiJlK 


ses  dernières  possessions  en  Oceanie,  les  iles 
Ca(;adan  et  Libut. 

9. —  Au  Parlement,  clistiihiitiun  d'un  livre 
jaune  sur  les  affaires  de  Chine.  Les  docu- 
ments publiés  font  ressorlir  lo  courage  et  la 
clairvoyance  de  M.  Pichim,  ministre  de  France 
en  Chine,  et  Ihéroïsme 
des  soldats  français  à 
Pékin  dans  la  lutte  con- 
tre les  Chinois  pendant 
le  siège  des  légations. 
Les  ministres  des  puis- 
sances à  Pékin  adoptent 
les  prnpiisitions  de  la 
Note  du  gouvernement 
français  sur  les  condi- 
lions  à  imposer  au  gou- 
vernement chinois.  —  Le 
gouverneur  portugais  de 
Mozambique  démis- 
sionne, donnant  comme 
molif  la  pression  exercée 
sur  lui  par  le  consul 
anglais  et  par  les  auto- 
rités de  Lisbonne.  —  Le 
cabinet  anglais  est  re- 
constitué :  lord  Salisbury 
est  premier  ministre,  lord 
du  sceau  privé. 

10. —  La  cour  d'assises 
de  la  Seine  condamne 
aux  travaux  forcés  à  per- 
pétuité le  nommé  Saison, 
auteur  de  la  tentative 
d'assassinat  contre  le 
schah  de  Perse. 

11.  —  Un  terrible  tam- 
ponnement se  produit 
en  gare  de  Choisy  le-Roi 
entre  un  train  omnibus 
et  un  train  express  lancé 
à  toute  vitesse.  Huit 
voyageurs  sont  tués  et  un 
grand  nombre  blessés.  — 

J89  44S  visiteurs  à  l'Exposition  pour  le  dernier 
dimanche. 

12.  —  Clôture  définitive  de  l'Exposition 
universelle  de  Paris.  Les  entrées  se  sont 
élevées,  pendant  toute  la  durée  de  l'Exposi- 
tion, du  15  avril  au  12  novembre  inclus, 
à  D0.S39  955.  alors  qu'en  18S9  elles  n'avaient 
pas  dépassé  30  millions.  Sur  65  millions  de 
tickets  émis,  IT  millions  DUt  été  utilisés.  — 
La  Chambre  et  le  Sénat  votent  des  félicita- 
tions aux  organisateurs  et  collaborateurs  de 
l'Exposition.  —  Le  Maroc  refuse  de  faire  droit 
à  une  réclamalion  îles  États-Unis  exigeani 
une  indemnité  pour  l'assassinat  d'un  natura- 
lisé américain. 

13.  —  Adoption,  par  le  Sénat,  du  projet 
de  loi  permettant  aux  femmes  licenciées  en 

droit   de    jirèler   le    serment    d'avocat.    —    La 


Chambre   vote    le    projet    de    loi    créant    un 
budget  spécial  pour  l'Algérie. 

14.  —  Ouverture  du  parlement  allemand 
—  Le  Monileur  n/firiel  île  l'empire  allemam 
publie  une  lettre  de  l'empereur  de  Chine  .' 
l'empereiu'  Guillaume.   Kc»uang-Sou  promet  1« 


LE    F  U  É  S  I  D  E  N  T    K  R  V  (i  E  R 

châtiment    des    dignitaires  ayant  pris  part  au 
meurtre  du  baron  de  Ketteler. 

15.  —  Terrible  accident  de  chemin  de  fer 
sur  la  ligne  de  Bordeaux  à  Bayonne,  près  de 
la  station  de  Saint-Geours.  Le  Sud-Express, 
déraille  à  la  vitesse  de  ino  kilomètres  à 
l'heure;  13  voyageurs  sont  tués  et  14  blessés. 

16.  —  A  Berlin,  une  femme  Schnaplee  jette 
une  hachette  dans  la  direction  de  la  voiture 
dans  laquelle  se  trouvait  l'empereur  Guil- 
laume. La  hachette  n'atteint  personne. 

17.  —  Le  prince  Georges  de  Grèce,  gou- 
verneur de  Crète,  visite  le  pavillon  de  la 
Grèce  à  l'Exposition,  laissé  intact  après  la 
clôture. 

18.  —  Inauguration  du  nouvel  Hôtel  de  Ville 
de  Versailles. 

19.  —  La   Chambre  adopte   le   projet    de  loi 


12S 


M  É  M  K  N  T I  »    K  N  C  'i  C  L  (  )  l' K  U I  y  U  K 


sur  le  régime  fiscal  des  successions.  —  Morl 
de  M»''  Robert,  évéque  de  Marseille. 

20.  —  Le  ministre  de  la  guerre  dépose  sur 
le  bureau  de  la  Chambre  un  projet  de  loi 
accordant  une  lécompensc  nationale  aux 
nienibros  de  la  mission  Foureau-Lamy.  —  En 
Chine,  les  troupes  franvai.-ics  occupent  Houo- 
Lou.  à  loucsl  de  Tclieni,'-Ting. 

2d.  —  .Vrrivée  à  Bordeaux  du  lieutenant 
Meynier  qui  accompagnait  le  colonel  Klobb 
au  moment  de  sa  rencontre  avec  la  mission 
Voulcl-C^hanoine. 

22.  —  Arrivée  à  Marseille  du  croiseur  hol- 
landais Gehierland,  ayant  à  bord  M.  Krùger, 
président  de  la  Hépubliquo  du  Transvaal.  .\u 
moment  du  débarquement,  une  foule  énorme 
accueille  M.  Kriiger  par  de  chaleureuses 
acclamations.  .\  l'hôtel,  M.  Kri'iper  doit  pa- 
raître plusieurs  fois  au  balcon.  Hcpondant 
aux  discours  qui  lui  sont  adressés  par  les 
délégués  des  comités  pour  l'indépendance  des 
Bocrs,  M.  Kri'igerdit:  "  la  guerre  qu'on  fait 
aux  réiiubliques  sud-africaines  est  barbare: 
mais,  quoi  qu'on  fasse,  nous  lutterons  jusqu'au 
bout.  Si  le  Transvaal  et  l'État  libre  d'Orange 
devaient  perdre  leur  indépendance,  c'est  que 
les  deu.v  peuples  boers  auraient  été  détruits 
avec  Icius  femmes  et  leurs  enfants.  ■■ 

23.  —    Le    Sénat    adopte    la    proposition 


^^.- 


-■\ 


d'amnistie  en  l'étendant  aux  délits  commis  à 
l'occasion  des  troubles  d'Algérie.  —  Les  mi- 
nistres étrangers  réunis  à  Pékin  examinent 
un  décret  impérial  frappant  les  princes  Tuan. 
Traings,  Tsa'i-Lien  et  plusieurs  autres  per- 
sonnages ayant  poussé  au  meurtre  des  étran- 
gers et  à  l'insurrection  des  Boxers.  Les  minis- 
tres trouvant  les  peines  énoncées  insuflisanles, 
décident  à  l'unanimité  d'exiger  que  la  peine 
de  mort  soit  appliquée  à  ces  personnages, 
ainsi    qu'au    général   Tong-Ku-Siang. 

24.  —  Le  président  Kriiger,  venant  de 
Marseille  et  Dijon,  arrive  à  Paris.  Il  est  reçu 
i\  la  gare  par  de  nombreuses  délégations. 
Autour  de  la  gare,  et  sur  tout  le  parcours 
jusqu'à  l'hôtel  Scribe,  la  foule  lui  fait  un 
accueil  enthousiaste.  Devant  l'hôtel,  les  ma- 
nifestations sont  tellement  chaleureuses  que 
M.  Kri'iger  doit  paraître  plusieurs  fois  au 
balcon.  Dans  la  journée,  M.  Kri'iger  est  reçu 
par  le  président  de  la  République  avec  les 
lionneurs  dus  à  un  chef  d'Élal.  M.  Loubet 
rend    la    visite    avec     le    cérémonial    d'usage. 

—  Le  capitaine  Joallaud,  de  la  mission  \'oulet- 
Chanoine.  après  avoir  quitté  ses  compagnons, 
dans  la  région  du  Chari,  revient  au  Soudan 
par  le  Niger  et  le  lac  Tchad.  Il  arrive  à  Say. 

—  La  commission  des  Philippines,  instituée 
par  les  .\niéricains.  promulgue  son  premier 
décret  établissant  un  gouvernement  civil  et 
provincial.  Le  décret  nomme  un  gouverneur, 
définit  ses  pouvoirs  et  édicté  des  châtiments 
pour  ceux  ipii  lui  refuseraient  obéissance. 

25.  —  Élection   sénatoriale  dans  le  Lol-et- 


.\  un  i\  kK  vr  ni  fcsi  dknt  k  u  i 

A      M  ;V  II  H  ['.  I  L  I.  E 


M  i-;mi:n  m   knc.  vc.i.oi'KDigr  !■; 


Garonne.    M.    Giresse,    républicain,   élu   par 
361  voix,  remplace  M.  Fayc,  décédé. 

26.  —  Le  président  Kriiger  visite  les  pa- 
villons du  Transvaul  à  l'Exposition. 

27.  —  Le  président  Kiûger  rend  visite  à 
M.  Waldeck-Rousseau,  président  du  Conseil. 
Il  reçoit  ensuite  le  bureau  du  Conseil  muni- 
cipal de  Paris,  auquel  il  rend  sa  visite  à 
IHôtel  de  Ville. 

28.  —  Le  comte  de  Munster,  ambassadeur 
d'Allemagne  à  Paris,  prend  sa  retraite.  Il  est 
remplacé  par  le  prince  Radolin. 

29.  — La  Chambre  vote  une  motion  de  sym- 
pathie au  président  Krùger  et  au  Transvaal. 

30.  —  Le  Sénat  vote  une  adresse  de  sym- 
pathie au  président  Krùger  el  au  Transvaal. 
—  Le  gouvernement  français  l'ait  publier  au 
Journ.ll  ofjficiel  un  décret  rendant  exécutoires 
pour  la  France  les  actes  de  la  Conférence  de 
la    Haye.    Cette    publication    a    pour   but    de 

.Mil.  —  '1 


LE     PRÉSIDENT     KRLGER    A     PARIS 

permettre  à  la  France  de  participer  à  un 
ai  bitragc  entre  l'Angleterre  el  les  Républiques 
sud-africaines  si  une  autre  nation  en  prenait 
l'initiative  et  si  les  parties  y  consentaient. 
—  Le  président  Krùger  fait  sa  visite  d'adieu 
à  M.  Loubel,  à  M.M.  Falliéres  et  Deschanel. 
présidents  des  Chambres.  Il  quitte  Paris 
le  1'^'  décembre,  au  milieu  des  acclama- 
tions de  la  population.  —  L'état  du  Tsar 
Nicolas  II,  atteint  d'une  fièvre  typhoïde  qui 
a  mis  ses  jours  en  danger,  s'améliore  sensi- 
blement. —  Lord  'Wolseley,  feld- maréchal, 
commandant  en  chef  de  l'armée  anglaise, 
prend  sa  retraite.  —  Lord  Roberts  remet  le 
commandement  en  chef  do~  liiiii])es  anglaises 
de  l'Afrique  du  Sud  à  lord  Kitcheuer.  nommé 
au  grade  de  lieutenant  général,  et  rentre  en 
Angleterre  pour  prendre  le  commandement 
en  chef  de  l'armée  anglaise.  —  MM.  Léon 
Bourgeois,  d'Kstournelles,  de  Laboulaye  et 
Louis  Renault  sont  nommés  membres  de  la 
Commission  permanente  instituée  par  l'acte 
de  la  Conférence  de  la  Haye. 


LA    MODE    DU     MOIS 


Les  paletots-sacs,  les  rcdinfjotos  et  les  ja- 
quettes ne  sont  pas  parvenus  à  dctrônor  le 
collet  et  toutes  les  formes  de  vêtements  qui 
en  dL'COulent.  entr'autres  la  cape,  dont  nous 
donnons  aujourd'hui  in»  1    un  niod<ilc  à  la  fois 


lions.  Voici  donc  une  toiletlc  n»  2  qui  peut 
se  porler  aussi  l)ien  pour  un  );rand  diner  que 
pour  un  bal.  Elle  est  en  satin  Liberty  vert 
d'eau,  très  souple  par  conséquent.  lé}:érenicnl 
lonf.'ue,et  forme  tunique  ouverte  sur  un  tablier 


élégant  et  pratique.  Tel  qu  il  est.  ce  mo- 
dèle est  en  drap  bei(;e,  légèrement  fermé  de 
côté,  mais  il  peut  également  se  faire  en  noir 
ou  en  toute  autre  nuance.  On  le  double  soit 
en  soie  ouatée,  soit  en  fourrure.  Il  est  plissé 
et  piqué  autour  de  l'empiècement  et  garni 
par  des  biais  piques  et  posés  en  pente.  Un 
col  et  {les  revers  en  velours  cama'ieu  en  achè- 
vi'nt  l'ornementation. 

Ce  vêlement  est  û  la  fois  simple  cl  babillé. 
11  peut  se  porter  à  la  ville  comme  le  soir  et 
même  en  voyage,  car  il  est  assez  long.  Sur 
notre  figurine,  il  relondjc  sur  une  robe  de 
veliiuis  ou  de  satin,  bordée  par  une  guipure 
ancienne,  ficelle,  sur  l'ourlet  de  la  jupe.  Toque 
de  velours  empanacliée  de  coté  et  gants  dcmi- 
teinle  en  chevreau  glacé. 

Avec  janvier   commence  la  série  des  récep- 


de  soie  brochée  vert  et  blanc.  Le  corsage,  dé- 
coUcté  en  rond,  se  compose  d'un  corsage  plat 
en  salin  Liberty  et  d'un  boléro  découpe  en 
pointes,  en  soie  brochée,  posé  sur  le  premier. 

Les  manches  bouffantes,  genre  Lavallière, 
sont  coupées  par  un  brassard  en  soie  brochée. 
Collier  de  perles  au  co\i.  ou  collier  île  ruban 
coupé  par  des  barrettes  en  diamants  ou  en 
strass.  Jupon  de  dessous  en  lalTelas  blanc  cl 
mousseline  de  soie.  Bas  de  soie  blanche,  sou- 
liers de  satin  vert  d'eau  et  ganls  longs  eu  che- 
vreau blanc  glacé.  Dans  les  cheveux,  souples, 
des  fleurs  â  la  mode  ou  simplement  des  orne- 
ments en  bijouterie.  Conmie  sortie  de  bal.  une 
longue  pelisse  en  soie  brochée  mauve,  doublée 
de  fourrure  blanche,  avec  encolure  et  revers 
en  mongolie.  également  blanche. 

Pour    matinée,    HiéAIre,    concert    ou  toute 


I,  A     MODE    DU     moi; 


131 


autre  cérémonie  du  même  genre ,  la  toi- 
lette n"  3)  est  tout  indiquée.  Elle  est  en 
drap  pastel  bleu  paie,  ornée  d'entre-deux  de 
dentelles  lisérés  d'or.  Le  corsage  forme  deux 
plis  en  biais  qui  se  continuent  sur  les  man- 
ches et  simulent  un  empiècement.  Des  revers, 
des  parements  aux  manches  et  une  ceinture 
en  velours  bleu  foncé  en  achèvent  l'orne- 
mentation, avec  des  boutons    d'or.    Le   gilet, 


Enfin,  pour  la  ville  n"  4).  ce  costume  tail- 
leur est  d'un  genre  tout  à  fait  nouveau  et 
très  distingué.  11  se  fait  en  drap  noir,  prune, 
bleu  marine,  gris  fer  ou  havane,  la  jupe  rasant 
terre,  ornée  seulement,  au-dessus  de  l'ourlet, 
d'une   broderie   en  soutache  formant    trèlles. 

La  veste-habit  est  à  pans  derrière,  avec 
revers  de  satin  blanc  soutache;  un  liséré 
de     velours     noir     rappelle     le     col     aiglon . 


tombant  en  blouse,  est  composé  de  tulle  et 
d'cnlre-deux  de  dentelles.  Les  manches  avec 
bouffants  de  tulle  et  mancherons  de  dentelle 
le  rappellent  agréablement. 

Sur  la  jupe,  un  entre-deux  de  dentelle  et 
deux  biais  piqués  posés  en  seconde  jupe 
lavandière  rendent  cette  robe  beaucoup  plus 
élégante. 

Quant  au  chapeau,  c'est  un  ravissant  loquet 
en  velours  bleu  foncé  gracieusement  drapé 
et  orné  sur  le  côté  d'un  piquet  de  plumes 
bleu  pâle  desquelles  s'échappe  une  aigrette 
blanche,  en  paradis.  Un  peu  de  dentelle  dans 
la  draperie  rappelle  la  garniture  du  costume. 

Jupon  de  dessous  en  soie  souple,  tilleul, 
garni  de  rubans  tilleul  et  de  dentelle  blanche 
en  volants.  Bôs  de  soie  noire.  Souliers  vernis 
boutonnés  et  gants  de  Suède  fauve  pâle. 


et  les  parements  des  manches,  desquelles 
s'échappent  de  petits  bouffants  à  poignets,  en 
mousseline  de  soie.  Le  gilet,  plat,  est  égale- 
ment en  mousseline  de  soie  plissée.  Chapeau 
de  fantaisie,  en  velours  ou  en  feutre,  orné  à 
volonté  de  fleurs,  de  choux  de  ruban,  ou  de 
plumes.  Gants  de  chevreau  mi-teinte.  Bas 
noirs  en  mi-soie,  bottes  boutonnées  en  che- 
vreau glacé,  et  parapluie  de  soie  cuite,  à 
manche  de  fantaisie. 

Jupon  de  dessous  en  satin  noir.  Lingerie  de 
batiste  blanche  ornée  de  broderies  et  de  ma- 
tines anciennes. 

On  peut,  sur  cette  robe,  mettre  simplement 
une  pèlerine  étole,  un  beau  skungs,  ou  un 
collet  court  en  fourrure  quelconque. 

Berthe   de  Pkésili.y. 


f'  y  );,.^ 


ii^t?W#^ 


I.KS    TIMiniKS-POSTE    DT    MOIS 


Eu  Crèlo,  le  timbre  lilcu 
(lu    bureau    italien    parait 
des  plus  sérieux  :  on  peut 
Icjoindre  à  ceux  du  Levant 
italien. 
On    annonce,    en    Bosnie,   des    timbres 
de    1    et  i  couronnes,  de  dimension  plus 
grande  que  ceux  en  cours  et  un  40  sem- 
blable au  type  1000. 

Nous  avons  déjà  signalé  des  surcharges 
de  Grèce;  ce  pays  veut  liquider  sans  doute 
tout  son  stock  ;  en  voici  quel(]ues  nou- 
velles :  30  1.  sur  40  violet,  de  1876,  non 
dentelé;  40  1.  sur  2  bistre,  de  1802,  den- 
telé; KO  sur  40  rose,  de  1870,  dentelé: 
1  dragrae  sur  40  violet,  de  1880,  dentelé; 
enfin,  5  dragmes  sur  40  violet,  de  1802, 
dentelé  et  non  dentelé.  Ces  timbres  au- 
raient été  surchargés  en  grande  ipiantité; 
il  n'y  a  donc  peut-être  pas  spéculation, 
mais  réellement  utilisation. 

Au  Paraguay,  on  utilise  les  timbres  télé- 
graphes, pour  la  poste,  un  de  40  cent,  tel 
quel  et  deu.v  transformés,  au  moyeu  de  sur- 
charges, en  !)  et  10  centavos. 

Le  Queensland  émet  ses  timbies  patrio- 
tiques (?),   1  penny  rose  et  2  peiue  \iolet; 
ils    sont    peu    arlisti- 
cpies,  ainsi  qu'on  peut 
•<  en    rendre  compte. 
l.:i   Houm.iuie  av.TJI 


annoncé  un  timbre  de  30  c.  pour  l'inaugu- 
ration de  l'Hôtel  des  Postes  de  Bucarest; 
le  projet  a  été  abandonné  et  remplacé  par 
une  émission  spéciale  des  timbres  en 
cours,  imprimés  sur  papier  blanc  au  recto 
comme  les  ordinaires,  et  rose  au  verso 
avec  de  plus  un  grand  filigrane  dans  la 
feuille  représentant  les  armes  du  pays  et 
couvrant  environ  vingt-cinq  timbres.  Le 
tirage  aurait  été  très  restreint. 

A  la  dernière  heure  nous  avons  enfin 
les  timbres  français  dont  l'émission  offi- 
cielle a  été  faite  le  7  décembre. 

L'ensemble  n'est  pas  heureux,  ui  comme 
dessin,  ni  comme  couleurs,  ni  comme  ho- 
mogénéité. Ils  sont  de  trois  types  :  le  pre- 
mier, 1  c.  gris,  2  c.  brun  violet,  3  c.  rouge, 
4  c.  bistre  rouge,  ;>  c.  vert,  dessiné  |)ar 
G.  Blanc,  est  artistique,  mais  d'une  im- 
pression généralement  trop  pâle. 

Le  deuxième  type  comprend  les  10  c. 
rose  vif,  l.'i  c.  rouge,  20  c.  mauve,  211  c. 
bleu  et  30  c.  lilas;<lus  h  M.  Mouchon,  ils 
font  regretter  leurs  affreux  prédécesseurs. 

Les  hautes  valeurs,  40  c.  rouge,  :i0  c. 
bistre,  1  fr.  rose,  i»  fr.  bleu,  d'un  remar- 
([uable  dessin,  montrent  qu'il  ne  suffit  pas 
d'être  un  peintre  de  grand  talent  tel  que 
leur  auteur  Luc-Olivier  Merson,  pour  réus- 
sir un  timbre-poste. 

.li:.\N    Hi:i>.vi  lu:. 


TABLEAUX    DK    STATISTIUIK 


Résultats  financiers  du  service  postal 
en    1898. 

Dtrptust!^.  Recette». 


Allemaguc 438.21B.630  81 

Amérique (Et.-Unis).  507.012.476  60 

Argentine  (Bépnb.).  lî.Ml.SlO    » 

Autriche 89.449.019    » 

Belgique 12.723.330  70 

Bosnie- Herzégovine,  1.165.507    » 

Bulgarie 3.127.722  84 

Canada ..  23.274.545  98 

Chili î. 122. 193  05 

Danemark 9. 838. 718  63 

Egypte 2.591.940     » 

Espagne 11.411.988  29 

France  181.394.532  53 

Algérie 3.326.933     B 

Grande-Bretagne    . .  231 .699.812  4u 

Grèce. 1.S70.963  60 

Hongrie 3J. 134. 266  36 

Inde  Britannique     .  27.623.448    » 

Italie 56.186.047  02 

Japon 29.966.352     » 

Lu.\embourg 1..525.129  90 

Mexique 9.966.524  33 

Norvège 5.810.030  39 

Pays-Bas 15.012.168  14 

Péron. 676.889  40 

Portugal 4.543.363  66 

Roumanie 8.276.183  10 

Russie 137.562.160     » 

Siam 243.660     » 

Suède J3. 545. 879  22 

Snissî 30.204.417  41 

Tunisie 1.123.229  31 

Turquie 1.875.072  86 

Uruguay 1.944.426     B 

Australie  Méridion''.  5.197.600     J> 

N'l<--&alle3  du  Sud..  17  161.630     » 

Nouvelle-Zélande  . . .  3.433.538  42 

Victoria 12.772.168    » 

Cap  de  B.-Espéranc .'.  8.124.440  18 

Chypre 64.228  67 

Gambie 31.984  54 

Natal 990.091     » 

Sarawa)^ 13.408    j 

îles  Turques 12.847  05 

Antilles  Danoises ..  .  55.120     )» 

Annam-Tonkin 2.022.726  50 

Cochinchine,      Cam- 
bodge et  Bas-Laos.  2.402.543  48 

Guyane 68.066     » 

Inde 9.714  81 

Océanie  (E"  franc.).  172.620    » 

Sénégal 342.741  50 

Curaçao 57.903  18 

Indes 4.126.492  74 

Surinam 24 .  600     n 


494 

.419 

.445 

11 

461 

.2U5 

.277 

46 

7 

31« 

989 

> 

102 

397 

889 

n 

22 

711 

571 

75 

1 

178 

681 

75 

2 

.921 

.830 

53 

23 

766 

618 

27 

1 

791 

880 

96 

10 

022 

049 

69 

3 

194 

.542 

D 

24.817 

693 

96 

24.1 

716 

510 

33 

4 

723 

.S09 

96 

328 

842 

788 

40 

1 

789 

236 

32 

43 

016 

278 

92 

30 

624 

.383 

^ 

55 

163 

834 

76 

32.809 

541 

j, 

1 

527 

812 

83 

7 

986.013 

n 

6 

247 

038 

68 

18 

953 

996 

17 

605. OCO 

n 

6 

010 

938 

63 

9 

953 

409 

28 

182 

2X7 

416 

1, 

114 

304 

1, 

14 

824.084 

53 

31 

248 

664  08 

1 

230 

822 

51 

5 

419 

4(U4 

52 

1 

786 

186 

), 

6 

21B 

330 

09 

13 

269 

962 

t 

7 

571 

987 

01 

17 

536 

012 

^, 

8 

129.880  33 

79 

612 

22 

57 

065 

44 

265.694  34 

47.528  51 

9.196  67 

15:943  04 

228.000  1) 

73.494  87 

.786.2US  12 

106.089  2.) 


Consommation  du  thé  en  France. 

Importations  en  kilogrammes. 


18811, 
1885 
1890. 
1891 


408.885 
473.641 
603.399 
602.051 
645.641 
676.205 


1894 692.872 

1895 718  486 

1896  734.816 

1897 765.698 

189S 826.616 

1899 876.900 


Les  aveugles  dans  les  divers  pays 
du  monde. 

Proportion  par  100.000  habitants. 


Bulgarie 315 

Irlande 260 

ludes  anglaises. . .    .  224 

Portugal 205 

.  Argentine 202 

Russie 196 

Finlande 1.56 

Cap. l.J3 

Espagne 150 


Norvège 130 

-\utriche-Hongrie .  .  .       91 


France 

Angleterre 

Suède 

Belgique 

Etats-Unis 

Italie 

Allemagne 

Colonies  anglaises 
(Amérique  du  Nord). 

Danemark 

Pays-Bas 


La  nnarine  marchande  belge. 


1860. 
1866. 
1870. 
1873. 
1880. 
1885. 
1890. 


ToUicrs. 

28.857  4.264 

35.509  4.220 

20.618  9.301 

14.766  36.430 

10.442  66.234 

5.033  79.809 

4.393  71.353 

917  86.296 

917  84.822 

917  84.510 

1.734  89.237 


Les  grandes  Compagnies  de  chemins 
de  fer  aux  États-Unis. 

Longueur  des  réseaux  en  milles  (1  mille  ^1010  mètres.) 

New- York  Central  (ligues  Vauderbilt) 10  410 

Pennsylvania 10 .  392 

Canadian  Pacific 10.018 

Southern  PaciSc 9.392 

Chicago  and  Xorthwestern 8.463 

Chicago.  Burlington  and  Quincy 8.001 

Southern 7.-887 

Atkinson  Topek»  and  Santa-Fé 7  880 

Chicago  Itlilwankee  and  Saint- Panl 6.437 

Union  Pacific 5 .  684 

Northern  Pacific 5 .  449 

Missouri  Pacific 5.324 

Illinois  Central 5 .  253 

Great  Northern- 5.201 

Louisville  and  Nashville 5 .077 

Grand  Trunk 4.65G 

Chicago  Rock  Tsland  and  Pacific 3.771 

Baltimore  and  i.»hio 3.605 

Boston  and  Maine 3.243 

Colorado  and  Southern 2.584 

."^eabord  Air  Line 2. 340 

Erié 2.507 

Missouri  ICansar  and  Texas 2.406 

Wabash 2.358 

Atlantic  coast  Line 2 .  278 

Lehigh  Valley 2.178 

Plant  System 2.140 

New- York,  New  Haven  and  Hartford 2.047 

Au  total.  147  061  milles  ou  236  768  kilomètres. 


G.    Fn.i>çois. 


(J  r  EST  IONS    I-  I X  A  N  C I K  H  KS 


Étant  doiiiR-e  rt'iuirmilé  des  caiiilaux 
français  engagés  dans  les  valeurs  russes, 
et  qui  varie  approximativement  entre 
7  et  8  milliards  de  francs,  —  chiffre  qui 
constitue  à  peu  près  le  tiers  de  notre  propre 
dette  nationale  !  —  il  n'est  pas  surprenant 
que  notre  dernier  article  sur  les  valeurs 
mosoovitesnousaitaltiré  un  grand  nombre 
de  lettres.  Songez  (|uc  l'argent  par  nous 
exporté  en  Russie  représente  une  moyenne 
de  200  francs  par  tête  de  Français,  homme 
ou  femme,  vieillard  ou  enfant.  La  question 
intéresse  donc  tout  le  monde,  et  à  un 
degré  que  le  chiffre  que  nous  venons  de 
donner  indique  suffisamment. 

Nous  nous  hâtons  de  dire  que  nous 
n'avons  pas  h  nous  plaindre  de  la  lUissie 
et  n'étaient  l'importance  des  capitaux  cpie 
nous  avons  chez  elle  et  l'inconvénient  qu'il 
v  a  à  mettre,  comme  on  dit,  tous  ou  beau- 
coup de  ses  œufs  dans  le  même  panier, 
nous  n'aurions  même  qu'à  nous  louer 
d'avoir  trouvé  chez  nos  amis  du  Nord  le 
placement  de  vastes  disponibilités  que, 
malheureusement,  notre  commerce  et 
notre  industrie  nationale  ne  suffisent  pas 
à  employer.  Tant  que  la  situation  politique 
actuelle  subsistera,  tant  que  nous  vivrons 
en  paix  avec  nos  voisins,  tant  que  la 
Russie  sera  pour  nous  «  la  nation  amie  et 
alliée  ■■,  nous  pourrons  dormir  sur  nos 
deux  oreilles.  La  probité  et  la  ponctualité 
de  ce  pays  sont  au-dessus  de  toute  discus- 
sion ;  il  a  loujoui-s  tenu  ses  engagements 
avec  une  exactitude  rigoureuse  et  nous 
fournit  pour  notre  argent  des  revenus  qui, 
sans  être  copieux,  sont,  à  tout  prendre, 
suffisamment  rémunérateurs,  plus  rému- 
nérateurs que  ceux  que  nous  lirons  de  la 
plupart  des  autres  fonds  d'État.  Il  ne 
découle  pas  de  ceci  que  nous  soyons  ses 
obligés.  Si  la  Hussie  nous  donne  un  assez 
confortaljle  revenu,  il  ne  faut  pas  perdre 
de  vue  ([uc  heaucoiq)  de  nos  milliards, 
pour  lesquels  elle  nous  assure  un  rende- 
ment variant  entre  3  1/2  et  i  %.  ont  servi 
.•I   amortir   et    à  convertir    îles  dettes   an- 


ciennes pour  lesquelles  elle  payait  jusqu'.-i 
6,  voire  jusqu'à  7  çé.  En  sorte  i|ue,  grâce 
à  nous,  elle  réalise  des  économies  nota- 
bles et  que,  tous  comptes  faits,  il  y  a 
échange  de  bons  procédés.  Ajoutons  que 
la  Russie  est,  financièrement,  sagement 
administrée  —  autant  qu'on  peut  le  savoir 
quand  il  s'agit  d'un  pays  sans  Parlement 
et  dont  les  budgets,  par  conséquent,  ne 
sont  soumis  à  aucune  discussion  publique. 
D'autre  part  —  nous  avons  constaté  cela 
en  notre  précédent  article  —  nous  voyons 
que  la  Russie  consacre  régulièrement  des 
sommes  considérables  à  des  travaux  pu- 
blies importants  et  notamment  à  des 
réseaux  de  chemins  de  fer  traversant  des 
contrées  dotées  d'inépuisables  richesses 
minéralogi(iues  dont  l'exploitation  bien 
entendue  constituera  [ilus  tard,  pour  le 
pays,    des   ressources   inappréciables. 

Mais  nous  tenons  à  insister  sur  ce  point 
que,  dans  les  circonstances  actuelles,  il 
ne  faut  prêter  de  l'argent  qu'à  la  Russie 
elle-même  et  non  pas  aiix  affaires  particu 
lières  qui  se  présentent  à  nous  revêtues 
de  l'étiquette  russe  :  on  en  a  abusé. 

Épiloguer  Ih-dessus  nous  entraînerait 
trop  loin  et  nous  ferait  d'ailleurs  retom- 
ber dans  des  redites.  Rornons-nous  donc 
à  répéter  qu'en  fait  de  valeurs  russes, 
il  n'y  a  que  les  valeurs  émanées  du  gou- 
vernement russe  ou  garanties  par  lui.  Mais, 
comme  nous  l'avons  constaté,  le  nombre 
de  celles-ci  est  légion,  en  sorte  que  le 
capitaliste  a  quelque  difficulté  à  fixer  son 
clioix.  Pour  l'y  aider,  nous  avons  examiné 
une  à  une  les  différentes  valeurs  qui  figu- 
rent sur  la  cote  officielle  des  agents  de 
change,  et  avons  dressé  le  tableau  sui- 
vant où  ces  valeurs  sont  rangées,  non 
selon  la  classification  acceptée  parla  cote, 
mais  selon  les  avantages  qu'elles  repré- 
sentent : 

Le  <  %  Cdimoliilé  «;•  IS!)f  rapporte 
4,27  9é  aux  cours  actuels,  taux  identi(]ue 
il  celui  des  nhlii/ntiomt  île  Donclz  IS!),'i, 
et  supérieur  de  0,07  %  à  celui  des  obliif.i- 


Q  V  !■:  s  r  1  ()  N  s    !•  1  N  A  N  <  M  i:  H  !•: 


Éà 


1^ 


(Le  rouble  vaut  environ  2  fr.  Cj.) 


lions  I89i  ilr  nii/a-Drinsk.  Les  obliga- 
tions 4  %  I  S9i  de  ICourok-Karlow-Azoïv 
rapportent  i.lO  ^.  Pour  les  tletles  de 
f/age  de  hi  B:inijue  impériale  foncière  delà 
noblesse,  les  obligations  du  Transcaucasien 
et  celles  de  Dvinsk-Vilebsk,  le  revenu 
varie  entre  3,'.i''>  et  4,02  9^  des  prix  actuel- 
lement cotés.  Cn  trouve  des  revenus  à 
peu  près  identiques  avec  les  Emprunts 
1867  et  IS69.  VEmprunl  ISSO.  l'Emprunt 
1 SS9  et  les  cinq  émissions  des  Emprunts 
I S90  et  IS9S.  La  sijcième  émission,  ainsi 
<iue  les  séries  1,  2  et  3  des  Consolidés 
i  %  donnent  un  peu  moins  de  3, 9')  à 
3,98  o/c.  Le  3  %  IS9i.  3  1/2  %  vient 
ensyite  avec  un  rendement  de  3,68  9e;  et 
enfin,  nous  avons  les  3  %  de  IS9I,  I89A 
et  1896,  qui  fournissent  de  3,48  à  3,50  %. 
Ce  tableau  n'est  pas  complet;  mais  nous 
avons  éliminé  à  dessein  une  quantité  de 
titres  peu  connus  en  France,  et  dont  la 
négociation  présente  en  conséquence  sinon 
des  difficultés,  du  moins  des  inconvénients 
au  point  de  vue  des  délais.  Cela  dit,  nous 
croyons  qu'en  procédant  selon  l'ordre 
établi   ci-dessus,   c'est-à-dire  en  vendant 


les  dernières  valeurs  de  la  liste  pour  ache- 
ter les  premières,  le  capitaliste  français  y 
trouvera  son  compte.  Toutefois,  nous 
ferons  observer  que  les  3  %  de  IS9I  9i 
sont  à  14  9e  au-dessous  de  leur  taux  de 
remboursement,  ce  qui,  dans  une  certaine 
mesure,  compense  la  médiocrité  relative 
de  leur  rendement. 

Ceci  nous  parait  suffire  pour  les  cas 
généraux.  Si  certains  cas  particuliers 
exigeaient  d'autres  renseignements,  il  va 
sans  dire  que  nous  sommes,  comme  tou- 
jours, à  la  disposition  de  nos  lecteurs. 
Nous  leur  rappelons,  pour  ce  qui  concerne 
les  valeurs  russes,  que  celles-ci  sont  rem- 
boursables par  tirages,  et  que  tout  manque 
d'exactitude  au  point  de  vue  de  l'encaisse- 
ment des  coupons  peut  entraîner  des 
pertes  d'intérêt  parfois  sensibles.  Le  por- 
teur de  valeurs  russes  fera  donc  bien  de 
surveiller  attentivement  ses  titres  ou  de 
nous  en  envoyer  les  numéros  pour  vérifi- 
cation. 

E  .M  I  I.  E    B  E  N  o  I  s  T  , 

Directeur  du  Sfoniftiir  économiqu-'  »''  ^ttunncUr 
ir,  rue  du  Pont-Neuf. 


LA    CUISINE    DU    MOIS    —    J.A    V I K    IMIATIQUE 


Pudding  â  la  neige.  —  I'urmile.  —  in 
maiTons  glacés:  120  grammes  île  liiscuils  à  la 
cuiller;  200  j^rammes  de  sucre  cassé  à  la  main: 
300  trrammcs  de  nci^re  naturelle:  lâO  grammes 
lie  i^voa  si]  de  cuisine  ;  4  blancs  d'u'ul's  moyens  ; 
1  décililre  de  kirscli  ou  de  marasquin:  un  cl 
demi  décilitre  d'eau  fdlrce:  1  moule  à  char- 
Idtle  de  12  centimètres  de  diamètre:  2  kilo- 
[irammes  de  glace  ou  de  neige. 

OnhiATioN.  —  Mettez  les  marrons  à  tremper 
une  heure  dans  le  kirsch  ou  le  marasquin  dé- 
tendu avec   le    quart  de   l'eau  et    couvrez-les. 

Mouillez  le  sucre  casse  avec  l'eau  qui  reste 
et  faites-le  cuire  au  soufflé,  c'est-à-dire  jus- 
qu'au moment  où  trempant  une  écumoire  de- 
dans et  en  soufflant  au  travers.  le  .sucre  sort 
en  bulles  légères;  faites -vous-le  verser  lente- 
ment sur  les  blancs  d'icufs  montés  bien  fer- 
mes, toyrnez  vivement  et  du  même  enté  ; 
évitez  que  le  sucre  ne  tombe  sur  le  fouet,  ce  qui 
ferait  des  boules  et  alourdirait  les  blancs. 

Passez  les  marrons  au  tamis.  Mélangez-les 
au.v  blancs  encore  chauds,  avec  une  spatule  et 
non  avec  le  fouet,  .\rrnscz  les  biscuits  avec 
la   marinade  des  marrons. 

Sanglez  le  moule  avec  de  la  glace  cassée 
ou   de   la   neige,    soupoudrée    avec    le    sel. 

Mettez  au  fond  du  moule  une  couche  de 
biscuits,  le  côté  bombé  en  bas. 

Mélangez  les  300  grammes  de  neige  bien 
blanche  dans  l'appareil  et  très  rapidement 
finissez  de  remplir  le  moule  en  alternant. 

Appareil  et  biscuits  jusqu'en  haut,  couvrez 
avec  un  papier  et  le  couvercle,  puis  mettez 
par-dessus  île  la  glace  ou  de  la  neige. 

Fa"ites  une  crème  légère  avec  trois  jaunes 
d'œufs,  trois  cuillerées  à  bouche  tle  sucre  se- 
moule, bien  travaillés  ensemble,  ajoutez  un 
grain  de  sel,  un  quart  de  litre  de  lait,  faites 
sourire  sur  le  feu  tout  en  tournant  avec  atten- 
tion, retirez  du  feu,  parfumez  avec  kirsch  ou 
marasquin  cl  laissez  refroidir. 

Salmis    de    Perdreaux.  —    I'ohmiu.e.  — 


X  perdreaux.  .1  petites  bandes  de  lard,  une 
cuillerée  de  graisse,  une  carotte  moyenne,  un 
oignon  moyen,  un  petit  bouquet  garni,  un 
demi-litre  de  bouillon,  un  quart  de  litre  de 
vin  blanc,  20  grammes  <lc  farine,  10  grammes 
de  beurre,  150  grammes  de  champignons. 
3    grammes    de   sel,    muscade    et   poivre. 

()ri':riATioN.  —  Plumez,  flambez,  videz  les 
perdreaux  comme  pour  les  servir  rôlis. 

Mettez  la  graisse  dans  une  casserole  un  peu 
grande,  où  les  perdreaux  soient  à  l'aise;  aus- 
sitôt que  la  graisse  est  chaude,  mettez  les 
perdreaux  sur  le  dos  et  ralentissez  le  feu 
s'il  est  trop  vif;  dans  cinq  minutes,  retour- 
nez-les sur  un  côté,  dans  quatre  minutes  sur 
l'autre  et  finalement  laissez-les  dorer  sur  l'es- 
tomac trois  minutes,  presque  sans  feu. 

Coupez  la  carotte  en  dés,  faites-la  dorer  à 
moitié,  ajoutez  l'oignon,  dorez  très  peu,  sau- 
poudrez avec  la  farine, 'mouillez  avec  le  vin 
blanc  et  le  bouillon,  assaisonnez  et  laissez 
cuire  tout  doucement. 

Découpez  les  perdreaux  en  cinq  morceaux, 
deux  cuisses,  deu.x  ailes  et  l'estomac,  hachez 
les  carcasses  et  ajoutez-les  à  la  sauce,  laissez 
cuire  toujours  très  lentement  deux  heures. 

Mondez,  lavez  et  laites  cuire  les  champi- 
gnons avec  liés  peu  d'eau,  quelques  gouttes 
de  citron  et  le  beurre:  mettez-les  de  côté. 

Passez  la  sauce  salmis  au  tamis  de  fd  de 
fer.  faites-la  boidilir  dans  ime  casserole  plus 
pelite.  eu  la  remuant  à  la  cuiller  de  bois; 
lais'iiv-l.i  niijnlcr  sur  le  cicvant  de  la  casse- 
role |H.iii  rameniT  l,i  ^lai^sc  en  arrière,  dc- 
g^n^-.■/.  ^iiiilr/.  iriilhv  11  -  champignons  et  le 

jus,  bii^sc/  I mil-  qurlques   instants,  relirez 

du  feu,  faites  bien  ehaulfer  les  perdreaux 
sans    laisser    bouillir    et    dressez-les. 

Les  six  cuisses  en  rond,  quatre  ailes,  les 
trois  blancs,  les  deux  ailes  par-dessus  ;  les 
champignons  entiers  autour,  saucez  très  peu 
et  envoyez  le  restant  de  sauce  i\  part. 

A.    Cot. osiniÉ. 


Nettoyage  des  lampes  à  pétrole.  —  On 
frotte  les  réservoirs  avec  île  la  cendre  de 
bois  bien  sèche  au   moyen  d'un  papier  doux. 

On  essuie  avec  un  linge  sec. 

Ce  procédé  est  excellent. 

Pour  empêcher  les  verres  de  lampes  de  se 
briser,  d  faut,  avant  de  s'en  servir,  les  faire 
bouillir  dans  de  l'eau  contenant  un  |)eu  de 
sel  mai'in.  Après  tpioi  on  laisse  sécher  et  on 
frotte  avec  un  linge  bien  mouillé. 

On  jieut  cncors  les  fendre  avec  un  diamant 
le  long  d'une  des  lignes  verticales  de  la  sur- 
face. Ils  peuvent  ainsi  se  dilater  liliremcnt. 

Caractéristique  d'un  alcool  absolu.  —  ^'ou■ 
Icz-vous  savoir  si  im  alcool  l'cnfcrme  de  l'eau'.' 
Mettez  dans  une  cuiller  un  peu  de  poudre  de 
chasse,  recouvrez-la    d'alcool    suspect   et    cn- 


llammcz  ce  dernier.  Quand  il  est  consumé,  si 
la  poudre  s'enflamme,  c'est  que  l'alcool  était 
absolu  ;  sinon,  on  peut  être  certain  que  l'al- 
cool contenait  de  Icau. 

In  procédé  |)lus  exact  consiste  A  calciner 
du  sulfate  de  cuivre  en  poudre  jusqu'à  ce 
qu'il  soit  dcvciui  blanc  :  prenez-en  alors  une 
pincée  et  faites-ln  tomber  dans  l'alcool.  La 
poudre  devient-elle  bleue  .'  l'alcool  est  addi- 
tionné d'eau.  Hesle-t-elle  blanche'.'  l'alcool  est 
absolu.  Le  troisième  procédé  que  nous  indi- 
quons est  encore  plus  exact.  Dans  l'alcool, 
on  verse  quelques  gouttes  de  benzine  el  on 
agite  le  fout  foricment  :  il  se  produit  un 
Iroublc  quand  il  y  a  eu  aildition  d'eau.  Au 
contraire,  a\ri  de  l'alcool  absolu,  le  mélange 
reste  limpide. 

\"  11,  Ton    m:    (".  1.  i:vBS. 


Jeux  et   Récréations,  par  m.  g.  Beudin 


N"  3S9.   —  Haut  :  Noirs.  —  Bas  :  Blancs. 


i    m 


'§  ^Œ  '^'w  ^W- 


Les  blanos  jouent  et  font  mat  i 


N-^  390.  —  Haut  :  Noir 


Les  blancs  jouent  et  gagnent. 


N**   39  1.  ~  Mathématiques. 

Ou  a  placé  eu  ligue  droite,  à  la  suite  les  unes  des 
autres,  40  pièces  de  2  francs  ou  de  1  franc,  formant  la 
longueur  d'un  mètre.  Combien  a-t-on  mis  de  pièces  de 
chaque  espèce  ? 


NO   392.    —   Charade. 

r,ir  A.  T. 

—  Comme  une  douce  voix  de  femme, 
Mère  chérie,  amante  ou  sœur, 
La  musique  parle  à  notre  àme 
Et  sait  consoler  la  douleur. 


—  Si  TOUS  assombrit  la  tristesse. 
Dînez  vite.  —  Qaittoz  le  rfciur. 
Puis  attardez-Tous,  rien  ne  pres^îp, 
Cliez  Colonne  ou  chez  Laniuurcux. 

—  Mou  tout,  héros  plein  de  courage. 
Sans  cesse  eo  avant  bataiUait, 
Lorsque  la  mort,  qui  le  guettaif, 
Le  faucha  dans  la  fleur  de  Tiige. 


N«  393.   —  Curiosité. 

Un  Arabe  sur  le  poiut  de  ujourir  fait  le  singulier  tes- 
timent  que  voici  :  Ne  poîsédant  pour  toute  fortune  que 
17  chameaux  valant  chacun  1  296  francs,  il  en  Jaisi>e  la 
moitii^  à  sa  femme,  le  tiers  à  son  flls  et  le  neuvième  A 
sa  fille.  Les  trois  héritiers  ne  pouvant  se  mettre  d'accori 
conviennent  de  soumettre  le  cas  au  Cadi  et  d'accepter 
la  sentence  qu'il  rendra.  Ce  dernier  les  renvoie  tous 
satisfaits  après  un  partage  équitable.  Comment  s'y 
est-il  pris? 


N°  394.  —  Chronologie. 

Quelles  sont  les  cinq  villes  Ue  Fran<'e  qui  donnent  I.i 
date  du  traité  de  Paris  ? 


5.  —  Devinette-Calembour. 

Ami  lecteur,  dis-moi  pourquoi 
Mon  enfant  (fiUetiot  aimée) 
Pourrait  être  utile  à  l'armée  V 
Ami  lecteur,  ah  !  dis-le  moi  î 


SOLUTIONS  DES  PROBLEMES   DU    DERNIER   NUMERO 


N»  385-  - 

1.  (•  1  ï  R              1.  i:  D  joue. 

2.  C  3  T  D  échec  et  mat. 

1.  (J  R  joue. 
2.  F  1  F  R  échec  et  mat. 

1.  T  pr  P  D. 
2.  G  pr  T  échec  et  mat. 

1.  MSme  T  joue. 
2.  F  7  D  échec  et  mat. 

1.  T  pr  P  r-  K  ou 
2.  D  3  D  échec  et  mat. 

joue. 

N"  386.  - 

1.  33     30                        I.     33     1.) 

2.  37     3i                       2.     27     3S 
'3.     30     2t                       3.     16     33 

4.  49     44                         4.     33     50 

5.  1       6  gagne  facilement. 

3.     1!)     20 

4.  1     40                       4.     45     34 

5.  49    44  gagne. 

An  lien  d'attaqner  le  pion  blanc  21,  les  noirs  auraient 

pn  aller  à  2K  attaqner  le  pion  37  qui  ne  pent  être  sauvé. 

Ils  auraient 

ensuite  fait  une  autre  dame  a  50  ou 

à  46, 

annulant  ain 

=i  la  partie. 

N°  387. 

—  Cor;  beau.  —  Corbaau. 

N»  388. 

—               SAONE 

B    K    R    R    Y 

•    M    A     I     NE 

C     0    S    N    E 

L     I     L    L    Y. 


ujiiat/ion;,  pour  IfS  Jeux  et  lîtcràttions,  à   M.  (!.  li'-nilci 


BUtancoufl  (HHw). 


i!ii!i.i()(;nAriiii; 


Les  librairies  Firinin-Didol  el  Challamel 
inau(.'urenl,  avec  un  superbe  volume  sur 
Madagascar,  une  série  qui  doit  comprendre 
tout  I  empire  colonial  de  la  France. 

Le  H.  P.  l'iolel  a  écrit  le  texte  consacré  à 
Madafascar;  M.  Ch.  Xoufïlard,  celui  de  la 
Héunion,  des  Comores  el  de  la  Cote  des 
Somalis  qui  terminent  le  volume.  La  compé- 
tence des  auteurs  s'y  afllrmc  d'une  façon 
claire  et  précise  el  on  éprouve  le  double  pro- 
lil  d'apprendre  beaucoup  de  choses  et  de  les 
trouver  littérairement  exposées. 

M.  Cliaillcy-Iîert  exprime  courageusement 
dans  une  fure  préface  des  idées  que  nous 
nvons  souvent  défendues  ici.  Notre  empire 
territorial  est  créé,  immense.  Que  reste-l-il  à 
faire  ?  Tout.  Kn  France,  le  parti  colonial 
n'existe  pas.  Le  gouvernement  ne  procède 
que  par  hésitations.  Mais  cet  état  déplorable 
va  cesser.  Encore  un  peu  —  les  signes  précur- 
seurs de  l'opinion  publique  permettent  de 
l'ailirmer  —  et  les  choses  changeront  du  tout 
au  tout.  Nous  y  verrons  clair,  et  quand  le 
Français  voit  clair  il  va  de  lavant. 

Quant  à  l'illustration  de  ce  volume,  elle  est 
de  luemier  ordre:  c'est  >L  Gervais  Courtelle- 
mont  qui  s'en  est  chargé.  Il  est  allé  sur  les 
lieux  avec  ses  appareils  photographiques 
qu'il  avait  cachés  à  La  Mecque,  mais  que, 
là,  il  pouvait  montrer  sans  danger,  non  sans 
fatigues  toutefois,  car  on  s'imagine  ce  qu'elles 
furent  à  travers  ces  pays  presque  sans  routes. 
Mais  l'artiste  a  le  feu  sacré.  11  a  aussi  un  joli 
brin  de  plume  au  bout  de  son  objectif  et  il 
est  à  souhaiter  que  son  rôle  littéraire  soit 
grand  dans  les  volumes  qui  suivront. 

Ces  belles  gravures,  qui  prouvent  une  fois 
de  plus  que  vérité  et  art  sont  synonymes, 
sont  et  demeureront  vraiment  précieuses.  Ce 
n'est  pas  la  nature  truquée  et  exprimée  par 
à  peu  prés,  c'est  la  réalité  même  que  l'on  a  été 
chercher  A  des  milliers  de  lieues  et  qui  est 
mise    toute  vive   sous    les  yeux  dos  lecteurs. 

Pourquoi  les  éditeurs  n'ont-ils  pas  com- 
plété ce  beau  livre  par  un  appendice  do  ren- 
seignements détaillés  et  nc'oessaires  qu'un 
texte  courant  ne  pouvait  pas  contenir? 

Les  colonies  ont  la  part  lai'gc  dans  les  livres 
de  lin  d'année,  et  la  librairie  May  publie  aussi 
un  très  beau  volume  sur  le  Tonkin  en  1900. 
L'auteur,  M.  linb,'.!  l)ulu.i>,  a  illustré  son 
texte  de  photogi':i|.liir.,  in  i-os  également  par 
lui  surplace,  el  d  anliinl  plii^  iiu'ieuses  qu'elles 
représentent  les  indigènes  so  livrant  aux  fonc- 
tions habituelles  de  leur  existence. 

Les  titres  des  cinq  divisions  de  l'ouvrage 
indiquent  combien  le  plan  est  simple  et  bien 
compris  :  la  conquête,  les  ressources  du  sol, 
la  vie  indigène,  l'influence  française,  la  vie 
européenne.  C'est  une  succession  logique.  La 
vio  indigène,  très  étudiée,  montre  toutes  les 
lossoiiioos  de  la  race  qui  ne  demande  qu'A  se 
relever  d'une  antique  op])ression  et  qui  est 
propre  &  toutes  les  besognes.  L'Européen  doit 
arriver  là  comme  conducteur. 

L'auteur  n'a  pas  craint  de  citer  de  nom- 
breux   établissements     privés.      Montrer     les 


résultats  obtenus  par  l'initiative,  c'est  le  meil- 
leur appel  à  la  colonisation. 

Il  ne  saurait  d'ailleurs  y  avoir  de  surprise. 
L'auteur  déclare  franchement  qu'il  n'y  a  rien 
à  faire  en  ce  moment  au  Tonkin  pour  les 
personnes  qui   ne  disposent  pas   de  capitaux. 

C'est  toujours  -la  même  vérité.  Aux  colo- 
nies, plus  que  partout  ailleurs,  un  pauvre 
restera  pauvre.  Seuls,  de  gros  capitaux,  des 
capitaux  de  sociétés,  peuvent  mettre  en  va- 
leur nos  colonies.  LTne  fois  laite  cette  pre- 
mière mise  en  état,  les  travailleurs  pouri-ont 
arriver.  Le  capital  et  le  travail  seront  ronui- 
nérés.  Cela  finira  bien  par  entrer  dans  l'opi- 
nion publique  et,  de  là,  dans  les  conseils  il\i 
gouvernement  de  la  métropole.  L'n  livre  comme 
celui-ci  est  pour  aider  à  l'œuvre  commune. 

M.  Armand  Dayot  poursuit  la  ])ublicatiiMi 
de  ses  albums  historiques  et  le  Second 
Empire,  qui  vient  de  paraître,  ne  sera  pas  le 
moins  intéressant  de  la  collection,  l'n  demi- 
siècle  s'est  écoulé  bientôt  depuis  le  2  dé- 
cembre 1851;  trente  ans  nous  séparent  du 
•1  septembre  1S70.  Les  sociétés  vont  vite:  on 
s'en  aperçoit  en  regardant  les  ligures  de  cet 
album,  qui  nous  paraissent  déjà  lointaines. 

L'auteur  a  eu  le  bon  goût  de  ne  faire  de 
cette  réunion  de  documents  ni  une  apologie, 
ni  une  satire.  Il  a  montré  seulement  les 
hommes  et  les  faits.  Les  femmes  aussi,  car 
elles  ont  joué  un  grand  rôle  à  la  cour  impé- 
riale. Au  bal  costumé  de  la  duchesse  d'AII>o. 
M.  de  GallifTet  apparut  en  coq.  L'oiseau  gau- 
lois vaut  bien  les  petits  cochons  fêtés  aujour- 
d'hui et  ce  n'est  pas  sa  courtoisie  galante  que 
l'on  reprochera  à  cette  époque.  Une  pareille 
sélection  demande  beaucoup  de  goût,  une 
grande  sûreté  de  discernement,  et  M.  Dayot 
légitime  le  mot  de  M.  Lavisse  :  ■  L'image  re- 
nouvellera l'enseignement  historique.  ■• 

La  caricature  ne  s'est  jamais  épanouie 
comme  aujourd'hui  :  en  France  conuiie  à 
l'étranger  elle  surabonde.  La  quantité  vaut- 
elle  la  qualité.'  Le  beau  volume  la  Caricature 
et  les  Caricaturistes,  que  M.  Emile  lîayard 
vient  do  publier  chez  Uclagrave,  facilitera  la 
réponse  à  celte  question. 

L'auteur  ne  s'est  pas  contenté,  en  cITel,  de 
faire  défiler  un  grand  nond>re  d'images  plus 
ou  moins  bien  choisies,  couune  cela  se  pra- 
tique parfois.  Il  a  étudié  chaque  maître  avec 
soin.  11  a  apporté  sa  compétence  de  lettré  cl 
d'artiste  à  le  pénétrer  et  à  en  faire  ressortir 
l'esprit  el  les  moyens,  l'ne  caricature  est  vite 
vue;  le  sourire  qu'elle  provocpu'.  vite  éteint 
pour  ceux  qui  n'y  recherchent  ipie  l'amuse- 
ment. Nous  ne  parlons  pas  des  dessins  gros- 
siers que  ce  livre  dédaigne  avec  raison. 

Mais  on  doit,  au  contraire,  s'y  attai-tler 
pour  réfléchir.  Hien  n'est  plus  suggestif 
qu'une  bonne  caricature.  M.  ICuiile  Hnyard 
prouve  avec  excellence  qu'on  peut  philoso- 
pher en  anuisant,  I.éandre  a  calligraphié  pour 
l'ouviage  une  préface  peu   banale. 

La  nu''me  librairie  publie  les  ouvrages  sui- 
vants que  nous  sonuiios  lieure\ix  de  signaler. 


BIBLIOGH  A  fil  lli 


U'abord  un  Voyage  au  Japou.  par  I.  Eggcr- 
monl. 

Les  diploniales.  par  I  élendue  de  leurs  rela- 
tions et  i)ar  l'indépendance  de  leur  situation, 
sont  à  même,  mieux  que  personne,  de  péné- 
trer le  caractère  des  pavs  qu'ils  visitent,  d'en 
étudier  à  fond  le  réf.'imc  moral  et  politique, 
d'en  suivre  les  développements  industriels,  en 
un  mot,  d'apprécier  avec  une  réelle  impartialité 
tout  ce  qui  tend  à  constituer  le  signe  distinclif 
des  peuples  au  milieu   desquels   ils   ont  vécu. 

Un  récit  de  voyage,  conçu  dans  un  pareil 
esprit  d'observation  et  de  sincérité  méticu- 
leuse, est  appelé  A  réunir  tous  les  suffrages, 
surtout  quand  l'auteur  est  doublé,  comme 
M.  I.  Eggermont.  d'un  artiste  et  d'un  lettré. 

Telles  sont  les  principales  qualités  de  ce 
volume,  illustré  d'innombrables  gravures  sur 
bois,  de   caries   et    de   plans. 

Petit  Marsouin,  pai-  le  capitaine  Danrit,  est 
le  dernier  volume  de  ce  triptyque  d'histoire 
militaire  qui  commence  aux  grandes  guerres 
de  la  Révolution,  pour  finir  de  nos  jours.  La 
Famille  de  soldais  a  pour  premier  chef  Jean 
Tapin.  petit  tambour  à  Valmv.  colonel  de  la 
garde  à  A\aterloo.  —  Ses  deux  fils,  Henri  et 
Jean.  Filleuls  de  Napoléon,  remplissent  de 
leurs  faits  d'armes  la  deuxième  partie  de  l'ou- 
vrage. Pelil  Marsouin,  c'est  Georges  Cardi- 
gnac,  le  petit-lils  de  Jean  Tapin;  lui.  a  choisi 
l'infanterie  de  marine  et  il  se  montre  le  digne 
héritier  des  vaillants,  dont  il  est  issu.  —  Le 
récit  court  à  travers  les  aventures  et  les  péri- 
péties les  plus  dramaliques.  de  Bazeilles  au 
Tonkin.  —  La  vérité  est  respectée,  puisque 
c'est  pour  apprendre  l'histoire  aux  jeunes  lec- 
teurs que  sont  écrits  ces  livres  bien  français. 


C'est  aussi  un  livre  patriotique  que  le  Pays 
des  Touaregs,  où  ^L  Léo  Dex  nous  montre 
une  mission  scientifique  luttant  contre  l'hos- 
tilité armée  des  pirates  du  désert,  les  dilli- 
cultés  du  climat  saharien,  pendant  qu'elle 
établit,  dans  l'étrange  région  des  chotls  tuni- 
siens, d'immenses  signaux  lumineux  destinés 
à  un  essai  de  correspondance  avec...  les  ha- 
bitants de  la  planète  Mars.  Une  idylle  amou- 
reuse est  mariée  au  récit  et  tout 'finit  bien, 
grâce  à  l'intervention  des  troupes  chai-^ées 
de  la  construction  du  Transsaharien,  dont  on 
voit  poser  les  rails  au  cours  du  roman. 

Une  gracieuse  édition  de  la  Mionette,  le 
délicat  chef-d'œuvre  d'Eugène  MuUer  si  sou- 
vent réimprimé,  se  recommande  par  les  char- 
mantes illustrations  de  A.  Bertrand.  Cet  ar- 
tiste, dont  les  lecteurs  du  Monde  Moderne  ont 
souvent  pu  apprécier  les  compositions,  sait 
pénétrer  dans  l'intimité  des  personnages  qu'il 
faut  représenter,  et  son  talent  anime  leurs 
figures  de  l'expression   même  de  la  vérité. 

De  son  vivant,  Victor  Hugo  n'admettait 
point  des  extraits  de  ses  œu\res.  Ils  abon- 
dent depuis  sa  mort,  heureusement  d'ailleurs. 
M.  Hippolyte  Parizol  achève,  avec  un  volume 
de  théâtre,  sa  collection  des  Morceaux  choisis 
du  maître.  Le  choix  est  fait  avec  beaucoup 
de  goût  et  les  fragments  sont  reliés  entre  eux 
par  de  compréhensivcs  notices. 


La  préface  de  l'ouvrage  de  M.  André  Godard. 
Le  positivisme  chrétien,  chez  Bloud  et  Barrai. 
j    contient   celte   remarque   très  profonde  :  ■•  Le 
1    malheur  de  l'Eglise  est   de  manquer  d'apôtres 
I    qui  aient  débuté  par  l'incroyance.  ■•  L'auteur, 
qui  est  de  ceux-lA,  veut  parler  de  l'Eglise  con- 
temporaine et  de  la  situation  contemporaine 
de  la  religion.  Il  ajoute  :  «  Les  deux  tiers  des 
incroyants  le  sont  de  bonne  foi.  » 

Les  causes  de  l'incrédulité  actuelle  sont  com- 
plexes. Objections  du  matérialisme,  du  trans- 
formisme, du  spiritisme,  de  l'exégèfe  alle- 
mande et  de  la  théorie  générale  des  religions, 
tout  concourt  à  entraver  la  conversion  non 
seulement  des  intellectuels,  mais  de  la  masse 
des  esprits,  atteinte  par  les  sopliismes  de  la 
vulgarisation  scientifique. 

C'est  à  les  réfuter  que  M.  André  Godard 
s'applique.  Il  a  prétendu  écrire  un  abécédaire 
à  mettre  aux  mains  de  l'incroyant  on  quole 
d'une  certitude  religieuse.  Ce  n'est  pas  abécé- 
daire qu'il  faut  dire,  mais  traité  profondément 
pensé  où  se  complairont  les  esprits  sérieux. 
M.  Edmond  Thiaudière  continue,  chez 
Fischbaclier,  ses  Soles  d'un  pessimiste  par 
un  nouveau  recueil  de  maximes  :  La  fierté 
du  renoncement.  Comme  le  dit  M.  II.  Chan- 
tavoine  dans  sa  préface,  c'est  un  pessi- 
misme d'une  essence  rare,  parce  qu'il  est  gé- 
néreux et  salutaire  et  qu'il  vient  d'un  esprit 
courageux  et  d'une  conscience  difficile. 

L'n  index  termine  le  volume.  On  y  lit.  par 
exemple.  ■.  Esprit  de  pau\Teté  ■•  ou'  «  Fièvre 
du  lendemain  ■..  et  l'on  n'a  qu'à  recourir  au.x 
pages  indiquées  pour  voir  ce  que  l'auteur 
pense  de  ces  états  d'àme. 

Il  n'est  pas  facile  de  rendre  compte  du 
curieux  roman.  Blancador  l'Avantageux,  que 
M.  Maurice  Maindron  donne,  aux  éditions  de 
In  Revue  blanche,  comme  suite  à  son  Sainl- 
Cendre.  dont  le  succès  a  été  vif.  C'est  une 
suite  en  ce  sens  que  les  scènes  se  déroulent 
toujours  au  .wi»  siècle,  mais  seulement  en 
cela.  La  félonie  succède  à  la  bonne  humeur 
et  la  cruauté  à  la  bravoure;  on  y  trouve  des 
physionomies  qui  inspirent  la  terreur  et  des 
tortures  qui  donnent  le  frisson. 

L'auteur  poursuit  une  idée  historique,  vou- 
lant montrer  ce  qui  pouvait  se  passer  en 
France  il  y  a  trois  cents  ans.  Mais  il  aurait 
dû  faire  précéder  ce  récit  d'un  avant-propos 
explicatif.  Pour  qui  ne  connaît  pas  le  souci 
d'exactitude  que  >I.  Maindron  apporte  à  tous 
ses  travaux,  les  événements  semblent  Imagi- 
natifs, ce  qui  est  permis,  mais  improbables, 
ce  qui  est  plus  grave. 

Trois  autres  volumes  sont  en  préparation 
et  les  titres  font  supposer  qu'ils  se  maintien- 
dront dans  le  même  cycle.S'ousy  demandons 
des  explications,  dût  notre  ignorance  faire 
sourire  l'auteur.  Elles  serviront  à  mieux  goû- 
ter son  style  savoureux,  dont  l'ironie  cachée 
portera  ainsi  des  coups  plus  certains. 

Les  ouvrages  de  M.  Slaindron  ne  peuvent 
pas  se  résumer,  car  ils  sont  eux-mêmes  une 
quintessence.  Ils  sont  riches  en  faits  et  en 
pensées.  Il  faut  les  lire  soi-même,  et  non  à 
travers  l'appréciation  d'un  critique,  pour  les 
pénétrer  et  les  goûter. 


L' Éditeur-Gérant  :  A.  Quasti.v 


VOYAGES     ORGANISES 

P;ir  LE    MONDE    MODERNE  ol    1  AGENCE    DES   VOYAGES    MODERNES 


VOYAGE  EN  ALGÉRIE  et  en  TUNISIE 

Vacances     de     Pâques 


Itinêra.ire 

Paris,  Marseille,  Alger,  Blidah,  Alger,  Bougie  (l'inversée  en  voilure  îles  célèbres 
f,'orf{cs  du  (:hal)cl-el-Aklir;i),  Sétif,  Coiistantine.  Batna  (i-2xcursion  en  voilure  aux 
ruines  de  Lambèse  et  de  Timyad),  Biskra  (Mxcursion  dans  le  déscri  à  l'oasis  de 
.Sidi-Oki)a  el  aux  Dunes  de  sable),  Constantine,  Tunis  (l-2xcursion  en  \oilurc  à 
Carlhnii^e.  Siili-Hou-Saïd,  La  Marsa),  Marseille,  Paiis. 

—^■•—   OiipAitT  Di:  Paris  le  2  Avun.   I'.)l)l    O   I'etolu  a  Paris  m-:  21)  Avril    — ^-«^ 

Prix  et  Conditions  du  Voyage  : 

1'*    classe      875    francs    —    2"'    classe.    795    iVanis. 

Excursion    facultative   à   SOUSSE.    KAIROUAN   ei   BIZERTE 

PiiîTOriî  A  Paris  u:  27  Avmi. 

Sup|ilcmenl  de  Prix  :   I"  cla>se,  145  li'.  —  2'^'  classe  135  l'r 


{-ies  prix  com|)rcnnenl  loules  les  dépenses  du  Voyage  :  h'rais  tie  Iransporl, 
d'hùlcls,  de  voilures,  de  guides,  pourboires  etc. 

Les  adhésions  sont  reçues  dès  maintenant  et  jusi|u'im  2(»  Mars.  Nous  cni^afieons 
vivement  nos  lecteurs  à  ne  pas  attendre  la  dernière  minute  pour  se  faire  inscrire, 
car  dans  le  bul  d'assurer  aux  voyageurs  le  plus  tle  conlbrlablc  possible,  nous 
limilerons  leur  nombre  à  ^lO.  —  D'autre  part,  pour  le  choix  des  cabines  nous  nous  en 
r;ip|)oi-leron;;  à  l'ordre  des  inscriplions.  Nous  avons  fait  choix  pour  les  trn\crséesde 
Marseille  à  Alger  cl  de  Tunis  à  Marseille  des  excellents  pacpicbols  tle  la  C-ompagnie 
(îéncralc  Transallant ique. 

Les  programmes  et  renseignements  concernant  le  voyage  seront  envoyés 
graluitemeiil  à  toute  personne  qui  en  fera  la  demande  —  .S'adi'csscr  dircclcnient 
aux  «  Voyages  Modernes»  I,  rue  de  ri£chclle,  Paris. 

NOTA.  —  l'oiil  soiisciip'.our  .tu  voy.igc  <t'.\tj;ério  ;uira  dioil  ;i  une  .iiini'c  d\it)i)iini'ineiU  :i  t:i 
Hc\uo  "  Le  Monde  Moderne  ». 


Le 


Mon  de    Modem  e 


Février    1901 


DANS    LAlilMK 


I.c  lieuleiuuil  se  tenait  debout  devant 
la  sphère  d'acier  et  mordillait  un  éelat 
de  bois. 

—  (^ue  pensez-vous  de  ça,  Steevens? 
demanda-t-il. 

—  C'est  une  idée  comme  une  autre, 
(lit  Steevens,  du  ton  de  quelqu'un  qui 
veut  se  faire  une  opinion  siucère. 

—  Je  crois  que  ça  s'écrasera  à  plat, 
dit  le  lieutenant. . 

—  11  semble  avoir  calculé  son  alfaire 
soit,'^neusemenl.  dit  Steevens  encore  im- 
partial. 

—  Mais  pensez  à  la  pression,  dit  le 
lieutenant.  A  la  surface  de  l'eau,  elle 
est  d«  quatorze  livres  par  pouce  ;  trente 
pieds  plus  bas,  elle  est  double  ;  soixante, 
triple;  quatre-vingt-dix,  quadruple; 
neuf  cents,  quarante  fois  plus  grande  ; 
cinq  mille  pieds,  trois  cents  fois...  c'est- 
à-dire  qu'à  un  mille  de  profondeur,  la 
pression  est  de  deux  cent  quarante  fois 
quatorze  livres;  c'est-à-dire...  atten- 
dez... un  quintal...  une  tonne  et  demie, 
Steevens,  une  tonne  et  demie  par  pouce 
carré.  Et  l'Océan  a  ici  cinq  milles  de 
profondeur.  Il  subira  une  pression  de 
sept  tonnes  et  demie... 

—  Uri  joli  sondage  1  dit  Steevens.  .Mais 
il  est  protégé  aussi  par  une  jolie  épais- 
seur d'acier. 

Le  lieutenant  ne  répondit  pas  et  se 
remit  à  mâchonner  son  bout  de  bois. 
L'objet  de  leur  conversation  était  une 
immense  boule  d'acier,  d'un  diamètre 
extérieur  d'environ  neuf  pieds,  et  qui 
semblait  être  le  projectile  de  quelque 
litanique  pièce  d'artillerie  ;  elle  était  fort 
laborieusement  nichée  dans  un  échafau- 
dage monstrueux,  élevé  dans  la  char- 
pente du  vaisseau,  et  les  espars  gigan- 
tesques qui  allaient  bientôt  la  faire 
glisser  par-dessus  bord  donnaient  à  lar- 
rière  du  navire  un  aspect  qui  avait  ex- 
cité la  curiosité  de  tout  honnête  xnarin, 
depuis  le  pool  de  Londres  jusqu'au  tro- 
pique du  Capricorne.  l']n  deux  endroits. 


l'un  au-dessus  de  l'aiitre,  lacier  faisait 
place  à  une  couple  de  fenêtres  circu- 
laires, ferméee  d'une  paroi  de  verre 
d'une  épaisseur  énorme,  et  l'une  d'elles, 
enchâssée  dans  un  cadre  d'acier  d'une 
grande  solidité,  se  trouvait  pourlinslanl 
en  partie  dévissée. 

Le  malin  même,  les  deux  hommes 
avaient  vu,  pour  la  première  fois,  l'inté- 
rieur de  ce  globe.  II  était  soigneusement 
matelassé  de  coussins  à-  air,  garnis  de 
petits  boutons  Hxés  entre  les  saillies,  et 
qui  constituaient  le  simple  mécanisme 
de  la  chose.  Tous  les  objets  étaient,  de 
même,  soigneusement  capitonnés,  même 
l'appareil  Mvers,  qui  devait  absorber 
l'acide  carbonique  et  remplacer-  l'oxy- 
gène inspiré  par  l'habitant  du  globe, 
quand,  s'y  étant  introduit,  l'ouvei'ture 
vitrée  aurait  été  vissée. 

Tout  était  si  parfaitement  capitonné 
cjunn  être  humain  aurait  |)u  supporter, 
en  toute  sécurité,  d  être  lancé  avec  la 
sphère  par  un  canon.  Et  il  fallait  qu'il  en 
fût  ainsi,  car  bientôt  un  hommeallait  s'in- 
sinuer par  l'ouverture;  il  serait  enfermé 
solidement  à  l'intérieur  et  lancé  par- 
dessus bord  pour  s'enfoncer  dans  l'I  )céan 
jusqu'à  une  profondeur  de  cinq  milles, 
comme  le  lieutenant  l'avait  dit.  L  imagi- 
nation de  ce  dernier  était  exclusivement 
occupée  de  cet  objet  ;  c'était  devenu  pour 
lui  une  obsession,  même  aux  repas,  et 
Steevens,  le  nouveau  venu,  était  un  com- 
pagnon inattendu  auquel  il  allait  pouvoir 
tout  à  son  aise  causer  de  sa  préoccupât  ion. 

—  J'ai  idée,  dit  le  lieutenant,  que 
ces  hublots  de  verre  fléchiront  simple- 
ment, crèveront  et  s'écraseront  sous 
une  pression  pareille.  Daubrée  a  liquélié 
des  rochers  sous  des  pressions  énormes... 
et,  remarquez  bien  ceci... 

—  Si  le  verre  casse,  dit  Steevens, 
qu  arrivera-t-il  ? 

—  L'eau  entrera  comme  un  jet  de  fer. 
Avez-vous  jamais  reçu,  bien  droit,  un 
jet  à   haute  pression?    Ça   vous    frappe 


DANS    L  A  H I  M  I  : 


L-oniine  un  LouIl'I.  I!  serjiil  .^implenicnl 
écrasé  el  aj)lali.  L'eau  entrerai l  tlans  sa 
},'orge,  dans  ses  poumons,  pénétrerail 
dans  ses  oreilles... 

—  Quelle  imagination  détaillée!  s'é- 
cria Steevens,  qui  se  représentait  vive- 
ment les  choses. 

—  C'est  le  simple  exposé  d'une  chose 
inévitable,  dit  le  lieutenant. 

—  Kt  le  globe? 

—  Il  laisserait  s'éch;ip|)er  quelques 
petites  bulles  et  s'installerait  conl'or- 
tablement,  jusqu  au  jour  du  jug'emenl, 
parmi  la  vase  el  le  limon  du  fond...  avec 
le  |Kiuvre  Hlstead  étalé  sur  ses  coussins 
aplatis,  comme  du  beurre  sur  du  pain. 

Il  répéta  cette  image,  comme  si  elle 
lui  eùl  plu  beaucoup  : 

—  Comme  du  beurre  sur  du  jiain. 

—  Un  coup  d'd'il  au  (apc-cul,  dit 
une  voix. 

Et  l'^lslead  parut  derrière  eux,  \êtu 
d'un  complet  blanc,  une  cigarette  aux 
lèvres  et  les  yeux  souriants  sous  les 
amples  bords  de  son  chapeau. 

—  Qu'est-ce  que  vous  dites,  à  propos 
de  pain  et  de  beurre,  \\'eybridgc?  Vous 
grommelez,  comme  d  habitude,  sur  la 
paye  insuffisante  des  officiers  de  ma- 
rine? —  Il  n'y  a  plus  qu'un  jour  à 
attendre  avant  (jue  je  parte  maintenant. 
Les  élingues  vont  être  prêtes  aujour- 
d'hui. Ce  beau  ciel  et  cette  houle  tran- 
(piille  sont  juste  ce  qu'il  faut  |)0ur  lancer 
par  dessus  bord  une  douzaine  de  tonnes 
de  picindj  cl  de  fer,  n'est-ce  pas? 

—  \  nus  ne  \ous  apercevrez  pas 
bcaucdup  de  la   houle,   dit  ^^'eybridge. 

—  Non.  A  soixante  ou  quatre-vingts 
pieds  de  pi-ofondeur  —  et  j'y  serai  dans 
dix  à  douze  i?econdes  —  pas  une  molé- 
cule ne  bougera,  quand  le  vent  hurle- 
rait et  que  l'eau  s'élèverait  juscju  aux 
nuages.  Non.  I^à,  au  fond... 

Il  s'avanva  jusipi'au  bastingage,  et 
les  deux  autres  le  suivirent.  Tous  trois 
se  penchèrent  sui-  leurs  coudes  et  con- 
templèrent leau,  d'un  vert  jaunâtre. 

—  ...  La  paix,  dit  Elstead,  en  ache- 
vant toul  haut  sa  pensée. 


—  Etcs-vous  absolument  certain  que 
le  mouvement  d'horlogerie  marchera? 
demanda  toul  à  coup  NN'eybridge. 

—  11  a  marché  trente-cinq  fois,  dil 
Elstead.  Il  est  tenu  de  marcher. 

—  Mais  s'il  ne  fonctionne  pas? 

—  Pourquoi  ne  fonctionnerait-il  pas? 

—  Je  ne  voudrais  pas,  pour  vingt 
mille  livres,  descendre  dans  celte  mau- 
dite machine,  dit  AN'eybridge. 

—  \  ous  êtes  toul  à  fait  encourageant, 
dit  Elstead. 

—  Je  ne  comprends  pas  encore  com- 
ment vous  pourrez  faire  fonctionner  la 
chose,  dit  Steevens. 

—  l'.h  bien  !  d'abord,  j'entre  dans  la 
sphère,  et  1  on  visse  l'ouverture,  dit 
l'.lstead.  El  quanti,  Irnis  fois  de  suile, 
j'ai  allumé  et  éteint  la  lumière  élec- 
trique pour  montrer  que  toul  va  bien, 
je  suis  lancé  jiar-dessus  le  bastingage  par 
celle  grue,  avec  tous  ces  gros  fonceurs 
de  plomb  suspendus  au-dessous  de  moi. 
Le  gros  poids  de  plomb,  qui  est  lixé  sur 
le  dessus,  est  muni  d'un  cylindre  sur 
lequel  s'enroulenl  cent  toises  de  solide 
cordage,  el  c'est  tout  ce  qui  lie  les  fon- 
ceurs à  la  sphère,  sauf  les  élingues  qui 
seront  coupées  quand  la  sphère  tom- 
bera. Je  me  sers  de  cordes  plutôt  que 
de  câbles  de  fer,  pai'ce  que  c'est  jdus 
facile  à  couper  el  plus  llottanl  -.-condi- 
tions nécessaires,  comme  vous  allez  voir. 
\'ous  remarquez  que  tous  ces  fonceurs 
de  plomb  sont  percés  d'un  trou  :  une 
tringle  de  fer  y  sera  adaptée,  (|ui  dépas- 
sera de  si.\  pieds  sur  la  face  inférieure. 
Dès  i|ue  cette  tringle  sera  en  contact 
avec  le  fond,  elle  frappera  sur  un  levier 
qui  déclenchera  le  mouvement  d'horlo- 
gerie placé  sur  le  côté  du  cylindre  sur 
let|uel  les  cordes  s'eni-oulent...  \'ous 
suivez?  (In  descend  genlimenl  dans 
l'eau  tout  le  système.  La  s()lière  llollc 
—  avec  l'air  qu'elle  renferme,  elle  esl 
plus  légère  que  l'eau  —  mais  les  poids 
de  plomb  conliiiucnl  à  s'enfoncer,  el  la 
corde  se  déroule  jusiju'au  bout.  (Juand 
la  corde  est  enlièrenient  lilée.  la  splièiv 
s'enfonce  aussi. 


n.WS    r.ARIMK 


—  Mais  ,'i  quoi  sert 
la  corde?  demanda 
Sleevens.  Pourquoi 
ne  pas  fixer  direele- 
nient  les  poids  à  la 
sphère  ? 

—  -Mais  à  cause  du 
cliocprobalileauloud. 
I.a  sphère  cl  ses  poids 
vont  s'enfoncer  rapi- 
dement, atteindre  peu 
à  peu  une  vitesse  ver- 
lifCineuse.  Klle  serait 
mise  en  pièces  en  lou- 
chant le  fond,  si  ce 
n'était  cette  corde. 
-Mais,  dès  que  les  poids 
reposeront  sur  le  fond, 
la  légèreté  de  la  sphère 


h. 


entrera  en  jeu.   Elle  conti- 
nuera à  s'enfoncçr  de  plus 
en    plus     lentement,     s'arrêtera 
i^nliii,  puis  se  mettra  à  remonter.  C'est 
là  que  le  mouvement  d'horlog-erie  in- 
''■i-vient.  Aussitôt  que  les   fonceurs  s'apla- 
tiront sur  le  fond  de  la  mer,  la  trin-le  sera 
heurtée  et  déclenchera  le  mouvement  et  la 
corde  sVnroulera  de  nouveau  sur  le  cylindre 
Je  serai    ainsi    amené   jusqu'au    fond     Là     je 
resterai  une  demi-heure,  la   lumière  électrique 
allumée,    exammant  ce  que  j'aurai  autour  de 
moi.  Puis  le  mouvement  d'horlofrerie  met- 
tra en  jeu   un  couteau  à  ressort,   la  corde 
sera  coupée,  et  je  remonterai  à  la  sur- 
face, comme  une  bulle  dans  un  siphon. 
La  corde  elle-même  aidera   la 
flottaison. 

—  Et  si,  par  hasard,  vous 
remontiez  sous  un  navire? 
demanda  A\'eybridn-e. 

—  J'arriverais  avec  une 
telle  vitesse  que  je  passerais 

simplement  au 
travers  comme 
un  boulet  de 
lannn.   dit    El- 


t. 


.'««!« 


u  A  N  ?  I.  ■  A  n  I M 1  ; 


stead.  Vous   n'avez  pas  hesoiii  di"  vous 
lourmenler  à  ce  sujet. 

—  Supposez  que  quol(|uc  ailif  petit 
cruslacé  s'insinue  clans  vulic  mouve- 
ment d'horlogerie... 

—  Ce  sérail  pour  nioi  une  espèce 
d'in\itation  un  peu  pressante  à  rester  en 
leur  eompaiLjnie,  dit  Elstoad  eu  tournant 
le  dos  à  la  mer  et  eoiitemplaul  la  sphère. 


(  In  avait  jeté  Elstead  par-dessus  bord 
à  «m/e  heures.  C'était  une  journée  calme 
et  brillamment  sereine  et  l'horizon  se 
perdait  dans  la  brume.  L'éclat  des 
lampes  électriques  avait  joyeusement, 
par  trois  l'ois,  a|)pai-u  dans  le  petit  com- 
parliuient  supérieur.  .-Mors  on  l'avait 
descendu  lentement  jusqu'à  la  surface 
de  l'eau,  et  un  matelot  se  tenait  près  des 
sabords  d'arrière,  prêt  à  couper  le  palan 
([ui  i-etenait  l'ensemble  des  l'onceurs  et 
de  la  sphère.  La  sphère,  qui  sur  le  pont 
a\  ait  j)aru  si  énorme,  semblait  mainte- 
nant un  inimaginable  petit  objet  sous 
l'arrière  du  na\ire.  l'allé  se  balança  un 
peu,  et  ses  deux  hublols  sombres  au- 
dessus  de  la  ligne  de  llollaison  sem- 
blaient des  yeux  ahuris  contemplant 
l'équipage  qui  se  pressait  contre  le  bord. 
Lue  voix  s'éleva,  demandant  ce  qu'Els- 
(ead   devait   penser  de  ce  balancement. 

—  r,lcs-vous  prêts?  lit  le  comman- 
dant. 

—  (  tui,  capilaino. 

—  Lâchez  tout. 

Le  table  du  ])alan  se  raidit  contre  la 
lame  et  fut  coupé.  In  remous  tourbil- 
lonna sur  la  sphère  d'une  l'açon  grotes- 
(luemenl  impuissante.  Quelqu'un  agita 
un  mouchoir;  un  autre  tenta  une  accla- 
mation vaine  ;  nu  quai-lier-maitrc  compta 
lentement...  huit,  neuf,  dix.  Il  y  eut  un 
autre  remous,  puis  avec  un  bruyant 
clapotis  et  un  large  éclaboussement,  la 
s|)hère  re])rit  son  aplomb. 

b'ile  sembla  ivster  slalinnnairc  un 
instant,  puis  devenir  ra])iclenient  plus 
|)elite;  cnliM  l'eau  la  i-ecoii\ril.  et  elle 
resta    visililr   an-ilessuns  do  l.i    SMi'face. 


imprécise  et  agrandie  par  la  réfraction. 
.\vanl  qu'on  ait  |)n  compter  jusqu'à 
trois,  elle  avait  disparu.  Il  y  eut  un 
tremblement  de  lumière  blanche  dans 
les  profondeurs  de  l'eau  qui  diminua 
jusqu'à  n'être  plus  qu'un  point  et  s'éva- 
nouit. Puis,  il  n'y  eut  plus  rien  que 
l'abime  des  eaux  ténébreuses  dans  lequel 
un  requin  nageait. 

Soudain  l'hélice  du  croiseur  se  mil  en 
mouvement;  leau  bouillonna  :  le  requin 
disparut  dans  la  confusion  des  vagues, 
cl  un  lorreul  d'écume  s'étendit  sur  la 
cristalline  liinpidil(''  (|ui  avait  englouti 
Elstead. 

—  Qu'est-ce  qu  <in  fait  maintenant  ? 
dit  un  matelot  à  nu  antre. 

—  On  va  s'éloigner  dune  couple  de 
milles  |)our  ne  pas  nous  trouver  sur  son 
chemin  quand  il  remontera,  dit  son 
camarade. 

Le  navire  gagna  lentement  sa  nouvelle 
position.  A  bord.  Ions  ceux  qui  n'étaient 
pas  occupés  restaient  à  surveiller  l'en- 
droit houleux  où  la  sphère  s'était 
enfoncée.  Pendant  la  demi-heure  qui 
suivit,  il  est  douteux  qu'un  seul  mot  ait 
été  prononcé  qui  n'eût  pas  rapport  à 
Elstead.  Le  soleil  de  décembre  était 
maintenant  haut  dans  le  ciel,  et  la 
chaleur  était  fort  grande. 

—  .le  crois  qu'il  n'aura  pas  trop  chaud 
là-dessous,  dit  W  eybridge.  On  prétend 
que,    passé    une    certaine     profondeur, 

I  eau  de  la  mer  est  presque  toujours  à 
une  température  g'Iaciale. 

—  .\  quel  endroit  \a-t-il  ressortir? de- 
manda Sicevens. 

—  C'est  là-bas,  dit  le  commandant, 
qui  s'enorgueillissait  de  son  omnisciencc. 

II  indiqua  d'un  doigt  pi-écis  le  sud-est. 
Et,  ajouta-t-il,  il  ne  va  pas  tardcrmain- 
lenant.  Il  y  a  déjà  trente-cinq  minutes. 

—  (Combien  de  tem|)s  faut-il  pour 
atteindre  le  fond  de  l'Océan?  demanda 
Steevens. 

—  Pour  une  pi'olbnilein-  Ac  cin(| 
milles,  en  tenant  com|)te,  comme  nous 
l'avons  l'ail,  d'une  accélération  de  deux 
pii'ds  par  seconde,  à   la   fois  à   l'aller  et 


DANS     L   AHIME 


au  retour,  il  lui  laut  environ  trois  ([uarls 
de  ininule. 

—  Alors,  il  est  en  retard,  dit  ^\'ev- 
l)rid-e. 

—  Mais...  presque,  dit  le  comman- 
dant. Je  suppose  qu'il  faut  quelques 
minutes  pour  que  sa  corde  s'enroule. 

—  J'avais  oublié  cela,  dit  ^^'eybri(lge, 
évidemment  soulagé. 

.-\lors  commença  l'attente.  Lentement, 
une  minute  s'écoula,  et  aucune  sphère 
ne  sortit  des  flots.  Une  autre  minute 
suivit,  et  rien  ne  vint  rompre  la  houle 
huileuse.  Les  matelots  s'expliquaient 
les  uns  aux  autres  l'importance  de  l'en- 
roulement de  la  corde.  Les  agrès  étaient 
pleins  de  figures  attentives. 

—  Montez,  Elstead,  monte/.  !  cria  im- 
patiemment un  matelot  à  la  poitrine 
velue,  et  les  autres  reprirent  et  crièrent 
comme  s'ils  réclamaient  la  levée  du 
rideau  au  théâtre. 

Le  commandant  leur  lança  un  regard 
irrité. 

—  Naturellement,  si  l'accélération  est 
moindre  que  deux,  dit-il,  il  sera  plus 
longtemps.  Nous  ne  sommes  pas  abso- 
lument certains  que  ce  soit  là  une  donnée 
exacte.  Je  ne  crois  pas  aveuglément  aux 
calculs. 

Steevens  donna  brièvement  son  assen- 
timent. Personne  sur  le  gaillard  d'ar- 
rière ne  parla  pendant  une  couple  de 
minutes.  .Alors  1  étui  de  la  montre  de 
Steevens  cliqua. 

Lorsque,  vingt  et  une  minutes  plus 
tard,  le  soleil  atteignit  le  zénith,  ils 
attendaient  encore  l'apparition  de  la 
sphère,  et  pas  un  homme  à  bord  n'avait 
osé  murmurer  que  tout  espoir  était 
perdu.  Ce  fut  AN  eybridge  qui  le  premier 
exprima  cette  certitude. 

—  Je  n'ai  jamais  eu  confiance  dans 
ses  hublots,  dit-il  tout  à  coup  à  Steevens. 

—  Grand  Dieu  I  dit  Steevens,  vous 
ne  croyez  pas  que... 

—  Ma  foi...  dit  AA'eybridge,  et  il  laissa 
le  reste  à  son  imagination. 

—  Je  n'ai  pas  grande  foi  dans  les  cal- 
culs de  ce  genre,  fit  le  commandant  sur 


I    un  (nu  de  doute,  de  sorte  que  je  n'ai  pas 
encoie  perdu  tout  espoir. 

.V  minuit,  le  croiseur  évoluait  lente- 
ment autour  de  l'endroit  où  la  sj)hère 
s'était  enfoncée.  Le  rayon  blanc  du 
foyer  électrique  se  promenait  et  s'arrê- 
tait indisconlinùnient  sur  l'étendue  des 
eaux  phosphorescentes,  tandis  que  scin- 
tillaient de  minuscules  étoiles. 

—  Si  sa  fenêtre  n'a  pascédéet  qu'il  ne 
soit  pas  écrasé,  dit  AN'eybridge,  sa  mau- 
dite situation  est  pire  encore,  car  alors 
ce  serait  son  mouvement  d'horlogerie 
qui  n'aurait  pas  fonctionné,  et  il  serait 
maintenant  vivant  à  cinq  milles  sous 
nos  pieds,  là-dessous,  dans  le  froid  et 
les  ténèbres,  à  l'ancre  dans  sa  petite 
boule  d'acier,  là  où  jamais  un  rayon  de 
lumière  n'a  brillé,  ni  un  être  humain 
vécu  depuis  que  les  eaux  se  sont  ras- 
semblées. Il  est  là  sans  nourriture, 
soulfrant  de  la  faim  et  de  la  soif,  épou- 
vanté et  se  demandant  s'il  mourra  de 
faim  ou  détouffement.  Laquelle  de  ces 
deux  morts  sera-ce?  L'appareil  Myers 
doit  s'épuiser,  je  suppose.  Combien  de 
temps  peut-il  durer? 

—  Tonnerre!  s'exclama-t-il,  quelles 
petites  choses  nous  sommes  !  quels  au- 
dacieux petits  diables  !  dans  1  abinie  ! 
des  milles  et  des  milles  de  liquide  —  rien 
que  de  l'eau  au-dessous  de  nous  et 
autour  de  nous,  et  ce  ciel  I  Des  goulfres  1 

Il  leva  les  bras,  et  au  même  moment 
une  petite  traînée  blanche  monta  sans 
bruit  dans  le  ciel,  ralentit  peu  à  peu  sa 
course,  s'arrêta,  devint  un  petit  point 
immobile,  comme  si  une  nouvelle  étoile 
avait  pris  place  dans  le  ciel.  Puis  cela 
se  mit  à  dégringoler  et  se  perdit  bientôt 
dans  les  réflexions  des  étoiles  et  la  pâle 
et  brumeuse  phosphorescence  delà  mer. 

A  cette  vue,  il  resta  stupéfait,  le  bras 
tendu  et  la  bouche  ouverte.  Puis  il 
ferma  sa  bouche,  l'ouvrit  de  nouveau,  et 
agita  ses  bras  avec  des  gestes  désor- 
donnés. Enfin  il  se  tourna  et  cria  : 
I'  Elstead,  ohé  1  »  à  la  première  vigie,  et 
courut  jusqu'à  Lindley,  puis  au  loyer 
électrique. 


DANS     I.AlMMi; 


—  Ji-  ]\i\  \  II,  (lit-il.  il  trilinnl,  hi-lias  ! 
Se»  lampes  sont  allumées,  l'-t  il  vient 
juste  (le  sortir.  Cherchez  de  ce  coté  avec 
le  ravon,  nous  allons  bien  le  voir  flotter 
quand  il  réapparaîtra  à  la  surface. 

Mais  ils  ne  le  trouvèrent  pas  avant 
Taurore.  Même  alors  ils  manquèrent  de 
le  couler  bas.  La  grue  l'ut  préparée,  et 
avec  une  chaloupe  on  agrafa  les  chaînes 
à  la  sphère.  Quand  ils  l'eurent  remontée 
à  bord,  ils  en  dévissèrent  l'ouverture  el 
explorèrent  des  yeux  l'obscurité  de  l'in- 
térieur, car  la  chambre  du  foyer  élec-- 
trique  était  arrangée  de  façon  à  illumi- 
ner l'eau  seulement  autour  de  la  sphère 
et  était  interceptée  de  la  cavité  générale. 

]/almosphère  intérieure  était  très 
surchauflée,  et  la  gutta-percha  qui  gar- 
nissait les  bords  de  l'ouverture  était 
molle.  Leurs  questions  impatientes  res- 
tèrent sans  réponse  et  aucun  bruit  ne 
leur  parvint.  I']lstead  était  inanimé,  re- 
plié sur  lui-même  au  fond  de  sa  cabine. 
Le  médecin  du  bord  s'y  introduisit  el  le 
passa  à  ceux  de  l'extérieur.  Pendant  un 
certain  temps,  ils  ne  purent  se  rendre 
compte  si  l'ilslead  était  vivant  ou  mort. 
Sa  figure,  à  la  lueur  jaunâtre  des 
lampes,  était  toute  brillante  de  transpi- 
ration. On  le  descendit  dans  sa  cabine. 

Il  n'était  pas  mort,  comme  ils  purent 
bientôt  s'en  apercevoir,  mais  dans  un 
éliil  d'affaissement  nerveux  absolu  et, 
de  plus,  cruellement  contusionné.  Il  lui 
fallut,  pendant  plusieurs  jours,  rester 
couché  et  parfaitement  tranquille.  Une 
semaine  se  passa  avant  qu'il  pût  raconter 
ses  expériences. 

Dès  les  premiers  mots,  il  déclara  qu'il 
allait  recommencer.  La  siihère  avait 
besoin  d'être  perfectionnée,  dit-il,  afin 
de  lui  permettre  de  se  débarrasser  de 
la  corde, s'il  le  fallait,  et  c'était  tout, 
{"avait  été  la  plus  merveilleuse  aven- 
ture. 

-  N'ous  |)piisicz,  dil-il,  ip}c  je  ne 
trouverais  rien  que  de  la  vase.  Vous 
vous  moquiez  de  mes  explorations,  et 
j'ai  découvert  un  nouveau  monde.  Il 
raconta  son  liisluiri'  par  frai;mcnls  sans 


suite,  cl  pi-csipic  toujours  en  comnien- 
Vant  l)ar  la  fin,  de  sorte  qu'il  est  impos- 
sible de  la  répéter  dans  ses  propres  ter- 
mes. Mais  ce  qui  suit  en  est  l'exacte  nar- 
ration. 

Son  voyage  commenta  atrocement, 
dit-il.  Avant  que  la  corde  fût  entiè- 
rement filée,  la  sphère  ne  cessa  d'être 
ballottée.  Il  eut  la  sensation  d'être  une 
grenouille  enfermée  dans  un  ballon  sur 
lequel  on  s'acharne  à  coups  de  pied.  Il 
ne  pouvait  voir  que  la  grue  et  le  ciel 
ju-dessus  de  sa  tête,  avec  un  coup  d'œil 
occasionnel  sur  les  gens  qui  garnissaient 
le  bastingage,  et  il  était  incapable  de 
prévoir  de  quel  côté  allait  se  balancer 
la  sphère.  Tantôt  il  levait  le  pied  pour 
marcher  et  il  était  culbuté  en  tous  sens 
contre  les  coussins.  Toute  autre  forme 
eût  été  plus  confortable,  mais  aucune 
n'aurait  pu  supporter  l'immense  pres- 
sion de  l'abîme.  Soudain  le  balancement 
cessa  ;  la  sphère  se  mil  en  équilibre,  et, 
quand  il  fut  relevé,  il  aperçut  tout  au- 
tour de  lui  le  bleu  verdâtre  des  Ilots 
avec  la  lumière  du  jour  atténuée  filtrant 
de  la  surface  et  une  multitude  de  petites 
choses  flottantes  qui  passaient  vertigi- 
neusement contre  les  vitres,  montant, 
lui  semblait-il,  vers  la  lumière.  Puis,  à 
mesure  qu'il  regardait,  1  obscurité  s'ac- 
crut jusqu'à  ce  que  l'eau  fût,  au-dessus 
de  sa  tête,  aussi  sombre  que  le  ciel  de 
minuit,  bien  que  d'une  teinte |)lus  verte, 
et,  au-dessous  de  lui,  absolument  noire. 
De  temps  en  temps,  de  petites  choses 
transparentes  avec  un  scintillement 
lumineux  faisaient  au  long  des  hublots 
de  légères  traînées  verdàlres. 

Ht  la  sensation  de  chute!  l^lle  rappe- 
lait le  départ  soudain  d'un  ascenseur, 
dit-il,  avec  cette  dilTérence  qu'elle  durait 
plus  longtemps.  Il  faut  réfléchir  un  ins- 
tant pour  réaliser  ce  que  ce  doit  être. 
Ce  fut  alors,  et  seidement,  qu'Iîlstead 
se  re|)entif  d'avoir  tenté  celte  aventure. 
Il  vit  sous  un  aspect  entièrement  nou- 
veau les  chances  qui  se  dressaient  contre 
lui.  Il  pensa  aux  énoi-mes  poissons  ;"i 
scie   (jui  existent    dans    les  profondeurs 


moyennes,  à  ces  spécimens  lerriljles 
qu'on  trouve  parfois  à  demi  digé- 
rés dans  l'estomac  des  grands  cé- 
tacés ou  flottani  morts,  décompo- 
sés et  à  demi  dévorés. 

11  s'imagina  l'un  d'entre  eux 
s'attaqua nt  à  la  sphère  et  ne 
voulant  plus  la  lâcher.  Et 
le  mouvement  d'horlogerie, 
lavait-il  suflisamment  éprou- 
vé ?  Mais  qu'il  voulût  mainte- 
nant descendre  ou  remonter, 
c'était  absolument  la  même  chose. 
Au  bout  de  cinquante  secondes, 
tout,  à  l'extérieur,  fut  aussi  noir  que  la  nuit,  sauf 
ce  que  le  rayon  de  son  foyer  électrique  éclairait  et 
dans  quoi  apparaissaient  de  temps  à  autre  quelques 
poissons  et  passaient  quelques  fragments  d'objels  qui 
s'enfonçaient.  Tout  cela  disparaissait  trop  vite  pour  qu'il  lui 
fût  possible  de  distinguer  ce  que  c'était,  lue  fois,  il  crut  voir 
un  requin.  A  ce  moment,  la  sphère  commença  à  s'échauffer 
par  le  frottement.  Il  lui  parut  que  cette  donnée  n'avait 
pas  été  suffisamment  évaluée.  La  première  chose  qu'il 
put  remarquer  fut  qu'il  transpirait;  puis  il  perçut  sous 
ses  pieds  une  sorte  de  sifflement  qui  s'accrut,  et  il  vit 
une  foule  de  petites  bulles,  de  très  petites  bulles  qui 
montaient  en  éventail  vers  la  surface.  De  la  va]ieur  1 
Il  tàta  le  hublot,  la  vitre  était  brûlante.  Immédia- 
tement, il  alluma  la  lampe  électrique  qui  éclairait  sa 
cabine,  regarda  la  montre  encastrée  dans  le  capiton- 
nage, et  il  vit  que  son  voyage  durait  déjà  depuis  deux 


DAN?    I,   AIÎIMK 


miiuilps.  Il  lui  vint  à  l'esprit  que  le  hu- 
blol  pouvait  craquer  dans  le  condit  des 
températures,  car  il  savait  que  les  eaux 
dans  les  grandes  profondeurs  sont  gla- 
ciailes.  Puis  tout  à  coup  la  paroi  de  la 
sphère  sembla  presser  le  dessous  de  ses 
pieds  ;  au  dehors  la  cdurse  des  bulles 
se  ralentit  et  le  sil'llemenl  diminua.  La 
sphère  se  balança  légèrement.  Le  hublot 
n'avait  pas  craqué,  rien  n'avait  cédé,  et 
il  savait  que,  dans  tf)us  les  cas,  le 
danger  de  couler  bas  était  passé. 

Encore  une  minute  et  il  reposerait  sur 
le  fond  de  l'abime.  Il  songea,  dit-il,  à 
Steevens,  à  ^^'eybridge  et  aux  autres 
qui  étaient  à  cinq  milles  au-dessus  de 
sa  tète,  plus  haut  pour  lui  que  ne  le 
furent  jamais  au-dessus  de  nous  les 
plus  élevés  des  nuages  qui  llotlèrent 
dans  le  ciel,  à  eux  tous  naviguant  len- 
tement, cherchant;!  pénétrer  la  profon- 
deur des  eaux  et  se  demandant  ce  qui 
pouvait  lui  être  arrivé. 

II  se  mit  à  regarder  par  le  luiblol.  Il 
n'y  avait  j)lus  de  bulles  maintenant,  et 
le  sifllement  avait  cessé.  -Au  dehors, 
c'étaient  do  profondes  ténèbres  d'un  noir 
épais  comme  un  velours,  sauf  là  où  le 
rayon  électrique  pénétrait  l'eau  et  en 
montrait  la  couleur:  un  gris  jaunâtre. 
Alors,  trois  choses,  comme  des  formes 
de  feu,  nagèrent  en  vue,  se  suivant. 
11  ne  pouvait  distinguer  si  elles  étaient 
petites  et  proches  ou  énormes  et  éloi- 
gnées. 

Chacune  d'elles  se  dessinait  avec  des 
contours  bleuâtres,  presque  aussi  bril- 
lants que  les  feux  d'une  barque  de  pêche, 
des  feux  qui  semblaient  répandre  beau- 
coup de  fumée,  et  ils  avaient,  de  chaque 
côté,  des  taches  de  cette  lumière,  comme 
des  sabords  de  navire.  Leur  phospho- 
rescence sembla  s'éteindre  quand  ils 
entrèrent  dans  le  rayonnement  lumineux 
tlesa  lampe,  et  il  vit  alors  que  c'étaient  de 
pelitspoissons  de  (piclque  étrangeespèce, 
avec  des  yeux  énormes,  cl  dont  les  corps 
cl  les  queues  se  terminaient  brusque- 
ment. Leurs  yciw  étaient  tournés  vers 
lui.   ri  il  jMi;c',i  q\i'il-  sin\-;iiriil    sa    des- 


cente, les  supposant  attirés  par  sa  clarté. 

D'autres  du  même  genre  se  joignirent 
bientôt  à  eux.  A  mesure  qu'il  descendait, 
il  remarquait  que  l'eau  prenait  une 
teinte  pallide  et  que  de  petites  taches  de 
lumière  scintillaient  dans  son  rayonne- 
ment comme  des  atomes  dans  un  rais 
de  soleil.  Cela  était  probablement  du 
aux  nuages  de  vase  et  de  boue  que  la 
chute  de  ses  fonceurs  de  plomb  avaient 
produits. 

Fendant  tout  le  temps  qu'il  fut  en- 
traîné vers  le  fond  par  ses  poids  de 
plomb,  il  se  trouva  dans  une  sorte  de 
brouillard  blanc  si  dense  que  son  pro- 
jecteur électrique  ne  réussissait  pas  en- 
tièrement à  le  percer  au  delà  de  quel- 
ques pieds.  Et  il  se  passa  quelques 
minutes  avant  que  les  couches  de  sédi- 
ment en  suspension  fussent  retombées 
au  fond.  Alors,  à  la  lueur  de  ses  lampes 
électriques  et  à  la  passagère  phospho- 
rescence d'un  banc  éloigné  de  poissons, 
il  lui  fut  possible  de  voir,  sous  l'im- 
mense obscurité  des  eaux  supérieures, 
une  surface  ondulante  de  vase  d'un 
blanc  grisâtre,  rom])ue  çà  et  là  par  des 
fourrés  enchevêtrés  de  lis  de  mer  agi- 
tant leurs  tentacules  all'amés. 

Plus  loin  se  trouvaient  les  gracieux 
et  transparents  contours  d'un  groupe 
(l'éponges  gigantesques.  Sur  ce  sol 
étaient  dispersées  un  grand  nombre  de 
touifes  hérissées  et  plates  d'une  riche 
couleur  pourpre  et  noire  qu'il  décida 
devoir  être  quelque  espèce  d'oursin,  et 
de  petites  choses  avec  des  yeux  très 
larges  ou  aveugles  ayant  une  curieuse 
ressemblance,  les  uns  avec  les  cloportes, 
les  autres  avec  les  homards,  rampaient 
paresseusement  dans  la  traînée  de  lu- 
mière et  disparaissaient  de  nouveau 
dans  l'obscurité  en  laissant  derrière  eux 
des  sillons  dans  la  vase. 

.Mors  soudain  la  inulliludc  voltigeante 
des  petits  poissons  vira  cl  s'avança  vers 
lui  comme  une  volée  d'élourneaux  pour- 
raient le  faire.  Ils  passèrent  au-dessus 
de  lui  comme  une  neige  phosphorescente, 
cl  il  vit  alors,  derrière  eux.  une  crénlurc 


DANS    L  ABIME 


de  dimensions  plus  grnndes   qui  s'avan- 
çail  vers  la  sphère. 

D'ahord,  il  ne  put  la  distinguer  que 
vaguement,  figure  aux  mouvements 
indécis  et  suggérant  de  loin  un  homme  en 
marche;  puis  elle  entra  dans  le  rayon- 
nement lumineux  que  projetait  la  lampe. 
Au  moment  où  la  lumière  la  frappa, 
elle  ferma  les  yeux,  éblouie.  Elstead  la 
contempla  avec  stupéfaction. 

C'était  un  étrange  animal  vertébré. 
Sa  tète,  d'une  pourpre  sombre,  rappe- 
lait vaguement  celle  d  un  caméléon, 
mais  le  front  était  si  élevé  et  la  boîte 
crânienne  si  développée  qu'aucun  rep- 
tile n'en  possédait  encore  de  semblables. 
L'équilibre  vertical  de  sa  face  lui  don- 
nait la  plus  extraordinaire  ressemblance 
avec  celle  d'un  être  humain.  Deux  yeux 
larges  et  saillants  se  projetaient  des 
orbites  à  la  façon  d'un  caméléon  et  sous 
ses  petites  narines  s'ouvrait  une  large 
bouche  reptilienne  aux  lèvres  cornées. 
A  l'endroit  des  oreilles  étaient  dqux 
énormes  ouïes  hors  desquelles  flottaient 
des  filaments  nombreux  d'un  rouge  de 
corail,  rappelant  les  ouïes  que  possèdent 
les  très  jeunes  raies  et  les  requins. 

Mais  ce  que  cette  face  avait  d'humain 
n'était  pas  le  trait  le  plus  extraordi- 
naire qu'olTrait  cette  créature.  Elle  était 
bipède  ;  son  corps,  presque  sphérique, 
était  en  équilibre  sur  une  sorte  de  tré- 
pied composé  de  deux  jambes  comme 
celles  des  grenouilles  et  d'une  longue 
queue  épaisse,  et  ses.  membres  supé- 
rieurs, qui  caricaturaient  grotesquemenl 
les  bras  humains,  beaucoup  à  la  manière 
des  grenouilles,  portaient  un  long  dard 
osseux  garni  de  cuivre.  La  couleur  de 
cette  créature  était  variée;  sa  tête,  ses 
mains  et  ses  jambes  étaient  pourpres, 
mais  sa  peau  qui  pendait  flottante  au- 
tour de  son  corps  comme  des  vêtements 
le  feraient,  était  d'an  gris  phosphores- 
cent. Elle  restait  là,  aveuglée  par  la 
lumière. 

.  A  la  fin,  cet  habitant  inconnu  de  l'aliîme 
cligna  des  paupières  et  les  écarquilla  ; 
puis,  portant  sa  main  libre  au-dessus  de 


ses  yeux,  il  ouvrit  la  bouche  et  articula 
à  la  façon  humaine  un  cri  (jui  pénétra 
même  1  enveloppe  d'acier  et  le  capiton- 
nage intérieur  de  la  sphère.  Comment 
un  cri  peut  être  poussé  sans  poumons, 
Elstead  ne  se  préoccupa  pas  de  l'expli- 
quer. La  créature  sortit  alors  du  rayon- 
nement, rentra  dans  le  mystère  téné- 
breux qui  le  bordait  de  chaque  cùté,  et 
Elstead  la  sentit  plutôt  qu'il  ne  la  vit 
venir  vers  lui.  Certain  que  la  lumière 
l'avait  attirée,  il  interrompit  le  courant. 
Un  moment  après,  des  coups  sourds 
résonnèrent  contre  l'acier  et  la  sphère 
se  balança. 

Alors  le  cri  fut  répété.  ICt  il  sembla  à 
Elstead  qu'un  écho  lointain  y  répon- 
dait. Les  coups  sourds  reprirent  et  la 
sphère  se  balança  de  nouveau  et  grinça 
contre  le  pivot  sur  lequel  la  corde  était 
enroulée.  Il  demeura  dans  les  ténèbres, 
cherchant  à  pénétrer  du  regard  l'éter- 
nelle nuit  de  l'abîme.  Et  bientôt  il  vit, 
très  faibles  el  lointaines,  d'autres  formes 
phosphorescentes  el  quasi-humaines  se 
hâter  vers  lui. 

Sachant  à  peine  ce  qu'il  faisait,  il 
tàta  contre  les  parois  de  sa  prison  in- 
stable pour  trouver  le  bouton  du  pro- 
jecteur électrique  extérieur  et  pressa 
accidentellement  celui  de  la  petite  lampe 
qui  éclairait  sa  cabine  capitonnée.  La 
sphère  roula  et  il  fut  renversé.  Il  enten- 
dit comme  des  cris  de  surprise,  et  quand 
il  fut  relevé,  il  vit  deux  yeux  attentifs 
qui  regardaient  par  le  hublot  inférieur 
et  qui  en  réfléchissaient  la  clarté. 

Au  même  instant,  des  mains  heur- 
taient vigoureusement  l'enveloppe  d'a- 
cier et  il  entendit  —  impression  suffi- 
samment horrible  dans  sa  position  — 
des  heurts  réitérés  sur  l'enveloppe  de 
métal  qui  protégeait  le  mouvement 
d'horlogerie.  A  ce  bruit,  vraiment,  l'an- 
goisse l'étrangla  ;  car,  si  ces  étranges 
créatures  parvenaient  à  arrêter  le  mou- 
vement, sa  délivrance  était  impossible. 
A  peine  avait-il  pensé  cela,  qu'il  sentit 
la  sphère  se  balancer  et  la  paroi  sembla 
peser  lourdement  contre  ses  pieds. 


DANS    L   AlUMK. 


Il  <'tei};iiit  la  pelile  lampe  intérieure 
cl  ri'lablil  le  courant  du  réflecteur  exté- 
rieur. Le  fond  vaseux  et  les  créatures 
qnasi-humaines  avaient  disparu,  et  un 
couple  de  poissons  se  poursuivant  pas- 
sèrent soudain  contre  le  hublot. 

11  pensa  aussitôt  que  ces  étranges 
habitants  avaient  rompu  la  corde  et 
qu'il  avait  échappé.  11  remontait  de 
plus  en-  plus  vile,  puis  il  s'arrêla  avec 
une  secousse  qui  l'envoya  heurter  la 
paroi  capitonnée  de  sa  prison.  Pendant 
une  demi-minute,  poul-étre.  il  fnl  trop 
étonné  pour  réfléchir. 

.Mors  il  sentit  que  la  sphère  tournait 
lentement  sur  elle-même  avec  une  sorte 
de  balancement,  et  il  lui  sembla  aussi 
qu'il  avançait  horizontalement  dans 
l'eau.  En  se  blottissant  tout  conlre  le 
hublot,  il  parvint  à  rétablir  de  son  poids 
l'équilibre  et  à  ramener  vers  le  fond 
cette  partie  de  la  sphère;  mais  il  ne  put 
rien  voir  que  le  pâle  rayonnement  de 
son  réllecteur  frappant  inutilement  les 
ténèbres.  Il  lui  vint  à  l'idée  qu'il  pour- 
rait mieux,  voir  s'il  éteif;nait  la  lampe. 

En  ceci,  il  fut  sai;e.  Au  bout  de  quel- 
ques minutes,  les  ténèbres  veloutées 
devinrent  une  sorte  d'obscurité  trans- 
lucide, et  alors,  dans  le  lointain,  et 
aussi  imprécises  que  la  lumière  zodia- 
cale d'un  soir  d'été,  il  vit  des  formes  se 
ninn\oir  au-dessous  de  lui.  11  jug;ea 
que  ces  créatures  avaient  détaché  son 
câble  et  le  remorquaient  au  long  du 
fond  de  la  mer. 

.Mors,  par  delà  les  ondulations  de  la 
[)laine  sous-marine,  vague  et  lointaine, 
il  vil  un  immense  horizon  d'une  lumi- 
minosilé  pâle  qui  s'étendait  de  chaque 
ci'ilé  aussi  loin  que  sa  petite  fenêtre  lui 
])ermettait  d'apercevoir.  Vers  cet  hori- 
zon, il  était  remorqué  comme  un  ballon 
i|u  on  ramènerait  de  la  plaine  vers  la 
ville.  Il  (Ml  approchait  très  lentement, 
cl  1res  Irnlement  la  vague  irradiation  se 
précisait  en   des  formes  plus  délinies 

Il  était  pres[|ue  cinq  heures  lorsqu'il 
alteignitceltc  aire  lumineuse  ;  et,  vers  ce 
momonl,  il  put  distinguer  une  soi-le  d'ar- 


rangement qui  suggérait  des  rues  et  des 
maisons  groupées  à  l'entour  d'un  vaste 
édifice  sans  toit,  qui  rappelait  grotesque- 
ment  une  abbaye  en  ruine.  Tout  cela 
s'étendait  au-dessous  de  lui  comme  une 
carte.  Les  maisons  étaient  toutes  des  en- 
clos de  murs  sans  toits,  et  leur  substance 
étant,  comme  il  le  vit  plus  tard,  d'os 
phosphorescents,  donnait  à  cet  endroit 
l'apparence  d'être  bâti  avec  du  clair  de 
lune  noyé. 

Parmi  les  cavités  inférieures,  des  vé- 
gétations crinoïdes  étendaient  leurs  ten- 
tacules, et  de  grandes,  svelteset  fragiles 
éponges  surgissaient  comme  des  mina- 
rets brillants  et  comme  des  lis  de 
lumière  membraneuse  hors  de  la  clarté 
générale  de  la  cité.  Da'ns  les  espaces 
ouverts,  il  pouvait  voir  une  agitation 
comme  de  foules  de  gens,  mais  il  se 
trouvait  trop  élevé  pour  distinguer  les 
personnages  qui  composaient  ces  foules. 
Alors,  lentement,  il  se  sentit  tiré  vers 
le  .fond,  et,  à  mesure,  les  détails  des 
lieux  apparaissaient  plus  clairement  à 
sa  vue.  Il  distingua  que  les  rangées  de 
bâtiments  nuageux  étaient  délimitées  par 
des  lignes  pointillées  d'objets  ronds,  et 
il  s'aperçut  qu'en  plusieui-s  endroits 
au-dessous  de  lui,  en  de  larges  espaces 
ouverts,  étaient  des  formes  semblables  à 
des  carcasses  pétrifiées  de  navires. 

Lentement  et  sûrement  il  descendait, 
et  les  formes  au-dessous  de  lui  deve- 
naient plus  brillantes,  plus  claires  et 
plus  distinctes.  On  le  dirigeait  vers  le 
large  édifu-e  qui  occupait  le  centre  de 
la  ville,  et  de  temps  en  teni])s  il  pouvait 
apercevoir  la  multitude  de  formes  qui 
tiraient  sur  sa  corde.  11  fut  étonné  de 
voir  que  le  gréement  de  l'un  des  vais- 
seaux qui  formait  un  des  principaux 
trails  (le  la  place  était  couvert  d'une 
c|uaiililc  dClri's  gesticulants  qui  le  re- 
gardaicnl,  |)uis  les  murs  du  grand  édi- 
fice monlèrenl  silencieusemenl  aiiloiir 
de  lui  et  lui  (.•aclièrent  la  vue  de  la  cilé. 

Les  murs  étaient  de  bois  durci  par 
l'eau,  de  câbles  de  fer  tressés,  d'espars 
de  cuivre  et  de  fer,  d'os  el  de  crânes  de 


n.\NS   I.  A  1! iM  i: 


crânes  cou- 
raient au  Ion;; 
des     murs     de 

édilice  en  /ij;-    /  '  ' 

aj^'s,  en  spirales 

en  courbes  fantas- 
tiques. Et  dans  leurs 
orbites  vides,  et  sur  toute 
la  surface  des  murs  jouaient 
et    se  cachaient  une  multi- 
tude de  petits  poissons 
arjjenlés.  Soudain  se; 
s'emplirent  d'un  bour 
siiurd,   d'un    bruit 
violent    des   cors, 
rent  bientôt  de  fan 
meurs.    La   sphère 
jours,    passant     de 
l'enètrcs  en  pointe 


oreilles 

donnement 

comme  le   son 

auquel  succédè- 

t  as  tiques  cla- 

senfonçait   lou- 

vantd'immenses 

à    travers    les- 


quelles il  apercevait  vaguement,  le  re- 
j;ardant,  un  j^rand  nombre  de  ces  étran- 
f;es  et  fantomatiques  créatures.  Et  il 
vint  enlin  se  poser,  lui  sembla-t-il,  sur 
une  sorte  d  autel  au  centre  de  la  place. 
Maintenant  il  se  trouvait  à  un  niveau 
qui  lui  permettait  de  voir  distinclenienl 


ces  étranges   habitants 
de  labime.  A  son  grand 
étonnement,    il    s'apervut 
qu'ils  se  prosternaient  de- 
vant lui,  tous,  sauf  un,  vêtu, 
semblait-il,    dune    robe   d  é- 
cailles    superposées    et   cou- 
ronné   d'un    diadème    lumi- 
neux, et  qui  se  tenait  debout,  ouvrant 
et  l'ernianl    alternativement   sa   bouche 
de  reptile,  comme  s'il  dirigeait  les  can- 
tiques des  adorateurs. 

Une  curieuse  impulsion  fit  allumer  à 
Elstead  sa  lampe  intérieure,  de  sorte 
ciu'il   devint  visible  à  ces  habitants  de 


DANS    I,  ABIMi: 


l'ahiiTie  el  que  celte  clarté  les  fit  immé- 
diatement disparaître  dans  l'obscuritc. 
A  cette  soudaine  transformation,  les 
cantiques  firent  place  à  un  tumulte 
d'acclamations  exultantes,  et  Klstead, 
préférant  les  observer,  interrompit  le 
courant  et  s'.évanouit  à  leurs  yeux.  Mais 
pendant  un  moment,  il  fut  trop  aveuglé 
pour  percevoir  ce  qu  ils  faisaient,  et 
quand  enfin  il  put  les  distinguer,  ils 
étaient  de  nouveau  agenouillés.  I''t  ils 
continuèrent  à  l'adorer  ainsi  sans  répit 
ni  relâche  pendtint  trois  heures. 

Elstead  lit  un  récit  des  plus  circon- 
stanciés de  cette  cité  surprenante  el  de 
ces  gens  qui  nonl  jamais  vu  ni  soleil, 
ni  lune,  ni  étoile,  aucune  végétation 
verte,  ni  aucune  créature  i-espirante,  qui 
ne  savent  rien  du  feu,  et  ne  connaissent 
d'autre  lumière  que  la  clarté  phospho- 
rescente d'organismes  vivants. 

Si  saisissante  que  soit  son  histoire,  il 
est  encore  j)Ius  saisissant  de  trouver 
que  des  hommes  de  science  aussi  émi- 
nents  que  Adams  el  .lenkins  n'y  décou- 
vrent rien  d'incroyable.  Us  m'ont  dit 
qu'ils  ne  voyaient  aucune  raison  que  des 
créatures  vertébrées,  intelligentes  et  res- 
pirant l'eau,  accoutumées  à  une  tempé- 
rature très  basse,  à  une  pression  énorme, 
et  d'une  slructure  si  pesante  que,  vivants 
ou  morts,  ils  ne  jieuvent  flotter,  que  de 
tels  êtres  ne  puissent  vivre  au  sein  de  la 
mer  profonde,  inconnus  do  nous,  et, 
comme  nous,  descendants  du  grand  Thé- 
riomorphc  de  l'.Agc  de  la  Terre  Hougc. 

Ils  doivent  nous  connaître  cependant 
comme  des  créatures  étranges  el  météo- 
riques, accoutumées  à  dégringoler,  acci- 
dentellement mortes,  à  travers  les  mys- 
térieuses ténèbres  de  leur  ciel  liquide, 
et  non  seulemcnl  nous-mêmes,  mais 
nos  vaisseaux,  nos  métaux,  nos  appa- 
reils c|ui  pleuvent  incessammcnl  dans 
leur  nuit.  Quelquefois  des  objets  dans 
leur  chute  doivent  les  atteindre,  les 
écraser  comme  |)ai"  le  jugement  de 
(|uelque  invisible  pouvoir  supérieur  et 
jiarfois  il  doit  leur  en  venir  d'une  rareté 
iiu    d'iMK»    iilililc    iiiappi-rcinblcs.    ou    de 


formes  suggestives  et  inspiratrices.  On 
peut  comprendre,  jusqu'à  un  certain 
])oint,  leur  conduite  à  l'arrivée  d'un 
homme  vivant,  si  l'on  pense  à  ce  qu'un 
peuple  barbare  ferait  à  une  créature 
brillante  et  auréolée  qui  descendrait 
soudain  dans  notre  ciel. 

l'Hslead  dut  probablement  compléter 
une  fois  ou  l'aulre  aux  officiers  du  Ptar- 
migan  chaque  détail  de  son  étrange 
séjour  de  douze  heures  dans  l'abîme.  Il 
est  certain  aussi  qu'il  eut  l'intention 
d'en  rédiger  lé  récit,  mais  il  ne  le  fit 
jamais.  El  il  nous  faut  donc  malheureu- 
sement rassembler  les  fragments  dis- 
joints de  son  histoire  d'après  les  souve- 
nirs el  les  réminiscences  du  commandant 
Simmons,  de  ^\'eybridge,  de  Steevens, 
de  Lindley  et  des  autres.  Nous  pouvons 
nous  représentervaguement,  par  images 
fragmentaires,  l'immense  et  lugubre 
édifice,  les  gens  agenouillés  et  chan- 
tants, avec  leur  sombre  lèle  de  i-anié- 
léon,  leur  espèce  de  vêtement  faible- 
ment lumineu.x,  el  l'^lslead,  ayant  ilc 
nouveau  allumé  sa  lampe  intérieure, 
essayant  vainement  de  leur  faire  com- 
prendre qu'il  fallail  détacher  l;i  corde 
qui  retenait  la  sphère,  l'ne  à  une,  les 
minutes  passaient,  et  Elstead  regardant 
sa  montre,  découvrit  avec  terreur  qu'il 
ne  lui  restait  d'oxygène  que  jiour  quatre 
heures  encore.  Mais  les  canli(|ues  en 
son  honneur  continuaienl  aussi  impi- 
loyabli's  que  s'ils  avaient  été  la  marche 
funèbre  de  sa  mort  prochaine. 

Il  ne  com])ril  jamais  de  quelle  façon  il 
fut  délivré,  mais  à  en  juger  par  l'extré- 
mité de  la  corde  qui  restait  attachée  à 
la  sphère,  elle  uvail  dû  être  coupée  par 
le  constant  frotlement  contre  le  rebord 
de  l'autel.  Tout  à  coup  la  sphère  roula, 
el  il  bondit  hors  de  leur  monde,  comme 
i\i\o  créalure  éihérée,  envelo|)pée  de 
vide,  traverserait  noire  atmosphère  pour 
retourner  à  son  éther  nalal.  Il  dul  dis- 
paraître à  leurs  yeux  comme  une  bulle 
d'hydrogène  monte  dans  L'air.  I"'l  ce  dut 
leur  paraître  une  étrange  ascension. 

I.a  sphère  monlail   avec  une  vélocité 


1)  A  N  S     L   A  B  I  M  !•: 


A-  plus     grande     encore 

™  celle  de  la  descente,  quand 

elle  clait  alourdie  par  les 
fonceurs  de  plomb.  Elle  dc- 
\int  excessivement  chaude.  Elle  mon- 
tait,-les  hublots  en  l'air,  et  il  se  rappelle 
le  torrent  de  bulles  qui  écumait  contre 
la  vitre.  A  chaque  instant  il  s'attendait 
à  la  voir  voler  en  éclats.  Tout  à  coup 
(|uelque  chose  comme  une  immense  roue 
sembla  se  mettre  à  tourbillonner  dans  sa 
tête,  le  com])artinient  capitonné  com- 
mença à  tourner  autour  de  lui,  et  il  s'éva- 
nouit. Puis  ses  souvenirs  cessent  jusqu'au 
moment  oii  il  se  retrouva  dans  la  cabine 


mais  ce 

Il   n'est  pas   re 
l'/aimicjan  louvoya 
point  de  sa  submersion, 
chant  euA-ain,  pendant 
jours.  Puis  il  revint  à  Rio 
nouvelle    fut  télégraphiée 
amis.  L'affaire  en  reste   là 
présent.   Mais   il  est  peu 
ble  qu'aucune  nouvelle 
tive  soit  faite  pour  véri 
étrange  histoire  des 


qu  ICI    insoupçon 
bime  des  mer; 


qui  est  arrive, 
venu.     I.e 
autour  du 
le    cher- 
treize 
et 
à 

poi 

proba- 
tenta- 
lier  cette 
rites  jus- 
ces  de  l'a- 


il. G.  Wells. 


DANS    L  AH1M1-: 


Les  débuts  de  Mr.  H.  G.  Wells  datent 
de  1800,  époque  où  Mr.  l'iank  Marris  ac- 
cepta pour  la  Fnrlnighlly  Rrview  une  sorte 
de  discussion  paradoxale  sur  l'absurdité 
de  la  logique,  premier  (ravail  imprimé  de 
notre  iiuleur.  Knsuite,  il  collabora  occa- 
sionnellement à  la  Pall  Mull  Gazette,  au 
(ilobe,  à  la  Saiiil-Janiea  Gazette,  à  la  .S.i- 
tiirday  lierieir,  à  \ature.  En  1894,  il  reçut 
de  précieux  encouragements  de  Mr.  \V.  K. 
Ilenley  et  de  Mr.  Lewis  Ilind,  et,  sous  leur 
bienveillant  patronage.  Mr.  II.  Ci.  Wells 
rencontia   bien  vite  le  silices  que  méritait 


M  i;.    u.  «.    «•  ELLS 

son  t.ilcnt  iliino  si  singulière  originalité. 
Le  \ali(i!i:il  Oliserver,  la  \ew  fiecieir,  le 
l'ail  Mail  Bnthiel  publièrent  ses  nouvelles 
et  ses  récits  fantastiques. 

Ml'.  IL  G.  Wells  est  né  en  1866.  Après 
avoir  liésité  quelque  peu  dans  le  choix 
d'une  carrière  et  en  avoir  essayé  plusieurs, 
il  finit  par  s'inscrire  eu  1885  au  Hoyal 
Collège  of  Science  de  Londres,  où  il  fit  de 
sérieuses  études  scientifiques  sous  la  di- 
rection de  Huxley,  de  Lockyer  et  d'autres 
savants  moins  universellemeiH  fameux. 
Ku  I88'.i,  il  prend  son  dii^lome  et  entre 
dans  l'enseignement.  Quand  ses  travaux 
littéraires,  accueillis  avec  tant  de  succès, 
lui  eurent  assuré  d'appréciables  ressources, 
il  abandonna  le  professoral  et  se  consacra 
exclusivement  au  genre  de  fiction  qu'il 
a\ait  clioisi.  Son  premier  volume,  la  Ma- 
iliiiie  ;i  rxiiloirr  le  Teniiis,  dont  une  traduc- 
tion française  parut  l'an  dernier,  l'avait 
rendu  notoire.   Il  acipiit  ensuite  une  rapide 


célébrité  avec  la  Visite  MerreiUeuse,  fan- 
taisie pleine  d'humour  et  d'ironie  ;  /'//<■ 
lia  Docteur  Moreaii,  leuvre  puissante  et 
curieuse  dont  une  version  française  est 
sous  jiresse  ;  tes  Houes  île  la  Furluiie,  rela- 
tion divertissante  des  aventures  d'un 
cycliste  trop  entreprenant  ;  illmitme  Inri- 
sihle,  histoire  mouvementée  d'un  malheu- 
reux savant  malintentionné; /a  Gi/e;vc  (/es 
Mondes,  récemment  traduite  en  français, 
récit  passionnant  d'une  invasion  des  habi- 
tants de  .Mars  et  de  la  destruction  de 
Londres  |)ar  ces  êtres  formidables;  Quanti 
le  honneur  s'éveillera,  description  du 
monde  au  xxiT'  siècle,  alors  (|ue  certaines 
théories  sociales  aujourd'hui  à  la  mode 
auront  été  poussées  à  leurs  pires  consé- 
quences; Love  ami  Mr.  Leirishani.  histoire 
d'un  très  jeune  couple,  luttant  l'ipremenl 
pour  la  vie  au  milieu  de  l'effroyable  enfer 
londonien:  dans  cette  (envie  toute  d'émo- 
tion dramatique,  Mr.  Wells  s'est  éloigné 
de  la  fiction  fantastique  à  laquelle  il  re-' 
vient  avec  un  ouvrage  prochain  qui  est  le 
récit  d'une  expédition  humaine  dans  la  lune. 

Trois  autres  volumes  rcnt'erment  les 
nombreuses  nouvelles  que  Mr.  Wells  publia 
dans  les  périodiques  et  magazines  anglais; 
ce  sont  :  The  Stulen  llacillus.  The  Pinllner 
Sti/ry.  et  les  ('.unies  <hi  Temps  et  de  l'ICs/iace 
(\u\  viennent  de  ])arailrc  en  français  sous 
le  titre  de  :  l'ne  liistnire  des  Temps  il 
Venir.  Mr.  Wells  .  est  indiscutablement 
un  des  meilleurs  conteurs  que  ])Ossèdc  à 
l'heure  actuelle  l'Angleterre,  sachant  inté- 
resser le  lecteur  dès  les  premières  lignes 
et  l'entrainanl  jusqu'au  bout  de  son  récit 
avec  une  précision  et  une  clarté  malhé- 
maliques.  Il  en  est  de  même  dans  ses  ro- 
mans, où  sa  merveilleuse  imagination  est 
plus  à  l'aise  encore,  et  où  se  développent 
plus  librement  sa  fanlaisii'  et   son   talent. 

Trois  noms  surtout  viennent  à  l'esprit 
en  lisant  les  œuvres  de  Mr.  Wells  :  ceux 
d'iidgar  Poe,  de  Villiers  de  l'Isle-Adam  et 
de  .Iules  Verne,  encore  qu'on  puisse  y 
ajouter  ceux  de  Camille  l'iammarion,  de 
,1.-11.  Hosny  et"  d'autres.  Sans  doute, 
Mr.  Wells  se  rencontre  en  certains  cas 
avec  ces  auteurs,  puisque  sa  fiction  est 
toujours  basée  sur  des  données  scienli- 
licpies  générales;  mais  il  n'a  emprunli'  à 
persmine,  et  son  talent  est  liii'ii  à  lui. 


Ui 


1) 


lîEMlMl  A.XDT 


La  Uiéoric  de  M.  ïaine  sur  la  race, 
le  moment  cl  le  milieu  aurait  à  se  mon- 
trer très  subtile  et  très  ingrénieuse  pour 
s'appliquer,  sans  qu'on  la  violentât,  au 
•i;énic  d'Armcnz  Rembrandt  van  Hyn, 
peintre  magnifique  et  triste,  qui  hante 
plus  despotiquement  peut-être  que  le 
A'inci  lui-même  1  imajjination  et  le  rêve 
de  ce  temps-ci.  Comme  tous  les  artistes 
de  première  grandeur,  ni  sa  race,  ni  son 
milieu,  ni  l'heure  de  sa  venue  ne  l'ex- 
pliquent. La  contingence  à  laquelle 
M.  Taine  soumet  les  floraisons  d'art  ne 
semble  point  atteindre  son  ombre. 

Que  les  Brauwer,  les  Sieen,  les  Cracs- 
bekc,  les  \'an  Oslade  subissent  ces  lois  : 
on  l'admet.  Ils  sont  les  expressions  de 
leurs  pays  calme,  propret,  sensuel,  bour- 
geois. Ils  viennent  en  un  temps  de  liesse 
et  de  vie  grasse  ;  le  luxe,  le  commerce, 
la  prospérité,  le  bien-être  récompensent 
la  Hollande  de  sa  lutte  séculaire  contre 
la  nature  et  contre  les  hommes.  Ils  ont, 
ces  petits  maîtres,  toutes  les  qualités  et 
les  défauts  de  leurs  concitoyens.  Leur 
cerveau  ne  les  tourmente  pas  :  ils  ne  se 
haussent  point  jusqu'aux  grandes  idées 
que  proclament  la  Bible  et  l'Histoire;  ils 
n'ont  point  senti  la  détresse  et  le  deuil 
filtrer  à  travers  leur  chair  :  ils  ne  con- 
centrent point  l'universelle  humanité 
dans  l'abinie  d'un  cœur:  les  cris,  les 
pleurs,  lei  atTres  qui  roulent  de  siècle  en 
siècle  et  dont  les  patriarches  Abraham, 
Isaac,  Jacob,  les  rois  Saiil,  David  et 
.\ssuérus,  les  apôtres,  les  saintes  femmes, 
la  \  ierge,  le  Christ,  ont  recueilli  le  tor- 
rent dans  leur  âme,  ne  les  inquiètent 
guère.  Aussi,  parmi  tous  les  peuples  du 
xin*"  siècle  hollandais.  Rembrandt  appa- 
rait-il  comme  un  miracle.  Il  aurait  pu 
naître  n'importe  où.  A  n'importe  quel 
moment,  son  art  aurait  été  pareil.  Peut- 
être  eût-il  omis  de  peindre  une  Uonde 
de  nuit.  Peut-être  en  son  leuvre  eût-on 
rencontré  moins  de  bourgmestres  et  de 
syndics.  Mais  le  fond  n'eût  point  changé, 
xm.  -  11. 


Il  se  serait  peint  lui-même,  avec  un 
égoïsme  admiratif  et  puéril  ;  il  aurait 
multiplié  les  traits  des  siens  ;  enfin,  il 
eùl  recueilli  partout,  à  travers  le  monde 
pathétique  des  légendes  et  des  textes 
sacrés,  les  larmes  et  les  beautés  de  la 
douleur.  Il  a  réalisé,  à  son  heure,  l'œuvre 
du  Dante  xni"  siècle),  l'œuvre  de  Sha- 
kespeare et  de  Michel-Ange  I  xvi«  siècle  , 
et  quelquefois  il  fait  songer  aux  pro- 
phètes. Il  est  debout  sur  les  grands  som- 
mets qui  dominent  les  temps,  les  races 
et  les  pays.  Il  est  de  nulle  part,  parce 
qu'il  est  de  partout. 

Son  histoire  s'explique  aisément  si 
l'on  tient  compte  de  la  spontanéité  et 
de  l'individualité  élargie  des  génies. 
Certes,  nul  artiste  n'échappe  radicale- 
ment aux  ambiances,  mais  la  part  tic 
lui-même  qu'il  leur  abandonne  est  va- 
riable indéfiniment.  Telles  natures  ar- 
demment trempées  marquent  la  réalité 
à  leur  effigie,  au  lieu  d'en  recevoir  l'em- 
preinte. Ils  donnent  beaucoup  plus  qu  il> 
n'acceptent.  Si  plus  tard,  dans  l'éloigne- 
ment  des  siècles,  ils  semblent  traduire 
mieux  que  personne  leur  temps,  c'est 
qu'ils  l'ont  créé  d'après  leur  cerveau  et 
que  l'étudier  c'est  apprendre  leur  àme. 
La  France  du  xrx'  siècle  fut  bien  plus 
façonnée  qu'exprimée  par  Bonaparte 
ou  Honoré  de  Balzac. 

La  Hollande  au  \vii<^  siècle  ne  déter- 
mine point  Rembrandt.  Au  contraire. 
Elle  ne  l'a  ni  compris,  ni  soutenu,  ni 
célébré.  A  part  quelques  élèves  et  quel- 
ques amis,  le  peintre  ne  range  autour 
de  lui  personne.  Lui  vivant,  Mii-evelt, 
et  plus  tard  \'an  der  Helst,  représentaient 
aux  yeux  du  monde  l'art  néerlandais. 
Si  aujourd  hui  ces  portraitistes  sont  des- 
cendus des  sommets  de  la  renommée 
pour  s  asseoira  mi-côte  de  la  montagne, 
c'est  que  l'Europe  entière  a  reconnu  et 
proclamé  la  maîtrise  de  Rembrandt. 

Tous  ses  rivaux  instauraient  dans 
leurs  toiles  la  gaieté  facile,  l'espièglerie. 


HKMBHANDT 


Portrait  de  Rembrandt.    (Musce  ilu  Lo 


la  grivoiserie,  l:i  farce,  la  fêle.  Leur 
humeur  olait  celle  des  buveurs  francs, 
des  lurons  endiablés,  des  coureurs  de 
llllcs.  Us  élaienl  bons  enfants.  Si  leurs 
études  de  mœurs  frisaient  le  péché, 
cncoj'e   le   coloyaiciil-ils  en  souriant   et 


en  chantant.  Ils  n'y  mettaient  aucune 
outrance.  Certes,  VIvrognesse  de  Steen 
ne  convenait  guère  à  la  sévérité  d'un 
appartement  bourgeois  ;  mais,  après  tout, 
quel  vieil  Anisterdammois  ne  s'était 
oublié   h  boire  jusqu'à  choir  par  terre. 


REMBRANDT 


en   des  jours  de  ripaille,  au   fond  d'un  lurent    des    artistes   nier\eilleux.    Ceux 
bouge   des   quartiers  borgnes?  Le  vice  j  qui   les  aimaient    d'un    amour  exclusif 
national  se  mirait,  comme  en  un  miroir,  |  appuyaient    leurs    préférences,    solide- 
dans  les  panneaux  des  peintres  de  genre,  j  ment. 
On  les  excusait  en  public  ;  on  les  ado-  |        Rembrandt,   géant  farouche,   surgis- 


Rembrandt. 


JîaeJl.  (Musée  d'Amsterilam.) 


rait  en  secret.  Leur  jolie  peinture,  aux 
tons  nacrés  et  fins,  au  dessin  surveillé, 
au  fignolage  précieux,  charmait.  Quel- 
ques-uns d'entre  eux,  tels  Pieter  de 
llooge,    Terburg,    Vermeer    de    Delft, 


sait  au  milieu  de  ces  apprivoisés.  Quand 
il  riait,  il  scandalisait  par  l'audace  de  sa 
folie.  Aucune  retenue.  On  pouvait,  à  la 
rigueur,  excuser  Ganymède,  mais  Aclènn 
surprenant  Diane  et  ses  nymphes  '.' 


liKMUli  ANIlT 


Ceci  n'clait  plus  la  farce,  c'était  le  ensnnçjlanlce  de  Joseph,  c'ctail  l'cxcôs 
vice  dans  son  impudeur  la  plus  crue.  du  désespoir;  dans  les  Diseiples  d'h'ni- 
D'oulre  en  outre,  le  peintre  traversait      maûs,    c'était  l'excès  de  l'ineiruble.   La 

norme  était  fran- 
chie constaninienl. 
Itr.  la  norme  —  ni 
trop,  ni  trop  peu  — 
c'est  l'idéal  même 
do  cet  ('Ire  tran- 
quille, modéré, 
lent,  pratique  et 
hourj^eois  qu'est 
au  fond  tout  vrai 
et  a n thon  I iquc 
Hollandais.  Cal/, 
le  poète  moraliste, 
le  comprit  intel- 
ligemment. Son 
u'uvre  est  d'accord 
avec  sa  race  et 
son  pays,  comme 
l'est  celle  de  tous 
les  autres  peintres 
de  la  Noerlande. 
D'ordinaire,  on 
explique  par  de 
petites  raisons  la 
défaveur  qui  ac- 
cabla Itembrandl, 
aprosl'achèvenienl 
do  la  Iliindc  île 
iiiiil.  Les  notables 
qui  lif;uront  dans 
la  liiinde  auraient 
blâmé  publique- 
nioiil  le  peintre 
d'avoir  pris  trop 
ilo  liberté  dans  la 
conception  et  l'ar- 
rangement «le  sa 
toile.  Us  ne  se  se- 
raient point  recon- 
nus dans  tel  ou 
tel  personnage.  La 
répartition  des 
places  n'aui-ait  point  été  faite  cquitable- 
ment,  d'autant  (|u'ils  avaient  chacun 
payé  cent  ilorins  pour  être  au  premioi- 
rang.  Ce  son!  là  des  raisons  à  Heur  de 
peau.    Si  Hetnhi-aiidt  ^'esl    brouillé   avec 


Kk  M  DU  A  N  I)T.   —    l'rrsfiitadon  au    Tempir.  (Musi'c  .le  La  Ha 


les  cloisons  des  conventions  el  des  pré- 
jugés. Il  froissait,  heurtait  et  boulever- 
sait.  En  tout,  il  allait  jusqu'au  bout. 
'Aclèon,    c'était    roxeès  du  vice: 


Dan 


dans    .larol)    ree(iini;iiss;iiil    /.i    Iiiiik/ii 


K  V.  M  H  H  A  N  1)  T 


ses  conciloyens  sur  une  question  d  ;irl 
el  si  celte  brouille  s'est  perpétuée  jus- 
([u'à  la  fin  de  sa  \ie,  c'est  qu'il  y  avait 
entre  eux  désaccord  fondamental.  La 
Ronde  de  nuit  fut  le  prétexte  et  l'occa- 
sion. I-e  génie  de  Rembrandt  fut  la 
cause. 

S'il  est  au  monde  un  artiste  qui  puisse 
être  étudié  —   comme  je  le  disais  —  en 


quefois,  surtout  ilans  ses  eaux-l'ortcs. 
Mais,  au  fur  et  à  mesure  qu'il  se  con- 
quiert, le  monde  ima;,^inaire  et  merveil- 
leux que  son  imagination  porte  en  elle 
devient  son  vrai  pays,  el  la  légende  éter- 
nelle abolit  à  ses  yeux  son  siècle.  Il 
crée  des  architectures  profondes  et  folles, 
il  se  promène  en  des  paysages  de  rcve 
et  de  son,i,'c,    il   vêt  ses  personnages  de 


Rembrandt.  —  La  Lex 


dehors  de  son  temps  et  de  son  milieu, 
c'est  assurément  Rembrandt.  Toutefois 
ne  faut-il  point  l'en  arracher  ;  ce  serait 
tomber  dans  une  erreur  aussi  nette  que 
ceux  qui  ne  lexpliquent  que  par  son 
siècle  et  par  son  pays.  Pendant  toute  sa 
jeunesse,  il  subit  l'influence  de  certains 
maîtres  de  son  terroir.  En  plus,  la  Hol- 
lande lui  fournit  des  mises  en  scène  pit- 
toresques où  il  se  plait  à  traduire  soit  une 
Sainte  Famille,  soit  certains  traits  de  vie 
familière.  Enlin,  le  paysage  éventé  de 
grandes  ailes  de  moulin    le   tente  quel- 


costumes  baroques  ou  somptueux  :  des 
hommes  en  or  —  grands  prêtres,  rab- 
bins et  rois  —  surgissent  dans  son  art. 
11  invente  comme  Shakespeare  toute  une 
région  de  chimère  et  de  poésie,  et,  tout 
comme  Shakespeare,  il  reste,  dans  ces 
débauches  de  rêve  et  de  splendeur, 
aussi  profondément  et  foncièrement 
humain  qu  il  est  possible. 

Oui,  tous  ces  fabuleux  agencements 
de  décors,  de  lumières  et  de  toilettes, 
oui,  tout  ce  voyage,  le  cerveau  fou, 
hors  du  temps  et  de  l'espace,  oui,  toute 


liE.MlîHANDT 


celle  ivresse,  qui  semble  le  douer  du 
vertige  des  voyants,  ne  le  distraient 
point  un  seul  instant  de  Ihumanité  éter- 
nelle, de  la  réalité  psychologique,  de  la 
vie.  Il  unit  tous  les  contrastes  en  une 
leuvre,  il  mêle  en  un  sujet  la  vérité  la 
plus  saignante  et  crue  à  la  fantaisie  la 
plus  imprévue  et  la  plus  libre,  il  est  le 
passé,  le  présent.  le  futur  ;  il  est,  pour 
tout  dire,  un  de  ces  hommes  prodigieux 


tune  le  torture,  la  clientèle  s'éloigne, 
des  peintres  secondaires  se  substituent 
à  lui  dans  la  faveur  publique,  la  faillite 
l'accable,  la  vieillesse  le  ruine.  Il  achève 
sa  vie,  dans  un  coin,  dédaigné,  délaissé, 
oublié,  n'ayant  plus  à  côté  de  lui  qu'une 
servante,  llendrickje  Stolfels,  dont  il  a 
l'ait  sa  compagne.  Il  est  né  à  Leyde  en 
1607  ;  il  meurt  en  16(>y,  à  Amsterdam. 
Mais   pendnnt   ces  soixante-deux  ans 


Rem  buandt.  —  l.e  Chanr;eiir.  (Musée  de  Berlin.) 


et  rarissimes,  où  respire,  se  développe 
et  se  manifeste  pour  tous  l'idée  que  les 
poètes  aiment  à  se  faire  de  quelque 
Dieu,  s'incarnant  de  siècle  en  siècle  en 
des  êtres  surhumains. 

Sa  vie  se  dessine  comme  luic  mon- 
tagne: jeune,  il  en  gravit  la  pente  heu- 
reuse et  fleurie  ;  il  parvient  au  sommet 
vers  l'âge  de  trente-cinq  ans,  en  com- 
pagnie d'une  femme,  Saskia  van  Uilen- 
burgh,  qui  lui  donne  quatre  enfants, 
dont  seul,  le  dernier,  Titus,  lui  restera; 
puis  il  descend  l'autre  versant,  celui  de 
l'ombre.   Sa   femme   est   morte,   l'infor- 


d'existence,  qu'il  soit  heureux  ou  ac- 
cablé, son  travail  ne  s'alentil.  Il  peint 
et  grave  toujours.  Sa  nature  l'exige  et 
l'y  condamne.  Aussi  longtemps  que  cou- 
lera son  sang  dans  ses  veines,  que  ses 
muscles  se  nourriront  pour  dépenser 
leur  force,  que  ses  nerfs  seront  sensi- 
bles, il  faudra  que  son  cœur  et  sa  pensée 
s'expriment.  Mourir  sera  pour  lui: 
cesser  de  créer.  Et  la  marche  de  son 
esprit  sera,  sans  relâche,  ascendante. 

Si  sa  vie  se  dessine  en  angle  aigu,  son 
art  ne  connaît  ni  fortune,  ni  misère.  Il 
s'avance  en  ligne  droite,  continûment. 


HEMBliANDÏ 


Il  est  marqué  de  trois  grands  jalons  ;  la 
Leçon  d'analomie  (163"2),  la  lionde  de 
iiiiil  (164'2i,  les  Syndics  (  IGfil .. 

Aux  yeux  des  critiques,  ces  trois  loiles 
célèbres  représentent  les  trois  manières 
de  Hembrandl.  Ces  divisions  ont  Tavan- 
lage  d'imposer  une  méthode  dans  l'ex- 
ploration touffue  de  l'œuvre  totale,  mais 


dans  la  mise  en  scène.  La  lumière  frap- 
pant abondamment  les  objets  le  préoc- 
cupe. Feu  à  peu,  la  volonté  de  serrer 
de  près  la  réalité  le  conduit  à  un  art 
soigné,  propret,  lisse.  Une  harmonie  de 
bleus,  de  verts  pâles,  de  jaunes  rosaires 
le  requiert.  Certaines  toiles  [Vlscariolc 
venant    rendre   les    trente   deniers  :   \c 


Rembrandt.  —  La  Fiancée  inive.   (Musée  d'Amsterdam.) 


elles  nous  paraissent  dangereuses  et  su- 
perficielles. 

Rembrandt  n'a  point  changé  brusque- 
ment de  peindre  d'une  façon  pour  en 
adopter  une  autre  ;  il  n'a  jamais  subi,  à 
part  celle  de  Latsman,  aucune  influence  ; 
il  s'est  développé  logiquement,  ne  trou- 
vant matière  à  changement  qu'en  lui- 
même. 

Il  commence  par  peindre  sec  et  dur 
et  minutieux,  le  Changeur  (1627',  le 
Saint  Paul  en  sa  prison  (  1027  .  La  fac- 
ture est  lourde,  la  couleur  épaisse, 
brûlée,  cuite.  Mais  la  surprise  apparaît 


Christ  et  les  disciples  d'Emmaiis,  pre- 
mière versioji)  renseignent  sur  celte 
manière. 

\'ient  ensuite  l'influence  de  Latsman, 
le  maître  amsterdammois  qu'il  s'est 
choisi.  La  Présentation  au  Temple,  du 
musée  de  La  Haye,  semble  composée 
sous  l'insUbiration  directe  de  celui  qui  fit 
la  Nativité  du  musée  de  Haarlem.  Lats- 
man, en  ce  dernier  tableau,  donne  à  son 
élève  l'exemple  des  compositions  pitto- 
resques, des  personnages  étages,  non 
pas  au  centre,  mais  à  droite  ou  à  gauche 
de  la  toile,  des  éclairages  en  dessous. 


IIKM  liH  ANDT 


llEMiiHANDT.  —  L'Aitff  Rapharl  quillanl    Tnhie.  (  Mu3«  du  Louvre.) 


(les  comparses  vus  à  mi-corps,  des  gens 
vêtus  il  l'orienlalc.  Peut-êlre  esl-cc  :■ 
l^alsman  que  Rembrandt  est  redevable 
de  ses  fjoùts  d  antiquaire. 

Tous  ces  voyages  en  des  voies  non 
pas  diirérentes,  mais  successives,  lecon- 
(luisent  Icnlemciil  à  la  Leçon  il'ann- 
lomie,  qui,  tout  à  coup,  le  met  en  grande 
lumière,  comme  les  personnages  de  son 


tableau.  Ce  fut  un  émerveillement,  bien 
que  de  nombreux  défauts  i  inallentioit 
de  quelques  personnages  qui  regai-Jent 
le  spectateur,  au  lieu  de  suivre  la  démons- 
tration du  professeur  ;  [leinture  troj) 
sèche  dans  les  avant-plans  ;  peinture 
trop  molle  dans  les  chairs  forcément 
rigides  du  cadavre)  em[>éclient  de  rangei- 
parmi    les    chefs-d'u'uvre    ce    g'ravo    cl 


liEMBRANDT 


It  K.MlUi  ANDT 


déjà  puissant  morceau  d'art.  Il  est  cer- 
tain que  tels  portraits  faits  à  la  même 
époque  prouvent,  mieux  que  la  Leçon 
d'analomie,  quel  peintre  et  quel  obser- 
vateur était  Rembrandt,  vers  l'âge  de 
vingt-cinq  ans. 

Elargir  sa  manière,  libérer  son  dessin, 
se  réjouir  les  yeux  par  l'emploi  des  cou- 
leurs généreuses  et  riches,  s'habituer 
aux  pâtes  grasses  et  profondes,  se  donner 
tout  entier  à  la  vie,  voilà  ce  qu'il  se 
propose  immédiatement  après.  Il  ose 
s'écouter:  il  va  se  comprendre.  Il  s'est 
rapidement  conquis  ;  le  peu  qu'il  doit 
au  voisin,  il  se  l'est  si  profontiément 
assimilé  qu'il  se  l'est  l'ait  sien.  Dès  ce 
moment,  il  ne  sera  plus  qu'un  génie  qui 
exprime  son  évolution,  c'est-à-dire  le 
vrai  et  grand  Rembrandt  qu'atteignent 
les  remarques  faites  au  début  de  cette 
élude  et  que  viseront  celles  qui  la  ter- 
mineront. 

Les  commandes  affluent.  La  Bible 
entière  et  la  mythologie  le  soUicilenl. 
Frédéric-IIenri  d'Orange  lui  demande 
une  suite  d'oeuvres  sur  la  Passion  du 
Christ.  C'est  un  chemin  de  croix,  signé 
Rembrandt. 

En  Ifii'J,  la  Bonde  de  nuit  fut  ter- 
minée. Le  maître  avait  rom[)u  avec  les 
canons  sacro-saints  de  la  tradition  en 
peignant  la  corporation  des  arquebu- 
siers, non  pas  au  repos,  aulour  d'une 
table  chargée  de  victuailles,  comme 
liais  ou  Van  der  Helst,  mais  marchant, 
allant,  venant  à  travers  les  rues,  dans 
l'agitation  qui  précède  une  prise  d'armes. 
Ce  furent  de  grands  cris.  On  ne  com- 
prenait pas  et  l'on  blâmait.  La  vérité 
était  facile  à  saisir.  Par  ce  seul  fait  qu'il 
s'agissait  de  la  milice  active,  le  net  et 
clair  jugement  de  Hembratidl  lui  con- 
seillait do  la  représenter  sur  la  toile  en 
plein  mouvement,  ou,  pour  employer  un 
banal  cliché,  »  dans  l'exercice  de  ses 
fonctions  ».  En  outre,  ses  dons  de 
peintre  pittoresque  s'accommodaient 
mieux  de  cette  disposition  nécessaire- 
ment heurtée  et  surprenante,  que  de  la 
placide    et    niélhodiquo    représentation 


des  soldats-citoyens,  autour  de  belles 
vaisselles,  dans  une  salle  lambrissée  et 
décorée  d'armoires. 

La  logique  était  donc  la  force  de 
Rembrandt  ;  l'habitude,  le  déjà-fait,  la 
mode  fut  celle  de  ses  ennemis.  Aucun 
d'eux  ne  rendit  hommage  à  la  splen- 
deur de  couleur,  à  la  prise  sur  le  vif  des 
gestes  et  des  allures  des  archers,  à  la 
merveille  de  vision  qu'est  la  petite  fille 
en  jaune,  sorte  d'infante  de  Velasquez, 
introduite  dans  ce  rassemblement  de 
tons  noirs  et  sombres,  à  l'inquiétude  et 
à  l'agitation  qui  animent  la  scène,  en 
un  mot  à  1  étonnante  nouveauté  de 
conception  et  <le  mise  en  page.  La 
Ronde  de  nuit  est  un  tableau  d'histoire 
pris  dans  l'existence  quotidienne,  qui 
confesse  mieux  qu'un  livre  ce  qu'était 
au  xvii"  siècle  la  bourgeoisie.  La  Leçon 
d'anatomie  nous  avait  renseignés  sur  la 
science,  la  Ronde  nous  renseignait  sur 
la  guerre  et  les  Syndics  nous  rensei- 
gneront sur  le  commerce. 

.Vprès  l'échec  de  la  Ronde  de  nuit, 
Rembrandt  commence  sa  vie  doulou- 
reuse pour  la  finir  dans  le  dénuement 
absolu.  C'est  la  période  la  plus  haute  de 
son  art.  Malheurs  de  fortune,  d'amitié, 
d'amour  ;  mise  à  l'index  par  la  société  ; 
saccage,  par  les  créanciers,  de  sa  de- 
meure ;  colères  autour  de  lui  en  tourbil- 
lons grondants,  rien  ne  le  vainc.  Il  se 
retrouve,  se  ressaisit,  se  retrempe  dans 
son  travail. 

Les  commandes  ne  s'éloignent  point 
tout  à  coup.  \'ers  cette  époque,  il  |)eint 
encore  la  matronale  effigie  A' Elisabclh 
Bac,  qu'étale  à  une  place  d'honneur  le 
musée  d'Amsterdam,  il  multiplie  très 
abondamment  le  nombre  de  ses  propres 
images  et  sa  seconde  compagne  I  lenrickje 
StolTels,  s'élaiit  introduite  dans  son  mé- 
nage, il  achève,  d'après  elle,  des  oeuvres 
nombreuses  :  la  Rethsabée,  de  la  galerie 
Lacaze,  la  liaigncuse,  de  la  National 
Gallery  et  plusieurs  autres  compositions. 

Le  paysage  lente  Rembrandt  comme 
la  nature  entière  le  tentait.  La  vision 
(|u'il  a  des  champs,  des   ruisseaux,    des 


liEMBRAXDT 


montagnes  et  des 
bois  lui  esl  impo- 
sée par  sa  façon  de 
ramasser  tout  ce 
qui  est  épars  sous 
l'unité  de  la  lu- 
mière. Il  né{,'lige 
les  détails  au  fur 
et  à  mesure  qu'ils 
s'enfoncent  dans 
l'ombre.  C'est  d'a- 
près ce  principe 
que  s'imposent  à 
l'attention  :  l'O- 
rage,  du  musée  de 
Brunswick,  le 
Moulin  à  cent  et 
la  Ruine,  du  mu- 
sée de  Casse).  La 
réalité  1  inquiète 
médiocrement.  Il 
campe  des  moulins 
en  des  vallées  avec 
de  hautes  monta- 
g'ries  qui  les  do- 
minent. Il  mêle 
des  motifs  italiens 
à  des  décors  hol- 
landais. Preuve 
entre  cent  que 
c'est  sa  vision  in- 
terne qu'il  con- 
sulte et  que  le  lieu 
ou  le  pays  qu'il 
voit     devant      ses 

yeux  ne  domine  guère  son  art.  Il 
célèbre  —  la  chose  apparaît  aujour- 
d'hui comme  un  projet  de  concours 
entre  peintres  —  la  paix  de  Munster 
par  une  allégorie  obscure  dont  l'ébauche 
est  conservée  à  Rotterdam  ;  il  reprend 
certains  sujets,  tels  le  Bon  Samaritain 
et  les  Disciples  d'Emmaûs,  qui  l'ont 
sollicité  sa  vie  durant.  Le  Louvre  possède 
ces  deux  toiles,  où  toute  l'âme  bonne 
et  miséricordieuse  de  Rembrandt  semble 
s'incarner.  D'un  côté,  la  pitié  simple, 
presque  triste  :  de  l'autre,  l'ingénue  et 
calme  et  pure  bonté  du  Christ,  ouverte  à 
tous,  en  ce  geste  d'accueilqui  partage  le 


Rejibraxdt.  —  Rabbin,  i  National  Gallery,  Londres.) 


pain  !  Et  le  respectueux  effroi  des  dis- 
ciples et  les  yeux  du  maître,  qui  devine 
et  comprend  tout,  sans  regarder! 

Pendant  les  dix-neuf  années  qui  sépa- 
rent la  Ronde  des  Syndics,  Rembrandt 
a  signé  ses  toiles  les  plus  parfaites.  Il  u 
poussé  toutes  ses  qualités  jusqu'à  leur 
développement  suprême.  Il  les  a  unies 
en  faisceau.  Comme  tout  peintre  d'origi- 
nalité profonde,  il  se  devait  de  réaliser- 
un  idéal,  pour  lequel  aucun  élément 
étranger  ne  pouvait  servir.  Il  le  lui 
fallut  atteindre  sans  aucun  secours.  Il  y 
est  parvenu.  Que  d'autres,  doués  de 
personnalité  forte,  sont  restés  en  route! 


ItlîMIillANDT 


l.c  domuinc  de  l'îii-l  est  encombré  de 
génies  incomplets,  moitié  sublimes, 
moitié  ^Tolesques.  Pour  s'élever  jus- 
(|u';ui  sommet  de  leur  destinée,  deux 
ailes  leur  étaient  nécessaires  :  ils  en 
avaient  une,  ;i  droite,  mais  à  f,'auche  il 
ne  leur  poussait  (ju'un  moignon.  C'est 
avec  lenteur,  :i  force  de  travail  assidu, 
à  force  d'entêtement  {^lorieu.x  que  Rem- 
brandt se  définit,  et,  en  quelque  sorte, 
s  épuise  lui-même.  Au  Ryksmuseum, 
en  189.S,  une  série  d'oeuvres  s'étalait, 
irréprochable.  Elles  dataient  de  la  pé- 
riode que  nous  analysons.  Une,  entre 
autres  :  Vieille  femme  lisant  un  livre, 
manifestait  une  perfection  si  égale  et  si 
tot:i!c  qu'on  s'arrêtait  devant  elle  comme 
devant  une  teuvre  quasi  divine,  llien 
n'était  à  reprendre  ;  toute  objection 
tombait.  Le  livre  que  la  vieille  femme 
tenait  en  main  et  d'où  la  clarté  semblait 
sortir  éclairait  par  contre-cou|),  de  bas 
en  haut,  son  visage  et  l'ombre  (|ue  la 
grande  coilTe  projetait  sur  son  front 
s'animait  de  lueurs.  Le  modelé  de  la 
face  cl  des  mains,  le  calme  des  yeux 
attentifs,  l'allure  grande  et  simple  im- 
posaient l'admiration  entière.  On  se 
trouvait  en  présence  d'une  merveille  et 
la  foule,  qui,  devant  des  n-uvres  voi- 
sines, commentait  et  papottait,  se  taisait 
devant  celle-ci.  Le  phénomène  était 
curieux  à  noter,  d'autant  que  devant  les 
Syndic.''  il  se  reproduisait.  Dans  la 
dernière  salle,  où  les  cinq  drapiers  occu- 
paient tout  un  panneau,  la  même  per- 
fection d'art  se  prouvait  et  le  même 
silence  régnait.  Oh  !  la  virile  peinture! 
Largeur  d'exécution,  tons  riches,  pro- 
fonds et  d'inlinie  concordance,  absence 
entière  de  tape  ù  Wn'û,  sévérité  et  splen- 
deur, vie  si  vraie,  si  prise  en  pleine  na- 
ture, si  complètement  et  aisément  réa- 
lisée, qu'elle  parait  supérieure  à  celle 
qui  passe  devant  clic,  regarde,  admire 
et  s'en  va. 

On  ne  sait  trop  comment  cette  com- 
mande dernière  lui  était  venue.  Les 
Syndics  ne  firent  naître  rien  ;  ni  colère, 
iii  enthousiasme.  I..es  Van  der  ^X'crf,  les 


Mieris  accaparent  l'attention,  lîem- 
brandl,  délaissé  et  honni,  dont  l'art 
suprême  protestait  contre  le  maniérisme 
et  l'airéterie  courante,  n'intéressait  plus. 

Les  dernières  années  de  ta  vie  furent 
aussi  fertiles  que  les  autres.  De  plus  en 
plus  il  s  isola  et  se  grandit.  Son  art  fai- 
sait désormais  partie  de  sa  chair,  de  ses 
muscles,  de  ses  nerfs  ;  il  le  conçut  aussi 
libre,  aussi  spontané,  aussi  individuel 
qu'était  n'importe  lequel  de  ses  gestes, 
de  ses  désirs,  de  ses  paroles,  de  ses 
caprices.  11  ne  pouvait  pas,  grâce  à  son 
colossal  acquis,  grâce  à  sa  force  toujours 
nette  et  vivace,  ne  pas  être  admirable. 
-Aussi  ne  peint-il  plus  que  pour  lui- 
même  et  peut-être  —  qui  sait?  —  pour  le 
triomphe  posthumequ  il  sent  inévitable. 
Les  ors  qu'il  ne  piossède  plus,  mais  qui 
l'hallucinent  encore,  les  reflets  et  les 
éclairages  beaux  comme  des  trésors  ren- 
versés sous  des  flambeaux,  les  coulées 
énormes  des  pâtes  où  ses  doigts,  son 
couteau  et  jusqu'au  manche  de  sa  brosse 
s'ébattent  et  dessinent  des  creux  et  des 
reliefs  de  bijouterie  et  d'ornementation 
richissime,  le  séduisent  et  le  grisent 
plus  que  jamais.  Il  possède  quelque 
part  un  vieux  buste  d'Homère.  Les  traits 
ravagés,  les  yeux  éteints,  le  drame  im- 
primé sur  l'image,  la  déréliclion  qui 
tua,  d'après  la  légende,  le  poète,  lui 
rappellent  sa  propre  destinée.  Une  sym- 
pathie nail  soudain.  El  le  voici  peignant 
le  vieil  aveugle,  vêtu  de  vêlements  de 
clarté,  assis  largement  dans  un  fau- 
teuil, tel  qu'il  se  rêve  lui-même  devant 
l'avenir.  Cette  œuvre,  récemment  dé- 
couverte, appartient  au  musée  de  La 
Haye. 

D'autres  fois,  c'est  l'image  diiiie  jeune 
fille,  toute  recueillie  dans  son  innocence, 
toute  pure  de  vice,  qu'il  pare  de  belles 
robes  de  noce  et  dont  lui-même  ou 
quelque  autre,  paternellement,  s'appro- 
che pour  parler  d'amourcl  de  maternité 
future.  Ses  mains,  avec  un  inlini  respect, 
avec  une  tendresse  profonde,  attouchenl 
la  jeune  poitrine  cachée  sous  la  robe, 
réalisant    un   des   gestes   les  plus   viais. 


HE.Mlîli  ANDT 


les  plus  chastes  et  les  plus  liL-aux  de  la 
peinture.  L'homme  et  la  femme  —  on 
intitule  énif^matiquement  le  f,'rnupe  :  la 
Fiancée  jiiire  —  déploient  un  luxe  d'or, 
<le  \elours  et  de  soie  qui  contraste  avec 
l'intimité  de  la  scène,  mais  (|ui  explique 
d'autant  mieux  la  passion  de  richesse  et 
tle  pompe,  restée  intacte  dans  le  ciL-ur 
(le  Rembrandt. 

11  réalise  encore,  avec  la  même  liberté, 
allant  jusqu'à  la  témérité  suprême,  avec 
la  même  vision  magnifique  et  folle,  la 
Lucrèce,  de  l'ancienne  collection  I)o- 
nato,  le  David  et  le  Saiil.  récemment 
acquis  par  M.  Breduis  et  surtout  sa  der- 
nière grande  (cuvre,  Eslher.  Assucru.s 
cl  Aman,  que  possède  la  reine  de  Hou- 


l,a  plus  grande  révolution  accomplie 
par  lui  dans  son  art  me  semble  être 
celle-ci:  l'unité  réalisée,  non  paf  une 
harmonie  de  lignes,  non  par  une  hai-- 
monie  de  tons,  mais  par  une  harmonie 
de  lumières.  C'est  d'un  point  lumineux 
dominant  qu'il  part,  comme  ceu.x  qui  le 
précédèrent—  Italiens,  .Allemands,  Fla- 
mands, Français  —  partaient  d'une  cou- 
leur déterminante  ou  d'une  ligne  iinpé- 
rative.  Leur  œuvre  entendue  ainsi  se  lie 
très  intimement  à  la  ])lastique  et  à  la 
matière  :  celle  de  Rembrandt  s'en  dégage 
pour  se  rapprocher  de  l'intellcctualité 
et  du  mystère.  Elle  flotte,  semble-t-il, 
au-dessus  de  la  réalité  directe;  elle  est 
moins    contrôlable,     moins    analysable. 


Eembrandt.  —  Acs  '^i/ndics.   (Musée  d'Amsterdam.) 


manie.  La  mise  en  page  est  unique,  la 

violence    des    argents    et    des    pierres 

brûle  la  toile,    la  psychologie  des   trois 

personnages    est    shakespearienne,    les 

couleurs  sont  fastueuses,  le  dessin  sûr 

comme  au  temps  de  la  maturité.    Rien 

de   sa    force    n'est     perdu    et    il    meurt    i    dans  le  concret  —  que  c'est  par  l'étude 

après  ce  dernier  chef-d'ceuvre.  de  l'éclairage  à  la  lampe,   de  l'éclairage 


Elle  s'adresse  à   la   vision  plutôt  qu'à  la 
vue. 

Si  l'on  se  demande  par  quels  moyens 
il  est  arrivé  à  un  tel  résultat,  on  est 
tenté  d'admettre  —  toutes  choses  trou- 
vant   leur    point    de    départ    nécessaire 


lîKMHIi  ANDT 


R  E  M  B  R  A  X  n  T. 


(MusLS  du  Louvre.) 


nocturne,  indépencLiiil  de  (oiile  lumière 
naturelle.  Le  soleil  tlilTusc,  la  lampe 
concentre.  Elle  lui  semblait  le  vrai  loyer 
lumineux  dun  tableau,  morceau  d'es- 
pace limité  par  un  cadre,  isoléde  l'éten- 
due infinie.  Plusieurs  de  ses  prédéces- 
seurs ou  de  ses  cfinlréres  —  Gérard  Dow, 
par  exemple  —  lui  avaient  donné 
l'exemple.  Seulement,  Rembrandt  ne 
s'en  tint  pas  à  leurs  tentatives.  Il  pro- 
longea jusque  dans  le  domaine  moral 
leur  observation  trop  précise,  l'nechan- 
ilclle.  un  llanibcau,  un   fover  réalisaient 


certes  des  jeux  de  noirs  et  de  clairs  fort 
pittoresques;  mais  leurs  lueurs  lui  sym- 
bolisaient également  le  mystère  inté- 
rieur, celui  de  l'esprit  et  de  l'âme.  .Après 
tout,  les  saints,  les  anges  et  les  christs 
ne  sont-ils  pas,  eux  aussi,  des  lumières 
quand  ils  apparaissaient  quelque  |)art  ? 
Et  n'avait-il  point  raison  de  faire  surgir 
parfois  un  soleil  de  leur  corps?  L'au- 
réole dont  la  croyance  populaire  les 
entoure  n'est-elle  point  un  pressenti- 
ment? De  plus,  certains  objets,  un 
sceptre,    une  couronne,  grâce   â  l'aulo- 


li  E  M  B  H  A  N  D  T 


rite  et  à  la  puissance  qu'ils  confèrent, 
ne  sont-ils  et  clairs  et  foudroyants?... 
Dans  Esihcr,  Assuérus  cl  Aman,  le 
sceptre  se  darde  comme  la  foudre.  Dans 
les  Disciples  d'Emmaûs,  le  Sauveur 
dégage  de  lui-même  toute  la  luminosité 
de  la  toile. 

De  cette  idée  naissent  donc,  dans 
l'œuvre  de  Rembrandt,  ces  éclairages 
soudains,  profonds,  étranges,  mystérieux 
qu'on  a  peine  à  s'expliquer  et  qui  mar- 
quent si  spécialement  toute  la  série  de 


se  peuplent  de  reilets  et  de  nuances,  se 
vivifient  et  se  colorent.  L'opacité,  la 
lourdeur,  la  mort,  il  les  ignore.  Non  pas 
qu'il  se  soit  un  instant  occupé  des  re- 
cherches modernes  sur  les  décomposi- 
tions du  ton  à  contre-jour,  mais  son 
elfort  a  constamment  tendu  à  glisser  le 
mouvement  et  la  diversité  dans  chaque 
louche  qu'il  posait. 

C'est  également  son  originalité  pro- 
fonde dans  l'éclairage  qui  le  guide  dans 
ses  quelquefois  étranges  mises  en  page. 


Rembrandt.  —  Jacob  bénissant  les  Jils  de  Joseph.  (Musée  de  Cassel.) 


ses  pages.  Et  de  même  que  les  clartés 
le  sollicitent,  les  ombres  qui  toujours 
les  accompagnent  le  requièrent.  Il  les 
fait  vivre.  Rien  de  plus  faux  que  de  le 
définir  :  un  peintre  noir.  .Au  contraire. 
Les  ténèbres  sous  ses  doigts  s  animent, 


L'asymétrie  y  règne  souvent.  On  dirait 
qu'il  connut  celle  des  Orientaux.  A 
preuve  :  David  chantant  devant  Saûlel 
Eslher,  Assuérus,  An\an.  .Assurément, 
n'ignorait-il  pas  les  miniatures  indiennes 
et    persanes,    puisqu'il   en  a  copié   plu- 


UKMUnANDT 


sieurs.  I.â  Hollande  leiianl  en  main  le 
commerce  du  monde  et  celui  surtout  de 
l'extrême  Asie,  on  peut  admettre  qu'il  a 
rencontré,  un  jour,  certains  spécimens 
lie  l'estampe  chinoise,  très  llorissante  au 
xMi"  siècle.  Ceci,  je  le  sais,  est  de  la 
pure  hypothèse;  mais  quelles  nouvelles 
et  inattendues  questions  ne  se  |)ose-t-on 
point  devant  l'univre  entier  d  un  tel 
peintre  ?  C'est  le  propre  du  génie 
d'éveiller  dans  l'esprit  le  nombre  illi- 
mité des  conjectures.  Ceux  qui  visitè- 
rent la  dernière  et  très  renseignante 
Exposition  d'Amsterdam  (1898  n'ont  pu 
s'y  défendre  dune  émotion  profonde  à 
voir  par  quels  honneurs  les  Hollandais 
d'aujourd'hui  ont  réparé  1  crreurde  leurs 
pères  à  l'endroit  du  plus  grand  peintre 
quenfanta  la  Néerlande.  .Mais  ce  qui 
les  charma  plus  encore,  ce  fut  de  voir 
lombien  ce  peintre,  si  haut  placé  dans 
l'admiration,  avait  dû  être  et  pour  les 
siens  et  pour  ses  élèves  et  peut-être 
pour  ses  ennemis  un  brave  homme. 
Oui,  cette  expression  banale  arrive  for- 
cément à  l'esprit.  Le  romantisme  a  sub- 
stitué à  l'idée  simple  qu  on  doit  avoir 
du  génie  je  ne  sais  quelle  idée  théâtrale 
et  fausse.  Panache,  allure  fatale,  dés- 
(irdre  et  grandeur  sous  la  foudre  1  Or 
c'est  le  contraire  qui  est  vrai,  pour 
Hembrandl.  Tel  que  celui-ci  nous  appa- 
raît, il  semble  avoir  été  un  époux  char- 
mant, un  père  attendri,  un  ami  sûr,  un 
maître  bon  enfant.  C'est  naïvement 
qu'il  se  déguise  en  grand  seigneur,  c'est 
pour  l'éclat  et  la  beauté  des  choses 
qu'il  adore  les  ori]>eaux  et  les  richesses. 
Il  ne  parade  pas,  il  vil  intensivement  dans 
In  bonne  et  virilement  dans  la  mauvaise 
fortune.  Son  père,  sa  mère,  son  frère, 
s;i  sifur,  sa  femme,  son  enfant,  sa  ser- 
vante, il  les  peint  cent  fois  comme  il  se 
peint  lui-même,  soit  par  goût  de  travail 
incessant,  soit  par  atleclion  ingénue. 
Ijuand  il  a  des  plumes,  des  joyaux  et 
des  casques,  il  se  traduit  vêtu  en  sei- 
gneur: qunnd  il    n'a   plus  qu'unf  houp- 


pelande usée,  une  palette,  des  pinceaux, 
un  appui-main  et  un  ridicule  casque  à 
mèche,  il  se  portraicture  encore.  Il  se 
montre  fringant,  clair  et  conquérant  à 
trente  et  quarante  ans  ;  tout  comme  il 
s'indique,  ridé,  flétri,  la  peau  inculte 
et  le  nez  trognonneux  à  soixante.  Il  lui 
est  indifférent  d'être  jugé  beau  ou  laid. 
Il  aime  en  lui  l'être  humain,  voilà  loul. 
.Après  avoir  épousé  une  jeune  lille  noble, 
il  vivra  avec  une  servante,  l'adorant,  la 
parant  et  la  montrant  tout  comme 
l'autre.  La  chair  lui  semble  admirable 
autant  dans  ses  lares  que  dans  ses 
splendeurs;  ses  deux  femmes  lui  servi- 
ront de  modèles  et  jamais,  par  des  em- 
bellissements factices,  il  ne  trahira  le 
nu. 

Très  simplement,  il  introduit  sa  vie 
intime  dans  son  art  et  l'idée  de  mal  faire 
ne  lui  arrive  jamais.  Quand  des  élèves 
l'entoureront,  il  lui  semblera  que  sa 
famille  s'agrandit.  Il  en  fera  ses  compa- 
gnons. Lui,  leur  maître?  leursupérieur? 
leur  impératif  et  majestueux  professeur? 
.Allons  donc  I  Quand  l'un  d'eux,  un  tout 
jeune  homme,  Fabricius  mort  à  vingt- 
neuf  ans),  aura  besoin  d'un  modèle, 
dans  sa  Décollalion  de  saini  Jean-Bap- 
tisle,  ce  sera  lui,  Rembrandt,  le  grand 
peintre,  qui  lui  posera  la  figure  xlu 
bourreau. 

Ce  sera  lui,  Hembrandt,  manches 
retroussées  et  le  col  de  la  chemise  ou- 
vert sur  les  poils  de  sa  poitrine,  qui  se 
cam|)era,  dans  cet  accoutrement  et  dans 
ce  métier  vils,  devant  le  public. 

Telle  fut  sa  vie.  Les  légendes  absurdes 
qui  l'entouraient  sont,  les  unes  après  les 
autres,  tombées.  Aujourd'hui,  il  appa- 
raît en  pleine  apothéose.  Il  n'en  des- 
cendra plus.  Il  fut  de  ces  hommes  dans 
lesquels  l'humanité,  de  siècle  en  siècle, 
se  rellète  et  qui  demeurent  une  des 
phases  de  sa  conscience.  Ses  u'uvres 
dussent-elles  toutes  périr,  son  nom  res- 
tera éternel. 

l'^MII.l:      N'icnll   \RRRN. 


!■  A  N  O  1!  A  M  A       D  K 


PROMENADES    EN     POITOU 


Pour  faire  ce  voyage  dans  une  des 
contrées  de  la  France  les  plus  riches  en 
vieux  souvenirs,  point  n'est  besoin  d'une 
automobile,  ni  même  d'un  billet  circu- 
laire. In  livre  suffira. 

Il  est  vrai  qu'il  s'agit  d'un  ouvrage 
hors  ligne  et  comme  il  s'en  édite  rare- 
ment. 11  ne  s'en  était  point  publié  de 
semblable  depuis  les  Voyscjes  romaii- 
lujues  et  pilloix'scfiies  dans  l'aicienne 
France,  dirigés  par  le  baron  Taylor,  qui 
sont  un  chef-d'œuvre  et  dont  il  a  été 
plusieurs  fois  parlé  dans  cette  revue; 
seule,  la  Normandie  pi(lnresf/ue  de 
M.  Lemale  peut  lui  être  comparée. 

Un  homme  s'est  rencontré,  photogra- 
phe à  Fontenay-le-Comte,  qui  s'est  épris 
de  son  pays  et  a  voulu  élever  un  monu- 
ment au  Poitou  et  à  la  Vendée.  Rien  ne 
l'a  arrêté,  ni  ses  modestes  ressources,  ni 
les  diflicultés  matérielles.  Il  est  parti, 
avec  son  appareil  sur  le  dos  et  il  a  pris, 
avec  un  sens  parfait  du  pittoresque  et 
de  l'archéologie,  une  incomparable  série 
de  photographies.  Entraînés  par  son 
ardeur  et  par  sa  foi,  des  hommes  faisant 
autorité,  comme  M.  le  marquis  de  Roche- 
brune,  M.  René  \'allette,  M.  Bélisaire 
Ledain,  et  beaucoup  d'autres  que  nous 
ne  pouvons  citer  ici,  lui  ont  apporté  leur 
XIII.  -  12. 


précieuse  collaboration  pour  rédiger  un 
texte  de  haute  valeur.  L'ouvrage,  for- 
mant plusieurs  volumes  in-folio,  a  été 
fabriqué  avec  les  procédés  les  plus  par- 
faits de  la  photogravure. 

Nos  lecteurs  verront  avec  plaisir  quel- 
ques réductions  des  gravures  de  cet 
ouvrage,  bien  que  très  inférieures  à  ce 
qu'elles  sont  dans  leur  grand  format. 
Nous  les  avons  prises  comme  au  hasard 
au  milieu  de  centaines  de  planches,  et 
notre  texte  n'est  qu'une  causerie  à  bâtons 
rompus. 

Il  est  facile  de  rappeler  l'histoire  du 
Poitou  dans  ses  grandes  lignes. 

A  l'époque  gauloise,  le  peuple  piclon, 
qui  l'occupait,  était  puissant,  puisqu'il 
envoya  une  armée  de  huit  mille  hommes 
au  secours  d  Alésia.  Lors  de  la  réorga- 
nisation de  la  Gaule  sous  Auguste,  une 
vingtaine  d'années  avant  notre  ère,  le 
pays  fut  détaché  de  la  Celtique  pour 
contribuer  à  la  formation  du  royaume 
d'Aquitaine.  De  l'époque  gallo-romaine 
il  a  gardé  de  nombreux  monuments  et 
des  routes  encore  faciles  à  reconnaître. 

Au  iv"  siècle,  le  christianisme  s'y  dé- 
veloppa avec  saint  llilaire,- dont  un  très 
vieux  temple  porte  encore  le  vocable 
dans    Poitiers,  qui   s'appelait   Limonum 


l'IÎOMKNADKS     KN     POITOf 


jusqu'il  celle  époque.  En  i  l'.l,  l'empereur 
llonorius  céd;i  le  pays  aux  rois  visif^olhs 
(|ui  le  conservèrcnl  un  siècle  environ, 
juscjuau  jour  où  Clovis  le  leur  reprit, 
en  .")07.  par  sa  vicloire  de  \  ouille. 

l'endanl  1  époque  mérovingienne.  Foi- 
tiers  passa  successi\ement  à  de  nom- 
breux rois;  mais  ses  fortifications  lui 
permirent  de  résister  aux  Sarrasins,  que 
(Charles  Martel  chassa  en  73:2. 

Imi  778.  Cliarlemagne  créa  avec  la 
terre  poitevine  le  royaume  d  .\quilaine. 
pour  son  fils  1-ouis,  qui  le  transmit  plus 
lard  à  son  fils  Pépin.  Après  ce  prince, 
vinrent  de  nouvelles  divisions  jusqu'au 


I.  '  H  0  T  E I.    K I'  .M  f:  K ,   n  r  E    n  k   h    r  I!  ft  v  o  t  ft 


jour  où,  en  ISt>7,  Charles  le  (Jhauve 
donn;i  le  pays  à  HanuH'e,  qui  fonda  la 
puissante  dynastie  féodale  des  comtes 
de  Poitou,  ducs  d'.Aquitaine. 

Elledevait  se  perpétuer  jusqu'en  1  137, 
où  le  Poitou  fut  apporte  à  la  France 
par  -Aliénor,  tille  de  ("luillaume  ^'1II, 
dixième  duc  d  .Vquitaine,  [lar  son  ma- 
riage avec  le  roi  Louis  \\\. 

Itépudiée  en  II,'')"i,  .Aliénor  épousa 
presque  aussitôt  Henri  Plantagenet, 
alors  duc  de  Normandie.  I  )eux  ans  après, 
ce  prince  était  roi  d'Angleterre  el  le 
Poitou  passait  pour  la  première  lois  aux 
Anglais.  .Aliénor,  qui  s'occupa  beaucoup 
de  son  comté  cl  y 
fit  élever  de  nom- 
breux monuments, 
est  restée  popu- 
laire en  Poitou,  un 
peu  comme  .Anne 
en  ISretagnc,  elle 
aussi  tille  du  der- 
nier duc.  Mais 
.Vliénor  ^tail  plus 
hautaine  et  son 
nom  est  entouré 
(le  moins  de  ten- 
dresse. 

l.e  10  août  12114, 
Philippe  -  .Auguste 
entrait  en  vain- 
([uenr  dans  '  Poi- 
tiers. (|ui  faisait 
ainsi  retour  à  la 
couronne  de 
Prance.  Ses  l'orti- 
licalions  furent 
augmentées  e  telles 
lui  permirent  de 
résister  aux  An- 
glais revenus  el  dî- 
ne pas  être  entraî- 
née dans  la  funeste 
défaite  de  Poiliers- 
.Mauperluis.  Mal- 
gré sa  défense,  le 
traité  de  Hrétigny, 
en  I3()0,  donnait 
une    seconde     fois 


l'HOMKNADKS    KN     PO  11' OU 


1>  Il  I  T  I  E  R  s     —     f:  (;  L  I  S  E      s  A  I  X  T  -  H  I  L  A  I  K  E     I,  E 


la  ville  à  IWiigletene.  Elle  fut  enliii 
reprise  en  1372  par  Du  (iuesclin. 

Jean  de  Berry  fut  créé  comte  de  Poi- 
tou par  son  frère  Charles  \  et,  dès  lors, 
l'histoire  du  pays  se  confond  avec  This- 
toire  de  France. 

De  tous  les  monuments  de  Poitiers,  le 
[jIus  vénérable  est  celui  qui  sert  actuel- 
lement de  palais  de  Justice. 

"  S'il  est  un  monument  historique, 
c'est  bien  celui-là»,  a  dit  \'iollet-le-Duc 
en  parlant  de  sa  f^rande  salle,  construite 
au  XII''  siècle,  dans  le  vieux  palais  des 
comtes  de  Poitou,  et  qui  fut  terminée,  à 
la  fin  du  xii'"  siècle,  par  la  triple  che- 
minée, surmontée  d'une  claii-e-voies'éle- 
vant  jusqu'au  faite  en  dentelle  de  pierre, 
admirable  envolée  de  l'art  gothique. 

.\ux  temps  sinistres  de  l'histoire  de 
France,  après  la  mort  de  Charles  VI, 
(|uand  les  Parisiens  venaient  d'acclamer 
comme  roi  Henri  \l  d'Angleterre,  le 
palais  de  Poitiers  devint  l'asile  du  Par- 


lement, le  refuge  de  la  royauté  et  parut 
être  ce  qui  restait  de  la  patrie  française. 

C'est  dans  la  grande  salle,  en  mars 
1429,  que  Jeanne  fut  interrogée  par  un 
tribunal,  quelque  peu  ridicule,  de  ma- 
gistrats, de  théologiens  et  de  matrones. 
Sa  foi  et  sa  virginité  triomphèrent  et 
elle  fut  ramenée  le  15  avril  à  Chinon, 
pour  partir  à  la  délivrance  de  la  France. 

La  Cour  d'appel  de  Poitiers  est  in- 
stallée dans  le  vieux  donjon,  que  le  peu- 
ple appelle  encore  la  tour  de  Mauber- 
goon,  du  vieux  mot  franc  Mallberq  (en 
latin  Mauberquin),  qui  voulait  dire  col- 
line du  tribunal,  et  M.  de  I.a  Ménardière 
a  pu  justement  dire  dans  sa  notice  : 
«  C'est  donc  là  que,  depuis  bien  plus  de 
mille  ans,  a  été  rendue  la  justice,  non 
pas  seulement  la  justice  du  Parlement 
ou  des  grands  jours,  celle  des  présidiaux 
de  la  royauté  ou  de  nos  cours  souve- 
raines, mais  la  justice  des  hommes  libres 
des  temps  mérovingiens,  les  plaids  des 


PUOMKN  Al)i:S    KN     IMUTOr 


comtes  de  (>liarlcniagne.  »  El.  faute  de 
crédits,  ce  monument  auj^uste  des  temps  ■ 
passés  reste  encombré  de  masures,  mal   ; 
restauré,  menacé  de  ruine. 

Il  exi.>ite  une  Commission  des  monu- 
inonls  historique.'^,  établie  dans  les  plus 
louables    intentions,    mais    les    hom'nics   i 


fenêtres  de  la  cour  a|j|jarlieimetil  encore 
aux  formules  fjothiques  :  une  f^alerie 
intérieure,  ajoutée  après  coup  pendanl 
la  Renaissance,  n'est  pas  pour  f,'lorilier 
le  style  nouveau  qui  devait  arrêter  le 
nia},Miilique  élan  de  larl  ojjival. 

Pnilieis    csl   ricin-  en    vieilles  éfrlises. 


roiTiEus    —    .s.iLLK    iiiis    r.v.<- ri;  i;  Il  r  S    nf    r  a  i.  a  i  <    n  k    ,i  r  -  r  1 1 


émnienls  qui  la  composent  sonl  bien  à 
plaindre.  Ils  disposent  de  ressources 
ridicules  et  n'ont  pas  même  l'autorité 
nécessaire  pour  empêcher  les  actes  de 
vandalisme  fréquemment  accomplis  par 
les  propriétaires  ou  les  municipalités. 

Dans  les  rues  silencieuses  du  vieux 
Poitiers,  de  vieux  hôtels  attestent  avec 
quel  souci  de  l'art  s'édifiaient  au  temps 
passé  les  demeures  non  seulement  de  la 
noblesse,  mais  de  la  hante  bourj,'eoisie. 
L'hôtel  l'umée,  entre  autres,  fut  con- 
struit dans  les  premières  années  du 
xvT  siècle,  par  François  Finnée,  licencie 
c.r  loi.r  :  sa  curieuse   façade  (-1    les  jolies 


parmi  lesquelles  il  faut  surtout  citer  le 
Haptistère  Saint-Jean  et  Notre-Dame 
la  Grande.  Le  Baptistère  Saint-Jean, 
témoin  du  zèle  religieux  des  premiers 
temps  de  la  chrétienté,  est  un  monu- 
ment unique  en  France.  La  fondation  en 
a  été  attribuée  à  l'empereur  Constantin, 
dont  on  y  a  retrouvé  une  image  équestre  : 
mais  il  a  été  remanié  au  xn"  siècle  et  fut 
décoré,  à  cettcepoque.de  peinluresniu- 
rales  dont  plusieurs  subsistent  encore 
La  construction  était  menacée  d'une 
ruine  absolue  quand  la  Société  des  an- 
tiquaires de  l'thiest  la  lit  acquérir  par 
ri'"(al  en   \X'M  pniir  la  restaurer. 


l'KOMKNADES    KN     l'OITDU 


POITIERS  —    NOTRE-DAME    LA    GRANDE 


Une  piscine  octogonale  existe  en  avant  :  vaisseau;  là  venaient,  les  hommes  et 
de  l'abside  et  deux  absidioles  circulaires  les  femmes  à  part,  la  foule  des  nouveaux 
s'ouvrent  dans  les  petits  côtés  du  grand   !   chrétiens  recevoir  l'eau  du  baptême,  et 


l'HOMKNADKS    KN     POITOU 


nul  endroit  ne  se  prêle  mieux  à  révo- 
cation de  ces  temps  de  foi  ardente. 

La  façade  de  Noire-Dame  la  (irande, 
ajoutée  au  xii"  siècle  au  vaisseau  con- 
slruil  pendant  le  xi"",  est  justement  cé- 
lèbre. Celle  admirable  page  de  stulplure 
est  le  plus  beau  spécimen  du  roman 
poileviii,  bleu  cpi'elle  s'écarte  un  peu  des 


divers  étapes,  elles  olFrent  un  exubérante 
succession  de  .symboles  de  toute  fantaisie. 
On  peut  s'imaginer  l'elTel  au  temps  où 
toutes  ces  (leurs  de  pierre  étaient  poly- 
chromes et  dorées. 

I/hisloire  de  Niort  ne  saurait  trouver 
place  ici.  Elle  se  confond  d'ailleurs  sou- 
vent  avec   celle   de   Poitiers.    Le    lourd 


^r^V»^ 


1  I  N  T  •  A  N  D  lî  É     K  T      I.  E     I)  ()  N  .1  1 


Iradilions  do  l'école  poitevine  propre- 
ment dite  pour  se  rap[)roclier  de  celle 
de  la  basse  Saintonge.  L'auréole  ovale 
du  pignon  renferme  le  Christ  accom- 
pagné des  quatre  évangélistes;  les  arca- 
tures,  qui  se  développent  sur  deux  rangs 
superposés,  contiennent  les  statues  des 
douze  apôtres  et  de  deux  évoques;  entre 
ces  arcalures  et  les  voûtes  des  porches 
se  présentent  Adam  et  Eve,  Nabucho- 
donosor,  dont  la  présence  est  inattendue, 
quatre  prophètes  et  des  scènes  de  la  vie 
de  la   Vierge.  Quant  aux  arcalures  des 


donjon  (pii  subsiste  a  été  construit  sous 
la  domiualion  anglaise,  et  l'église  Saint- 
André,  dont  les  fins  clochers  se  prolîlent 
au  lointain,  esl  un  joli  édifice  moderne 
dû  à  l'architecte  Segrelain. 

Quand  on  pénètre  à  Parthenay  par 
la  porte  Saint-Jacques,  bâtie  à  la  fin  du 
xii''  siècle,  après  avoir  passé  sous  l'ogive 
surbaissée  défendue  par  ses  hautes  tours 
crénelées  et  sous  la  herse  dont  la  coulisse 
existe  encore,  on  entre  dans  la  rue  de 
la  V'aull-Sainl-Jacques.  I'',lle  monte  à  la 
ville,  par  une  pente  raide,  avec  ses  deux 


l'IiUMKNADKS    KN     l'OlTOr 


Ih.l 


ruisseaux  de  pavés  disjoinls.  C'est  une  arriva  à  Parlhenav  en  1  i'Il  pour  lullcr 
évocalion  saisissante  du  moyen  âge.  '  contre  les  déprédations  de  Georges  de 
Rien  n'a  changé  depuis  des  siècles.   Les       la   Trémoille.   On  croit   voir  encore    le 


PARTHENAT     —    LA     RUE     DE     LA      VArLT-SAINT-JACgUES 


maisons  de  pierre  et  de  bois  ouvrent 
leurs  boutiques  du  rez-de-chaussée,  où 
il  ne  manque  que  les  étalages  de  jadis. 
C'est  par  là  que  le  connétable  de 
Richemont,  plus  tard  duc  de  Bretagne, 


peuple  mettre  la  tête  aux  fenêtres  des 
étages  surplombants,  la  foule  apeurée 
se  ranger  le  long  des  murs  et  entendre 
les  chevaux  d'armes  mêler  le  bruit  de 
leurs  fers  au  cliquetis  des  armures. 


l'HDM  ICNADKS     KN     l'OlTOU 


La  figure  du  cardinal  de  Uichelieu 
apparaît  dans  cet  ouvrage  à  Lii^-on  dont 
il  fut  évêque  ;i  vingt-deux  ans  en  l(j(W 
et  dont  il  ne  se  démit  qu'en  Kil'.H.  à 
J.oudun  et  à  liichelieu  niénie. 

(rliain  (Iraiidier,  le  curé  do  Lniidun, 


raconte  encore  dans  le  pays  que  la 
descendance  de  ses  juges  doit  s'éteindre 
il  la  septième  génération  et  qu'ils  sont 
reconnaissables  à  leurs  ongles  eu  forme 
de  griffes  de  loup. 

Peut-être  faul-ii  voir  un  autre  témoi- 


It  I  C  H  E  L  I  E  r 


Téivail    luiinliii'   aloi-s  (ju'il   élail    évéquc 
de    I-uçon  cii    lui  dis|)utant  le   pas  dans 
une    cérémonie     religieuse.     Grandier, 
esprit  distingué  et  charitable,  fut  accusé 
d'être  troj)  apprécié  de  ses  paroissiennes. 
Laubardemont   mena  le  ])rocès;   (îran- 
dier  était  condamne  à  l'avance.  On  lui 
présenta  le  crucifi.v,   poui-  une  suprême 
et  publique  é()reuve.   Le   pauvre  prêtre 
embrassa    le    Sauveur  de  ses  lèvres  ar-   1 
(lentes  de  lièvi-e,  mais,  à  l'effroi  de  tous,    | 
il   se  recida   avec  horreur  :   le  crucifix   ! 
de    fer   avait    été    chauffé    au     feu.    Le   [ 
19  avril   l(),'}i,  les  jambes  brovées  pai-  la    1 
(|ucstion,  il    fut  conduit  au   bûcher.  On    | 


gnage,  plus  certain,  de  l'expiation  dans 
ce   qui    reste  du   châleau  <le  Hichelieu. 

Les  ancêtres  de  l'iùninence  rouge 
possédaient  là  un  assez,  modeste  (ief  qui 
faisait  piètre  ligure  à  côlé  des  soni])tueux 
châteaux  voisins,  surtout  celui  de  Cham- 
pigny  qui  appartenait  à  la  Grande  Made- 
moiselle. Le  tout-puissant  ministre" 
exigea  la  démolition  de  ce  dernier,  et  la 
merveilleuse  chapelle  qui  en  subsiste 
ne  fut  sauvée  que  par  l'rbain  V'III. 

l"]n  1()2(),  deux  mille  ouvriers  commen- 
cèrent la  construction  d'inie  demeure 
qui  ne  devait  point  avoir  de  rivales. 

Un   château  ne   lui   suffisant  pas,   le 


l'UOMENADKS     KN     l'OITOIl 


Cardinal  voulut  édilier  une  ville  enlière 
là  où  il  n'y  avait  rien.  En  1639,  elle 
était  peuplée,  munie  de  privilèi,a^s. 

En  11)42,  tout  était  achevé..  Mais 
Richelieu  venait  de  mourir,  ;)yant  eu 
le  temps  de  faire  deu.\  seuls  séjours  de 


superbe,    silencieuses    comme    si     elles 
craignaient  d'éveiller  le  passé. 

Entre  ïhouars  et  Moncontour  de 
Poitou  s'élève  la  masse  du  'château 
d'Dyron,  témoin  désolé  de  splendeurs 
disparues.     Le     petit     parc,    sous     les 


'  H  A  T  E  A  L'      D 


.  I  I,  K      II  I  T  1 


quelques  heures  dans  ces  lieux  où  il 
comptait  reposer  sa  vieillesse. 

En  l'an  XI,  le  domaine  appartenait 
encore  au  dernier  duc  de  Richelieu  qui 
le  vendit  à  la  Bande  noire.  La  démoli- 
tion commença,  interrompue  un  instant 
par  une  idée  de  Napoléon  d'y  créer  un 
majorât,  et  poursuivie  depuis  à  tel 
point  que  rien  ne  reste  aujourd'hui  et 
que,  pour  retrouver  les  pierres,  il  faut 
les  chercher  dans  les  fermes  voisines. 

Par  une  ironie  dernière,  la  ville  est 
restée  presque  intacte,  mais  c'est  une 
ville  morte.  Les  maisons  et  la  grande 
rue   demeurent   dans    leur    ordonnance 


fenêtres  du  château,  a  été  morcelé,  et 
les  paysans  qui  le  détiennent  aujour- 
d'hui ne  le  rendront  jamais.  Guillaume 
Gouffier,  chambellan  de  Charles  VII  et 
de  Louis  XI,  possesseur  d'Oyron,  laissa 
un  fils,  Artus,  qui  suivit  Charles  \'III  à 
la  conquête  de  Naples.  Sa  veuve,  Hélène 
de  llangest-Genlis,  et  son  fils  Claude 
achevèrent  l'église,  rebâtirent  le  château 
sur  les  plans  probables  de  Philibert 
Delorme.  Il  occupa  ses  loisirs  à  créer 
les  fameuses  faïences,  dites  de  Henri  H, 
plus  rares  que  belles,  et  dont  un  chan- 
delier, acheté  50  francs  par  un  habitant 
de  Thouars,   devait  atteindre  plus  tard 


PItOMENAUKS    KN     POITOU 


le  iirix  excessif  de  It)  000  francs.  C/.h/c/c 
Gouftier,  qui  avait  épousé  cinq  femmes, 
mourut  en  ibl'2,  laissant  une  fortune 
territoriale  immense  et  des  richesses 
artistiques  qui  furent  dispersées. 

l.c    duc    de    l.i     l'V'uillade,    celui    qui 


couverte  de  sujets  tirés  de  l'Enéide  et 
que  Ton  a  attribués  à  Lebrun. 

L'hospice,  fondé  par  M""-'  de  Montes- 
pan,  existe  encore,  avec  ses  revenus. 
Dans  le  parloir  se  trouve  le'  portrait  de 
la  fondatrice  par  Mi^'nard.  Perdu  dans 


•HATE  .ir      DE      TEKKE- 


dépensa  un  million  pour  élever  au  yrand 
roi  la  statue  que  Ton  voit  sur  la  place 
des  Victoires  et  qui  était  entré  par 
mariaf^e  dans  la  famille  de  (louffier, 
alourdit  Oyron  des  massives  construc- 
tions du  style  du  .w  n"  siècle. 

C'est  à  Oyron,  qu'elle  avait  acheté 
310 000  livres,  que  mourut  la  marquise 
de  Montespan,  rachetant  par  des  bien- 
faits et  des  fondations  qui  existent 
encore  les  erreurs  de  sa   première  vie. 

Enfin,  en  1772,  le  chevalier  de  Roi- 
sairault-d'Oyron  acheta  le  domaine  au 
niaréchal-dui'  de  Villeroy. 

La  plupart  des  constructions  de  la 
Henaissance  ont  disparu  et  les  immenses 
pièces  inhabitables  sont  décorées  de 
peintures  du  xvn''  siècle  fort  lourdes. 
Une   paierie,   lonj^ue  de   ^^^   mètres,  est 


cette  solitude,  il  produit  un  étrange 
effet.  La  f^racieusc  attitude  de  la  mar- 
quise et  son  regard  ému  feraient  croire 
aux  sceptiques  que  l'amour  de  Dieu 
n'avait  pas  encore  totalement  chassé  de 
son  cœur  le  dieu  de  l'amour. 

Les  paysages  se  déroulent  nombreux 
dans  cet  ouvrage  et  choisis  de  façon  à 
évoquer,  eux  aussi,  les  souvenirs  de 
jadis.  Ici,  c'est  Hxoudun,  célèbre  autre- 
fois par  ses  fouasses  ou  galettes  de 
beurre,  de  sucre  et  de  fine  Heur  de  fro- 
ment. On  les  distribuait  aux  fêtes,  entre 
autres  à  la  Charilè  de  l;i  Blce,  à  Niort. 
On  trouve  dans  les  comptes  de  dépenses 
de  cette  institution  de  bienfaisance, 
en  I1H7,  que  le  pain  venant  à  manquei-, 
on  acheta  »  à  Jehan  .lidy  et  à  Pierre 
.losepht,  fiinnssicrs  (ri'"xondnn.  huit  cent 


PROMEN'ADKS    KN    POITOU 


tienle  fouasses,  qui  coulèrent  2  deniers 
la  pièce  'i.  C'est  le  cas  de  dire  que  faute 
de  pain,  on  mangje  du  g'àleau. 


raines  en  jouissaient  comme  usagères  el 
même  véritables  propriétaires. 

Depuis     1850,    ils    furent    en    partie 


:  U  A  T  E  A  U    DE    T  I  F  r  A  U  G  E  S    —     LA     C  F.  T  1'  T  E     DE     LA     C  H  A  F  E  L  L  E 


Voici  les  curieux  marais  de  Benêt.  Ils 
appartenaient  autrefois  aux  Templiers, 
et,    depuis  1470,    les    communes    rive- 


desséchés  et  donnèrent  à  cette  contrée 
une  physionomie  de  Hollande.  C'est 
dans  ces  humides  parages   que   vivaient 


i'1{(imi:nai)KS  i:n   I'oitou 


les  Colliberls,  disputant  les  poissons 
aux  loutres.  Leurs  descendants,  les 
Hullierx,  ont  continué  leur  existence; 
mais  leurs  maisons  sont  aujourd'hui 
plus  confortables. 

Hien  n'est  plus  intéressant  que  de 
passer  en  revue,  en  tournant  les  pages 
de  ce  bel  ouvrage,  les  nombreux  châ- 
teaux qui  peuplent  encore,  restaurés  ou 
en  ruine,  la  terre  poitevine  et  ven- 
déenne. Nous  rendrons  visite  à  quelques- 
uns,  et  l'on  ne  peut  mieu.x  débuter  qu'en 
entrant,  à  Fontenay-Ie-Conite,  au  châ- 
teau de  Terre-Neuve,  l'antique  manoir 
de  Nicolas  Hapin. 

Nicolas  Uapin  naquit  à  Fonlenay,  en 
1539.  Ce  fut,  comme  on  sait,  un  des 
auteurs  de  la  satire  Ménippée  qui  rendit 
plus  de  services  à  Henri  H' que  nombre 
de  ses  victoires.  Il  lit  construire,  en  1595, 
dans  sa  métairie  de  Terre-Neuve,  une 
demeure  appropriée  à  ses  goûts  où, 
comme  Ronsard  à  la   Poissonnière,  il  fit 


graver    des    devises    dans     le    goût    de 
celle-ci  : 

Vents,  Koufllcz  en  loulc  suisiiii 
lin  bon  ayr  cn-ccHe  niayson. 
Que  jiimnis  ni  iiévie,  ni  peste, 
Ni  les  niiiiil.\  qui  viennent  d'exeez. 
lùivie,  querelle  ou  |>rocc/ 
<Vu\  (jui  s'y  tiendront,  ne  niolesle. 

.Après  Rapin,  la  terre  passa  de  main 
en  main  jusqu'en  18^0,  époque  où  elle 
fut  acquise  par  le  grand-pèro  du  pro- 
priétaire actuel,  qui  est  M.  le  mar(|uis  de 
Rochebrune  et,  vraiment,  on  peut  faire 
aujourd'hui  une  heureuse  application 
des  vers  gravés  jiar  le  poète. 

M.  de  Rochehrune  est  un  sa\ant  et 
un  artiste  hors  ligne,  dont  les  eaux- 
fortes  sont  des  œuvres  d'une  puissance 
extraordinaire.  Nul,  aussi  bien  que  lui, 
n'aurait  pu  conduire  la  restauration  de 
cette  demeure  ainsi  qu'il  l'a  entreprise  et 
menée  à  bonne  lin,  y  ajoutant  même  des 
(iMni'Cs  in-ises  à  des  châteaux  voisins  en 


.  u  -  G  r  I  I,  I.  A  u  M  K  —    I. 


(HAT  K  A  U 


ph()Mi:nai)i:s  en  ponor 


POrZAUOES     —     I,E     CHATEAf     DES     ÉCHAIIDIÈRES 


ruine  et  sauvées  ainsi  de  la  destruction. 

C'est  un  cas  peu  banal  que  celui  de  ce 
g^entilhomme  imprimant  lui-même  les 
map:nifiques  planches  dues  à  son  burin 
dans  un  atelier  établi  sous  les  belles 
voûtes  du  château,  et  apparaissant,  dans 
ce  cadre  approprié,  comme  une  des  belles 
lig^ures  des  artistes  de  la  Renaissance. 

Pour  chercher  un  contraste  violent 
nous  irons  jusqu'à  TilTauges.  TilTauges, 
c'est  le  château  de  Barbe-Bleue.  Il  occu- 
pait léperon  formé  sur  le  confluent  de 
la  Crûme  avec  la  Sèvre-Nanlaise  et 
dominait  le  pays,  avec  son  enceinte  de 
\  ingt-quatre  tours,  sans  compter  d'au- 
tres travaux  et  son  donjon  énorme. 

Gilles  de  Rays  devint  possesseur  de 
TifTauges  par  sa  femme  qui  apparte- 
nait à  la  maison  de  Thouars.  Descendant 
des  Montmorency-Laval  et  des  maisons 
de  Machecoul  et  de  Craon.    il  combattit 


avec  Jeanne  d'Arc  et  s'illustra  au  siège 
d'Orléans.  A  vingt-six  ans  il  était  maré- 
chal de  France  et  escorta  Charles  VII 
au  sacre  de  Reims.  Mais,  après  la  mort 
dj  la  Pucelle,  il  alla  s'enfermer  à  TilTau- 
ges,  y  vécut  de  débauches  et  se  livra  aux 
pratiques  de  la  sorcellerie.  La  légende 
veut  que  ses  pourvoyeurs,  La  Mellraye 
entre  autres,  lui  amenaient  de  jeunes 
^enfants  qu'il  mettait  à  mort,  exaspéré 
par  ses  pratiques  d'alchimie. 

Arrêté,  condamné  à  Nantes  et  gracié, 
il  fut  poursuivi  à  nouveau  par  le  duc  de 
Bretagne  et  enfin  pendu  et  brûlé  le 
26  octobre  l44t). 

Il  subsiste  des  ruines  importantes  de 
cette  demeure,  entourée  d'une  sinistre 
légende. 

Aux  confins  du  Poitou,  du  Berry  et 
de  !a  Marche,  entre  le  Blanc,  Montmo- 
rillon   et    .Argentan    s'élève    le    château 


l'IiiiMKNADKS    i;.\     l'DlTOU 


(îuillauinc,  un  ck's  plus  éloniianls  lé- 
moins  de  la  vie  féodale.  Guillaume  I\, 
duc  d'Aquitaine  el  comte  de  Poitou, 
retour  des  Croisades,  en  commença  la 
construction  en  1101,  le  château  fut 
conservé  par  les  comtes  de  Poitou  pen- 
dant  lo  \n"  siècle,'  entra  dans  la  famille 


poussés  dans  les  tours;  seuls  l'entrée, 
la  lour  Trémoille  et  le  donjon  restaient 
debout.  Mais,  sous  la  végétation  qui 
recouvrait  les  décombres,  les  disposi- 
tions des  murailles  se  reconnaissaient. 
El  le  chartrier,  complet  dans  le  désordre 
de  son  amas  de  manuscrits,  était  intact. 


;  M  I  K  1!      k  T  A  i;  K  1 


des  l.a  rrémf)ille  qui  le  conserva  trois 
siècles  durant  cl  |)assa  en  l,"):2()  comme 
(lot  de  Jacqueline  de  la  Trémoille  à 
Claude  Gouflier  déjà  propriétaire  du^ 
château  d'Oyron.  En  16(10,  il  sort  de 
cette  famille  pour  a|ipartenir  aux  lîif- 
fanll,  puis  aux  l,n  l'\iirc.  I.e  2'.)  pluviôse 
an  \  1  (  171)8),  il  est  vendu  comme  bien 
national,  mais  pas  pour  longtem|)s,  car 
les  l.,a  l'aire  peuvent  le  rc|)i-eti(lrc  en  1 802. 
En  1878enlin,  il  enirc  dans  la  famille 
Koberl  de  Heanchanip  cpii  a  entrepris 
une  restauration  à  peu  près  terminée. 
Le  château  n'était  alors  qu'une  im- 
mense   ruine;    de   i;inn(ls  ai'bres  étaient 


La  restauration  dura  dix  ans  et  elle 
mérite  la  reconnaissance  de  tous  les 
g-ens  de  goût. 

La  Rochefaton  rappelle  le  souvenir 
du  marquis  d'Autieham[)  qui  y  mourut 
en  18.")',).  Lieutenant  de  Honcliamp,  sa 
conduite  généreuse  el  dévouée  a  laissé 
intacte  sa  mémoire  à  travers  les  cruelles 
péripéties  des  tristes  guerres  de  l'Ouesl. 
Le  château  n'a  conservé  de  sa  physio- 
nomie belliqueuse  au  moyen  âge  que 
sa  porte  crénelée. 

.Au  pied  de  Pouzauges,  qui  s'élève 
au-dessus  du  Bocage  vendéen  dans  une 
situation    comparable  à   celle   d'.\vi-an- 


l'UOMKNAUKS     K  N     IMUTOT 


ches  moins  la  mer,  est  le  vieux  Pouzauges 
et  son  éj;lise.  Son  dallaf;e  est  entière- 
ment formé  de  pierres  tombales  des 
anciens  seigneurs  de  la  contrée  au  milieu 
desquelles  se  sont  placés,  plus  modestes 
dans  leurs  inscriptions  funéraires,  les 
curés  de  la  paroisse.  L'éylise  est  sombre 


.  l<e  château  de  Dampicrre-sur-Hou- 
tonne  a  été  construit  au  xm'"  siècle  et 
la  ;;alerie  que  représente  notre  gravure 
a  remplacé  des  dispositions  défensives 
construites  au  xv"  siècle.  Jeanne  de 
\'ivonne  et  sa  lille  Claude-Catherine  de 
Clermont-Dampierre  ont  dirigé  la  con- 


C  II  .4  T  E  A  r     DE     M  A  U  C  O  X  X  A  1 


et  humide  ;  le  froid  descend  de  ses 
voûtes  et  des  verdeurs  de  mousse  pas- 
sent à  travers  les  tombes  que  Ton  ne 
peut,  en  marchant,  s  empêcher  de  fouler 
aux  pieds.  Nulle  part  la  tristesse  des 
choses  disparues  ne  paraît  plus  mélan- 
colique et  le  passé  plus  définitivement 
aboli. 

Les  anciens  manoirs  de  la  contrée 
presque  tous  aujourd'hui  à  l'usage  de 
fermes,  inspirent  les  mêmes  regrets. 
Nous  avons  choisi  la  gravure  représen- 
tant les  Echardières,  dont  les  construc- 
tions datant  de  diverses  époques  ont 
gardé  leur  aspect  pittoresque. 


struction  de  cette  galerie  et  inspiré  sans 
doute  les  allégories  figurées  dans  les 
quatre-vingt-treize  caissons  de  sa  voûte 
merveilleuse.  La  pierre  sculptée  y  parle 
un  langage  plutôt  mélancolique  :  "  Le 
sort  n'est  pus  le  même  pour  tons.  L'or 
ouvre  les  portes  fermèei.  Trop  Inrd 
connu,  trop  lot  laissé.  »  Mais  il  n'est 
pas  sans  courage,  car  on  y  lit  aussi  : 
<i  Frappé,  je  me  lève  ;  heurté,  je  rebondis. 
—  Plutôt  mourir  que  se  déshonorer.  •• 

-Mon  Dieu  !  J'ai  comballu  soixante  ans  pour  ta  gloiro, 
.l'ai  TO  tomber  Ion  temple  et  périr  ta  mémoire  .. 

Ruiné  aussi  le  château  de  Lusignan, 


PHOMENADKS    EN     l'OITOT 


bâti,  (lit  la  légende,  parla  fée  Mélusine, 
qui  était  la  merveille  du  Poitou  et  que 
Henri  III  fil  démolir.  De  là  était  parti 
Amaury  de  Lusif,'nan  pour  la  Palestine 
où  il  devait  épouser  la  sœur  de  Bau- 
douin, devenu  roi  de  Jérusalem  et  fon- 
dateur du  royaume  de  Chypre. 

Le    château    de    Marconnay,    un    des 
soixante   cl    un    fiels   qui    relevaient    de 


de  rivière,  des  hôtelleries  s'étendant 
sur  un  terrain  d'environ  '.i  hectares,  un 
théâtre  pouvant  contenir  à  ])eu  près  le 
même  nombre  de  personnes  que  le 
temple,  d'antres  subslructions  encore, 
telle  fut,  en  quelques  années,  l'œuvre 
acharnée  d'un  seul  homme,  faiblement 
aidé  par  le  gouvernement  et  entravé 
par  (les  difficultés  sans  nombre. 


iriNKS     G  AL  L  il-Rl]  M  Al  N  KS      DK      S  AUX  A  V 


.  i',       r  FI  f:  A  T  U  F. 


Lusignan,  subsiste  encore,  mais  aban- 
donné à  des  usages  rustiques. 

ICnfin,  pour  clore  ce  voyage  aux 
temps  de  nos  pères,  nous  remonterons 
plus  loin  encore  dans  le  passé.  C'est 
non  loin  de  Lnsignan,  à  Sauxay,  que,  le 
H  lévrier  ISMI,  le  H.  P.  Camille  de  la 
Croix  commençait  des  fouilles  qui  pas- 
sionnèrent le  monde  savant  et  mirent  à 
découvert  des  constructions  gallo-ro- 
maines dune  extrême  importance. 

Un  temple,  |)onvant  contenir  8000  per- 
sonnes, des  llieiMiics,  un  balnéaire  d'eau 


Va  l'd'uvre  du  U.  P.  de  la  Croix  nous 
permettra  de  terminer  comme  nous 
avons  commencé  en  parlant  de  M.  Ro- 
buchon.  Dans  une  patrie  qui  fut  la  plus 
belle  et  où,  dans  toutes  ses  provinces, 
les  monuments  i)roclament  la  grandeur 
du  passé,  l'inilialive  courageuse  de  (piel- 
ques  hommes  peut  nous  réconforter, 
mais  non  pas  nous  consoler  de  la  mes- 
quinerie générale  née  d'une  politique 
sans  aiii|il(~iir  et  sans  courage. 

A  .      C,>  I    A  N  T  I  \  . 


L'ARMADA 


Soub  les  yeux  tristement  ingénus  des  étoiles 

L'invincible  Arnnada  de  mes  rêves  lendit 

A  des  souffles  d'espoir  la  blancheui'  de  ses  toile?^ 

Ah  !  que  soit  à  jamais  par  nna  bouche  m^audit 
Cet  admirable  soir  de  printemps  où  ma  flotte 
Veps  l'incoiinu  du  large,  au  jusant,  descendit. 

Mes  vaisseaux  n'av 
Tant  les  havres  rêv 
Pour  boussole  ils  n 

Mais    ils  voguaient  vers  l'île  heureuse  où  les  des 
Font  régner  tendrement  la  Princesse  lointaine 
Dont  les  poètes  sont  les  sujets  clandestins. 

Mon  orgueil  pour  drapeau,  mon  cœur  pour 

(Capitaine  novice  et  qui  voilait  en  vain 

Ses  timides  candeurs  sous  sa_morgue  hautai 

Mon  Armada  vers  le  pays  d'amou 
Chaque  vaisseau  glissant  sous  la  brise  jol 
Ainsi  que  vers  Léda  le  grand  cygne  divin. 


HU  I.  ARMADA     VAINCUE 

Et,  naïf,  je  croyais  les  vents  coalisés 

Pour  hâter  le  voyage,  et,  de  ma  tour  d'ivoire 

Suivant  les  chers  vaisseaux  que  j'avais  nolisés. 

D'avance  j'écrivais  leur  merveilleuse  histoire 

Et  prévoyais  déjà  leur  retour  triomphant 

Sous  des  ciels  sonnplueux  parés  ï>our  ma  victoire! 


Mais  la  nner,  que  l'on  croit  soumise,  se  défend. 
La  paix  qu'elle  nous  offre  est  à  peine  une  trêve... 
Et  mes  vaisseaux  n'étaient  que  des  bateaux  d'enfant  ' 

Bateaux  frêles,  pour  qui  les  mares  de  la  grève 

Étaient  un  océan  et  la  voile  un  fardeau... 

Voici  ce  qu'il  advint  de  mes  vaisseaux  de  rêve  : 

Le  premier  s'éventra  sur  un  roc  à  fleur  d'eau... 
Le  brouillard,  ténébreux  complice  du  naufrage, 
Sur  les  yeux  du  second  appliqua  son  bandeau... 

Un  troisiènne,  tenté  d'on  ne  sait  quel  mirage. 
Changea  de  route  et  se  perdit  vers  l'horizon... 
Et  sur  ceux  qui  restaient  la  tempête  fit  rage 

Si  formidablement  qu'on  eût  dit  qu'un  Samson, 
De  la  voûte  céleste  ébranlant  les  pilastres. 
D'une  outre  Dalila  vengeait  la  trahison. 

Oh!  la  pitié  charmante  et  très  douce  des  astres!... 

Les  étoiles,  là-haut,  avaient  fermé  les  yeux 

Pour  ne  pas  voir  se  consonimer  tant  de  désastres!... 

Mais,  lorsque  le  soleil  s'épanouit  aux  cieux, 
Je  vis,  avec  les  flots  encor  blanchis  de  bave. 
Rouler  tout  un  ramas  de  débris  précieux... 

Des  morceaux  de  carène  et  des  lambeaux  d'çtrave. 
Des  ruines  sans  nom,  sans  forme,  sans  couleur... 
L'invincible  Armada  me  revenait...  épave  !.., 


Ah!  j'en  criai  de  rage  et  hurlai  de  douleur 
Et  j'accusai  le  ciel,  et  la  mer,  et  vous-même    , 
Qui,  lointaine,  ignoriez  sans  doute  mon  malheur 

Et,  dans  mon  désespoir  du  désastre  suprême. 
Demeurant  le  vaincu  mais  non  l'humilié, 
Mon  orgueil  vous  jetait  un  injuste  anathème. 


//' 


De  voire  chaniie 
Mais  je  compris, 
Que  mon  cœur,  e 


L"  ARMADA     \*  AINCUIO 

,e  alors  je  m 


s  délié. 

;up  fut  assagie, 

vait  pas  oublié.. 


Votre  image  tenait  ma  prunelle  élargie... 

Et,  des  premiers  espoirs   toujours  féru,  mon  cœur. 

Si  loin  de  vous,  se  languissait  de  nostalgie. 

De  quelle  annère  et  douce  et  subtile  liqueur 
Aviez-vous  donc  grisé  ce  cœur  vierge,  ô  Sirène, 
Qu'ainsi  l'iinllucintit   un  mirage  moqueur?... 

Vous  allez,  n'est-ce  pas,  bien  rire...  Voici,  Reine, 
Que,  pour  parachever  ma  défaite  d'aniour. 
J'ai   refait   un  c^not   d'un  débris  de  carène... 

Un  tout   petit   canot  étroit,  grotesque  et    lourd... 

—  Vagues,  vous  pouvez   bien   réserver  vos  colères, 

Il  n'en  a  pas   besoin  pour  sombrer  à  son   tour! 

J'ennbarqueral  tel  un  forçat  sur  les  galères 
Qui  résigne  son  cœur  aux.  pires  désespoirs 
Sachant  que  son  labeur  n'a  plus   droit 


A  Di 
Com 


X  sais 
L.'allégresse  intinie  des  beaux 


premier  départ  à  chf 
run  va  pleurer  demai 


ivertue... 
les  bossoi 


A  Dieu   vat!...  Je  suis  fils  d'une  race  têtue 
Que  sa  foi  mit  toujours  à  hauteur  du  péril. 
Et  puis,  de  tant  d'amour  je  vous  ai   revêtue 

O   Princesse  lointaine,  ô  poème  d'avril, 
Que,  malgré   tout  et  tous,  et  malgré  vous  p« 
Je  vous  apporterai  le  don  d'un  cœur  viril. 

Et  que  l'esquif  soit  frêle  et  que  le  flot  soit 
Comme  au  pôle  ignoré  se  dirige  l'aimant. 
Si  lointaine  que  vous  vouliez   bien  m'appar, 


ENTRÉE      UE     I,'f:iOI.E 


L'ECOLE    NATIONALE    1)  A(  ;  li  I  CULTU KE 
UK     CHKiNoN 


1mi  1826,  le  célèbre  ingénieur  Polon- 
ceau  se  préoccupa  de  créer  aux  envi- 
rons de  Paris  un  grand  élablissenienf 
agricole.  Il  intéressa  à  cette  idée  des 
savants,  des  propriétaires  fonciers,  et 
fonda  avec  eux  la  «  Société  royale  agro- 
nomique ». 

11  fallait  trouver  un  domaine  qui  put 
servir  à  la  fois  d'établissement  d'ensei- 
gnement et  de  démonstration.  Le  do- 
maine de  Grignon,  appartenant  à  la 
veuve  du  maréchal  Bessicrcs,  fut  acheté 
par  Charles  \  et  cédé  p:ir  lui  à  la  nou- 
velle Société. 

.Auguste  IJella  fut  nommé  directeur, 
et  l'organisation  fonctionna  pour  le 
compte  de  la  Société  agronomique  jus- 
qu'en 1819.  A  cette  date,  Grigno:i 
di'vini  inslilution  de  ri'"(al.  l,'oti>eiL'iie- 


nienl  était  alors  réparti  en  six  chaires  : 

Kconoinic  el  législation  rurales. 

.\griculliire. 

Zootechnie  ou  écunomiedu  bétail. 

Sylviculture  et  botanique. 

Chimie,  physique,  géologie. 

Génie  rui-al. 

Les  améliorations  successives  appor- 
tées à  l'enseignement  en  lirenl  la  pre- 
mière des  l''.coles  régionales,  puis  natio- 
nales, d'agriculture.  Ces  établissemenl> 
d'enscignenieiil  agricole  supérieur  sont 
actucllenu-nt  an  nombre  do  trois  :  (iri- 
gnon.  .Montpellier  cl  Menues  ancien- 
ncmcnl  '  iranil|ou.ui  . 


Le  domaine  de  (îrignon  fait  partie  du 
hameau   du    mcme    nom,    situé    sur    la 


LKCOLE    NATItiNAI.K    I)   A  (1  H  ICC  LT  U  li  K    DK    (JKKÎNON 


iDimminc  de  Thi\er\al,  ;i  'A'2  kilnuiMi-cs 
à  l'uucsl  de  Paris,  à  H>  Ivilomèlres  do 
\ersaillcs;  il  appartient  au  canton  de 
Poissy  et  à  l'arrondissement  de  \'er- 
sailles  ;  on  s  y  rend  de  Paris  (Montpar- 
nasse) par  la  ligne  de  Granville,  station 
de  Plaisir-Grif,''non. 

La  superficie  totale,  entourée  de  murs 
sur  près  de  11  kilomètres  d'étendue,  est 
d'environ  3'JO  hectares  comprenant  : 
l"J9  hectares  de  terres  cultivées,  liOhec'- 
tares  de  bois,  71  hectares  occupés  ])ar 
les  bâtiments,  pelouses  et  chemins. 

La  terre  de  Grignon  fut  érigée  en 
châtellenie  en  1585;  depuis  le  milieu 
du    \u''    siècle    jusqu'à    cette    date,    ce 


En  1585,  la  seigneurie  de  (irignon 
lut  transformée  en  châtellenie  en  faveur 
de  Pomponne  de  Itcliièvre,  chancelier 
de  l'"rance.  De  cette  époque  date  la  pro- 
spérité du  domaine.  M.  Le  Chenetier, 
curé  de  Thiverval,  qui  a  étudié  l'his- 
toire de  Grignon  et  des  fiefs  voisins,  ne 
peut  préciser  exactement  la  date  do  la 
construction  du  château  actuel,  ni  lo 
nom  de  celui  qui  l'a  fait  bâtir.  La  tra- 
dition assure  que  c'est  un  Pomi)onne 
de  Hellièvre  ;  est-ce  le  père  dont  nous 
venons  do  parler,  ou  le  fils  pour  qui 
Grignon  fut,  en  1651,  érigé  en  mar- 
quisat ? 

Le  style  du  château  indique  l'époque 


■  R  I  N  C  I  !•  A  L  E 


n'était  qu'un  simple  fief  de  médiocre 
importance.  La  duchesse  d'Etampes,en 
1546,  et  Diane  de  Poitiers,  en  1556,  re- 
vurent  Grignon  de  la  munificence  royale, 
eu  compagnie  d'autres  petits  fiefs  des 
alentours  qui  rachetèrent  par  leui' 
nombre  le  peu  d'étendue  et  de  rapport 
<lc  chacun  d'eux. 


Louis  XIII;  il  paraît  avoir  été  édifié 
dans  la  première  moitié  du  xviT'  siècle. 
Guillaume  de  Balard,  comte  de  Hrassac, 
en  était  propriétaire  lors  de  la  Révo- 
lution :  il  émigra  ;  ses  biens  furent 
vendus  :  Grignon  fut  acheté  par  Auguié, 
administrateur  des  postes,  beau-père 
du  maréchal  Xov.  cpii   fut  marié  à   Thi- 


19S  I.  ÉCOLE    NATIONAl.l-:    1)' A  G  U  1  C.  f  LT  U  R  E    DE    CKICNON 

vervjil    1p    17     lliermidor    an   X    (180"ii  i    n'en  a  que  [leu    :i11i'il'   la    ])livsionnniie. 

(Le  Chenetien.  I,e  chàlcau,  niodilié  inlérieiii-ciiienl  pour 

Napoléon    I'''^    acheta    le   domaine   de  recevoir  environ  cent  élèves,  a  cfinservc 

Grifrnon   pour    en    faire    don   au  niaré-  ses    belles    li^'nes    architecturales,    ses 

chai   Hessièrcs,    duc    distrie.     Celui-ci  briques  rouges   mêlées  de  pierres  blan- 


donna  de  belles  fêtes  et  reçut  plusieurs 
fois  l'empereur;  une  des  chambres  du 
château  posséderait  encore  le  lit  où  le 


ches,  son  haut  toit  d'ardoises  et  ses 
fossés.  Les  avenues  et  les  pelouses  res- 
tent bordées  de  grands   arbres.    On    a 


■  K  !■;  .M  1  K  TL  K 


I  U  R     n  F.     LA      l' i;  K  M  E 


j;rand  lionime  a  reposé.  Plusieurs 
pièces,  qui  sont  maintenant  des  salles  de 
cours  ou  des  dortoirs,  ont  conservé  les 
sculptures  et  les  ornements  dont  on  a 
revêtu  leurs  murailles  au  temps  du  duc 
d'Lstrie.  (]elui-ci  fut  tué  d'un  coup  de 
canon,  le  l'"''  mai  1813,  la  veille  de  la 
I)ataillc  de  Lut/en.  Sa  veuve  vendit  le 
(lomaiMc  |)(inr  7(t(M)()()  francs  au  roi 
('.iKirlcs  \,  qui  le  céda,  a\oiis-nous  dil, 
en  I.S2<'),  à  riiislilution  ro\alc  agrono- 
mique. 


I.a    Iransl'ormadon     dn     il(iinai[ie    ( 
élahlissemenl    d'onseiLmenicnl    aL'rici 


ajouté  en  face  du  corps  principal,  sui- 
une  petite  émiiience.  un  hàtinicnt  spé- 
cial pour  l'habilaliou  du  directeur  et 
les  services  de  la  direction,  .\u-dessous, 
devant  la  grande  façade,  un  modeste 
monument  rappelle  aux  jeunes  agro- 
nomes la  mémoire  d'.VugusIc  lîella,  ])re- 
mier  organisaleui-  de  renscigncnienl  à 
d'ignon  :  on  a  voulu  aiii^i  pci^péluer  le 
souvenir  des  sit\  ii-cs  ipie  \r  londaleur 
de  ("ii-ignon  a  r('n(hÈ>^  à  lagriculture  en 
lirésenlanl  cl  en  .ippliipiant  ce  précepte  : 
I.  L'anu'lioraliou  dn  sol  est  la  source  là 
plus  féconde  de  la  production  à  bon 
marché.  ••  «  I,e  soi,  c'est  la  pairie,  disait 
aussi  licUa;  anicliorei-  l'un,  c'est  servir 


I.  ÉCOLE    NATloNAl-K    1)  AGR  ICU  LT  L' I{  E    DE    GHIGNON 


l'aulre.  »  L'ne  promenade  dans  le  parc 
par  une  belle  journée  de  printemps  ou 
une  claire  soirée  dété  procure  quelcjucs 
heures  agréables.  On  s'égare  volontiers 
dans  les  allées  percées  en  tous  sens, 
dont  les  unes,  dans  le  voisinage  du 
château,  sont  très  fréquentées,  dont 
d'autres    plus   éloignées,    ou    grimpant 


remarquables  que  l'orme  en  question. 
l  ne  autre  curiosité  du  parc,  c'est 
l'allée  au\  Buis.  Le  sol  de  Cirignon  con- 
vient on  ne  peut  mieux  à  la  pousse  de 
cet  arbre,  que  l'on  rencontre  rarement 
avec  les  dimensions  qu'il  atteint  ici. 
L'hiver  de  187'J  a  détruit  les  plus  vieux 
troncs;  malgré  cela,  les  rejets  qui  da- 


XOrVEArX     L  A  BilU  ATOIRE.S     DE     CHIMIE     ET     TECHXOLO'ME 


sur  les  coteaux,  ont  toute  la  saveur  des 
endroits  peu  visités;  en  quittant  les 
chemins  sablés,  c'est  un  charme  de  plus 
que  de  fouler  une  épaisse  couche  de 
gazon  souple  entre  les  bordures  de  lilas 
et  de  tilleuls. 

Des  arbres  géants  ont  été  conservés 
et  contribuent  à  l'ornement  de  ces  belles 
futaies  où  dominent  l'orme  et  le  hêtre. 
Tous  les  anciens  Grignonnais  connais- 
sent le  gros  orme  situé  près  des  labora- 
toires ;  il  mesure  33  mètres  de  hauteur 
et  5"', 80  de  circonférence,  à  1"',20  du 
sol  ;  le  long  du  ru  de  Gally  qui  traverse 
tout  le  domaine  croissent  des  pla- 
tanes, dont   quatre  sont    presque  aussi 


lent  de  vingt  ans  sont  encore  assez 
forts  pour  former  de  chaque  côté  de 
l'allée  une  bordure  ayant  de  2  à  4  et 
j  mètres  de  hauteur.  Plus  loin,  sur  un 
coteau  aride,  le  buis  forme  un  taillis 
en  toylfes  vigoureuses  :  c  est  la  "  cote 
aux  Buis  ». 

L'allée  de  Thiverval.  qui  mesure 
1 80(t  mètres  en  ligne  droite  sur  une 
largeur  de  plus  de  30  mètres,  le  jet 
d'eau  avec  son  grand  bassin  circulaire, 
les  prairies  établies  sur  l'emplacement 
d'anciens  bassins  sont  des  restes  du 
domaine  seigneurial. 

On  rencontre  dans  le  parc  plusieurs 
sources  :  la  Cressonnière,  dont  l'eau  est 


I,   KCOLK    NATIONAI.li    l)' A  G  H  1  C.  f  I.TU  U  K    DE    GKICNON 


dérivée  sur  les  terrains  de  la  slatioii 
agronomique;  la  source  du  Maréchal, 
qui  alinienle  le  jet  deau;  la  petite 
source  de  Chantepic:  la  source  de  la 
Mare,  doul  l'eau  est  distribuée  dans 
riicole  et  les  différents  services. 

lîrignon  présente  encore  pour  le  tou- 
riste et  pour  le  chercheur  un  attrait 
que  peu  lui  connaissent  :  c  est  lamas 
étonnant  de  coquilles  fossiles  que  ren- 
ferme son  parc.  Le  calcaire  grossier, 
jaunâtre,  sableux,  friable,  s'y  montre 
avec  une  quantité  prodig'ieuse,  des  en- 
tassements, des  filons  de  coquillages 
bien  conservés  et  faciles  à  détacher  de 
leur  gangue. 

I,amarck  a  décrit  cl  ligure  près  de 
six  cents  de  ces  espèces  :  on  a  découvert 
douze  cents  nouvelles  formes  :  et  l'on 
peut  ajoulei'  que  les  conchyliologistcs 
n'épuiseront  jamais  la  richesse  des  falu- 
nières  de  Grignon,  dont  l'exploration 
se  fait  parallèlement  aux  fouilles  prati- 
quées pour  l'extraction  du  sable. 

Ce  grand  gisement  appartient  au  ter- 
rain tertiaire  inférieur  ou  éocène.  Le 
nom  de  falunière  qui  lui  est  donné  pro- 
\oquc  une  confusion  entre  1  âge  géolo- 
gique de  ces  sables  coquilliers  et  l'âge 
des  faluns,  si  connu  en  Roumanie  et 
dans  le  Bordelais;  cependant  il  peut 
être  justifié  par  la  grande  ressemblance 
des  sables  de  (îrignon  avec  les  faluns 
proprement  dits. 

C'est  une  roche  ]iulvérulente.  essen- 
tiellement calcaire.  ])étrie  de  débris  fos- 
siles dont  les  plus  nombreux  sont  des 
coquilles  de  mollusques,  des  oursins  et 
des  dents  de  requin,  l'aile  dépend  de  la 
formation  du  calcaire  grossiei-,  gt  c'est 
d'une  manière  tout  à  fait  exceptionnelle 
que  la  roche,  au  lieu  d'être  douée  de 
la  cohésion  qu'on  lui  connaît  dans  les 
moellons,  est  |)idvérulenle:  la  cause  de 
celte  différence  n'est  pas  bien  connue. 
M.  Stanislas  .Meunier,  qui  en  a  l'ail  une 
élude  allenlive,  reniiii-qne  tpie,  dans  la 
faune  malacologique  de  Crignon,  il  n'v 
a  pas  une  espèce  /.oologiquemenl  iden- 
tique:'! celles {pii  pullulent  dans  nos  mers. 


Ces  sites  variés,  ce  milieu  accidenté 
et  pittoresque,  au  fond  de  celle  petite 
vallée  fertile,  forment  une  situation  fort 
convenable  pour  de  futurs  agriculteurs 
aimant  les  champs,  les  bois,  la  vie  au 
grand  air.  Le  nombre  des  élèves  a  tou- 
jours été  en  progressant.  Il  était,  en 
188(1.  de  90,  tous  internes;  de  135  en 
18U(i  (H)(l  internes,  35  externes  :  de  2i(l 
en  18ll()  i  H'.'')  internes,  130  extei'nes  ; 
il  est  actuellement  de  •2'M\  ^M  internes. 
'.)6  externes,  1 7  auditeurs  libres,  '2t\  élèves 
en  congé  d'un  an  pour  service  mili- 
taire!, répartis  en  trois  promolions. 

« 
•    • 

L'admission  dans  les  l'.coles  natio- 
nales d'agricullure  a  lieu  |iar  voie  de 
concours.  Les  candiilats  doivent  être 
âgés  de  dix-sept  ans  accomplis  au  l'^ivril 
de  l'année  d'admission  et  adresser  leur 
demande,  sur  timbre,  au  ministre  de 
l'agriculture,  avant  le  15  juin. 

Les  épreuves  écrites  ont  lieu  le  pre- 
mier lundi  de  juillet  et  le  jour  suivant, 
dans  les  villes  désignées  par  le  ministre 
et  dont  voici  la  liste  actuelle  :  Alger, 
Amiens,  Bordeaux,  Clermont,  Dijon, 
Lyon,  Marseille,  Montpellier,  Nancy. 
Nantes,  Paris  (à  l'orangerie  du  Luxem- 
bourg), Rennes,  Toulouse,  Tours.  Ces 
épreuves,  ainsi  que  les  orales,  portent 
sur  le  programme  ci-après  : 

.\rilhnié(ique,  algèbre,  géométrie, 
physique,  chimie,  zoologie,  botanique, 
géologie,  et  comprennent  : 

1  "  Une  composition  françaiso: 

^^  .  >  2"  I.a   solution   d'un   probli-me  d'à- 

1       rillimt'liquc  ou  d  iiljîèljrc  cl  d'un 

'       problème  de  j;éonn.Hrie: 

/  3"  Une  composition  de  physique  cl 

„     .  1      de  cliimic: 

2''    jour.  -    ,  ,  ,,  ■,.  , 

)  1"  I  ne     composition     de     sciences 

(       naturelles. 

Les  épreuves  orales  sont  au  nombre 
de  trois  :  malhéinaliques,  [ihysique  cl 
chimie,  sciences  naturelles;  elles  ont 
lieu  en  août  à  "Angers,  Lyon,  Toulouse 
cl  à  Paris  à  l'Inslilul  national  agrono- 
mique. 


I,   KCOLK    NA'llONAI.K    1)   A  11  K  1  r.U  I, TU  II  K    DK    Hlili'.MlN 


Lcb   divers   titres   des   canclidats   leur 
assurent    d'avance  les    iioints  suivants  : 


Diplôme    des    licoles    nationales    vétrii- 

naires -'" 

Diplôme    de   licencie   es  sciences   ou   es 

lettres •     '■"> 

Certificat  d'études  physiques,  ehimiriues 

et  naturelles 1- 

Diplome    de   bachelier m 

Certificat  des  Écoles  pratiques  d'agricul- 
ture        ** 

lirevet  supérieur  de  l'enseignement  pri- 
maire          '^ 

l'remière  partie  du  diplôme  de  bachelier.       j 

C.ertifical  des  fermes-écoles :> 

lîrevet  élémentaire  de  l'enseipnement  pri- 
maire        ■' 

Les    élèves    sont    internes  .    denii-in- 
lornes   ou   externes  :    l'Ecole    reçoit    des 


but  de  l'ournir  au\  jeunes  j^cns  qui  se 
destinent  à  l'aj^'ricullure  l'cnscnible  des 
connaissances  scientifujucs  cl  pratuines 
qui  conduisent  à  la  bonne  e.\pl(iitation 
du  sol  et  du  bétail:  de  former  des 
hommes  connaissant,  avec  leurs  procédés 
et  leurs  conditions  d'e.\istcncc,  les  res- 
sources des  industries  ajîricoles;  avec  les 
détails  techni([ues  de  la  profession  la 
science  économique  qui  en  régit  la  mise 
en  œuvre.  Il  convient  pour  ceux  qui  se 
destinent  soit  à  l'enseignement  agri- 
cole, soit  à  la  gestion  des  domaines  ru- 
raux, pour  leur  propre  compte  ou  pour 
autrui. 

L'enseignement  de  Grignon  est  donc 
à  la  fois  théorique  et  pratique.  Les 
leçons  données  dans   les  amphithéâtres 


LABOIiATOIRE     DE     CHIMIE 


auditeur^ 
admis  à 
lernes. 


libres  :     les     étrangers     sont 
:e    titre    et  aussi    comme  ex- 


I,  enseignement    de    Grignon    a   pour 


demeureraient  stériles  si  elles  n'étaient 
complétées  par  les  travaux  pratiques 
effectués  dans  les  laboratoires  et  les  ob- 
servations quotidiennes  recueillies  dans 
les  champs  d'exercice,  les  jardins  bota- 
nique,   dendrologiqne  ,     maraîchers    et 


I.   KCOLK    NATIONALK    ir  A  G  lU  C.U  LT  Uli  K    D  K    GUIGNON 


fruitiers  et  dniis  une  iniportanlc  exploi- 
tation rurale.  Celle-ci,  installée  clans 
l'enceinte  des  murs,  à  coté  du  château, 
comprend,  avec  une  surface  cultivée  de 
plus  de  100  hectares,  une  vacherie,  une 
beuverie,  une  écurie,  une  berf^erie,  une 
porcherie,  une  basse-cour.  A  tour  de 
rôle  les  élèves  sont  chargés  des  diffé- 
rents services  de  l'exploitation  ;  ils  pé- 
nètrent dans  les  détails  de  l'exécution  ; 
ils  acquièrent  par  l'habitude  des  diverses 
opérations  le  savoir-faire  et  l'autorité 
indispensables  à  tout  chef  d'exploita- 
tion. 

Les  nialières  de  l'enseignement  sont 
réparties  en  cours  et  en  conférences. 

Cours:  agriculture;  botanique;  chi- 
mie générale  et  agricole  ;  économie  et 
législation  rurales:  jénie  rural;  géolo- 
gie et  minéralogie  agricoles;  sylvicul- 
ture, viticulture  et  pomologic;  techno- 
logie, zoologie  et  zootechnie. 

(Conférences  :  entomologie,  extérieur 
des  animaux  domestiques,  horticulture 
et  arboriculture,  pathologie  végétale, 
hygiène  humaine,  coni|)tabilité.  Les 
élèves  sont  astreints  à  des  exercices 
militaires. 

A  ri'x'ole  est  annexée  une  station 
agronomique  qui  comprend  un  champ 
d'expériences  et  un  laboratoire  d'ana- 
lyses. Le  laboratoire  fournit  aux  culti- 
vateurs tous  les  renseignements  de  na- 
ture à  les  éclairer  sur  la  composition 
des  terres,  des  engrais  et  dos  produits 
de  la  culture.  Le  champ  d'expériences 
a  été  installé  pour  l'essai  des  diverses 
espèces  d'engrais  et  pour  l'exécution 
des  expériences  de  culture  dont  les  ré- 
sultats sont  mis  sous  les  yeux  des  élèves. 

Des  excursions  complètent  les  appli- 
cations données  à  l'intérieur  de  l'éta- 
blissement ;  elles  sont  faites  dans  de 
grandes  ex[)loilalions  et  des  usines  agri- 
coles des  environs  de  Paris.  L'I'CcoIe  est 
^i  favorablement  située  qu'on  trouve 
dans  un  rayon  de  "20  kiloniètres  toutes 
les  variétés  de  len•aln^  :  les  vallées  de 
la  Seine  et  de  l.i  .Maulilie,  les  coteaux 
siliceux   de   Sèvres,  de    SaiMl-Ccrmaiii, 


les  collines  calcaires  de  Chavenay,  les 
plateaux  argileux,  etc..  offrent  des  études 
de  climats  variés  et  des  caractères  spé- 
ciaux des  différents  terrains.  De  grandes 
industries,  brasseries,  sucreries,  distille- 
ries sont  installées  dans  le  môme  rayon. 

Des  visites  au  marché  cl  aux  abat- 
toirs de  la  Villette  permettent  aux  élèves 
d'étudier  sur  place  les  caractères  des 
races  animales  et  les  transactions  dont 
sont  l'objet  les  bêtes  de  boucherie.  Dans 
les  grandes  écuries  de  la  caiiilale  Omni- 
bus, Petites  Voitures  et  autres  grandes 
industries  de  transport  ,  ils  étudient  les 
divers  types  de  chevaux  qu'ils  auront  A 
produire  ou  à  utiliser. 

Presque  tous  les  ans,  sous  la  conduite 
de  plusieurs  professeurs,  un  certain 
nomljre  d'élèves  s'en  vont,  pendant  les 
vacances  de  Pâques,  pour  un  long 
voyage  d'instruction.  L'ivcole  a  ainsi 
successivement  visité  la  Belgit]uc  et  la 
Hollande,  la  Suisse  et  l'est  de  la  France, 
la  Provence  et  la  Corse,  et  en  dernier 
lieu  la  Tunisie.  De  ces  voyages,  maîtres 
et  élèves  rapportent  des  souvenirs  agréa- 
bles et  des  documents  importants. 


Il  serait  sans  intérêt  de  relever  les 
indications  du  règlement  intérieur: 
mentionnons,  pourtant,  ce  qui  a  trait 
aux  services  de  l'exploitation  :  ces  ser- 
vices ont  une  durée  de  dix  jours,  au 
cours  desquels  les  élèves  qui  en  sont 
chargés  doivent  tenir  note  de  tous  les 
faits  qu'ils  ont  observés  et  remettre  un 
rapport  cjui  est  noté.  Ces  services  com- 
prennenl  : 

Le  service  des  cultures  ; 

Le  service  des  animaux  et  de  hiconr; 

Le  service  du  génie  rural  cl  dn  fonc- 
tionnement des  machines; 

Le  service  des  champs  d'élndcs  l'i 
des  jardins; 

Le  service  dn  jardin  liolauiiiuc  et  des 
collections  ; 

Le  service  des  observations  méléoro- 
logi(|nes. 


LÉCOLK    NAriONALli    1)  AGll  ICf  LTU  li  E    DU    CHIGNON 


Les  élèves  subissent  des  examens  par- 
ticuliers et  des  examens  -^'énéraux.  Les 
examens  particuliers  sont  faits  par  les 
répétiteurs  et  les  maîtres  de  conl'é- 
rences;  ils  sont  combinés  de  façon  que 
chaque  élèveen  subisse  un  par  semaine. 
Les  examens  généraux,  théoriques  et 
])raliques    sont    subis    devant    les    prn- 


mériler  le  di[)lôme,  ont  fait  preuve  de 
connaissances  suffisantes,  peuvent  rece- 
voir un  cerlilical  d'études. 

Ce  diplc'ime,  quoique  délivré  par  le 
ministre,  ne  confère  aucun  droit  à  une 
place  ou  un  emploi  déjjendant  de  I  ad- 
ministration de  l'afjriculture  ;  celle-ci 
n'assure  aucun    poste   aux  élèves  sortis 


fcsseurs.  à  la  lin  de  Tannée  scolaire. 
Les  notes  prises  au  cours  sur  des 
cahiers  spéciaux  sont  l'objet  d'une  ap- 
préciation qui  compte  pour  le  classe- 
ment. 

Pendant  les  vacances,  les  élèves  doi- 
vent rédiy^er  un  rapport,  sur  un  sujet 
de  leur  choix,  mais  d'après  un  pro- 
j^'rammc  qui  leur  est  remis  ;  la  note  de 
ce  travail  équivaut  à  celle  d'un  examen 
général. 

.A  la  fin  de  leurs  études,  qui  durent 
deux  ans  et  demi  par  exemple  du  mois 
d'octobre  1899  au  mois  de  mars  1902  . 
les  élèves  reçoivent  le  diplôme  des  Ecoles 
nationales  d'agricullure  :  ceux  qui,  sans 


diplômés  de  ses  établissements  d'en- 
seignement agricole.  Nonobstant,  ce 
diplôme,  ainsi  que  ceux  de  l'Institut  na- 
tional agronomique  et  des  Ecoles  natio- 
nales vétérinaires,  j)rocure  une  avance 
de  dix  points  dans  les  concours  pour  le 
poste  deprofesseurdépartemental  d'agri- 
culture. 

Aux  termes  du  décret  du  23  no- 
vembre 1889,  rendu  pour  lexéculiou 
de  la  loi  du  15  juillet  1889  sur  le  recru- 
tement de  l'armée,  les  jeunes  diplômés 
des  Ecoles  nationales  d'agriculture,  com- 
pris dans  les  quatre  premiers  ciiif/uiémes 
de  la  liste  de  mérite  de  ceux  des  élèves 
français   qui   ont   obtenu    pour   tout   le 


201  LKCOLE    NATIONALE    I)   A  G  l(  1  CU  I.T  L' l{  IC    DK    (jHlC.NON 


cour.-^  de  leur  scolarilt-  6j  pour  1(10  au 
moins  du  total  des  points  que  l'on  peut 
obtenir  d'après  les  règlements  desdites 
l-lcoles,  ne  sont  astreints  en  temps  do 
paix  qu'à  un  an  de  présence  sous  les 
<li-apeaux. 

Les  élèves  qui  accomplissent  leur 
service  militaire  soit  aussitôt  après  leur 
admission ,  soit  pendant  la  durée  de 
leurs  études,  sont  renvoyés  au  bout  d'un 
an  dans  leurs  foyers;  mais  ils  doivent 
piodnirc  leur  diplôme  dans  les  condi- 
tions rec|uiscs  avant  1  àj^e  de  vingt-six 
ans.  sous  peine  d'être  rappelés  pour 
deux   autres  années   de   service. 


Soixante-treize  promotions  se  sont 
succédé  à  Grignon  depuis  la  fondation 
de  l'Ecole  ;  1  .'J30  élèves,  environ,  en 
sont  Sortis  di])loniés  ;  ItiO  font  partie, 
en  France  ou  à  l'étranger,  des  admi- 
nistrations de  l'agriculture  et  de  l'en- 
seignement agricole  ;  (i(Ht  sont  des  jiro- 
priélaires  ou   des    agricullcnrs  :    il   faut 


remarquer  que  ce  dernier  clulFre  est 
certainement  inférieur  à  la  réalité,  car 
la  situation  do  beaucoup  d'anciens  élèves 
est  restée  inconnue. 

La  dure  loi  de  la  concurrence  et  de 
la  lutte  pour  la  vie  qui  restreint  sou- 
vent, dans  d'autres  écoles  profession- 
nelles, les  relations  des  anciens  élèves, 
ne  se  fait  pas  sentir  ici  avec  la  même 
sévérité  :  il  existe  une  grande  solidarité 
entre  les  anciens  et  les  jeunes;  ceux-ci 
mettent  souvent  à  profit  l'expérience  et 
les  conseils  de  leurs  aines. 

L'Kcole  de  (îrignon  a  du  son  dévelop- 
pement et  ses  succès  à  sa  situation  favo- 
rable et  à  l'orientation  de  son  enseigne- 
ment. On  s'y  est  toujours  proposé,  en 
donnant  les  meilleurs  exemples  de  cul- 
ture, d'élever  l'instruction  des  élèves, 
fie  répandre  les  progrès  de  la  science 
moderne.  Elle  reste  ainsi,  suivant  la 
pensée  de  ses  organisateurs,  une  pépi- 
nière d'agronomes  insli-uils. 

1'.  Di-cn  A  MHICK. 


MAISONS    DE    PARIS   IIISTOUIUIKS   .^    CT  UIKI'SKS 


Paris  est  pour  le  curieux,  pour  celui 
même  qui  seulement  sait  voir  et  re- 
garder autour  de  lui,  une  mine  inépui- 
salile  de  sujets  d'observation. 

11  existe  en  quelque  sorte  deux  Paris  : 
ce  que  Ton  [)ourrait  appeler  le  Paris  cou- 
rant, le  Paris  usuel,  qui  est  celui  des 
alFaires  journalières,  celui  de  la  vie  uti- 
litaire et  des  plaisirs  ;  et,  à  côté  de  celui- 
là,  le  Paris  pittoresque,  tout  aussi  vi- 
sible mais  non  regardé,  que  ses  habi- 
tants remarqueraient  et  connaîtraient  si 
justement  ils  n'y  habitaient  pas. 

Car,  à  force  d'avoir  toujours  certaines 
choses  devant  les  yeux,  on  finit  par  ne 
plus  s'apercevoir  qu'elles  sont  là:  et 
(piant  à  celles  que  l'on  sait  exister,  que 
l'on  n'ignore  pas  être  belles  ou  curieuses, 
mais  qu'il  faudrait  rechercher  et  ex- 
jilorerun  guide  à  la  main,  comme  si  l'on 
débarquait  un  beau  matin  dans  n'im- 
porte quelle  ville  étrangère,  on  songe 
rarement  à  s'en  inquiéter  et  l'on  en 
riMuet  toujours  le  souci  à  la  semaine 
suivante.  Il  y  a  de  tout  dans  Paris! 
Chacun  y  peut  trouver  son  compte. 
Que  d'industries  bizarres  s'y  exercent  1 
que  de  mœurs  diverses  à  étudier!  que 
d'œuvres  d'art  entassées! 

Prenez  simplement  les  maisons  :  ces 
grands  cubes  de  pierre,  ces  boîtes  ali- 
gnées où,  dans  des  cases  superposées, 
s'entasse  plus  ou  moins  incommodément 
sa  population,  se  ressemblent  toutes  à  vol 
d'oiseau  et  à  première  vue.  En  chacune 
d'elles  cependant  revit  une  époque  dif- 
férente, chacune  d'elles  est  un  différent 
tvpe  de  notre  architecture  et  de  son  his- 
toire. En  vain  le  vandalisme  de  l'homme 
a  détruit,  et  détruit  toujours,  on  peut 
suivre,  aujourd  hui  encore,  la  transfor- 
mation de  l'habitation  parisienne  'en  sa 


forme  extérieurei  à  peu  ])rès  saiis  la- 
cunes, depuis  le  temps  où  s'éleva  Noire- 
Dame,  c'esl-à-dire  depuis  six  siècles  en- 
viron. 

Devant  nos  yeux  étonnés  délileronl  la 
maison  à  pignon  pointu  du  vieux  llouen, 
la  pierre  et  la  brique  de  la  Touraine. 
l'architecture  puissante  de  Versailles  el 
celle,  plus  légère,  de  Trianon,  le  style 
néo-grec  du  premier  Empire.  C'est  —  en 
nous  tenant  strictement  à  l'habitation 
particulière,  à  la  maison  privée  —  c'est, 
dis-je.  cette  succession  de  styles,  cet  en- 
chaînement de  types  que  nous  vou- 
drions montrer  aujourd'hui,  aidé  par  la 
photographie  qui  est  le  document  gra- 
phique par  excellence. 

Nous  n'étonnerons  personne,  j'ima- 
gine, en  disant  qu'il  ne  subsiste  aucun 
type  de  la  maison  gauloise,  alors  que 
Paris  s'appelait  Lutèce  et  n'était,  au  mi- 
lieu de  marécages  et  de  forêts,  qu'une 
bourgade  dans  l'ile  actuelle  de  la  Cité: 
les  maisons  étaient  des  huttes,  et  voilà 
tout. 

Les  premières  constructions  en  pierre 
datèrent  sans  doute  des  Romains.  Il  nous 
en  reste  un  vestige  avec  les  Thermes  de 
.Julien,  aujourd'hui  attenant  au  Musée 
de  Cluny  ;  c'était  une  sorte  de  maison 
(le  plaisance  que  s'était  l'ait  bàlir  là  cet 
empereur,  attiré,  a-t-il  dit  lui-même, 
par  la  beauté  du  site,  la  douceur  du 
climat,  l'excellence  des  vignes  et  la 
pureté  de  l'eau  de  la  Seine.  Les  ruines 
du  lepidarium  (salle  des  bains  chauds,, 
et  celles  surtout  du  frigidarium  (salle 
des  bains  froids'l,  qui  est  demeuré  à 
peu  près  entier  avec  ses  huit  colonnes 
sculptées  en  proue  de  navire  cl  sa  voùle 
de  18  mètres  de  haut,  sont  encore  fort 
imposantes. 


MAISONS    1)K    l'AlilS    II  ISTdliliOlKS    KT    C.riUKr 


Mais  les  F"raiics  remplacent  les  Ho- 
mains,  et  l'on  recommence  à  b.îtir  en 
bois;  rien  ne  demeure  des  maisons  de 
celle  époque,  que  des  incendies  détrui- 
saient d'ailleurs  réLTulièrt-nioiit .  Il  en  fut 


M    \  I  S  1 1  N     . 

l:  i:  K    l'iiANi 


V  1  11  MIN- 
US -  M  I  n  I 


ainsi  pendant  des  siècles,  et  aucune  ha- 
bitation contemporaine  des  Mérovin- 
ffiens  ni  des  Carlovinpicns  n'a  subsisté. 

Cependant  Paris  j;raiidil  sous  les  Ca- 
pétiens; Philippe-Aujjuste  l'entoure  d'un 
l'ossé.  à  partir  du  pont  actuel  d'Austei'- 
lit/.  jusqu'au  Pont-Uoval  approximati- 
Ncnient  ;  les  i-ues  en  sont  pavées  et  les 
maisons  se  bâtissent  en  pierres  que  1  on 
tire  des  carrières  de  la  montagne  Sainle- 
(jeneviève;  on  y  voit  déjà  comme  prin- 
cipaux monumeuls  ;  Sainl-Julien-le- 
Pauvre,  le  collèfje  d'IIarcourt,  une  Sor- 
bonne.  un  I>ouvre,  la  Tour  du  Temple, 
et  Notre-Dame  qui  s'élève. 

C  est  I  époque  de  la  maison  à  |ii;;Mi>n, 
dont  le  toit  à  angle  aif,'u  sur|)liind>ait 
souxenl  sur  la  rue  et  rejoif^nait  presque 
celui  de  la  maison  d'en  face,  l'époque 
clés  portes  oj^ivales  et  des  tourelles. 

Il  existe  encore  à  Paris  quelque.s-unes 
(le  ces  maisons,  qui  se  font  chaque  jour 
de  plus  en  plus  rares. 

Nous  en  trouvons  rue  Galande  iqui 
\a  de  la  rue  Saint-.Iactpies  ;i  la  rue  l.a 
Grande,  entre  la  place  Manbcrt  et  Notre- 
Dame,  l'^n  cherchant  bien,  on  en  trouve 
I  ncore  quelques-unes  éparses  derrière 
I  Hôtel  de  N'ille  et  la  caserne  Lobau, 
1  ne  François-Miron  par  exemple,  où  est 
~ituée  celle  que  nous  donnons  ici. 

Dans  ce  même  coin,  la  rue  Crenier- 
sur-l'Eau,  (|ui  aboutit  à  l'abside  de  l'éffliSb 
Sainl-Cervais  et  Saint-Protais  dont  la 
lour  et  les  •jarffouilles  fjothiques  com- 
plètent son  aspect  moNen-àj.i:eux,  nous 
lionne  une  idée  assez  exacte  des  ru,clles 
iVtides  d'alors,  espèces  de  tunnels  hu- 
mides et  gluants.  Qui  croirait  que  l'on 
rst  là  à  trois  minutes  de  la  rue  de  Mivoli 
il  de  ses  tramways? 

Des  constructions  que  nous  venons  de 
rilei-,  les  plus  anciemies  ne  doivent  pas 
iiiiiiinlir  plus  haut  que  la  lin  du 
\i\'  siiH-ic  ;  mais  c'était  à  peu  près  sur 
ce  modèle  ([ue  l'on  bâtissait  tlepuis  long- 
lemps.  Ajoutons  {pie  des  décorations 
\ariées  ornaient  les  fa^-ades,  poutrelles 
sculptées  cl  enseignes  plaisantes  :  la 
Truie  i/iif  /Ile:    l'Ane   (/ni  jutie  Jf  la 


MAISONS     IiK     PAlilS     11  ISTdiiKjrKS     KT     C,  f  li  1  K  T  S  KS 


tielle:  h-  Ch;il  </iii  pOchc:  la 
Femme  sans  léle,  elc.  l  ii 
iirnenienl  IVéqueiil  était  Var- 
l)re  de  Jessc.  «  Dans  la  vue 
Saint-Denis,  à  lanfjlc  t\e  la 
luc  des  Prêcheurs,  on  iioiil 
voir  l'arbre  généalogique  de 
.lésus-Clirist  sortir  du  (lanc 
de  Jessé,  portant  sur  ses  bran- 
ches latérales  douze  rois  de 
.luda,  et  sur  son  rameau  le 
plus  élevé  la  mère  du  Sau- 
^•eur;  il  monte  ainsi  jusqu  aux 
combles  d'une  maison  de  la 
lin  du  x\''  siècle.  » 

Voilà  pour  les  maisons  du 
peuple  ou  des  bourgeois  de 
celte  éi)oque  ;  des  hôtels  par- 
ticuliers à  l'usage  des  grands, 
des  hôtels  ;i  tourelle,  il  nous 
reste  un  remarquable  spéci- 
men avec  l'hôtel  de  Sens  qui 
porte  aujourd'hui  le  n"  1  de 
la  rue  du  Figuier,  à  quelques 
jias  du  quai  des  Céleslins, 
entre  la  Seine  et  le  l'aubourg 
Saint-.\ntoine.  Il  est  en  eiret. 
ainsi  que  l'hôtel  Clunv  que 
tout  le  monde  connaît,  de- 
meuré intact  dans  ses  grandes 
lignes,  et  une  quantité  desou- 
\enirs   précis  s'y  rattachent. 

11    a    paru    ici    même    une 
étude  spéciale  sur  cette    de- 
meure seigneuriale,  bcàtie  de 
147,")  à  l.")19  par  l'archevêque 
de  Sens,   Tristan  de  Salazar. 
Nous  rappellerons  seulement 
([u'après  avoir  été  habitée   par   le   car- 
dinal Duprat,  chancelier  de  France  sous 
François  I"'',  par  le  cardinal  de  Pellevé, 
ligueur  infatigable,   par   AJarguerite  de 
France,  femme  divorcée  de  Henri  IV  et 
dont    les    frasques    amoureuses    ne    le 
cédaient  en  rien  à   celles   de  son   roval 
époux,  la  vieille  maison  gothique  devint 
—  déchéance  des  choses  !  —  le  bureau 
lie  la  diligence  de  Lyon  et  des  carrosses 
d  Auvergne:  les  routiers  séchèrent  leurs 
bottes  sales  devant   les  grandes  chemi- 


<     \     TOURELLE,    RUE     H  .1  U  T  E  f  E  U  I  L  L  E 

nées  au  feu  desquelles  les  archevêques 
chauffaient  jadis  leurs  mains  gantées  de 
violet.  En  1830,  la  Révolution  de  Juillet 
planta  un  boulet  dans  sa  façade,  et 
aujourd'hui,  dernier  mépris  de  son 
passé,  l'immense  tableau  d'une  Com- 
pagnie d'affichage  s'y  étale  impudem- 
ment. 

N'oublions  pas,  avant  de  quitter  le 
Moyen  Age,  de  citer  l'élégante  tourelle 
gothique  qui  se  trouve  au  coin  de  la  rue 
des  Francs-Bourgeois  et  de  la  rue^"ieille- 


MAISONS   iiK   l'Aiiis   II  is  ri)i(iori:s   i;r  cr  uikisks 


(lu-Tem[)le.  Peul-('tre,petulaiil  In  nuit  du 
"JO  novemlirc  I  i(>7,  vit-elle  le  duc  d'Or- 
léans, qui  sortait  de  l'hôtel  Harbette 
situé  un  peu  plus  loin,  assailli,  renversé 
de  sa  mule  et  abaltu  à  coups  de  hache 
et  d'épée  [wr  les  hommes  de  Jean  sans 


1  U  II     C  H  A  K  L  F,  M  A  G  N  K  , 


Peur;  pcut-èli-o  ceu\  tpii  riiaiiitaicnl  cl 
<l(int  la  tèlc  elfarce  s'était  mise  à  ses 
éti'oitcs  fenêtres  entendirent-ils  l'homme 
de  haute  taille,  au  chaperon  rnu^e  baissé 
sur  les  yeux,  qui  avait  présidé  au  mas- 
sacre, dire  :  «  hUei^^ne/.  tout  et  allons-nous- 
en,  il  est  mort!  "  Ce  que  fwent  alors  les 
assassins,  c|ui  s'enfuirent  en  criant  :  "  Au 
feu!  ,ui  feu!  "  el  se  sanvèrenl. 


Nous  donnons  une  autre  tourelle  du 
même  f;enre  el  de  la  même  époque,  moins 
connue,  elqui  se  trouve  rue  llautel'<'uille, 
près  i'Kcole  de  médecine. 

.Avec  l'hôtel  de  Sens  nous  étion;-.  tout 
à  l'heure,  encore  dans  l'arcliilecture 
golhi(iue  el  l'i''o- 
dale:  nous  avons 
vu  cependant  qu'il 
ne  l'ut  achevé  de 
bâtir  qu'en  lôlll, 
c'est-à-dire  sous 
François  1" ,  en 
pleine  Reniris- 
sance  :  et  c'est  un 
fait  assez  curieu.v 
que  ce  soit  jusle- 
menl  ce  dernier  cl 
tardif  spécimen 
d'un  style  prêt  à 
disparaître  qui 
nous  ail  été  con- 
servé, l.es  j,'uerres 
d'Italie  avaient,  en 
elTet.  amené  en 
France  des  nid'urs 
et  un  art  nouveau 
inspiré  de  l'anli- 
qiiité  grecque  el 
du  paganisme.  Au- 
tres temps,  autres 
usages,  autre  litté- 
rature, autre  archi- 
tecture ,  tout  se 
tient  dans  l'his- 
toire des  civilisa- 
lie  ins  humaines. 

Il  nous  reste  re- 
lalivemenl  peu  de 
"  ^  M"  I  ">■!■:  maisons  privées  <le 

(l'Ile  période  si  fé- 
inndi'  |i(inrl;inl.  pérlnde  de  laquelle  dalc 
la  picmu'rc  spiiMidour  du  Louvre.  Hean- 
coup  onl  été  démolies  ou  défigurées. 

Ine  maison  bien  curieuse  nous  marque 
d'abord  la  transition  du  gothique  au  style 
nouveau,  cai-  rien  ne  se  fait  par  brusques 
sauts  dans  la  nature  ni  dans  l'.'u-l .  l-'lle  est 
située  cour  (-harlemagne,  laquelle  doinie 
i-uc  Sailli- Antoine  :  on  y  pénélre  p.irune 


entrée  étroite,  on  suit  une  sorte  de  pas- 
sage d  aspect  rébarbatif",  avec  des  grilles 
et  une  herse  de  fer,  et,  dans  la  troisième 
ou  quatrième  cour,  l'on  se  retourne  et 
Ion  se  trouve  en  face  de  ce  monument 
intéressant.  Dans  une  épaisse  tourelle 
octogonale  monte  1  escalier  dont  la  fe- 
nêtre supérieure  a  conservé  la  l'orme  ogi- 
vale du  Moyen  Age  ;  mais  de  chaque  côté 
se  développent  deux  bâtiments  ornés 
d'architecture  ionique  et  de  cariatides 
semblables  à  celles  que  Jean  Goujon 
sculptera  pour  l'hôtel  Carnavalet.  Quant 
aux  fenêtres  de  la  toiture,  elles  portent 
déjà  le  large  fronton  à  la  Du  Cerceau. 
Singulier  mélange  dont  l'unité  prouve 
cependant  que  l'on  n'est  point  là  en  face 
de  morceaux  juxtaposés,  mais  bieri  en 
face  d'une  œuvre  de  transition. 


La  maison  dite  de  François  l'"''  et  qui 
se  voit  au  Cours-la-Reine  nous  donne, 
par  un  contraste  immédiat,  le  type  com- 
plet de  l'art  de  la  Renaissance,  l'anti- 
pode absolu  de  la  maison  gothique.  Au 
lieu  du  toit  pointu,  le  toit  plat,  terrasse 
même  plutôt  que  toit;  au  lieu  de  l'écra- 
sement entre  les  maisons  voisines,  la 
forme  carrée  et  quatre  claires  façades  ; 
au  lieu  des  grimaçantes  figures  d  hier, 
une  ornementation  élégante  et  joyeuse, 
symbole  vivant  de  la  délivrance  des  an- 
ciennes terreurs  et  de  la  joie  de  vivre 
qui  reprenait  les  hommes. 

Pour  ce  qui  concerne  le  gracieux  mo- 
nument dont  nous  parlons,  c'était  pri- 
mitivement, comme  chacun  sait,  un  pa- 
villon de  chasse  que  François  I"  avait 
fait  bâtira  Moret,  en  15-2.3.  Il  y  demeura 


MAISONS    1>K     PAlilS     II  ISTolUgLlCS    KT    C.  LMt  I  K  f  SKS 


jusqu'en  1823 .  époque  où  il  fui  trans- 
porté el  rebâti,  à  Paris,  pierre  par  pierre. 
I)ans  la  corniche,  on  lit  en  lalin  : 

Qui  sait  réfréner  sa  lant/ue  et  tlumpter  »es  gens 
Est  plus  puissant  que  celui  dont  la  farce  iviicerwi 
les  villes. 

Lallique  est  orné  de  bas-reliefs  re- 
présentant des  Génies  et  des  f^uirlandes; 
les  angles  sont  décorés  de  pilastres,  et 
au-dessus  des  arcades  du  rez-de-chaussée 
est  une   frise   que  1  on   adribue  à    Jean 


Goujon.  Quant  aux  niédaiil(iii>  rcpri-- 
sentanl  Louis  Xll,  Henri  11,  l'raii- 
çois  II,  la  reine  Marf;uerite,  Amie  de 
lîretagnc  el  Diane  de  l'oiliers,  ils  sont 
d'une  époque  postérieure. 

De  l'hôtel  Scipion  Gardini,  gentil- 
homme italien,  écuyer  de  Hein-i  II, el  qui 
se  trouve  rue  Scipion,    entre   le  .lardin 


des  Plantes  et  les  Gobelins,  il  i-esle  un 
corps  de  bâtiment  mélancolique,  en 
brique  et  pierre,  avec  quelques  bustes 
écorniflcs  et  des  arcades,  en  |)artie  ob- 
struées par  des  constructions  parasites, 
sous  lesquelles  on  aperçoit  circuler  silen- 
cieusement des  gens  enfarinés.  Là.  en 
effet,  est  établie  aujourd'hui  la  Boulan- 
gerie centrale  des  hôpitaux.  Les  autres 
constructions  qui  englobent  ce  ilébris 
sont  du  x\n''  siècle,  épocjue  à  laquelle 
riIôtel-Dieu  acheta  la 
maison  et  \-  établit  une 
de  ses  annexes. 

1  >ans  le  même  quar- 
tier, rue  de  la  Heine- 
Hlanche.  était,  parait-il. 
l'hôtel  où  Charles  NI. 
déguisé  en  homme  sau- 
vage, faillit  être  brûlé 
vif  ;  je  n'en  ai  j)lns  trouvé 
aucun  vestige. 

Cependant  le  mélange 
(le  la  bri(|ue  rouge  et 
<le  la  pierre  de  taille,  que 
MOUS  avons  vu  apparaître 
avec  1  hi'ilel  Sci|)ion,  va 
se  généraliser  de  plus  en 
plus  et  devenir  la  grande 
mode;  deux  places,  dif- 
féremment célèbres  cl 
bien  connues,  nous  ont 
conservé  à  peu  près 
intactes  leurs  maisons 
de  cette  éprique.  L'une 
est  la  place  Hojale  , 
dite  ])lace  des  N'osges  ; 
l'autre  est  la  place  Dau- 

pluMC. 

La  place  Movale  est, 
coinnie  chacun  sait, 
<'nlre  la  iin-  \ieille-dn- 
TcMipIc  el  la  Bastille,  dans  ce  quartier 
Saint-. \nloine  qui  \a  nous  fournir,  avec 
le  quailier  du  Temple  el  celui  du  Ma- 
rais, les  ty|)es  de  maisons  ol  d'hôtels 
les  plus  intéressants  |)endanl  près  de 
deux  siècles:  là,  durant  tout  ce  temps, 
se  •concentrèrent  la  vie  riche  et  la  vie 
intellectuelle.     |)i'|)uis    longtemps    iléjà 


MAISONS    UK    l'AItlS    II  ISrolilQL'KS    KT    Cl"  1{  I  KU  SKS 


les  rois  ;ivaieiil  leur  palais  ilans  ce 
quartier.  Ils  avaient  habité  d'abord 
l'hôtel  Sainl-Paul,  bâti  par  Charles  \' 
<'  pour  ses  j^rands  ébattenienls  et  plaisirs 
divers  »,  en  1364,  et  qui  allait 
à  peu  près  de  la  rue  Saint- 
Auloine  actuelle  jusqu'à  la  Seine, 
avec  ses  immenses  jardins  plan- 
tés d'arbres  fruitiers  et  de 
vignes,  avec  ses  basses-cours  et 
sa  ménag;erie  d'animaux  féroces, 
dont  les  noms  des  rues  actuelles 
ont  conservé  le  souvenir  (rue  de 
la  Cerisaie,  rue  Beautreillis,  rue 
des  Lions-Saint-Faul),  Là  pas- 
sèrent Charles  VI  et  Isabeau  de 
Bavière,  Charles  VII,  Louis  XI, 
Charles  VIII  et  Louis  XII.  Mais 
il  fut  délaissé,  et  de  l'autre  côté 
de  la  rue  Sainl-.Antoine,  où  se 
donnaient  toutes  les  fêtes  de  la 
cour,  joutes,  courses  de  baji^ues, 
s'éleva  l'hôtel  des  Tournelles, 
qui,  abandonné  à  son  tour  à  la 
suite  de  la  mort  de  Henri  II,  tué 
involontairement  par  Mont<;o- 
merv  dans  un  tournoi,  fut  rem- 
placé  ])ar  la    place   Royale. 

Dans  les  ruines  dudit  hôtel  des 
Tournelles,    en   effet,   Henri   W, 
ayant  résolu  d'établir  en  France 
une     manufacture     d'étoffes     de 
soie,   avait    installé    deux    cents 
ouvriers  qu  il  avait  fait  venir  à 
cet  effet.  "  Bientôt  les  entrepre- 
neurs, se  trouvant  trop  à  l'étroit, 
remplacèrent    les    anciens    bâti- 
ments    par     des     constructions 
nouvelles    ayant    au    centre    un 
pavillon  magnifique  faisant  face 
à   une   vaste   ])lace.  La  situation 
et   l'effet  du  pavillon  donnèrent 
l'idée    d'entourer    la     place     de 
constructions   semblables;    Henri  I\'  lit 
construire  à   ses  dépens  l'îin  des  quatre 
côtés   qu'il  vendit  à  des   particuliers,   à 
charge  d  élever  les  trois  autres  selon  ses 
plans.  »  On  nomma  pavillon  du  Roi  ce- 
lui  qui   regarde   la   rue   Saint -.Antoine, 
pavillon  de  la  Reine,  celui   d'en  face,  et 


la  place  prit  le  nom  de  place  Royale. 
Elle  fui  achevée  en  161:2  et  inaugurée  à 
l'occasion  d'un  grand  carrousel  exécuté 
en  avril  de  cette  année.  Trente-cinq  pa- 


PLACB     KOTALK 

villons  uniformes,  en  pierre  et  brique, 
l'entourent,  soutenus  par  des  arcades. 
Les  toits  sont  de  forme  haute,  diffé- 
rente de  la  forme  aiguë  du  gothique. 

La  place  Royale,  où  eut  lieu  le  duel 
tragique  de  Montmorency-Bouteville, 
auquel  Richelieu  donna  pour  épilogue 


MAISONS    L)I-:    l'AMIS     11  I  STO  1!  I  g  f  KS    ET    CU  lU  liU  SES 


la  place  de  Grève  et  la  hache  du  bourreau, 
a,  comme  nous  le  disions,  conservé  à 
peu  près  intact  1  aspect  de  ses  maisons; 
elle  a  été  malheureusement  défigurée 
par    une    rue    circulaire,    par    des    fon- 


taines ridicules,  et  par  un  square  orné 
d'une  foule  d'in^frédients  modernes  qui 
ne  sont  pas  là  à  leur  place.  Il  y  a  trop 
d'arbres  aussi,  et  tout  cela  lui  retire  une 
partie  de  sa  grandeur.  Quant  à  son 
nom,  elle  fut,  sous  la  Révolution,  bap- 
tisée place  des  Fédérés  et  de  l'Indivisi- 
bilité, puis,  sous  le  Consulat,  place  des 
\'osges.  On  avait  abattu  la  statue  de 
I.f)uis  \  II I  cl  (iM  v  avait  iiislallé  un  parc 


d'artillerie.  La  Restauration  y  rétablit 
une  autre  statue  et  lui  redonna  son  an- 
cien nom.  que  la  troisième  Réimblique 
a  fait  disparaître  une  fois  de  plus. 

M""-"  de  Sévigné  naquit  dans  une  de 
ces  maisons:  dans 
une  autre  habita 
Marion  Delorme, 
puis  \'ictor  Hugo 
C|ui  y  écrivit  le 
(iranie  de  ce  nom. 
La  place  Dau- 
piiine  date  de  quel- 
ques années  seule- 
ment de  plus  que 
la  place  Royale,  et 
ses  maisons,  moins 
monumentales  tou- 
tefois, sont  dû 
même  style  archi- 
tectural ;  elles  sont 
construites  sur  le 
terrain  de  deux 
îles,  l'île  au.\  Bu- 
reau \  et  l'île  aux 
Juifs,  où  fut  brûlé 
le  grand  maître  du 
Temple,  Jacques 
Mdlay.  le  i;{  mars 
1314,  et  qui  furent 
réunies  lors  de  la 
construction  du 
HonlNeuf.  On  l'ap- 
pela I)auphine  en 
l'honneur  du  dau- 
phin Louis  XIII; 
sous  le  premier 
empire  elle  se  nom- 
ma place  de  Thion- 
ville  et  fut  ornée 
d'une  fontaine  surmontée  du  buste  de 
Desaix.  Au  xvm''  siècle,  il  s'y  tenait, 
dans  les  baraquements,  une  exposition 
de  peinture  à  l'usage  des  débutants,  le 
jour  de  la  Fête-Dieu;  le  principal  attrait 
en  était  la  présence  des  modèles-femmes 
aux  balcons  des  maisons  avoisinantes  ; 
'i  ces  jeunes  personnes  étaient  parées  les 
unes  de  leurs  charmes  naturels  (?),  les 
autres  de  tous  les  cnd)ellissenu'nts  de  la 


i  II  K  N  E  L  L  E 


MAISONS    Di;    l'AlilS     HlSTORIQl'HS    ET    C.U  It  1  ET  SES 


toilette  :  on  pouvjiit  ainsi  t<imparer 
lœuvre  au  modèle.  Cette  nouveauté  a 
attiré  beaucoup  d  amateurs  plus  empres- 
sés de  regarder  les  originaux  que  les  co- 
pies. »  Mémoires  secrels,  '2b  juin  1783.) 
Enfin  les  vieilles  maisons  bâties  par 
Henri  I\'  virent  un  des  premiers  attrou- 
pements de  la  Ré- 
volution, et,  en 
17y"2.  se  dresser 
devant  elles  un 
grand  amphithéâ- 
tre à  banderoles 
tricolores  pour  les 
enrôlements  volon- 
taires. 

L'n  certain  nom- 
bre d'autres  mai- 
sons de  cette  épo- 
que et  de  ce  stvie 
se  trouvent  encore 
assez  bien  conser- 
vées en  ditïérents 
endroits  de  Paris  ; 
citons  l'Abbaye, 
adossée  à  l'église 
Saint-Germain  des 
Prés,  prison  de  si- 
nistre mémoire,  et 
rue  de  Fursten- 
berg,  6,  la  maison 
où  est  mort  Eu- 
gène Delacroix. 

Cet  usage  de  la 
brique  mêlée  à  la 
pierre  se  prêtait 
peu  toutefois  à  la 
décoration  sculp- 
turale, et  la  pierre 
seule  est  employée 
dans  l'hôtel  de  Bé- 
thune  que  Maximilien  de  Béthune.  duc 
de  Sully,  ministre  et  ami  de  Henri  W,  se 
fit  bâtir  par  Du  Cerceau.  Cet  hôtel  est 
fort  bien  conservé,  malgré  une  saleté 
exagérée  qui  recouvre  les  façades  de  sa 
grande  cour  carrée  et  leur  donne  un 
aspect  noir  peu  agréable  ;  toutes  les 
fenêtres  sont  entourées  de  rinceaux  et 
de  mascarons  richement  sculptés,  et  de 


grandes  statues  en  bas-relief  représen- 
tant les  Saisons.  Dans  les  frontons  des 
deux  pavillons  en  façade  sur  la  rue 
Saint-Antoine  sont  des  enfants  tenant 
des  casques  et  des  armes.  Au  .x^ni"  siè- 
cle il  appartint  aux  Boisgelin  et  aux 
Turg^ot.    Presque    en   l'ace  est   l'hôtel  de 


■  I  K  I  1. 1,  i:    -M 


Charles  de  Lorraine,  duc  de  Mavenne, 
lieutenant -général  de  la  couronne  de 
France,  chef  de  la  Ligue,  et  dont  il  est 
fort  parlé  dans  le  Catholicon.  Cette 
grande  construction,  œuvre  également 
de  Du  Cerceau,  a  été  tout  à  fait  défigu- 
rée par  les  industriels  qui  l'habitent. 

Mais    un    nouveau   style,    expression 
d'un   nouvel    état  de   choses   et    d'une 


MAISONS  i)K  PAiils  iiisTdiiiQiKs  KT  c.rniiasi; 


iiciTKi,    m-;    iif:Tiii'\K,    ii  ii  k    sa  i  nt- a  ntdi  nb 


iiulrc'sociél('',.ill;nl  ii;u(rc;iv(H- Louis  \  i\  , 

On  |)C'Ul   cilcr   l'oinnie  momimeiil   de 

Iransilion  l'iiôlel    de  Moiilmnrcncy,  'l(i, 

rue    (les    Nouiiains-d'llyèrt'!;,    où    nous 


(l'on vous  encore  la  brique  ronj^e,    mais   I    périslvle  circula 


(liiiil  l'arcliilecturc  se  modifie,  et  l'hôlel 
(le  l{eau\  ais,  ()8,  rue  François-Miron. 

La  cour  inlérieurc  de   ce  dernier  est 
surloul   roniar(|ual)lc   jiar   une  sorle  de 


es  ioniques. 


MAISONS     l>i:     l'SKIS     II  ISIiilMiJIKS     KT    I'.  C  U  I  K  l' S  K^ 


it  rr  H  E  i;  I  I 


ilcrivanl  directement  de  la  Renaissance, 
et  d'un  assez  pittoresque  aspect.  Aujour- 


d'hui un  marchand   de  meubles  y  range 
des  bulîetj.   La  distribulion  et    i'ordon- 


MAISONS    DE     PAHIS    H  I  STO  H  I  QT  KS    KT    C  T  lU  K  U  S  K 


nance  des  appartements  avaient  été 
chanffées  en  1704  par  le  président  à 
mortier  Jean  Orry  qui  en  était  devenu 
propriétaire. 

Avec  l'hôtel  de  Juigné,  rue  de  Tho- 
rif,'ny,  5,  au  Marais,  nous  sommes  en 
plein  dans  la  noble  splendeur  du  grand 
siècle,  il  était  d'ailleurs  célèbre  en  son 


fants;  enfin  elle  appartint  à   la  maison 
de  Juigné. 

Presque  aussi  majestueux  devait  être 
et  est  encore  l'hôtel  Saint-Aignan,  rue 
du  Temple,  71,  bali  par  Pierre  Lemuet 
en  ItJfM).  La  porte,  sous  laquelle  on  passe 
pour  entrer  dans  une  large  cour  entou- 
rée de  bâtiments  à  pilastres  corinthiens. 


HOTEL    MOLE,     BOULEVARD     S  A  I  X  T -0  E  H  M  A  I  N" 


beau  temps,  quand  les  carrosses  dorés 
faisaient  résonner  le  pavé  de  sa  vaste 
cour  entourée  dune  terrasse  circulaire. 
Sa  façade  postérieure  n'est  pas  moins 
imposante;  elle  donnait  sans  doute  jadis 
sur  un  grand  parc  dont  il  ne  reste  plus 
qu'un  nibre  aussi  haut  que  l'antique 
maison  que  pilla  la  Révolution.  l'A\e 
avait  été  bâtie  par  le  riche  traitant 
Aubert  dont  le  sel  avait  fait  la  for- 
tune, d'où  le  nom  d'  «  Hôtel  Salé  » 
qui  lui  fut  donné  alors;  elle  passa  en- 
suite à  Lccamus,  secrétaire  du  roi, 
mort  en  1688,  ù  quatre-vingts  ans,  qui, 
venu  à  -Paris  avec  20  francs  dans  sa 
poche,   partagea   9  millions    ù    ses   en- 


est  à  elle  seule  un  monument.  L'en- 
semble n'a  malheureusement  pas  con- 
servé l'intégrité  de  l'hôtel  de  Juigné: 
sur  une  partie  des  anciennes  construc- 
tions, on  a  superposé  toute  une  mai- 
son. 

Beaucoup  d'autres  hôtels  ou  maisons 
privées  de  cette  époque  subsistent  un 
peu  partout  dans  Paris.  CrosI  riiôtel  de 
Hollande  où  l'ambassade  de  ce  pays 
était  établie  sous  Louis  \I\";  l'hôtel  de 
Ninon  de  Lcnclos,  rue  des  Tournelles 
et  boulevard  IJeaumarchais,  (vuvre  de 
Mansart,  occu]ié  et  repeint  en  couleur 
crème  par  un  fabricant  de  bronzes  d'art. 
C'est,  dans  le  quartier  Saint-IIonoré,  une 


MAISONS    DK     PAHIS    II I STOU IQUKS    ET    CLTUKrSES 


grande  partie  des 
maisons  particu- 
lières, et  celles  de 
la  place  \'end6me, 
commencée  en 
1685  sur  les  dessins 
du  même  ilansart  ; 
ce  sont  encore  les 
maisons  de  la  place 
des\'ictoires.C  est, 
dans  l'ile  Saint- 
Louis,  riiôtel  Lam- 
bert, pittoresque- 
ment  situé  au  bord 
de  la  Seine  qui 
se  partage  là  en 
deux  bras,  et  dont 
les  quais  sont  gar- 
nis de  peupliers 
loulTus  :  on  trou- 
vera partout  des 
renseignements 
sur  sa  fondation 
par  le  président 
Lambert  de  Tho  - 
rignv,  sur  le  sé- 
jour qu  V  lit  Yol- 
taire  chez  M"»"^  du 
Châtelet.     sur     la 

conférence  qu  en  1815  Napoléon  dés- 
espérer tint  avec  M.  de  Montalivet,  et 
sur  les  peintures  de  Lebrun,  restaurées 
par  Delacroix,  dont  il  est  orné.  Il  est 
seulement  regrettable  que  la  pierre  en 
ait  pris  une  sorte  de  ton  jaune  sale,  qui 
n'a  rien  d'agréable  à  voir  et  que  n"a  pas 
l'hôtel  de  Lauzun  situé  deux  ou  trois 
maisons  plus  loin. 

Enfin  Ion  rencontrera  un  grand 
nombre  de  maisons  et  d'hôtels  de  cette 
période  dans  le  faubourg  Saint-Germain, 
et  c'est  rue  de  Grenelle,  73,  qu'est  situé 
un  des  moins  connus  et  des  plus  remar- 
quables. Cette  sorte  de  palais,  dont  la 
colonnade  rappelle  celles  du  Louvre  et 
de  Versailles,  n'a  point  en  effet  sa  façade 
sur  la  rue:  il  est  entre  une  vaste  cour 
et  de  splendides  jardins,  et  l'on  y  ac- 
cède par  un  passage  très  long.  «  Il  fut 
bâti  vers  1680  par  le  cardinal  d'Eslrées, 


MAISON     DU     XV  ni"     SIÈCLE,    KTE     RABELAIS 


à  la  mort  duquel  il  fut  divisé  en  deux 
parties,  dont  l'une  fut  louée  au  duc 
d'.Albe,  ambassadeur  de  Philippe  \,  qui 
y  mourut  en  1711.  L'autre  partie  appar- 
tenait au  ministre  Philyppeaux  de  Mau- 
repas  qui  s'y  délassait  de  ses  graves  tra- 
vaux en  y  faisant  de  petits  vers  légers. 
Pendant  la  Révolution,  le  ministère  des 
relations  extérieures  s'y  établit.  Garât, 
Barthélémy,  Talleyrand  l'habitèrent  et 
une  grande  partie  de  la  décoration  inté- 
rieure date  de  cette  époque  du  premier 
empire.  A  la  Restauration,  il  fut  vendu 
aux  Du  Plessis  Richelieu  ;  il  eut  ensuite 
pour  hôte  la  comtesse  de  la  Roche ja- 
quelein  et  fut  acheté  par  M.  de  Galliffet, 
grand-père  du  général.  .Actuellement  il 
est  occupé  par  l'ambassade  d  Italie. 
A  côté  de  ces  belles  et  même  de  ces 
splendides  demeures,  on  n'en  avait  pas 
moins  continué  pourtant  à  bâtir  comme 


MAISUNS    DE     l'AlilS     II  I  STO  li  IQ  T  KS     lOT    Cl   H  I  K  ISK 


;iu  Moyen  Af;e  des  rues  étroites  et  sales, 
fie  noires  et  basses  bicoques. 

Kl  par  un  contraste  curieux,  nous 
(lonneronsl  hôtel  du  Cheval  blanc  îhotcl 
meublé,  celle  fois,  on  s'en  doute  tout 
de  suite  à  son  aspect),  qui  se  trouve  rue 
Mazel,  entre  le  Pont-Neuf  et  le  boule- 
vard Saint-dermain.  Cl'élait  là,  sous 
l.diiis   \l\'.  le  sièfjp  d  une  entreprise  dp 


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fcllYPTIENNE,     PLACE      H 


carrosses  pour  Orléans  cl  le  centre  de  la 
France  ;  elle  fut  remplacée  au  xviii"-'  siècle 
par  le  service  fçénéral  de  la  poste  aux 
chevaux   qui   y  resta  jusqu'à    la    dévo- 


lution. .Vujom-d'hui  c'est  encore  une 
soi-te  d'auberfcc  qui  sert  aux  paysans 
des  environs  de  Paris. 

Avec  Louis  Xl\'  nous  avons  déjà 
mordu  sur  le  xvin"'  siècle,  car  les  choses 
ne  suivent  pas  les  classements  arbitraires 
de  l'homme  et  ce  n'est  qu'après  la  mort 
du  Hoi-Soleil  que  nous  allons  voir  appa- 
rnilrc  ce  (pion  n])pclle  le  slvle  du  xyu!*". 
Plus  léf,'er,  jilus 
éléf,'ant ,  il  aime 
les  maisons  plus 
basses,  il  les  en- 
toure de  jardins. 
Tel  est  l'hôtel  de  la 
Heynière,  au  n°  '2 
de  la  rue  Hoissy- 
d'.An^'las,  à  l'anj^le 
de  la  place  de  la 
Concorde  et  des 
Champs  -  Elysécs, 
et  occupé  aujour- 
d'hui par  le  Cer- 
cle de  l'Union  ar- 
tistique; il  fut 
construit  pour  le 
l'ermier  et  admi- 
nistrateur des 
postes  Griniod  de 
la  Reynière  qui, 
issu  d'une  famille 
(le  charcutiers,  de- 
\inl  fantastique- 
ment millionnaire. 
Son  lils,  {jastro- 
nonie  émérite,  far- 
ceur sans  pareil, 
pria  un  jour  à  son 
enterrement  si- 
mulé tous  ceux 
qui  fréqucnlaient 
sa  lable,  et  n'in- 
vita plus  jamais 
ceux  qui  ne  se  dé- 
ranj^èrrnt  pas. 
De  l'anlre  côté 
de  la  place  di'  la  Concorde,  à  l'anfrle  de 
la  rue  de  Hivoli  et  de  la  rue  Saint-Flo- 
rentin, un  hôtel  a|)|)artenanl  aujourd'hui 
à  M,  de  lîothschild  dresse  sa  masse  im- 


MAISONS    I)K     l'AlilS     II  1  SIO  lU  Q  l' K  S     KT     C.  T  11  IK  T  S  KS 


posanle  et  la  pureté  de  ses  lignes.  Rap- 
pelons qu  il  l'ut  construit,  sur  les  ilessins 
(le  Chalgrin,  pour  Saint-Florentin,  mi- 
nistre de  Louis  XV;  qu'il  a|)partinl 
en  177tî  au  ducde  Filz-Janies,  ami  intime 
de  Philippe-Éf,'alité  ;  que  pen- 
ilantla  Révolution  la  section  des 
Tuileries  y  établit  une  l"abri(|ue 
de  salpêtre,  et  qu'en  181'-2  il  l'ut 
vendu  à  l'évêque  d'Autun,  M.  de 
Talleyrand.  Ce  fut  dans  eel 
hôtel  que  descendit  l'empereur 
de  Russie  Alexandre  et  que  se 
tint  le  Conseil  qui  décida  du  re- 
tour des  Bourbons. 

Le  faubourg  Saint-Germain 
surtout  est  riche  en  construc- 
tions de  celte  époque;  un  grand 
nombre  de  beaux  hôtels  s'y  élè- 
vent encore,  entre  cour  et  jar- 
din le  plus  souvent,  générale- 
ment bien  conservés.  Nous 
citerons  l'hôtel  de  l'ambassade 
d'Autriche,  rue  de  V'areunc, 
l'hôtel  Biron,  aujourd'hui  occupé 
par  le  couvent  du  Sacré-Civur, 
l'hôtel  Mole,  anciennement  rue 
Saint-  Dominique,  aujourd'hui 
boulevard  Saint-Germain  dont 
la  trouée  l'épargna  et  le  mit  à 
son  alignement. 

Ce  dernier  fut  bâti  en  17"i6 
pour  le  duc  de  Roquelaure, 
petit-fils  de  celui  qui  accompa- 
gnait Henri  I\'  dans  son  car- 
rosse lorsqu'il  fut  assassiné  par 
Ravaillac,  lîls  du  fameux  Roquelaure, 
dit  (1  l'homme  le  plus  laid  de  France  »; 
lui-même,  pair  et  maréchal  de  France, 
se  signala  dans  les  guerres  de  Louis  XIV 
et  fut  un  de  ceux  qui  «  dragonnèrent  » 
les  Cévennes  protestantes.  Il  mourut 
en  1738,  ne  laissant  que  deux  filles,  dont 
l'une  fut  mariée  au  duc  de  Rohan, 
l'autre  au  prince  de  Pons;  elles  ven- 
dirent l'hôtel  en  question  au  président 
Mole  de  Champlàtreux  qu'il  ne  faut  pas 
confondre  avec  son  ancêtre,  le  fameux 
président  Mole,  qui  vivait  un  siècle 
avant    lui,   ni    avec    son    fils,    ministre 


successif  de  .Napoléon  1'',  de  Louis  .WIII 
et  de  Louis-Philippe.  Ivmigré  à  l'époque 
de  la  Révolution,  et  rentré  imprudem- 
ment en  France,  il  périt  surj'échafaud 
en    17Ui.    Son    nom    est  généralement 


.MAISON    .STYLE     EMPIRE,     RUE     DE     P  E  X  T  H  I  È  V  R  K 


resté  à  l'hôtel,  lequel  est  formé  d'un 
bâtiment  principal,  flanqué  de  deux 
ailes  et  précédé  d'une  vaste  cour  carrée; 
ces  deux  ailes  ont  été  surchargées  ulté- 
rieurement d'un  étage  parasite.  A  l'in- 
térieur, l'intéressante  décoration  an- 
cienne a  subsisté  :  hauts  plafonds,  glaces, 
trumeaux,  peintures  représentant  des 
scènes  bucoliques,  etc.  C'est  actuelle- 
ment le  ministère  des  travaux  publics. 
Nous  donnons  encore  ici  un  monu- 
ment moins  connu  et  plus  bizarre  qui  se 
trouve  à  l'angle  des  rues  de  l'IIôtel-CoI- 
bert  et  de  la  Bucherie,  tout  près  du  quai 


MAISONS    DE    l'AHIS    HISTOIUQUES    ET    CL'IUKUSES 


Montebello,  non  loin  de  Notre-Dame; 
c'est  un  chanoine  de  la  cathédrale  qui 
lit  bâtir  cette  construction  singulière, 
avec  son  dôme  couvert  d'ardoises,  pour 
y  établir  un  amphithéâtre  d'anatomie. 

Mais,  avec  la  fin  du  siècle,  l'architec- 
ture se  modifie  de  plus  en  plus,  et  sous 
Louis  XVI  perce  1  influence  néo-grecque 
et  néo-romaine  qui  fera  florès  sous  le  pre- 
mier empire  :  j)elites  colonnades,  bas- 
reliefs  rectangulaires,  et.  sur  les  toits, 
bordures  de  grands  vases  et  de  statues 
antiques.  A  ce  style  appartient  le  char- 
mant palais  de  la  Légion  d'honneur, 
bâti  en  1786  pour  le  prince  de  Salm,  ha- 
bité par  M"""  de  Staëi,-jadis  voisin  de  la 
Cour  des  Comptes,  et  qui  ne  semblait 
pas  fait  pour  voir  se  dresser  en  face  de 
lui  une  gare  bruyante.  Quelques  maisons 
privées  nous  ont  conservé  ce  type;  il  en 
est  peu  dans  le  faubourg  Saint-Germain. 
La  plupart  se  trouvent  dans  le  quartier 
Saint-Honoré  et  des  Champs-Elysées, 
rue  Rabelais,  par  exemple. 

L'expédition  d'Fgypte  ne  fut  pas  sans 
laisser  sa  trace  dans  les  maisons  de  l'épo- 
que du  Consulat  ;  il  y  eut  le  style  égyp- 
tien. 

Telle  est  la  maison  de  la  place  du  Caire 
que  nous  donnons  ici. 

Une  frise  d'hiéroglyphes  rouges  et 
noirs  orne  la  façade,  soutenue  par  trois 
têtes  de  sphinx;  quant  aux  fenêtres, 
elles  ont  un  vague  style  musulman. 

On  rencontre  dans  Paris  un  certain 
nombre  de  maisons  de  ce  genre  auquel, 
chose  curieuse,  on  trouve  comme  un 
précurseur  dans  une  sorte  de  stvle, 
égyptien  déjà,  qui  lleuritsous  LouisXVl, 
bien  avant  qu'il  fi'il  question  de  l'expé- 
dition d'Egypte,  l'ne  maison  de  ce 
genre,  décorée  de  colonnes  à  chapiteaux 
en  feuilles  de  palmier,  se  trouve  au 
Marais,  rue  de  Sévigné. 

L'empire  fit,  comme  nous  le  disions, 
triompher  le  grec  et  le  romain,  qui  dans 


certaines  maisons  se  trouvent  unis  à 
l'égyptien;  mais  d'autres  sont  d'un  tvpe 
très  ])ur.  Telle  est  une  maison  rue  de 
Penthièvre,  aux  Champs-Elysées,  assez 
curieuse  avec  le  portique  et  le  fronton 
triangulaire  qui  la  couronnent.  Depuis 
cette  époque  jusqu'au  second  empire  et 
à  la  transformation  de  Paris  par  llauss- 
mann,  on  a  généralement  bâti  d'une 
façon  très  laide  ;  la  période  de  Louis- 
Philippe  s'est  particulièrement  distin- 
guée par  des  productions  décoratives 
affreuses. 

.Aujourd'hui  l'on  ne  peut  nier  qu'il 
n'y  ait  un  style  architectural,  car  les 
maisons  que  l'on  élève  ne  ressemblent  à 
celles  d'aucune  période;  depuis  quelque 
temps  surtout  il  se  masque  de  plus  en 
plus  sous  le  nom  d'Art  Nouveau. 

En  feuilletant  ces  pages  et  à  l'aspect 
des  reproductions  que  l'on  y  voit,  ne 
semble-t-il  pas  que  l'on  traverse  d'au- 
tres lieux  que  ceux  auxquels  nos  yeux 
de  Parisiens  sont  journellement  accoutu- 
més? Cependant  tout  ce  que  nous  avons 
cité  et  reproduit  existe  à  cette  heure  ; 
quiconque  s'intéresse  à  ces  sortes  de 
choses  peut  refaire  «  de  visu  »  cette  pro- 
menade archéologique. 

Paris  a  donc  vu  l'aspect  de  ses  mai- 
sons singulièrement  changer,  et  l'on 
peut  dire  qu'elles  ont  toujours  été  en 
élargissant  leurs  ouvertures  et  en  s"as- 
sainissant.  Loin  de  nous  également  de 
méconnaître  l'œuvre  de  déblaiement 
accomplie  surtout  depuis  le  milieu  du 
siècle  cl  qui  se  continue  aujourdhui  ;  ce 
qui  est  déplorable,  c'est  la  destruction 
d'ceuvres  d'art  et  de  morceaux  docu- 
mentaires non  remplaçablcs,  c'est  le 
non-entretien  de  ce  qui  subsiste.  Pour- 
quoi l'œuvre  utile  du  présent  ne  res- 
pecte-t-elie  [>as  l'uMix-rc  belle  ou  curieuse 
du  passé? 

1'ai;i.  (îiu  ver. 
Terle  et  phol'irirai>liies. 


UTILITE    DES    OISEAUX 


Lorsque  le  célèbre  voyageur  Bougain- 
ville  débarqua  avec  ses  compagnons  sur 
l'une  des  îles  Malouines  jusqu'alors  inha- 
bitée, il  fut  frappé  de  voir  les  oiseau\ 
s'approcher  des  marins  sans  la  moindre 
crainte  et  se  poser  sur  le  bras  qu'on  leur 
tendait.  On  sait  la  douce  confiance  que 
les  promeneurs  des  grands  parcs  de  l'An- 
gleterre inspirent  aux  rouges-gorges  et 
les  habitués  de  nos  jardins  publics,  aux 
pierrots,  aux  merles  et  aux  ramiers. 
Celte  confiance  envers  l'homme  est  na- 
turelle à   presque  tous  les  oiseaux. 

.Aux  avances  des  oiseaux,  presque  par- 
tout l'homme  répond  à  coups  de  fusil, 
et  il  encourage  les  tentatives  qu'ils  font 
de  se  rapprocher  de  lui  en  leur  tendant 
des  pièges  et  des  embûches.  Les  lacets, 


LA      V I  G  N I 


les  filets,  les  trappes,  certains  poisons 
même  les  attendent  auprès  des  maisons 
ou  des  fermes  quand  le  froid  et  la  faim 
les  V  poussent.  Dans  quelques  endroits, 
cette  œuvre  de  destruction  est  complétée 


à  l'aide  de  gluaux  plantés  par  centaines 
autour  des  abreuvoirs  où  les  oiseaux 
viennent  se  désaltérer  au  point  du  jour. 
En  hiver,  ce  sont  des  claies  qui  empri- 
sonnent sous  leurs  mailles  les  troupes 
de  bruants,  ou  des  trappes  grossières 
creusées  dans  la  neiije,  et  dans  lesquelles 
une  tuile,  en  retombant,  fait  prisonniers 
les  moineaux  alfamés  ;  au  printemps,  ce 
sont  des  trébuchets  ou  cages  à  plafond 
mobile  qui  capturent  les  rossignols  ;  en 
automne,  de  vastes  filets  doubles  se 
rabattent  sur  les  alouettes  fascinées  par 
le  jeu  du  miroir.  En  cette  saison,  les  pau- 
vres oiseaux  migrateurs,  les  hirondelles 
qui  ont  franchi  les  .Alpes,  bravant  le 
vent  contraire,  affrontant  la  neige  qui 
commence  à  tomber  sur  les  hauts  som- 
mets, échappant  à  force  de  prudence  à 
l'œil  perçant  des  rapaces,  loin  de  trou- 
ver un  refuge  sur  la  terre  d'Italie,  y 
sont  au  contraire  guettés,  traqués  sans 
merci  par  une  nuée  d'oiseleurs  et  de 
chasseurs  qui,  de  septembre  à  février, 
se  chargent  de  fournir  des  >i  oiseaux 
délicats  »  aux  gourmets  du  continent.  11 
y  a  quelque  temps,  lors  d'un  dîner  à  la 
cour  de  Rome,  le  roi  d'Italie  a  offert 
plus  de  deux  mille  roitelets,  mésanges 
et  autres  petits  oiseaux   à   ses  invités  ! 

Les  oiseleurs  sans  entrailles  qui  amon- 
cellent ces  hécatombes  tirent  parti  con- 
tre ces  êtres  charmants  de  l'esprit  de 
charité  qui  les  fait  accourir  au  moindre 
cri  de  détresse  d'un  compagnon  en  péril. 
Il  leur  sufiît,  par  exemple,  de  placer  au 
milieu  des  filets  une  hirondelle  captive 
pour  forcer  toutes  les  voyageuses  im- 
prudentes qui  passent  à  portée  du  coupe- 
gorge  à  s'y  précipiter.  C  est  sur  des 
milliers  d'existences  que  dans  le  nord 
d'Italie  s'étendent  ces  persécutions. 

Mais  les  contrées  baignées  par  la  Mé- 
diterranée, depuis  Gênes  jusqu'à  Cette, 
n'ont  rien  à  reprocher  à  la  Lombardie 
ni  au  Piémont.  Tout  ce  que  peut  ima- 


UTILITÉ    DKS    OISKAUX 


giner  une  intelligence  humaine  doublée 
de  ruse  quand  elle  veut  arriver  à  ses  fins, 
tout  est  employé.  Sur  ces  rivages,  où 
le  ciel  est  bleu  et  le  climat  tiède,   des 


L'  fc  C  1  D  O  M  I  E      U  U      II  L  É 

1 .  Femelle  très  grossie.  —  3.  Màlc 
très  grossi.  —  3.  La  ponte  sur 
épi.  —  4.  Grain  attaqué  par  les 
larves. 


engins  sournois  attendent  les  cailles,  les 
alouettes,  les  chardonnerets,  les  fau- 
vettes, les  traquets-motteux  et  même 
les  rossignols.  Dans  certains  endroits  ce 
sont  de  véritables  croisades.  Les  enfants 
d'un  même  hameau  se  divisent  en  deux 
bandes.  Klles  se  défient  à  qui  rapportera 
If  plus  beau  chapelet  d'œufs  et  le  plus 
grand  nombre   d'oisillons. 

Ces  tristes  hécatombes  mutilent  et 
supplicient  les  meilleurs  serviteurs  de 
nos  champs.  La  nature  les  avait  placés 
à  côté  des  animaux  dévastateurs  comme 
un  modérateur  nécessaire  à  rétablisse- 
ment de  l'équilibre  général.  L'homme, 
en  intervenant  et  s'acharnant  contre  les 
oiseaux,  a  rompu  cet  équilibre  cl  laissé 
sans  frein  le  furieux  épanouissement  de 
la   tribu    grouillante  et   dangereuse  des 


grat,  il  subit  aujourd'hui  le  contre-couji 
de  cette  infraction  ;  il  voit  ses  champs 
ravagés,  ses  semailles  dévorées,  ses  ré- 
coltes détruites.  Depuis  trente-cinq  ans 
le  viticulteur  lutte  pied  à  pied  contre  le 
phtjl taxera  qui  a  causé  [)our  plusieurs 
milliards  de  dégâts  et  a  failli  anéantir 
notre  vignoble.  In  autre  insecte,  la 
pyrale,  quoique  moins  funeste,  n'est 
guère  plus  tendre  pour  cet  arbuste.  Sa 
chenille  coupe  les  grains,  ronge  les 
feuilles  et  entrave  la  végétation  des 
[)ampres  en  les  reliant  par  des  fils  sans 
nombre.  La  vigne  en  souffre  d'autant  plus 
que  d'autres  dégradateurs,  tels  que  le 
cochylis,  l'écrivain,  le  cigareur,  l'altise, 
etc.,  viennent  à  la  rescousse. 

Depuis  que  les  rangs  des  oiseaux  in- 
sectivores s'éclaircissent,  les  attaques 
contre  toutes  les  cultures  se  multiplient. 
Les  arbres  fruitiers  languissent  sous  les 
morsures  de  l'antonome,  des  teignes,  des 
pucerons.  Des  espèces  ténébreuses  fai- 
sant œuvre  de  mineur  creusent  le  cœur 
el  boivent  la   sève  de   nos   plus  grands 


Il  an.vktcjn 


arbres.  Des  processionnaires,  des  coi-sus 

et  d'autres  chenilles  voraces   menacent 

les  érables,  les  peupliers,  les   aunes,  les 

insectes  envahisseurs.   lm|)rii(leiil  el  in-   |   saules.    La  nonne  el    les  bosiriches  élio- 


UTILITÉ    DKS     OISIÎAUX 


Iciil  dans  quelques  mois  les  pins  et  les 
résineux  les  plus  robustes.  En  (>orse  et 
en  Provence,  les  kermès  de  l'olivier  et 
les  cochenilles  du  citronnier  et  de  l'oran- 
ger détruisent  parfois  le  tiers  de  la  ré- 
col  te.  Partout  les  céréales  sont  rongées  par 


charançon_^  du  Irèlle,  des  chrysomèles  de 
l'orge,  des  allises,  des  choux,  que  des 
sauterelles  ou  criquets  d'Algérie... 

De  savanlsslatisticiens  nous  affirment 
que  la  dîme  prélevée  tous  les  ans  dans 
nos  campagnes  par  ces  malfaisantes  lé- 
gions atteint  le  dixième  et  [)arfois  même 
le  cinquième  de  nos  récolles,  souvent 
près  d'un  demi-milliard. 
Dans  ce  chifTie  ne  sont 
pas  compris  les  ra- 
vages de'-  rongeurs. 
Et  cependant  les 
rat'',  les  souris,  les 
mulots,  qui  ne  sont 
pas  moins 
une  menace 
Ç-^      perpétuelle 


.'A.MPAGNOLS     DES    CHAMPS 


le  vei'  blanc,  la  larve  du  terrible  hanne- 
ton, qui  contrecarre  les  espérances  les 
mieux  assises.  Plus  tard,  des  mouches 
comme  la  cécidomie  et  le  chlorops,  ou 
bien  des  larves  voraces  de  la  noctuelle 
ou  de  l'alucite,  prélèvent  aux  moissons 
une  dîme  triple  et  quadruple.  A  côté, 
des  cultures  de  betteraves  et  de  belles 
prairies  succombent  sous  l'assaut  de 
milliers  de  bataillons  de  vers  blancs, 
véritable  cauchemar  du  cultivateur.  Et 
je  ne  parle  pas  plus  des  courtilières,  des 


pour  l'agriculture,  peuvent  en  quelques 
jours  anéantir  les  récoltes  d'une  année 
entière.  Par  leurs  désastres,  les  campa- 
gnols ou  souris  des  champs  constituent 
une  véritable  calamité  périodique.  Leurs 
invasions  bouleversent  la  terre  ensemen- 
cée sur  toute  son  étendue.  ,\  ces  habi- 
tudes fouisseuses  ils  réunissent  une  vora-* 
cité  sans  bornes.  Deux  et  quelquefois 
une  nuit  leur  suffit  pour  dépouiller  les 
champs  les  plus  plantureux  de  céréales. 
Une  fois  la  moisson  finie,  ils  se  jettent 


UTILITE    DES    OISEAUX 


UN     DUEL     —     CIGOGNE     ET     VIPÈRE 

dans  les  prairies,  dont  ils  coupent  les 
liges  et  rongent  les  feuilles.  Dans  chaque 
département,  les  pertes  qu'ils  entraî- 
nent se  chiffrent  par  dizaines  de  mil- 
lions 1 

Le  cultivateur  lutte  avec  acharnement 
contre  ces  armées  insatiables,  contre  ces 
bataillons  gris  qui  s'étendent,  telles  des 
nappes  d'huile  corrosive.  Mais,  loin  de 
faire  appel,  pour  cette  lutte,  aux  bons 
offices  de  ses  auxiliaires  naturels,  aux 
oiseaux  rapaces,  aux  échassiers,  il  s'en 
prive  comme  à  plaisir  :  il  poursuit  sans 
relâche  les  hiboux,  les  chouettes,  les 
effraies  et  jusqu'à  cette  douce  cigogne 
qui  ne  se  souvient  de  posséder  une  for- 
midable épée,  en  guise  de  bec,  que 
lorsqu'elle  se  trouve  en  présence  d'un 
malfaisant  rongeur  ou  d'un  dangereux 
serpent. 

Si  l'on  n'y  prend  pas  garde,  au  bout 
de  cinquante  ans,  le  dernier  des  oiseaux 
utiles  aura  vécu  en  France.  Et  alors, 
d'iinnionses  et  subites  migrations  jette- 
ront des  légions  innombrables  d'insectes 
sur  tout  le  territoire  et  livreront  à  leurs 
ravages  les  contrées  qui  se  flallent  d'y 
échapper.  Doués  d'une  clfrayante  puis- 
sance de  reproduction,  admirablement 
armés  pour  le  mauvais  combat,  ils  ne 
font   du  reste  que   se   mulli])!ier  à   me- 


sure que  le  nombre  de  petits  oiseaux 
diminue  et  que  les  cultures  s'étendent. 

Le  gouvernement,  ému  par  ces  per- 
spectives, décida  de  prendre  des  mesures 
législatives.  Déjà  un  projet  de  loi  a  été 
déposé  par  M.  de  Larsan.  Ces  bonnes, 
mais  tardives,  intentions  gouvernemen- 
tales ont  besoin  d'être  secondées  par  les 
particuliers.  Le  temps  presse,  les  dégâts 
s'aggravent.  Les  agriculteurs  auront  tort 
d'attendre,  comme  une  manne  provi- 
dentielle, l'intervention  de  l'Ktat.  A 
cette  œuvre  de  protection  ils  sont  les 
principaux  intéressés.  Plutôt  que  de 
faire  de  ces  vaillants  auxiliaires  ailés 
robjot  de  poursuites  incessantes  et  d'une 
guerre  d'extermination,  qu'ils  prennent 
leur  défense  ;  qu'ils  placent  dans  leurs 
jardins,  sur  leurs  arbres,  des  nichoirs  où 
les  insectivores  trouveront  un  abri  ; 
qu'ils  ménagent  dans  les  murs  de  leurs 
propriétés,  ou  sous  les  toitures  de  leur 
ferme,  des  cachettes  destinées  à  recevoir 
de  copieuses   et  bienfaisantes   couvées. 

L'instituteur  a  aussi  là  un  très  beau  rôle 
à  remplir.  Il  lui  incombe,  en  effet,  de 
frapper  l'imagination  de  1  enfant  en  lui 
faisant  ressortir  toute  l'ineptie  et  toute 
la  lâcheté  de  ces  massacres,  qui  font  la 
joie  des  insectes  en  leur  permettant  de 
paralyser  les  efforts  et  les  travaux  du 
cultivateur.  Déjà  quelques-uns  d'entre 
eux,  en  comprenant  toute  l'importance 
de  cette  œuvre,  ont  dirigé  la  fondation 
de  sociétés  protectrices  de  petits  oiseaux 
parmi  leurs  élèves.  Les  plus  avancés  de 
ces  derniers  sont  nommés  membres  du 
bureau  et  se  réunissent  un  jour  lîxe, 
ordinairement  le  samedi,  pour  contrôler 
et  inscrire  les  résultats  obtenus  par 
leurs  camarades.  Sur  le  carnet  de  chaque 
enfant  on  inscrit  les  résultats  de  son  ac- 
tivité, afin  de  récompenser  les  plus  zélés. 

Voilà  bien  une  institution  à  propager: 
elle  ne  coûte  rien  à  l'I^tat  cl  pourrait 
soustraire  tous  les  ans  des  millions  de 
francs  à  la  dent  des  rongeurs  et  aux 
déprédations  des  insectes. 

J.      DE      LoVERDO. 


LKS  TOMBEAUX  DES  EMPEREURS  MIN(; 


Parmi  les  points  stratégiques  occupés 
par  les  Puissances  dans  la  dernière  expé- 
dition de  Chine,  (îgurc  remplacement 
des  tombeaux  de  la  dynastie  des  Minc^. 
Les  Français  et  les  Italiens  se  sont  éta- 
blis dans  la  vallée  où  se  dressent  depuis 
des  siècles  ces  monuments  l'unéraires, 
et,  tout  en  les  respectant,  ils  agissent 
puissamment  sur  les  populations  indi- 
gènes qui  ont  le  culle  des  morts.  C'est 
là,  si  je  puis  dire,  de  la  stratégie  mo- 
lale.  Elle  vaut  bien  l'autre.  Lorsque 
l'attaque  de  nos  légations  sera  punie, 
c|ue  la  Chine  aura  donné  les  satisfac- 
tions et  les  garanties  nécessaires,  le 
peuple  se  rappellera  que  nous  avons  eu 
en  notre  pouvoir  le  dépôt  sacré  des  sé- 
pultures où  dorment  les  grands  empe- 
reurs de  sa  race,  et  que  nous  l'avons 
conservé  intact.  Cela  ne  sera  point 
pour  diminuer  notre  prestige  et  notre 
influence  dans  ce  monde  de  l'Extrême- 
Orient,  bloc  qui  semblait  aux  yeux 
inexpérimentés  homogène  et  compact, 
mais  qui,  en  réalité,  se  compose  de 
tant    d'éléments     diirércnts    et    hostiles 


et  présente  tant  de  fissures  où  les 
nations  européennes  ont  enfoncé  des 
coins  qu'elles  s'efForcenl  à  l'envi  de 
faire  pénétrer  plus  avant,  tout  en  pro- 
clamant leur  volonté  de  maintenir  l'in- 
tégrité de  l'Empire.  Il  semble  que  l'Eu- 
rope aille  au-devant  du  h  péril  jaune  ", 
dans  le  dessein  de  le  mieux  conjurer. 
Puissent  les  routes  qu'elle  ouvre  à  ses 
marchandises  et  à  sa  civilisation,  à  tra- 
vers ces  contrées  si  longtemps  confinées 
et  murées,  ne  pas  devenir  les  voies  par 
où  leurs  habitants  se  répandront  en  un 
débordement  irrésistible,  non  par  la 
conquête  brutale,  sans  doute,  mais  par 
l'activité  et  le  bon  marché  industriels, 
sur  notre  insatiable  Occident  ! 

Ces  tombeaux  des  empereurs  Miug 
étaient  déjà  connus  de  ceux  qui  s'inté- 
ressent à  l'art  oriental.  Depuis  que 
Pékin  est  plus  ou  moins  accessible  aux 
étrangers,  ce  lieu  funèbre  est  un  but 
d'excursion  qui  s'impose.  Il  est  situé  à 
45  kilomètres  nord  ouest  de  In  capi- 
tale, en  passant  par  Cha  Ho  et  Tchiang 
ping  Ichio,     dans     la    direction     de     la 


I.KS    T0MIU-;AU\     des    KMI'KHKI   ItS    MING 


L  AVEN  Ul.     Dl.i 


A  s  1  M  A  u  A 


(îrande  Muraille.  Un  descendanl  de  la 
dynastie  des  Ming,  qui  porte  le  titre 
(le  marquis,  a  la  char^re  héréditaire  de 
veiller  à  l'entretien  des  tombeaux.  Cette 
charge  a  été  instituée  au  milieu  du 
xvii"  siècle,  lorsque  les  conquérants 
mandchous  furent  définitivement  les 
maîtres  en  Chine. 

On  n'a  que  des  notions  fort  incom- 
plètes sur  les  trésors  artistiques  que 
recèlent  ces  immenses  réglions  à  peine 
ivplorées.  Depuis  un  demi-siècle,  il 
o^t  vrai,  les  découvertes  s'accumulent 
cl  -se  développent  en  s'expliquant  les 
unes  par  les  autres.  Mais  bien  des  sur- 
prises nous  sont  encore  réservées.  Les 
tombeaux  des  Ming  nous  ap|)rennonl 
en  tout  cas  que  les  Chinois  ont  eu  le 
f^nùt  de  la  sculpture  {,'igantesque  à  l'éj^al 
(Ici  Assyriens  et  des  Ef;ypliens,  et 
qu'un  trouve  chez  eux  des  imaffcs  en 
pierre  qui,  avec  un  souci  |)lus  grand  de 
la  réalité  et  moindre  du  symbole,  rap- 
pellent les  .sphinx  de  la  vallée  du  Ni! 
cl  IcH  taureaux  à  lèle  d'homme  du  pays 


d'Assur.  Ce  qu'on  appelle  vulgairement 
le  style  chinois,  c'est-à-dire  cette  orne- 
mentation tarabiscotée,  d'une  bizarrerie 
minutieuse  et  d'une  recherche  maladive, 
est  peut-être  le  dernier,  mais  n'a  sûre- 
ment pas  été  le  premier  ni  le  plus  im- 
portant ell'orl  de  l'art  dans  ri'"mpirc  du 
.Milieu. 

.Aujourd'hui,  dans  les  manifeslalion> 
qui  nousen  parviennent,  l'arlchiiioisdé 
forme  tout  :  il  grossit  invraisemblable- 
ment les  petits  êtres  etra[)elisse  ridicule- 
ment les  grands.  La  Chine  est  le  pays  des 
énormes  poussahs,  chimères  et  dragons 
de  porcelaine  ou  de  bronze,  et  des 
chênes  nains,  hauts  comme  un  plant  ilc 
géranium.  L'arlisie  chinois  ne  Iravailh' 
])ltis  guère  que  dans  le  monsirueux. 
Tous  les  modèles  oITerIs  par  la  nature 
se  compliquent,  se  conlourneni,  se  con- 
vulsent  et  s'exagèrent  dans  le  laid  ou 
l'horrible,  en  passant  par  son  imagi- 
nation et  en  étant  interprétés  par  ses 
doigts.  Les  letlrés  lii'cnt  de  Confucius 
une  morale   à    la    l'ranklin;    mais   leur 


LES    TOMIîEAUX    DKS    EMPEHEUHS    MINC. 


loiiipérainent  eslhélique  n'aspire  qu'au 
(lifTormo,  au  f,'i'imaçant,  à  l'airreux,  aux 
créations  du  cauchemar,  de  la  ierocité 
cl  de  la  peur. 

Il  n'en  fui  |)as  toujours  ainsi.  Avant 
la  dominalion  mandchoue,  les  Chinois 
(le  la  Chine  propre  avaient,  il  est  facile 
de  s'en  convaincre,  le  sens  du  f,'randiose 
pur  (le  tout  mélange  caricatural. 

La   dynastie   des    Ming   succéda    aux 
princes  mon<îols  en    11568,   lorsque  l'an- 
cien bon/c  Tchou  Yuen    tchan^', 
aussi  appelé  Thai   Isou    et  lion 
ffoou,      se     fut     emparé     di 
Nankin    et    eut   chassi    l'em 


larj^e,  et  l'enlr  'e  en  élail  autrefois  close 
par  une  nuirail  c  dont  il  ne  resie  plus 
que  quelques  pan<  en  ruine. 

On  Miel  iirlinaircment  deux  jours 
j)oiir  fraiK  lui'  les  douze  lieues  qui  sépa- 
rent   Pi'kiii    lie    la     vallée    funèhre. 

Au  bniii  de  la  première  étape,  on 
trouve  une  soi  le  de  f,''rande  porte  à  cinq 
baies,    do  ,1    le    nom    est    Pé  loh   et   qui 


>  T  A  r  u  E  ,s    A    l'entrée    d  e  - 


pereur  Choenli,  dernier  représentant 
de  la  dynastie  des  Yuen.  Elle  réy:na 
jusqu'en  1()48,  époque  où  la  dynastie 
mandchoue  actuelle  la  remplaça  violem- 
ment. Tout  d'abord  elle  eut  pour  capi- 
tale la  ville  de  Nankin.  Ce  ne  fut  que 
sous  le  troisième  empereur  Ming, 
Yong  lo,  que  le  sièg-e  du  gouvernement 
l'ut  transporté  à  Pékin  (H09).  Yong  lo 
et  ses  douze  successeurs  eurent  pour 
lieu  de  sépulture  un  fond  de  vallée, 
non  loin  de  la  capitale  nouvelle.  Cette 
vallée,  à  laquelle  les  montagnes  qui 
l'enferment  donne  la  figure  d'un  fer 
à  cheval,  ne  s'ouvre  qu'au  sud.  Elle  n'a 
pas    tout  à   fait   sept    mille   mètres   de 


pusse  pour  la  plii>  belle  de  ce  genre  qui 
soit  en  Chine.  i'.We  marque  l'entrée  de 
la  vallée  saiiilf .  lil'e  se  dresse,  dans  un 
état  de  consi  1  v;i(i'Mi  presque  parfait,  au 
milieu  di-sruiiu-  i-nvii-onnautes,  jusqu'à 
une  lianleiir  dr!  I  .">  mètres,  sur  une  lar- 
geur de  27  m  -II- 'S  et  demi  environ. 
I/ouvirlu  e  piin.i|)ale,  au  centre,  est 
flanquée  de  chaque  i;ôlé  de  deux  ouver- 
tures plus  |)"lili-.  Elle  est  construite  en 
blocs  de  marbre,  dont  les  parois  sont 
couvertes  de  lias-  idiefs  représentant  des 
drai;oiis  cl  autres  èirei  fantastiques. 


A 


!,  1  Muètres  au   delà,  se 


troLive  la  Grandi-  Porte-Rouge.  Lorsque 
la   mni-aille    d'eni  ointe    exi>tait  encore, 


i.KS   Ti)Miii;Ai  \    in:s    KM  ri;  u  KL' us    M  IN  G 


celte  ])orle,  peinte  de  brillantes  couleurs, 
donnait  accès  clans  l'enclos  funéraiie 
|)roprenient  dit. 

De  lautre  ciUé  ,  on  rencontre  un 
pavillon  ou  kiosque  ouvert.  Ce  pavil- 
lon contient  une  tablette  de  pierre  re- 
posant sur  une  énorme  tortue  marine, 
de  pierre  également,  emblème  d'endu- 
rance et  de  longue  vie.  Sur  la  tablette 
est  gravé  un  poème,  composé  par  un 
des  empereurs  Ming  qni  sont  enterrés 
auprès.  Le  pavillon  est  orné  en  son  pour- 
tour de  quatre  piliers  de  marbre  sculp- 
tés, surmontés  chacun  d'un  griiîon. 

C'est  là  que  commence  l'étrange  et 
célèbre  avenue  des  Animaux. 

Sur  une  longueur  de  plus  d'un  kilo- 
mètre et  demi,  des  deux  côtés  de  la 
route,  à  des  intervalles  de  36  à  37  mè- 
tres, s'alignent,  taillées  dans  la  pierre, 
des  ligures  gigantesques  de  lions,  de 
lionnes,  de  chameaux,  d'éléphants  el 
de  la  bête  fabuleuse  appelée  tchi  liiin. 
Elles  sont  disposées  par  paires  de  la 
même  espèce,  alternativement  debout  et 
à  genoux. 

Plus  loin,  les  animaux  sont  rempla- 
cés par  des  ligures  de  guerriers,  de  pré- 
Ires  et  d  hommes  d'p]lal,  gigantesques 
aussi,  également  disposées  par  ])aires, 
un  guerrier  faisant  face  à  un  guerrier, 
un  prêtre  à  un  prêtre,  un  mandarin  à 
[\n  niandaiin,  mais  toutes  debout.  C'est 
vraiment  un  spectacle  merveilleux  el 
imi)osant  (pic  celui  de  cette  longue  file 
d'êtres  énormes,  muets  et  immobiles, 
montant  une  garde  séculaire  devant  les 
sépulcres  des  anciens  empereurs. 

.\u  bout  de  l'avenue,  la  route  fran- 
chit une  rivière  par  un  pont  jadis  ma- 
gnifique, maintenant  aux  trois  quarts 
ruiné,  et,  .5  kilomètres  plus  loin,  elle 
s'arrête  à  une  porte  de  pur  et  vieux 
style,  derrière  laquelle  est  le  tombeau 
majestueux  de  l'empereur  Yong  lo. 

Il  s'élève  au  milieu  des  arbres  et  con- 
tient dans  son  enceinte  plusieurs  salles 
et  des  constructions  diverses,  toutes 
(■ouverl(!S  de  tuiles  d'un  jaune  éclatant, 
(^ette  couleur.  <|ui  est  la   coideur  "  im- 


périale ".  contraste  heureusement  ave 
le  vert  des  feuillages  et  les  tons  sombro 
des  montagnes  (|ui  ferment  l'horizon. 

La  salle  principale  est  en  retrait  sur 
une  terrasse  de  marbre,  à  laquelle  on 
monte  jiar  un  double  escalier  de  marbre, 
à  balustres  élégamment  travaillés.  Elle 
a  plus  de  '20  mètres  de  long.  Son  toit, 
peint  et  orné  de  sculptures,  repose  sui- 
des piliers  en  bois  brut,  hauts  de  9  mè- 
tres environ  et  formes  chacun  d'un  seul 
tronc  d'arbre.  A  l'inlérieui'  se  trouve 
une  châsse  en  métal,  jaune  comme  les 
tuiles  du  toit,  où  le  nom  de  l'empereur 
est  inscrit.  Devant  cette  châsse,  qui  est 
protégée  par  une  grille,  on  voit  la  table 
des  sacrifices  avec  des  vases  pour  les 
fleurs,  des  flambeaux  el  une  urne  à  en- 
cens, sorte  de  brasero  où  se  brûlent 
ces  petits  bâtons  odoriférants  dans  la 
combustion  desquels  les  prêtres  boud- 
dhiques savent  lire  les  destins  cl  que 
l'on  connaît  sous  le  nom  de  "  bâtons  à 
oracles   •.. 

Cette  grande  salle  est  entourée  de 
pavillons  somptueusement  décorés,  en- 
cadrant des  cours  plantées  de  chênes 
et  de  pins.  Du  haut  de  la  terrasse,  on 
a  une  vue  d'ensemble,  non  seulement 
de  ce  tombeau,  mais  des  douze  autres 
qui  sont  groupés  là  et  dont  les  toit- 
jaunes  scintillenl  au  soleil. 

On  aperçoit  aussi  un  monticule  fait 
de  main  d'homme,  couvert  d'arbres  cl 
de  broussailles,  et  l'on  apprend,  non 
sans  surprise,  que  c'est  là,  sous  ce 
tumulus,  que  reposent  réellement  les 
restes  des  empereurs  en  l'honneur  de 
qui  toute  cette  vallée  a  élé  |)euplée  de 
statues  et  semée  de  magnifiques  monu- 
ments. Pour  les  corps  de  ces  «  Fils 
du  Ciel  »,  un  amas  de  terre,  sans  orne- 
ments ni  inscriptions,  a  suffi.  Pour  leurs 
esprits,  pour  la  mémoire,  de  leurs 
grandes  actions  el  de  leurs  vertus, 
toutes  les  ressources  (|ue  l'art  peut 
mettre  au  service  de  l'or  n'ont  pas  éli' 
de  trop.  N'est-ce  |ias  là  un  haut  cl  nobli' 
symbole? 

H    -II.      lÎAl    SSl    HON. 


TABI.i:Ar\     PAKISIKNS 


l! 


DICPAUT      POUR      LA      lîANLIEUE 


Chaiilo,  6  Muse,  Muse  dos  basliiugiies 
ol  des  orchestres  eu  plein  vent,  toi  qui 
peuples  les  "  bouchons  »  de  banlieue  et 
i|ui  souris  au\  fanfares  municipales,  chante, 
sur  tes  instruments  primitifs  et  variés,  les 
amusements  des  foules  parisiennes.  Et 
prête-moi  tes  accents  discordants  pour  cé- 
lél)rer,  comme  il  se  doit,  l'exode  des  lon- 
gues théories  endimanchées  vers  les  coins 
de  soleil  et  de  poussière  où,  seulement, 
les  simples  âmes  populaires  peuvent 
i>oùter  la  joie  et  le  repos  mérités  par  les 
durs  labeurs. 

Uegarde.  Les  voici  qui  se  hâtent  vers 
l'embarcadère  et  qui  l'encombrent  de 
leur  précipitation  affolée.  Car  ils  sont  en 
retard,  inévitablement.  Ils  auraient  pu 
partir  plus  tôt,  ayant  sacrifié  au  train  à 
prendre  toutes  les  menues  occupations  de 
la  matinée.  Ils  ont  bu  leur  café  au  lait 
froid  et  se  sont  vêtus  dans  une  bousculade 
maladroite.  Mais  ils  sont  en  retard,  parce 


que  la  course  folle  aux  abords  de  la  gare, 
les  regards  anxieux  jetés  sur  les  hor- 
loges contradictoires,  la  sueur  qui  désem- 
pèse  les  plastrons,  le  ballottement  des 
paquets  alourdis  et,  planant  sur  le  tout, 
l'angoisse  horrible  du  train  peut-être 
manqué,  tout  cela  est  bon  comme  début 
d'une  journée  de  repos.  Et  il  faut  cela 
pour  qu'on  se  sente  vivre,  et  jouir  des 
heures  de  congé  ;  et  aussi  —  philosophie 
superbe  en  son  inconscience  —  pour  se 
trouver  bien,  une  fois  la  place  conquise, 
dans  les  affreuses  caisses,  à  l'air  raréfié, 
aux  émanations  mystérieuses,  à  l'espace 
illusoire,  qu'une  machine,  capricieuse  en 
ses  arrêts,  traînera  de  mauvaise  grâce 
jusqu'en  des  stations  heureusement  pro- 
chaines; et  enfin,  pour  préparer  douce- 
ment le  coup-d'œil  de  belle  nature  des 
banlieues  endormies  sous  leurs  tonnelles 
en  bois,  peintes  du  vert  reposant  des 
feuillages. 


TAHLKAUX     l'AHISlKNS 


I  M  H  M(  (  •  (  1   M  1  \  I 
I  OU  H 


Ce  iH-  sont  point  des  marquises  fraiche- 
miMil  poudrées,  ou  les  pers()nna<jes  falots 
(l'on  n(!  sali  <[Uolle  comédie  do  rêve,  ipii 
s'installent  en  un  cocpiel  escjuir  pour  y 
voguer  nonchalamnienl  vers  quelipie  alli- 
lanl  Autre-part.  Les  toilettes  sont  l(-};cres 
et  un  peu  rechercliées,  mais  simides,  et 
l'on  va  vers  un  de  ces  plaisiis  à  hon 
marché,  <pi'on  prend  en  las. 

Knlre  des  bari'es  qui  semlileul  un  rudi- 
mentaire  parc  à  moutons,  ils  ont  piéliiu' 
lonulemps,  le  nez  dans  un  chapeau  in- 
connu, un  para|)Iuie  étranj^er  conlie  leurs 
épaules,  gajjnanl  un  pas  par  ipiart  d  heure, 
el,  comme  dans  la  vie,  relardés  |)ar  les 
humanités  qui  les  précèdcnl,  poussés  par 
celles  <p]i  les  suivent.  Souri.inis  toutefois, 
ils  ont  franchi  le  fuf;ilif  m.d  de  mer  du 
iionton  el   sont   installés,   en    un   "rouillc- 


ment  humain,  près  de   la   chaudière  odo- 
rante ou  sous  la  tente  ensoleillée. 

El  des  paysafrcs  se  déroulent,  parisiens 
toujours,  et  (pi'ils  nomment,  f^ràce  à  des 
souvenirs  fidèles  et  aussi  à  de  prévenants 
écrileau.x.  Ce  sont  des  arbres  de  honle- 
vaids  el  des  cheminées  d'usines  qu'ils 
n'ont  jamais  vues  (piendorniios  dans  le 
repos  dominical.  I.a  route  élarf;ie,  les  ter- 
rasses abondantes  en  fritures  commencent 
ft  pulhder,  en  des  horizons  familiers  de 
balançoires  et  de  jeux  divers.  Kl  de  la 
musi(pic  leur  arrive  par  boufl'ées,  comme" 
sur  l'esquif  cvtliéréen,  mais  tout  autre. 
Ce  sont,  pour  ceux  de  Paiis  (]ui  le  fuient, 
au  cornant  du  lleiive,  les  derniers  refrains 
des   cafés   chantants  du    faubourp;. 

ICI  dès  (pie  cela  va  devenir  de  la  eam- 
papne,  la  nef  louide  de  fo\ile  el  de  soleil 
s'arrête  déliniliremenl,  car  elle  sait  <pie 
tous  ces  f;ens  (pii  la  charf;ent  n'iraient  pas 
|)lus  avant  et  ne  voudraient  pas  fuir  Paris 
plus  loin  que  ce  qui  le  rap|)elle. 


TAliLKAL.X     l'ARlSIEN: 

'lIV  •■ 


Ici,  Muse,  je  nrarrèterai.  pour  donner 
un  homraa<;e  senti  à  lune  des  plus  admi- 
rables vertus  de  la  foule  parisienne  :  la 
Patience.  Le  vent  des  révolutions  l'agite 
moins,  la  passion  même  la  tient  moins 
seri'ée  en  ses  griffes  que  ne  la  domino, 
impérieuse,  liourrue,  sarcasiique,  la  voix 
du  conducteur  d'omnibus,  du  haut  de  ce 
rostre  qui  est  sa  plate-forme  encore  vide. 

Nul  ne  souffle  mot,  nul  ne  proleste.  Ils 
ne  trouvent  messéànt,  ni  d'avoir  le  O.'IO, 
série  verte,  quand  ■<  on  en  est  »  au  122, 
série  rouge,  ni  de  partir  à  midi  trois 
quarts  quand  ils  sont  venus  à  neuf  heures 
vingt,  ni  même  d  être  rudoyés  parce 
qu'on  leur  a  donné,  par  erreur,  leur  nu- 
méro pour  la  Villelle  quand  ils  le  vou- 
laient pour  l'Etoile.  Ils  sont  très  patients, 
parce  qu'ils  sont  très  philosophes,  et 
que,  allant  à  un  plaisir,  ils  trouvent  haute- 


ment juste  de  le  payer  d'un   petit  ennui. 

Seules,  parfois,  des  femmes  prolestent. 
Elles  ont  plus  de  nerfs  et  sont,  étant  plus 
près  de  l'instinct  ou  de  l'enfance,  plus  fan- 
tastiquement exigeantes.  Elles  conçoivent 
comme  très  injuste  qu'on  leur  ail  dévolu 
un  pareil  numéro,  qu'elles  seront  pourtant 
hères  d'avoir,  dans  deux  heures,  et  qu'elles 
arboreront  comme  s'il  était  décerné  à  leur 
vertu.  D'aucunes,  qui  sont  accompagnées, 
songent  sournoisement  qu'en  se  déclarant 
incapables  d'attendre,  elles  amèneront  ([ui 
de  droit  à  leur  offrir  un  fiacre,  ce  qui  est 
leur  plus  cher  désir  depuis  le  départ  de 
la  maison. 

Tous,  d'ailleurs,  sont  d'accord  pour 
trouver  la  vie  exquise,  quand  ils  ont  trouvé 
sur  l'impériale,  ou  en  dedans  s'il  pleut,  les 
trois  places  voisines  qu'ils  attendent  de- 
puis dix-huit  voitures. 


^    V     ^1 


!A' 


IhlE      lOIiAIM-, 


Mais  point  n'est  l)ost)iii  d'allt'i-  si  loin 
clicrclior  dos  plaisirs,  et  soit  dans  Paris 
même,  soit  en  ses  plus  immédiats  envi- 
ions, tu  sais,  ô  Muse  des  l'ouïes,  garder  à 
tes  adorateurs  les  joyeuses  cohues  qui  leur 
sont  clières,  —  elières  Ji  tous  égards. 

Je  ne  m'arrêterai  point,  par  pitié,  de- 
vant les  |)auvres  entants  (pii  sont  censés 
V  trouver  de  ramusemenl.  .le  glisserai, 
prudent,  sur  l'immoralité  que  leur  oll'renl 
les  divers  spectacles,  pour  ne  parler  — el 
encore  !  —  que  des  tarifs  (pii  rendent  ina- 
liordables  ceux  où  ils  goûteraient  quelque 
joie,  et  des  fâcheuses  suites  gastri(pies 
que  présentent  à  leurs  jeunes  tempéra- 
ments les  in((uiétantes  promiscuités  de 
tant  iralimenls    hétéroclites  et   superflus. 

Mais  je  songe  aux  diverlissements  va- 
riés (pii  sont  poui-  les  gens  réputés  plus 
raisonnahles,  et  (pii  n'ont  de  dilTi'renoe 
ave<'  les  enfants  (pie  de  voir  dans  la  foule, 
étant  grands,  et  de  choisir  eux-mêmes  ce. 
(lui  peut  les  amuser.  lUipii  dira  —  malgré 
1  édiliaiile  conriision    de    loiiles    les    cisles 


el  de  toutes  les  toilettes,  de  la  rolie  à  la 
culotte,  de  la  redingote  au  veston  les 
distinctions  ipii  se  l'ont  (|uanU  même,  el 
les  élans  c|ui  poussent  :  d'un  C('>té,  l'élé- 
gante, délicate  mais  curieuse,  vers  les 
aguichants  tréteaux  où  la  lutte  étale  des 
robustesses  inconnues  de  son  monde  ;  de 
l'autre,  la  faubourienne,  forte,  mais  sen- 
sible, vers  les  tableaux  naïvement  gro- 
tesques et  hideux  où  se  peignent  les 
enfants  martyrs  el  les  plus  ri'cenles  guil- 
lotines? 

El  (pli  chantera,  enlin,  pour  toi,  Muse 
égalitaire,  les  jeux  (pii  les  unissent,  el 
comment  ce  sont  soit  les  loiirniquels  où 
l'on  gagne  (("i  universel  esprit  de  lucre  !  , 
soit  ces  manèges  dans  les(piels  les  che- 
vaux de  bois,  candides  et  amorphes  où 
notre  enfance  eut  mal  an  en  ur,  ont  été 
remplacés  par  les  vaches  aux  yeux  pen- 
sifs, les  pores  bourgeoisement  gras  ou  les 
lapins  aux  pieds  agiles,  (pii  sont,  parait-il. 
des  svmboles  (|ue  l'on  entend  danv  tous 
les  mondes? 


gUATORZi:     JUILLET 


(a'IIc  l'ois,  en  nii-iiu'  tom])s  que  je  lin- 
\ni(iu'ini.  Muse,  j'invoquerai  aussi  Clio, 
<{ul  |Mvside  à  1  Histoire.  Et  c'est  elle  qui 
m'expliquera  les  motifs  patriotiques  de 
l.mt  de  trémoussements  au  son  d'orchestres 
l'èlés,  de  tant  de  stations  soi-disant  rafrai- 
rliissantes  devant  des  breuvages  difficile- 
ment analysables,  de  tant  de  chemin  fait 
au  soleil  pourvoir  ceux  qui  assistent  à  une 
revue  des  troupes,  de  tant  de  lampions 
iiifin,  sans  le  ja])onisrae  ou  le  vénilianisme 
desquels  il  n'y  aurait  pas  de  fête  fran- 
l'.iise. 

lille  me  dira  comment  la  vieille  inscrip- 
lion  plantée  sur  la  Bastille  démolie  :  Ici 
l'un  danse,  se  perpétue  en  sauteries  où 
l'idée  du  ]ilaisir  immédiat  prime  assuré- 
ment celle  d'un  rétrospectif  civisme;  — 
comment  les  boissons  ingurgitées  aux  ter- 
rasses symbolisent  :  par  leurs  couleurs,  les 
plus  démocratiques  fusions;  par  lenr  prix, 
le  développement  de  l'impôt,  cette  force 
des  Ktals;  par  leur  composition,  le  pro- 
grès des  sciences  chimiques  depuis  un 
siècle  de  Révolution  ;  —  comment  enfin, 
.iprès    la    patriotique    courbature    gagnée 


autour  du  chanqi  où  délile  l'armée,  la  joie 
populaire  s'éclaire  avec  les  mille  lanternes 
qui,  fabriquées  dans  les  i)risons,  sont  assez 
philosophiquement  indiquées  pour  illumi- 
ner un  jour  de  liberté. 

Et  tu  ajouteras  sans  doute.  Muse  boniu' 
enfant,  que  c'est  aller  chercher  bien  loin 
des  motifs  à  ces  anmsemcnts;  que  la 
grande  raison  est  que  les  ateliers  ont' 
chômé,  et  qu'en  règle,  par  une  rapide  et 
consciencieuse  pensée,  avec  le  grand 
anniversaire  qui  en  est  cause,  le  bon 
Parisien  n'a  songé  —  et  bien  il  a  fait  — 
qu'à  profiter  le  plus  am|)lement  possible 
du  repos  qui  lui  était  donné. 

11  a  été  voir,  avec  une  conviction  an- 
nuelle, les  divertissements  fidèlement  re- 
commencés que  la  Ville  de  Paris,  i;éné- 
reuse,  offre  à  sa  rieuse  badauderie. 
marché,  quoique  éreinlé,  bu,  malgré  ((uil 
n'ait  j)lus  soif,  dansé,  bien  qu'il  fasse  atro- 
cement chaud,  et  illuminé,  encore  qu'il 
habile  sur  la  cour.  Mais  c'est  un  jour  où 
l'on  doit  faire  tout  cela,  et  c'est  dans  cette 
communauté  de  plaisirs  acceptés  que  se 
manpie  la  fraternité  des  hommes. 


TABI.KALX     IVMUSIKNS 


Il  li'^^^filf^^* 


MATINHE      (llîATIITi: 


Cuiniiu'  il  f^l  (lil  i|iu-  loiil  s':u-ln'to,  cl 
(|iie  les  cliosc's  f^raliiili-s  ncii  s.Tiiraiciil 
être  exemptes,  c'est  avec  beaucoup  de 
cette  admir:il)l(!  patience  poiuilaire,  pous- 
sée là  juscpi'à  riiéroicpie  résistance  <ies 
troupes  au  feu,  (pie  se  conipiiert  une  place 
aux  matinées  où  l'on  ne  paye  pas. 

Douze  heures  sonneront  aux  horloi^os 
entre  le  nionienl  oiï  le  premier  postulant 
se  sera  assis  sur  les  maiches  du  contrôle 
et  l'instant  béni  où  les  portes  s'ouviiront 
pour  laisser  |)asser  tout  le  Ilot  de  ces  cou- 
lages et  de  ces  abnéf;ations.  Pendant  ces 
dou/.e  heures,  ils  seront  venus,  peu  :"i  peu, 
de  plus  en  plus  abondants  à  niesm-e  (pie 
la  période  (rallenlc  deviendra  normale, 
pullulant  d(''S  (prelle  aura  atlciiil  les 
limites  du  relard. 

V.l  alors  commenceront  d'entrer  en 
action  les  mille  moyens  iiifjénieux  qu'ont 
les  foules  de  tuer  le  temps,  (pii  n'en  peut 
mais,  et  (pii  d'ailleurs  n'eu  va  pas  plus 
vite.  Jamais  les  ioiirnanx  n'ont  été  lus,  les 
annonces  y  eompiiscs,  avec  une  Jibis 
absolue  conscience;  jamais  les  prospectus 
n'ont  été  dévorés  pbis  coinplètemenl  ou 
n'niil    plus  ini;(''iiieuseniciil    servi  à  simuler 


des  \olaliles  ou  dos  embarcations;  jamais 
enfin  les  conversations  voisines,  fussent- 
elles  insipides,  n'ont  été  accueillies  avec 
plus  d'empressement  courtois. 

lilles  sont  tout,  depuis  le  terrible  et 
impitoyable  calemboiu-,  depuis  le  mot  à  la 
mode  cent  ime  fois  répété,  jus(pranx  con- 
fidences stupidement  prolixes  on  aux  dis- 
putes exag<?rément  conjugales.  Heureux 
vraiment  celui  (pii  n'est  pas  îi  e(')té  du  très 
vieil  habitué  (|ui  "  les  suit  toutes  ",et  (pii 
liasse  en  revue  des  souvenirs  ipii  ne  le 
rajeunissent  <;uère,  et  (]ui  détlore,  eu  nue 
diction  ipie  de  loiiffues  études  ont  reiidui- 
péniblement  fausse,  les  plus  beaux  endroits 
de  l'(euvre  affichée! 

i  lintré  enfin,  après  ce  slafre  pénible,  la 
lête  vide  et  les  jambes  doulo\ireuses.  ou  a 
gagné,  courant,  une  place  (pii  aurai!  (h'i 
cire  bonne,  cependant  (|u'un  étal  d'espril. 
spéci.il  aux  foules,  s'établit,  et  se  sépare 
d'après  l'étage  occupé,  les  bourgeois  m-ihis 
tard  étant  méprisés  par  les  spectateurs  de-- 
lo^;es,  les(piels  sont  les  sans-le-sou  posant 
depuis  la  nuit,  et  (pii  ont  pris  .lUX  place- 
des  criti(pies  ce  (pi'elles  exilaient  de  pro- 
fessionnel dédain. 


TAIJMCA  r\     1>  A  mSlKNS 


GRAND      PRIX 


Il  m'eût  fiillu,  jadis,  6  Musc,  me  servir 
(le  ()uek|iie  habile  IraHsition  pour  en  venir 
des  fêles  populaires  aux  distractions  aris- 
tocratiques, telle  celle-ci.  Mais,  a  vrai 
dire,  aujourdluii,  depuis  que  la  fièvre  hip- 
|)ique  s'est  infiéré  d'aiçiter  les  plus  mo- 
destes citoyens,  la  grande  journée  des 
élégances  peut,  comme  le  reste,  être 
chantée  par  ta  voi.v. 

Si  le  coin  dit  Pesage  a  conservé  encore 
de  ses  anciens  charmes,  il  s'y  mêle  pour- 
tant, comme  en  toute  chose  payante,  des 
étalages  de  mauvais  aloi,  ce  que  peut 
donner  lor  (piand  il  est  seul  à  inspirer  le 
goût  et  ((u'au  lieu  de  parer  une  grâce 
il  se  borne  à  maquiller  une  vulgarité.  Mais 
ne  Dous  y  attardons  point,  retenons-en 
seulement  les  jolis  détails;  le  reste  s'étale 
davantage  :  mais  nous  avons,  ô  Muse,  la 
faculté  de  tourner  la  tête» 

C'est  à  la  Pelouse,  d'ailleurs,  qu'est 
maintenant  la  vraie  journée,  pour  tout  ce 
qui    s'y    mêle    d'ardeurs,   d'espérances,  de 


superstitions  folles,  de  na'ives  and)itions. 
pour  le  battement  intense  de  ce  cnui-  de 
plèbe,  unifié  dans  l'attente  d'une  foulée  île 
cheval,  du  passage  en  éclair  d'uiu'  tète 
devant  un  poteau. 

Telle  l'absurde  bicyclette  donne,  au 
moins  par  instants,  la  sensation  grisante 
de  la  vitesse,  tel  le  jeu  idiot  des  courses 
procure,  pendant  le  moment  où  les  chances 
se  combattent,  un  décuplement  d'existence 
qui  l'explique  et  peut  l'excuser.  Ce  seiail 
aller  trop  loin  que  de  chercher  si  uni- 
décuple  existence  cuvant  dix.  Cela,  Muse, 
n'est  point  de  notre  tâche. 

Disons  seulement  combien  il  part  d'es- 
poirs et  combien  il  revient  de  désenchan- 
tements, combien  il  se  change  de  belle 
humeur  contre  la  grinche  amèro  des  slu- 
pidcs  déconfitures,  et  combien,  une  fois 
encore,  l'argent,  qui  est  censé  circuler, 
sera  allé  dans  la  poche,  habituée  à 
ces  aubaines,  des  seuls  qui  n'ont  rien 
risqué. 


TAlîLK.Vl   \      l'A  m  SUONS 


'^-.MrPi 


I  Test  pourlaiit  sur  une  note  J'éléjfaiiec 
i|iic  je  iiiiirai,  Musc  béui-vole,  ce  dithy- 
i:iiubi'  havanli'.  (^'esl,  si  tu  lo  veux,  aux 
(  JiMuips-Klysées,  dont  nous  dédaignerons 
liniM-  un  joui-  les  palissades  depuis  si  long- 
leuips  provisoires,  (|uc  nous  rcj^ardcrons 
défiler  le  Retour,  comme  le  dit,  en  une  si 
jolie  simplicité,  notre  parisianisme  argo- 
li(|ue. 

Ici.  liai^rioiis  nos  yeux  dans  ces  agréables 
^piilaclcs.  Délouruons-les  des  horribles 
ouples,  cossus  el  coupablcmenl  laids, 
{ui  croient  être  élégants  en  passant  à  un 
■ndi-oit  d'élégance,  sans  comprendre 
pi'étant  là  ils  l'empèclu-nt  d'être  élé- 
iaid.  Regardons  seulement  les  fraîches 
'illioueltcs  fanfreluchces,  soyeuses,  fleu- 
ies,  exipiiscmeni  ébourifTées  par  le  veut 
Ml  par-  une  main  savante.  Kt  regardons, 
dus  longuement  encore,  les  plus  femmes 
l'eidre  ces  femmes,  celles  à  qui  le  ré- 
(M-élicnsible  sport  n'a  pas  donné  l'idée 
IciMc^tc    i\r     VI-     masculiniser,    celles    inii 


savent  sondigncr,  a\ec  inliuimi'ut  de  «o- 
quetlerie  et  de  l'rancliise  perverse,  l'c  que 
la  nature  leur  a  dévolu  de  formes  souple- 
el  rondes  et  de  finesses  délic.ites. 

Ne  méprisons  pas  pour  cela  le  Peuple, 
(jui  a  ses  beautés,  d'une  aristocratie  cpiel- 
(piefois  troublante  pour  la  superficielle 
logique;  mais  ne  prenons  de  lui,  pour 
finir,  (|ue  ce  <|u'il  a  de  vraiment  joli,  que 
ce  (pii,  auréolé  de  mèches  blondes,  brunes 
ou  rousses,  coill'c  de  pailh-  et  de  lleurs,  et 
|iaré  avec  le  moins  d'élotfe  possible,  eu 
représente  si  dignement  l'alVriolante  ver- 
deur. 

Kl  maintenant.  Muse,  voici  l'heure  où 
se  termine  le  défilé.  Hentrés  h-s  élégants, 
comme  les  faubomiens.  Délaissons  nos 
instrmnents  familiers  (pii  troubleraient 
les  âmes  populaires  en  train  de  couronner 
par  un  dîner  biuyant  ces  journées  de  joie 
et  de  re|)os  méritées  par  les  durs  labeurs 


Pli 


V.< 


11.  \   \  I     I   T. 


LK    MOUVEMENT    LITTKRAIRK 


Dans  les  papiers  d'Alexandre  Dumas 
père,  oii  retrouvti  celte  pape  bien  pitto- 
res(iue,  pleine  de  saveur,  et  qui  vaut  d'être 
conservée  et  d'être  lue. 

Une  idée  nous  est  venue,  qui  nous  a  paru 
grande  et  nationale;  la  voici  : 

L'n  voyage  tout  de  poésie,  d'Iiistoire  et  de 
science,  exécuté  autour  de  la  Méditerranée, 
manquait,  non  seulement  à  la  France,  mais  à 
l'Europe. 

Plusieurs  ont  bien  feuilleté,  comme  l'ont 
l'ait  Chateaubriand,  Champollion  et  Volney, 
(juclques  pages  de  ce  grand  livre  où  l'histoire 
du  monde  est  écrite  tout  entière;  mais  nul 
ne  l'a  lu  de  suite,  depuis  Homère  jusqu'à 
lîyron,  depuis  Achille  jusqu'à  Bonaparte, 
depuis  Hérodote  jusqu'à  Cuvier. 

C'est,  dans  une  époque  où  l'on  dit  l'art  et  la 
science  étouffés  par  la  politique,  une  expé- 
dition d'art  et  de  science  que  nous  allons 
tenter.  A  ceux  qui  accusent  notre  âge  d'être 
matériel  et  antipoétiipie.  nous  répondrons 
que  dans  cet  âge,  cependant,  nous  avons 
trouvé  un  gouvernement  qui  nous  accrédite... 

Notre  relation,  comme  on  doit  le  penser  à 
la  vue  de  pareils  noms,  sera  donc  moins  un 
voyage  proprement  dit  qu'une  histoire  uni- 
verselle: nous  prendrons  le  genre  humain  à 
sa  Genèse  et.  le  suivant  des  yeux  au  sortir 
de  l'Arche,  nous  descendrons  des  montagnes 
de  l'Arménie  avec  les  trois  frères  ancêtres 
(]ui  ont  peuplé  la  terre.  Nous  fouillerons  la 
cendre  des  nations  qu'ils  ont  engendrées  et 
les  ruines  des  cités  qu'ils  ont  bâties. 

Uien  ne  nous  échappera  de  ce  qui  fut 
grand. 

En  poésie,  nous  ouvrirons  le  monde  à 
Homère  et.  passant  par  Virgile  et  Dante. 
nous  le  fermerons  à  Chateaubriand. 

En  religion,  nous  aurons  Mo'i'se  pour  pro- 
phète, le  Christ  pour  Dieu,  Mahomet  pour 
réformateur. 

En  histoire,  nous  retrouverons  la  trace  des 
phalanges  d'Ale.xandre,  des  légions  de  César, 
des  armées  de  Cliarlemagne.  des  croisés  de 
saint.  Louis,  des  flottes  de  Charles-Quint  et 
des  grenadiers  de  Bonaparte. 

En  géographie.  Hérodote  nous  dira  quel 
était  le  monde  connu  des  Grecs  et  Strabon 
le  monde  connu  des  Romains. 

En  architecture.  l'Egypte  nous  ouvrira  ses 
musquées,  la  Grèce 'ses  temples,  l'Italie  ses 
basiliques.  Nous  chercherons  les  rapports 
mythiques  qui  existent  dans  toutes  les 
époques  de  foi  entre  les  monuments  et  les 
mystères  qui  s'y  accomplissent,  et  nous  ver- 
rons sortir  les  ruines  de   trois  civilisations  et 


de  trois  croyances,  Sainte-Sophie  de  l^onstan- 
linoplc  avec  sa  croix  grecque  et  Saint-Pierre 
de  Kome  avec  sa  croix  latine. 

Toutes  les  villes  qui,  tour  à  tour,  ont  été 
reines  passeront  découronnées    devant  nous, 

Rome,  avec  ses  faisceaux  consulaires,  son 
bandeau  césarien  et  sa  tiare  papale. 

Syracuse,  avec  son  volcan  endormi,  son 
port  à  demi  comblé  et  les  dalles  de  ses  rues 
qui  conservent  la  trace  des  chars  qui  y  rou- 
lèrent il  y  a  deux  mille  ans. 

Venise,  avec  son  double  conseil  des  Trois 
et  des  Dix,  son  pont  des  Soupirs  et  son  esca- 
lier des  Géants. 

.Vthènes,  avec  sa  face  antique  et  moderne, 
courtisane  qui  s'est  couchée  dans  la  tombe 
avec  le  miroir  d'.\spasie.  vierge  qui  en  est 
sortie  avec  le  yatagan  de  Botzaris. 

Constantinople,  avec  sa  croix  et  son  crois- 
sant, tenant  dune  main  le  labarum  de  ses 
empereurs,  de  l'autre  les  queues  de  chevaux 
de  ses  pachas. 

Jérusalem,  avec  son  calvaire  sanglant,  sa 
mer  Morte  et  son  sépulcre  vide. 

Thèbes.  avec  sa  ville  des  vivants  si  déserte 
et  sa  ville  des  morts  si  peuplée. 

Alexandrie,  avec  son  triple  souvenir  <i'.\- 
lexandre,  de  Pompée  et  de  Bonaparte. 

Cartilage,  avec  son  berceau  d'.\nnibal  et 
sa  tombe  de  saint  Louis. 

EnQn  Grenade,  avec  son  Généralife  et  son 
Alhambra,  palais  merveilleux  bâtis  par  les 
Péris  sur  la  terre  des  fées. 

C'était  là  comme  une  poétique  fantaisie 
qui  fait  songer  à  la  délicieuse  poésie  di' 
Théophile  Gautier,  les  Ilirontlfllps  qui, 
sur  leurs  ailes  rapides,  visitent,  en  hiver-, 
Malte,  Smyrne,  l'Egypte  : 

..   Oh!  que  dans  Athènes 
Il  fait  bun  sur  les  vieux  remparts! 
Tous  les  ans  j'y  vais  et  je  niche 
Aux  métopes  du  Parthénon. 
Mon  nid  bouche  dans  la  corniche 
Le  trou  d'un  boulet  de  canon. 

Sauf  qu'il  n'y  a  pas  de  "  vieux  rem- 
parts »  à  Athènes,  le  tableau  est  joli.  Il 
éveille  un  monde  d'impressions  voya- 
geuses, qui  sont  le  grand  charme  d'une 
des  plus  importantes  collections  qui  aient 
été  publiées  sur  les  pays  riverains  de  la 
Méditerranée.  Ce  recueil  considérable  a 
été  commencé,  il  y  a  dix  ans,  et  a  paru 
avec  une    régularité  tenace  chez  l'éditeur 


LE    MOL'VKMKNi     I.  Il  TKK  A  I  II  K 


II.  Lauki-ns,  réalisant  le  vœu  de  Dumas. 
I.Vuvre  est  arrivée  à  bonne  fin,  et  elle 
mérite  sans  conteste  l'encouragement  et 
I  éloge  par  le  bel  exemple  quelle  donne 
d'un  travail  soutenu,  informé,  sérieux  et 
colossal.  La  collection  porte  le  titre  gé- 
néral :  Anlniir  dr  h,  MâJilerranéc,  et  com- 
prend neuf  gros  volumes  divisés  en  trois 
séries  :  Cô/m  fiarharpsques,  côles  LalinoR, 
rôles  Oripnlales.  Le  texte  est  de  M.  Ma- 
rins Bernard,  qui  connaît  de  visu  ce  dont 
il  parle.  Des  cartes  et  de  nombreuses  illus- 
trations précisent  les  impressions  du 
lecteur. 

L'idée  était  heureuse,  de   faire  ainsi  ce 
voyage    de    circumnavigation    autour    du 
grand  lac  des   Trois-Continenis  dont   les 
bords  sont  si   riches  en    merveilles  artis- 
tiques ou  naturelles     Ah!   le  beau,   varié 
et  séduisant  périple!  Et  comment  résiste- 
rait-on  au  plaisir   de  suivre  un   tel   itiné- 
raire :  Tripoli,   Tunis,  Alger,   Blidah,  Té-   j 
luan.    Fez,   Tanger,   les   côtes  d'Espagne,    [ 
Séville,  Grenade,  les  iles  Baléares,  Barcc-   ; 
loue,  Port-Vendres,  les  côtes  de   Franco,    ! 
la  Côte  d'Azur,  dont  la  description  se  fait 
lire    agréablement    même     après    Dumas 
père,  Stephen  Liégeard  et  aussi  le  général 
Bourelly;  la  côte  Italienne,  la  Sardaigne,    : 
Rome,   Naples,    le    Vésuve,    la    Sici'e   et 
l'I'^Ina,  la   Calabre,    l'Adriatique,    Rimini, 
Ravennes,  Venise;   la   côte    Autrichienne,    ; 
le  Frioul,  l'Istrie,  Fiume  et   a   Croatie,  la 
Dalmalie,     l'Herzégovine,     la    Bosnie,' le 
Monténégro,     l'Albanie,     l'Acarnanie,     la 
Grèce,   le    Péloponèse,  Sparte,    Athènes, 
l'Archipel,  la  Macédoine,   Conslantinople,    ( 
le  Bosphore,  la  mer  Noire,  la  mer  d'Azofi 
les  ruines  de  Troie,   Brousse,   Smyrne,  k    I 
Syrie,  Beyrouth,    Damas,   Jérusalem,    Bc- 
thiéem,   le  Sinaï,    le   Caire,    le  désert   de   | 
Libye,   et    nous   voilà   revenus   à   Tripoli,    ' 
point  de   départ.   C'est   une   œuvre   d'une 
importance  qui    mérite    d'être    signalée. 
Pour  être  parfaite,  il  eût  été  préférable 
que  lauleur  voulût   bien  rétrécir   la  zone 
riveraine  où  évolue  son  excursion.  Il  s'en- 
fonce trop  avant  dans  les  terres,  il  oublie 
son  bateau,  et  il  charge  h  plaisir  un  sujet 
déjfi    immense    par    hii-nu"me.     Quand    il 


nous   mène   à    Saragosse.    à    Cordoue,    à 
Avignon,  à  Andrinople,  au   lac   Mœris,  au 
Sinaï  ou  à  Suez,  il  nous  entraîne  trop  loin 
de   noire   rive.    En  Algérie,     nous   allons 
jusqu'à  Touggourt,  et  nous  pouvons  crain- 
dre un  instant  d'être  partis  pour  un  voyage 
d'études    du    Transsaharien!     De     même 
quand  on  mène  à  Gardaia  ou  à  Figuig.  On 
nous  dira  :  Mais  le  pays   est   si  curieux! 
Soit,   mais  ce  n'est    plus   votre   sujet,   et 
vous  manquez  à  l'ordre  de  la  composition. 
1    II  faut  savoir  se  borner.    In    simple  tour 
de  cabotage  fournissait  déjà  aisément  la 
j   matière  de  tous  ces  volumes  et,   le  sujet 
I   se   trouvant  allégé,   on   eût   pu  faire  une 
j    place   plus  large  aux    notions  d'art,  d'ar- 
j    chéologie,  d'histoire  qui  sont  le  véritable 
I   condiment  des  voyages. 

Cet  ouvrage  est  néanmoins  précieux  et 
j   d'une  utilité  que  je   ne   cesse  de   préco- 
I    niser.    La    géographie   est    la   plus   char- 
I    mante,  la  plus  amusante  des  sciences.  Les 
I    programmes  des  lycées  la  font  sèche,  re- 
I    butante,  et  c'est  là  un  crime.  On  apprend 
la   géographie  aux  élèves  avec  des  atlas 
et  des  abrégés,  alors   qu'il  faudrait  com- 
mencer par  jeter  au  feu  tous  les  manuels 
j    et    tous   les   atlas.    La   géographie   est    la 
science  de   la  Terre,  et  on   ne  connaît  la 
Terre  qu'en  voyageant,  ou  en  écoutant  et 
en    lisant     des     voyages.    Supprimez    le 
tableau  noir  et    les    cartes;    animez    les 
leçons  de  géographie  par  des  projections 
et  des  lectures  de  voyages,  ei    tout  ehan- 
Sera  ;  la  classe  sera  attendue,  aimée,  amu- 
sante, et  on    ne  dira  plus  qu'on  reconnaît 
les  Français  à   leur  ignorance   de   la  géo- 
graphie. La  publication  des  volumes  :/!(;- 
lo„r  <lpla  MMilonanfin.  servira  celle  cause 
qui  doit  nous  être  chère  h  tous  -    et  cela 
vaut  un  compliment. 

Tout  ce  (pii  assure  un  progrès  en  ma- 
tière d'éducation  a  droit  à  l'attention,  car, 
rien  n'est  grave  comme  léducalion  :  c'est 
elle  qui  prépare  l'avenir.  Chaque  géné- 
ration est  responsable  de  celle  .pii  la  suit. 
Aussi  voulons-nous  signaler  et  encou- 
rager les  publications  de  l'éditeur  F.  Na- 
than,en  tant  qu'elles  coniribuentà  résoudre 
un  délicat   priit    proMéiiu-  ilc    famille.    Il   v 


LE    MorXKMKNT     1.  Il  T  K  It  A  1  li  K 


;i  deux  méthodes,  relativement  à  l'emploi 
(lu  temps  pour  les  petits  enfants.  Il  y  a 
(■«•lie  de  Fénclon  :  ■'  Laissez-les  s'arranger; 
ils  s'amuseront  d'eux-mêmes,  et  sauront 
liien  se  créer  des  divertissements  simples 
«•l  de  leur  f;oûl.  ■■  Il  disait  et  pensait  cela 
«■n  protestation  contre  les  amusements 
<lispcMidieux  et  malsains  qu'on  prodiguait 
inaladroilemenl  à  l'enfance  de  son  temps. 
Il  y  a,  à  l'opposé,  la  méthode  do 
.l.-J.  Rousseau,  de  Pestalozzi,  de  Krœhel  : 
■  N'abandonnez  pas  l'enfant  à  lui-même 
ol  sachez  l'occuper  constamment  de  telle 
sorte  qu'il  s'instruise  en  s'amusant.  ■  Ce 
n'est  pas  ici  le  lieu  de  discuter  celte  ques- 
tion si  grave;  mais  nous  signalons  les 
rocherchos,  les  elTorts,  les  travaux  de  ceux 
ot  do  celles  que  préoccupe  le  souci  do 
l'enfant.  C'est  une  difficulté  délicate  d<" 
l'occuper  saiis  le  fatiguer  et  de  trouver 
;nissi  lo  moyen  de  le  faire  s'amuser  tout 
seul.  •  Maman,  je  ne  sais  pas  quoi  faire.  ■■ 
Que  do  fois  cette  plainte  gémit  dans  les 
familles  !  M"°  S.  Brès  a  eu  l'heureuse  idée 
do  réunir  un  certain  nombre  de  ces  Jeuj^ 
ri  iircui):ilinns  pour  les  petils  qui  ont  garni 
do  délicieux  ouvrages  les  panneaux  des 
classes  de  l'enseignement  primaire  à  l'Ex- 
position universelle.  A  lancer  et  manier 
<Ies  balles,  à  enfiler  des  perles  sur  des 
pailles,  h  faire  des  constructions,  des 
figures,  des  carrelages,  à  combiner  des 
bâtonnets,  des  anneaux,  h  faire  du  piquage, 
<le  la  broderie,  de  l'enlacement,  du  tres- 
sage, du  tissage,  du  déchiquetago,  du  dé- 
coupage, du  pliage,  du  tricot,  des  ouvrages 
<lo  papier,  des  objets  en  cocons,  des  mar- 
rons, des  nattes-tapis,  etc.,  l'enfant  peut 
]>asser  dos  heures  amusées;  dès  qu'il  sait 
faire  un  genre  de  travail,  il  l'applique  tout 
soûl  à  l'infini;  c'est  la  tranquillité  des 
parents,  et  aussi  l'auto-inslruction  de  l'en- 
l'ant  qui,  en  maniant  ces  accessoires  do 
tontes  formes,  apprend  une  vaguo  géo- 
métrie ot  aussi  l'usage  expert  de  ses  petits 
doigts.  Et  l'on  est  étonné  des  résultats 
surprenants  qu'on  obtient  avec  ces  minces 
riens,  ot  do  l'ingéniosité  des  auteurs, 
oomnio  M"'  M.  Kœnig,  bien  connue  par  sa 
collection    <\i'  poupées  en  costumes  natio- 


naux, qui  avec  quelques  bibelots  usuels 
réunis  dans  une  boite,  fait  l'éducation  des 
tout  petits  en  quelques  leçons  réunies 
dans  une  brochure  qui  accompagne  ce 
compendium.  On  n'imagine  pas  tout  ce 
que  l'on  peut  suggérer  et  apprendre  d'utile 
à  des  enfants  avec  ces  petites  leçons  ilo 
choses. 

M""  Kœnig  est  également  l'auteur  d'un 
manuel,  Le  Monde  en  l'npier  (.leandé,  édi- 
teur\  qui  est  une  merveille  d'ingéniosité. 
Si  les  enfants  connaissaient  et  pratiquaient 
tous  ces  beaux  exercices,  ils  trouveraient 
i    l'enfance  trop  courte. 

'  C'est  la  vie  qui  est  courte.  Où  trouver 
le  temps,  par  exemple,  de  relire  tout  son 
Balzac  ?  C'est  pourtant  le  moment. 

Les  a-uvres  de  Balzac  sont  <.  dans  le  do- 
maine ».  Cela  veut  dire  que,    Balzac  étant 
mort   depuis  plus  de  cinquante   ans,   ses 
héritiers  n'ont  plus  aucun  droit  à  perce- 
I    voir  sur  les  éditions  de   ses  œuvres,    et 
j    aucun  éditeur   ne   peut   plus  en    rovendi- 
j   quer   le  privilège.   Tout   le    monde    à    le 
'    droit  d'imprimer  et  de  vendre  du   Balzac, 
i    sans   rendre  de  compte   à   personne,    pas 
plus  que  quand  il  s'agit  d'une  tragédie  de 
Corneille  ou  d'un  sermon  de  Bossuet. 

Ce  moment  était  guetté.  Le  jour  même 
de  la  déchéance  des  droits,  on  mettait  en 
vente  des  collections  nouvelles  d'oeuvres 
complètes  de  Balzac  de  tous  formats  ot  de 
tous  genres.  Il  faut  s'en  féliciter,  car  ce 
nombre  même  servira  à  la  propagation  de 
ces  romans  robustes  et  forts.  Jamais  on 
ne  sèmera  trop  loin  ni  trop  nombreux  les 
chefs-d'œuvre  de  notre  littéialuro  ;  c'est 
de  la  vulgarisation  féconde! 

Do  toutes  les  éditions  complètes,  la 
meilleure  me  parait  être  celle  de  la  Société 
d'Editions  littéraires^et  artistiques,  d'un 
format  élégant  et  commode,  avec  des 
illustrations  sobres  et  un  aspect  très  ave- 
nant. 11  est  bon  que  la  forme  fasse  aimer 
le  dedans  ;  c'est  le  cas  ici.  Jusqu'à  pré- 
sent, il  a  paru,  sans  ordre  chronologique 
et  en  volumes  séparés  pour  faciliter  les 
acquisitions  isolées  :  La  Peau  de  Chagrin  : 
(Cousin  Pons,  Cousine  Belle  (Parents  pau- 
vres ;    César   Biroll"au  ;    le    Père    Goriot, 


I.K    MOIVKMKNT     I.  ITTi;  H  AI  It  F. 


Siilfnilfurs  ri  Minrres  îles  courtisanes  ;  h 
Lijs  ihiiis  l.i  valli'v,  cl  Kii(ji'-nii'  Cranili'l.  Il 
l'st  évident  que  les  éditeurs  ont  tenu  à 
publier  d'abord  les  nnivrcs  les  pins  allé- 
chantes, plutôt  que  les  plus  anciennes, 
ces  volumes  étant  plus  "  de  vente  »  ;  la 
colleclion  comiiK'ncée  sera  une  raison  de 
la  finir. 

Quelles  évocations  et  quel  prestige  dans 
tous  ces  noms  d'héroïnes  et  de  héros  qui 
nous  ont  captivés,  qui  ont  vécu  et  soufTert 
devant  nous  avec  une  inlensilé  telle  qu'il 
pourrait  nous  seml)ler  que  nous  les  avons 
réellement  connus!  Quelle  vie  intense, 
(|uelle  vérité  et  quelle  pénétrante  obser- 
vation! t-et  homme  avait  un  regard  d'aigle 
qui  fouillait  et  sondait  les  profondeurs  cl 
les  mystères  do  l'âme.  Quelque  chose  le 
montre  exactement  sous  ce  jour  et  fût  ar- 
rivé à  bien  peu  d'autres  romanciers. 

M'""  d'Agoult  voulait  accaparer  Liszt  en- 
core jeune  dont  elle  prévoyait  le  brillant 
avenir,  (^clui-ci  regimbait  contre  cet  ac- 
caparement de  la  moderne  Egérie.  Il  lui 
avait  même  répondu  assez  brutalement  : 

-  Madame,  ce  sont  les  Dante  qui  font 
les  Héatri.N,  et  les  vraies  Héatris  meurent  à 
di.\-huilans,aprèsquoi  on  n'en  paile  plus. 

Balzac  fit  de  ce  sujet,  du  grand  homme 
récalcitrant  et  de  la  femme  pressante,  son 
roman  de  lli-ulrix  ou  les  Amours  forcées. 
Tout  le  monde  reconnut  M™"  d'Agoult,  qui 
se  reconnut  elle-même,  et  entra  en  fureur. 
Elle  somma  Liszt  d'aller  gifler  Balzac.  Le 
virtuose  lui  répondit  : 

—  Donnc-l-on  dans  ce  livre  votre  pré- 
nom, votre  adresse,  votre  rue  et  votre 
numéro?  Non!  Alors,  il  n'y  a  rien  qui 
puisse  justifier  l'opinion  où  vous  êtes  de 
vous  reconnaître. 

Et  il  ne  bougea  pas.  Mais  il  disait  à  ses 
amis  : 

(le  Balzac  est  extraordinaire.  Il  y  a 
poi  M'tant  longtemps  que  je  vois  M"'"  d'Agoult 
et  je  la  connais  bien;  cli  bien,  lui,  qui  l'a 
si  peu  vue,  il  la  connaît  encore  mieux  que 
moi  ! 

C'est  un  (les  |iUis  beaux  hommages 
(|u'on  puisse  rendre  h  la  merveilleuse 
observation  de  Bal/.ac. 


Nous  nous  attarderions  volontiers  dans 
une  étude  sur  ce  puissant  génie,  au  mo- 
ment où  les  hommages  des  éditeurs  lui 
arrivent  avec  une  profusion  qui  n'est  pas 
tout  à  fait  désintéressée.  Ce  fut  un  homme 
prodigieux  par  la  pensée.  Il  était  laitl. 
gros,  large  et  court,  de  la  famille  de  ces 
courtauds  que  la  malice  populaire  désigne 
avec  impertinence  sous  le  vocable  géné- 
rique de  i)ot  à  tabac.  On  a  bien  vilipendé 
la  slatue,  la  fameuse  statue  de  Uodin. 
Hélas!  c'était  peut-être  la  plus  spirituelle, 
puisqu'elle  exprimait  l'impuissance  à  sta- 
tufier un  être  instatu (iable,  si  l'on  peut 
dire.  Il  n'a  jamais  été  réussi  qu'en  buste. 
Au  moral,  cet  esprit  est  surprenant. 
Non  qu'il  n'ait  pas  ses  limites  :  style  par- 
fois faible,  longueurs  et  dissertations  pré- 
tentieuses, exagérations  moitié  romanti- 
ques, moitié  mélodramatiques,  [jeintures 
fausses  de  l'aristocratie  qu'il  ignorait.  Mais 
nul  ne  l'a  approché  dans  le  tableau  des 
caractères  généraux  du  peuple  et  de  la 
bourgeoisie.  Nul  n'a  su  mieux  déduire  les 
conséquences  falales  d'une  seule  manie 
pour  toute  une  vie  ou  pour  toute  une  race, 
que  ce  soit  l'avarice  de  Grandet,  lajalousie 
de  cousine  Bette,  le  vice  de  Ilulol,  la 
folie  de  Balthasar  Claës.  Il  a  tellement 
vécu  avec  ses  personnages  qu'il  nous  les 
présente  avec  une  vérité  siisissante,  et 
nous  les  voyons.  Il  n'a  pas  l'air  de  faire 
du  roman,  mais  de  l'histoire. 

Il  dénon)bre  inventaire  exact  des  mi- 
lieux où  se  place  l'action;  on  dirait  (|u'il 
copie  d'après  nature.  Il  expose  un  projet 
financier  dans  un  roman  comme  il  l'eût  fait 
pour  la  tribune  du  Parlement.  La  question 
d'argent  joue  un  grand  rôle  dans  ses  ro- 
mans; il  la  traite  de  main  de  maître.  Il  y 
avait  (11  lui  un  homme  d'affaires  qui  ne 
sommcilhiil  pas.  Dans  la  vie,  il  élernuait 
les  projets  de  combinaisons  commercia- 
les; elles  fusaient  de  son  cerveau.  Tantôt 
il  voulait  .u'heler  les  terrains  de  Sardaigne 
sur  lesipicls  les  Bomains  avaient  exploité 
des  mines  houillères,  persuadé  que,  leur 
exploitation  étant  défectueuse,  il  devait 
rester  do  riches  filons.  Tantôt  il  rêvait 
d'ouvrir  une  épicerie  sur  les  grands  boule- 


Lli    M  ()  U  \- 1:  M  i:  N  T    I.rrTKHAlUE 


vards  el  d"y  servir  lui-même  pour  attirer 
les  clients,  ou  d  installer  aux  Jardies  un 
dépôt  de  guano.  Il  a  posé  devant  lui-même 
bien  des  scènes  do  Mfrrailel. 

Dans  V Histoire  (le  la  Société  des  Gens  île 
Lettres,  dont  il  fit  partie,  chai|ue  page 
porte  ou  rappelle  quelque  proposition  de 
Balzac  à  TefTet  de  fonder  une  banque  in- 
tellectuelle, un  Syndicat  des  lettres  ou 
une  Encyclopédie.  Son  cerveau  ne  chô- 
mait jamais.  Juge,  il  n'aurait  jamais  dormi 
sur  son  siège. 

La  puissance  de  ce  génie  est  admirable! 
Cette  énorme  machine  de  la  Comédie  hu- 
maine, où  les  mêmes  familles,  les  mêmes 
individus  reparaissent  et  suivent  le  récit, 
il  l'a  maniée  avec  une  aisance  d'hercule 
littéraire  et  avec  une  logique  d'algébriste. 

Il  a  été  le  peintre  vigoureux  d'un  temps 
ot  d'une  société.  Il  a  su  voir  el  faire  voir; 
il  a  été  réaliste  sans  laideur,  vrai  sans 
petitesse;  au  style  près,  l'ancêtre  dont  il 
peut  directement  se  réclamer,  dont  il  a 
suivi  et  élargi  la  piste,  c'est  l'immortel 
auteur  de  Gil  Blas  de  Santillane,  Le  Sage, 
et  c'est  son  plus  bel  honneur  qu'on  puisse 
à  son  sujet  prononcer  ce  glorieux  nom. 
Certes,  il  valait  la  peine  que  la  librairie 
Ollendorff  réimprimât  avec  art  et  avec 
goût  les  chefs-d'œuvre  de  ce  prodigieux 
cl  somptueux  génie. 

Ne  quittons  pas  encore  le  royaume  de 
liomancie. 

Le  roman  de  Jean  Rameau ,  Tendre 
Folie,  a  du  pathétique,  du  dramatique 
même.  Ouvrez  le  livre  au  point  saillant, 
au  punclum  saliens.  C'est  dans  la  cam- 
pagne déserte  ,  vers  les  Pyrénées.  L'n 
simple  soldat  a  rejoint  son  capitaine  ;  le 
soldat  s'appelle  Romain  Pradieu  ;  l'officier 
s'appelle  Larrède.  A  oici  la  scène  de  leur 
rencontre  : 

—  Tiens!  c'est  loi.  Pradiou  ?  denianda-l-il 
quand  il  fut  à  deux  pas  de  lui. 

—  Oui.  c'est  moi  1  répondit  Romain  en  se 
précipitant. 

El  il  le  souffleta  de  toutes  ses  forces  : 

—  C'est  moi .  crapule  I  continua  Romain. 
Tiens!  liens!  voilà  qui  l'apprendra  à  dire  aux 
femmes  que  je  suis  poitrinaire.  Attrape!... 
Ah  !  misérable-!  c'était  pour  l'épouser  toi- 
même,  n'est-ce  pas  ? 

XIII.  —  16. 


—  .Mais  !...  mais  !...  grommelait  le  docteur 
étourdi  par  les  coups. 

—  C'était  pour  te  mettre  à  ma  place  ot  em- 
pocher les  millions?  Empoche  ça  d'abord! 

—  -Vh  !  mais  c'est  un  guel-apens  |...  Voyou! 
sale  voyou  1  s'écriait  le  docteur  en  se  défen- 
dant mal. 

Il  était  fort  cependant:  mais  celle  attaque 
imprévue  l'avait  paralysé.  Les  coups  phni- 
vaienl  sur  sa  fifrure.  Il  recula,  les  joues  ar- 
dentes :  puis,  sentant  les  mains  de  l'agres- 
seur à  son  cou,  il  tomba  en  arriére.  On  en- 
tendit le  choc  de  sa  tête  sur  quelque  chose 
de  dur,  une  racine  d'arbre  sans  doute;  après 
quoi  son  corps  dégringola  sur  la  pente  du 
coteau. 

—  Là!  maintenant,  va  faire  ta  cour  aux 
filles  millionnaires!  dit  Romain  soulagé.  Tu 
as  ton  compte  pour  quelques  jours. 

Pourquoi  ce  pugilat'.'  Vous  avez  deviné 
qu'il  faut  chercher  la  femme.  Pradieu 
aime  .Vure  d'Eyrelles.  Larrède  ^  qui  est 
docteur  et  major  —  convoite  la  même 
Aure  non  par  amour,  mais  par  cupi<Iité, 
parce  qu'elle  a  trois  millions.  Comme  doc- 
teur, il  a  trouvé  un  moyen  simple  d'em- 
pêcher qu'Aure  soit  la  femme  de  son 
i-ival.  Il  a  dit  à  la  mère  de  la  jeune  fille 
que  ce  rival  est  tuberculeux  ;  c'est,  d'ail- 
leurs, pure  calomnie.  La  mère  accepte  ce 
mensonge  et  l'explique  un  peu  crûment 
peut-être  à  sa  fille  qui  ne  veut  pas  renon- 
cer à  son  amour  : 

—  Je  serai  sa  garde-malade  ! 

—  Tu  le  tueras  plus  vile   en  l'épousant. 
Le  propos  est  peut-être  un  peu  scabreux 

pour   une   mère,   el    la   suite   ne  l'est  pas 
moins  : 

—  Je  me  contenterai  d'être  une  mère 
pour  lui,  dit  celte  jeune  fille  un  peu  ren- 
seignée. Sa  mère  la  retorque  : 

—  Ne  sois  donc  pas  si  na'ive.  'Vous  vous 
aimez  comme  deux  jeunes  fous  que  vous  êtes, 
et  je  voudrais  bien  voir  ce  qu'ils  devien- 
draient, les  soins  de  mère,  sous  le  climat 
d'Afrique  après  quelques  jours  de  cohabita- 
tion. 

Cela  ne  me  semble  pas  très  bien  dans 
la  note. 

Bref,  Pradieu  se  voit  refusé,  sans  con- 
naître la  raison  ;  de  désespoir,  il  va  se  ma- 
rier à  Londres.  Mais  voilà  qu'il  apprend  la 
vérité,  c'est-à-dire  le  mensonge  de  Lar- 
rède, qui  est  son  major  pendant  qu'il  fait 


1.1-;  Mm  \i;  mi;  NT  i.i  i  tiquai  iti: 


SOS  livize  jouis.  C'est  alors  qu'il  lo  losse. 

On  voit  que  l'action  est  eni^agée  à  fond. 
Ce  sont  de  p^ros  obstacles  qui  séparent 
Pradieu  et  Aure,  puisque  Pradiou  est  ma- 
rié, et  en  outre,  ayant  rossé  son  supé- 
rieur, sûr  de  la  peine  de  mort.  Comment 
sortir  de  là  '?  On  en  sort.  Le  mariage  étant 
anglais,  se  défait.  Quant  aux  voies  de  fait, 
le  docteur  craint  que  la  belle  Aure  ne 
raconte  ses  petites  infamies,  et  il  se  tait, 
il  ne  nomme  pas  son  agresseur.  Pradieu, 
débarrassé  de  tout  souci,  épouse  Aure.  Il 
peut  dire  qu'il  revient  de  loin. 

Il  y  a  dans  ces  pages  de  l'allure,  du 
sentiment,  de  la  psychologie,  des  pen- 
sées éparses  : 

Il  y  a  l'ivresse  de  la  douleur  comme  celle 
du  vin;_et  l'une  e.vcite  à  s'endolorir  davan- 
ta};c.  comme  l'autre  à  boire  encore. 

Il  y  a  de  ces  paysages  pyrénéens  où 
excelle  notre  Landais,  et  un  intérêt  tou- 
jours soutenu  par  le  noble  héro'isme,  qui 
inspire  à  Aure  sa  tendresse   et  parfois  sa 

folie. 


On  nvail  le  recueil  des  chroniques  pari- 
sioiiiu's  la  \7(>  ./  l'aris.  Jean  Bernard  nous 
dimm'  lii  \'ie  de  Paris.  D'une  préposition  à 
r.iulre  il  n'y  a  pas  fort  loin.  Son  recueil 
est  intéressant,  nourri,  et  apporte  d'utiles 
documents  aux  futurs  historiens  de  notre 
temps.  Une  ])réface  de  M""  Marie-Louise 
Néron  salue  avec  éclat  l'avènement  du 
grand  reportage,  dont  ce  livre  est  un 
modèle.  Il  sera  bien  précieux  plus  lard.  Il 
est  agréable  dès  à  présent.  Jean  Bernard 
est  un  fureteur,  un  curieux  ;  il  déniche  les 
renseignements  avec  le  flair  d'un  limier 
d'archives.  Son  portrait  de  Sarcey  est  bien 
vivant  ; 

Sarcey,  cnniiin'  pmCesscui'.  était  passable- 
ment frondeur.  Une  circulaire  ayant  prescrit 
d'avoir  un  cnliier  de  classe  sur  lequel  chaque 
maître  devait  consigner  tous  les  jours  le 
nombre  de  levons  récitées,  le  nombre  de  de- 
voirs lus,  avec  les  notes  de  corrections,  et 
pour  cli.KiMc-  iiHir,  les  pro^rrès  faits  par  les 
élèves. 

Snrce.v  (il  lemariiuer  que  les  projrrùs  des 
élèves  ne  pouvaient  être    indlcjnés   au  jour  le 


jour,  et  qu'il  était  plus  rationnel  <le  les  mar- 
quer toutes  les  semaines. 

—  ^lonsicur,  lui  repondit  le  proviseur  d'un 
ton  sec,  on  ne  discute  pas  les  ordres  du 
ministre;  le  ministre  veut  être  tenu  jour  par 
jour  au  courant  des  projirès  des  élèves,  il 
faut  donc  jour  par  jour  le  tenir  au  courant. 

Sarcey  ne  riposta  pas;  dans  la  colonne  des 
«  Propres  »,  il  écrivit  des  adjectifs  toujours 
nouveaux  et  flamboyants  ;  ainsi  le  lundi  il 
mettait  «  incessants  »,  le  mardi  •■  extraordi- 
naires ",  le  mercredi  >■  inouïs  ",  le  jeudi  <■  in- 
croyables n,  le  vendredi  «  slupélianls  ■.,  le 
samedi  ■.  renversants    i. 

Toute  la  carrière  universitaire  de  Sarcev 
est  plaisamment  résumée. 

Sarcey  tournait  le  petit  vers.  Voici  ceux 
qu'il  fit  sur  l'opération  de  la  cataracte 
qu'il  dut  subir  en  1880  : 

On  a  tiré  le  lit  sous  la  haute  fenêtre 
D'où  tombe  en  hr^e  nappe  un  beau  jour  frani-  et  droit. 
Le  patient  s'y  coui-he;  il  attend,  tout  son  l'tn' 
Se  raidit  frifuiissant  d'un  mvinrible  effroi. 

Pcrrin  est  lalme.  Il  prend  un  acier  fin  et  froid  ; 
S)us  la  paupière  ouverte  où  son  regard  pénètre. 
Il  introduit  la  pointe  et  rlicrrhe  à  reconnaître 
Pour  frapper  à  coup  sur,  le  juste  et  bon  endroit. 

Il  fend  l'œil  d'un  Irait  scr,  élargit  la  blessure. 

Pince  du  cristallin  la  pellicule  obscure 

El  l'enlève  :  «  C'est  fait  !  »  dit-il,  l'air  simple  et  grand. 

L'autre,  râle,  épuisé,  mais  soudain,  o  surprise, 

Il  a  cru  voirl...  Il  voit,  dans  une  lueur  grise, 

La  main  qui  le  torture...  cl  la  serre  en  pleurant... 

Sarcey  poète,  cela  était  imprévu. 

Fout  le  livre  est  ainsi  fourni  de  docu- 
ments, de  mots,  de  souvenirs. 

Jean  Bernard  est  l'inventeur  de  l'inter- 
view par  correspondance. 

Il  adresse  une  question  i>  des  écrivains 
de  son  choix  et  il  coUationnc,  réunit,  pu- 
blie les  réponses  les  plus  inlércssanles. 

II  avait  un  joui'  consulté  les  gens  de 
lettres  et  les  artistes  sur  la  ifuestion  de  la 
crémation,  cl  Sardou,  qui  ne  répond 
jamais,  avait  répondu  celte  fois  ; 

-  Brùlél  Brûlé!  J'aurais  beaucoup  |)his 
de  plaisir  h  être  brûlé  I 

En  attendant,  Jean  Bernard  se  conslilue 
une  des  plus  jolies  collections  d'auto- 
graphes de  Paris  et  de  Navarre. 


Cl    A  nlITIK. 


CAUSERIK    SCIK.NTIKIUIK 


Uni'  des  branches  de  la  science  nyant 
donné  les  résultais  les  pins  tangibles  et 
qui  semble  être  arrivée  à  l'apogée  de  son 
succès  est  la  chirurgie.  De  nos  jours,  nos 
opérateurs  agissent  non  seulement  avec 
une  sûreté  de  main  sans  faiblesse,  mais 
encore  savent-  ils  toujours  bien  d'avance 
où  ils  vont  et  peuvent-ils,  dans  la  plupart 
des  cas,  prévoir  la  réussite  de  leur  tra- 
vail. La  facilité  avec  laquelle  on  peut  agir 
sur  le  malade  anesthésié  est,  sans  contre- 
dit, la  condition  principale  qui  a  permis  à 
la  chirurgie  de  faire  de  si  grands  progrès; 
toutefois  le  moyen  courant  pour  produire 
cette  anesthésié  indispensable  est  loin 
d'être  parfait.  On  connaît,  en  effet,  tous 
les  inconvénients  du  chloroforme  :  les 
révoltes  du  patient  au  moment  où  on  le 
lui  administre,  les  conséquences  dés- 
agréables et,  en  particulier,  les  vomisse- 
ments qui  se  produisent  pendant  plusieurs 
heures,  compromettent  quelquefois  le  suc- 
cès des  opérations  abdominales;  enfin  le 
chloroforme  n'est  pas  sans  danger  :  sou- 
vent le  malade  succombe  après  avoir  été 
endormi. 

Le  docteur  Tul'fier,  l'éminent  chirur- 
gien de  Lariboisière,  n'emploie  pour  ainsi 
dire  plus  jamais  cet  anesthésique  dans  son 
service.  Il  est  devenu  le  propagateur  d'un 
procédé  nouveau  qui,  grâce  à  la  pratique 
qu'il  a  mise  en  usage,  est  devenu  un  des 
moyens  les  plus  surs  et  les  plus  faciles 
d'insensibiliser  le  malade  sans  l'endormir. 
Ce  moyen  consiste  à  injecter  une  solution 
de  coca'ine  dans  la  partie  de  l'épine  dor- 
sale où  se  trouve  un  liquide  spécial,  dit 
liquide  ci'jihrilo-rarliidipn.  La  solution  injec- 
tée vient  baigner  aussitôt  toutes  les  racines 
des  nerfs  qui,  comme  on  le  sait,  pren- 
nent naissance  dans  la  substance  grise 
constituant  en  quelque  sorte  le  noyau  de 
l'épine  dorsale.  Au  bout  de  quelques  mi- 
nutes, l'insensibilité  se  manifeste  pour 
toute  la  partie  du  corps  située  au-dessous 
de  la  poitrine  ;  on  peut  alors  opérer  dans 
les  bras,  le   ventre,  les  jambes  sans  que 


le  malade  ressente  aucune  sorte  de  dou- 
leur, et  pourtant  il  n'est  pas  endormi  :  il 
peut  continuer  à  causer  comme  s'il  se 
trouvait  dans  son  état  normal  ;  il  pourrait 
même  assistera  son  opération  et  voir  tout 
ce  qui  se  passe  si  les  aides,  n'avaient  soin 
de  lui  renverser  la  tète  en  arrière  et  de  la 
couvrir. 

Le  seul  inconvénient  de  ce  système,  qui 
fait  le  plus  grand  lionneur  à  M.  Tuffier,  est 
de  provoquer  un  malaise  général  au  début 
de  l'injection  et  des  maux  de  tête  quel- 
ques heures  après  ;  mais  les  avantages 
de  son  application,  qui  permet  d'éviter  le 
chloroforme,  sont  tellement  grands  qu'il 
n'est  pas  douteux  que  d'ici  peu  de  temps 
son  emploi  ne  se  vulgarise  universellement. 
D'ailleurs  plus  de  mille  opérations  faites 
avec  succès  par  M.  Tuffier  et  ses  élèves, 
grâce  à  l'analgésie  cocaïnique,  prouvent  lar- 
gement en  sa  faveur. 

De  toutes  les  infirmités  qui  sévissent  sur 
notre  pauvre  nature  humaine,  celles  qui  se 
caractérisent  par  des  déformations  de  la 
face  nous  impressionnent  de  la  façon  la 
plus  pénible.  Dès  qu'un  être  est  atteint 
d'une  de  ces  maladies  qui  lui  défigurent 
le  visage,  il  devient  un  sujet  d'horreur 
pour  ses  semblables;  il  reste  honteux  de 
sa  personne  et,  jouirait-il  d'une  santé  par- 
faite, il  n'en  profiterait  aucunement  à  cause 
de  l'état  d'isolement  dans  lequel  il  se  con-  ■ 
fine. 

Tel  était  le  cas  d'une  malheureuse 
femme,  chez  qui  une  alTectiou  spéciale 
avait  déterminé  la  destruction  complète 
du  voile  du  palais,  de  la  luette,  de  la 
plus  grande  partie  de  la  voûte  palatine 
ainsi  que  des  os  du  nez  ;  en  plus,  de  vastes 
ulcérations  avaient  détruit  et  ravagé  la 
presque  totalité  des  parties  molles  de  la 
face,  entraînant  la  perte  de  la  moitié  de 
la  lèvre  supérieure.  On  conçoit  que,  dans 
un  état  pareil,  cette  personne  soit  deve- 
nue hideuse  avec  un  vaste  trou  de  3  centi- 
mètres à  la  place  du  nez,  sans  compter  que 
les  fonctions  de  la  déglutition  et  de  l'écou- 


1  i\i  I  iiiii   i: 


Fig.  1  et  -2.  —  OiJCTiition  dr  narinoplustie  aut  au  1}'  Ookltiislein. 
Aspeut  de  la  malade  avant  et  après  l'opération. 


lement  intérieur  des  larmes  élaient  deve- 
nues fort  difficiles,  pour  ne  pas  dire  im- 
possibles :  la  parole  elle-même  était 
rendue  incompréhensible.  Le  problème  à 
résoudre  était  donc  de  rétablir  ces  fonc- 
tions et  de  chercher  à  donner  au  visage, 
sinon  une  apparence  conforme  à  l'esthé- 
tii^iie  conventionnelle,  du  moins  un  aspect 
qui  empêchât  cette  femme  d'être  un  objet 
de  curiosité  malsaine  pour  le  public.  C'est 
à  cette  solution  qu'est  arrivé  avec  beau- 
coup de  succès  le  très  distingué  spécia- 
liste, le  docteur  Goldenstein  ;  l'opération  a 
été  très  remarquée  dans  le  monde  chirur- 
gical et  a  i'ait  rol)jet  d'une  communication 
fort  intéressante  de  M.  Berger,  à  l'Acadé- 
mie di"  médecine. 

l'rimilivemcnt,  M.  Goldenstein  vivait  eu 
l'idée  de  i'abritiuer  un  obturateur  en  caout- 
chouc qui  venait  remplacer  la  voi'ile  pala- 
tine al)sente.  (^et  appareil  était  supporté 
par  les  dents,  et  c'est  sur  cet  obturateur 
même  que  le  faux  nez  venait  reposer. 
Cette  disposition  était  fort  heureuse,  car 
elle  permettait  le  maintien  fixe  de  la 
|)iècc  j)rothétique  sans  avoir  recours  à 
une  paire  de  luneltes  pour  supporter  l'ap- 
pendice nasal.  Ce  dernier  système  est  un 
inconvénient   de    plus,    car    ces    lunettes. 


loin  de  dissimuler  l'opération,  la  souli- 
gnent au  contraire.  .Malheureusement  celte 
prothèse,  qui  avait  donné  de  bons  résul- 
tats pendant  plusieurs  années,  ne  put  être 
conservée,  car  sous  l'empire  de  la  maladie 
les  dents  tombèrent  à  leur  tour  el  ne 
purent  continuer  à  soutenir  l'appareil. 

11  fallut  imaginer  autre  chose. 

I,e  nouvel  appareil  se  compose  de  deux 
parties  distinctes  :  l'une,  interne,  qui 
forme  le  palais,  et  l'autre,  externe,  qui 
remplace  le  nez  et  la  lèvre.  La  difficulté 
était  de  trouver  le  point  d'appui  intérieur, 
afin  de  conserver  à  l'appareil  l'avantage 
esthétique  de  son  devancier.  A  cet  effet, 
la  |)ièce  palatine  est  munie  de  deux  cla- 
pets qui  s'abaissent  d'eux-mêmes  ipiand 
on  place  l'appareil  et  qui  se  logent  de 
chaque  coté  de  la  perforation  sur  ie  plan- 
cher de^  fosses  nasales.  Pour  faire  agir 
ces  clapets,  il  suffit  de  mettre  en  place  la 
pièce  extérieure  ou  faux  nez  ;  celte  petite 
manœuvre  fait  agir  un  ressort  qui  abaisse 
les  clapets. 

Malgré  son  volume  el  ses  pièces  an- 
nexes, l'appai-eil  complet  ne  pèse  que 
')2  grammes. 

Aujourd'liui  que  l'opérai  ion  est  ler- 
miaée,  la  personne   peut  manger  et  boire 


C  A  U  SKR  I  E     se  1  K  N  ï  I  Kl  Q  V  I 


facilement;  quanta  l'articulation  des  sons, 
elle  est  devenue  nette  et  perceptible;  enfin 
récoulcmênt  des  larmes  se  l'ait  naturelle- 
mont  par  les  voies  intérieures. 

Quant  à  l'apparence  extérieure,  elle  ne 
provoque  certes  pas  une  restauration  par- 
faite de  la  face  ;  il  est  impossible  de  faire 
disparaître  tous  les  mouvements  de  la 
peau,  qui  a  subi  des  déformations  impor- 
tantes ;  mais  il  y  a  un  progrès  immense 
do  réalisé  :  le  visage  recouvert  d'une  voi- 
lette légère,  cette  femme  peut  circuler  et 
se  promener  sans  attirer  l'attention  fig.  I 
el  -J.) 

Cette  opération  si  réussie,  qui  fait  le 
plus  grand  honneur  îi  son  auteur,  est  la 
première  qui  ait  été  faite  d'après  l'ingé- 
nieux procédé  d'attache  que  nous  avons 
exposé. 


Mis  en  goût  par  leurs  <lerniers  succès 
militaires  et  pour  parer  contre  toute  éven- 
tualité de  l'avenir,  les  Américains  pro- 
jettent d'augmenter  leurs  forces  mili- 
taires; ainsi  nous  voyons  que  leur  armée, 
jusqu'ici  insignifiante,  va  être  portéa  à 
100  000  hommes  en  temps  de  paix;  d'autre 
pari,  ils  protègent  leurs  côtes,  et  comme 
ce  peuple  ne  fait  jamais  les  choses  à  moi- 
tié, c'est  avec  des  canons  d'une  action 
inconnue  jusqu'ici  qu'ils  veulent  se  garan- 
tir. 

Le  modèle  que  nous  présentons  ,  fig.  3  i  et 
dont  un  exemplaire  est  déjà  sorti  des  usines 
est  destiné  à  défendre  les  grandes  cités 
d'Amérique  contre  les  attaques  par  mer  : 
d'après  le  projet  élalioré,  New-York  aura 
dix-huit  unités  semblables,  San-Francisco, 
dix  el  Boston,  huit.  Sans  entrer  dans  la 
discussion,  que  nous  ne  saurions  abor- 
der, qui  montrerait  les  avantages  et  les 
inconvénients  de  ces  colossales  unités  de 
combat  et  de  leur  effet  utile,  nous  nous 
contenterons  de  décrire  ce  canon,  le  plus 
formidable  qui  ait  jamais  été  construit.  Sa 
longueur  dépasse  l.'i  mètres  et  le  diamètre 
de  son  embouchure  est  de  40  centimètres; 
on  sait  que  ce  dernier  chiffre  indique  la  ca- 
ractéristique do  la  pièce,  car  il  donne  on 


Fig.  ">.  —  Nouveau  module  de  cauon  construit 
jiDur  la  défense  des  ciiles  aux  aliords  de» 
grandes  villes  américaines. 


même  temps  le  diamètre  du  projectile.  Ces 
chiffres  sont  fort  imposants,  mais  h  eux 
seuls  ils  ne  suffiraient  pas  à  donner  une 
idée  de  la  supériorité  de  l'arme  sur  les 
modèles  construits  antérieurement  dans 
les  autres  pays  ;  en  effet,  en  France,  nous 
avons  déjà  vu  une  pièce  de  H'"",2.'i,  et  en 
Italie,  on  a  construit  un  canon  de  tt"",2li  ; 
c'est  celui  qui  détient  le  record  de  l'ouver- 
ture. 

D'après  les  calculs  des  auteurs,  les  ell'els 
de  cette  unité  d'artillerie  dépasseront  de 
beaucoup  ceux  qu'on  est  habitué  de  voir. 
Ainsi,  avec  une  charge  de  2oO  kilogrammes 
(le  poudre  sans  fumée  ou  de  l'>00  kilo- 
grammes de  poudre  ordinaire,  on  pourrait 
lancer  un  projectile  d'une  tonne  environ 
avec  une  vitesse  initiale  de  "/OO  mètres  à 
la  seconde;  en  pointant  la  mire  suivant  un 
angle  de  40  degrés  avec  l'horizontale,  l'obus 
franchirait  une  distance  de  X)  kilomètres 
en  décrivant  une  courbe  dont  la  flèche  at- 
teindrait près  de  10  kilomètres.  Veut-on 
savoir  ce  que  ces  chilTres  représentent? 
Un  canon  de  ce  modèle,  placé  sur  nos 
côtes  aux  endroits  les  plus  rapprochés  de 
l'Angleterre,  enverrait  des  obus  qui  tra- 
verseiaient  le  détroit  de  (Valais;  quant  à  la 
flèche,  elle  est  le  double  de  la  hauteur  du 
Mont-Blanc,  de  sorte  qu'on  pourrait  causer 
des  dégâts  en  pays  ennemi  en  le  bom- 
bardant  par-dessus  les  Alpes! 

L'auteur  ne  nous  explic(ue  ])as  à  quelles 
causes  on  doit  la  supériorité  île  sou  arme 
défensive,  son  poids  très  élevé  de  l.'ili  ton- 
nes est  assurément  un  des  facteurs  i|ui  per- 
mettent d'employer  des  charges  très  fortes 
de  poudre,  ce  qui  augmente  naturellement 
les  efl'ets  balistiques.  On  sait  que  tout  ca- 


CArj^Kim: 


^c.iKNTiKiurr. 


non  est  composé  de  deux  parties,  l'âme  et 
les  revêtements:  l'âme  est  une  pièce 
uni(iue  d'acier  coulé  d'un  seul  morceau  et 
dont  la  fabrication  présente  les  plus 
^'randes  iliflicultés,  car  toute  défectuosité, 
si  petite  qu'elle  soit,  dans  la  masse  du  mé- 
tal pourrait  compromettre  ré(|uilibre  du 
système  et  par  conséi|uent  la  justesse  du 
tir,  sans  compter  les  accidents  d'autre 
ijenre  i|ui  pourraient  se  présenter. 

L'exécution  des  revêtements  ou  arma- 
tures est  également  d'une  grande  délica- 
tesse de  fabrication  ;  on  conçoit,  en  elTet, 
ipie  la  nKjindre  inégalité  dans  les  opéra- 
tions <le  la  fonte  ou  la  plus  petite  erreur 
d'ajustage  entre  ces  pièces  secondaires  et 
l'àme  -elle-même  pourrait  compromettre 
le  travail  de  plusieurs  mois;  il  faut  un 
soin  extrême  pour  emmancher  les  arma- 
tures les  unes  dans  les  autres,  surtout 
lnis(|ue,  comme  dans  le  cas  du  canon  amé- 
ricain, celles-ci  sont  au  nombre  de  trois  et 
(pTellcs  sont  composées  chacune  de  plu- 
sieurs morceaux  ajustés  les  uns  dans  les 
autres;  la  difficulté  est  même  ici  tout  à 
fait  s])éciale  à  cause  du  poids  de  ces  revê- 
tements ()ui,  à  eux  seuls,  ne  pèsent  pas 
moins  de  lii  t.  'i. 


Le  gi-and  ennemi  de  la  direction  des 
ballons  est  le  vent,  et  il  est  peu  probable 
qu'on  trouve  de  sitôt  le  niovcn  de  sup- 
primer ses  ellets.  La  résistance  de  sa 
force  augmente  avec  le  carré  de  la  surface 
exposée  ;  mais  comme  d'autre  part,  la 
force  ascensionnelle  croit  avec  le  cube  du 
volume,  il  est  ft  présumer  que  si  des 
recherches  doivent  être  faites  avec  espoir 
(le  succès,  ce  serait  dans  l'emploi  d'aéros- 
tats très  volumineux  qui  permettront 
(l'iMnporter  des  appareils  puissants  ainsi 
que  le  combustible  nécessaire  à  une  étape 
assez  longue. 

L'histoire  de  la  navigation  aérienne  est 
courte.  Kn  1S52,  M.  Giffard  eut  l'idée 
(l'eMiployer  une  forme  allongée  pour  l'aé- 
roslnt,  l'orine  <|ni  a  loujonr-s  été'  reprise 
dans  la  suite  par  les  antres  consliucteurs. 
En   IK7J,  Dupuy  de  l.onie  repiil  ces  expé- 


riences en  admettant  le  même  système 
locomoteur  qui  était  une  machine  à  vapeur, 
mais  sans  succès. 

En  1883,  les  frères  Tissandier  exécu- 
tèrent des  ascensions  dont  on  parla  beau- 
coup à  l'épociue;  leur  moteur  était  mù  à 
l'électricité  ;  c'était  un  progrès,  car  la 
machinerie  étant  réduite  comme  poids, 
on  put  emporter  un  nombre  d'accumula- 
teurs suffisant  pour  donner  une  force  qui 
permit  au  ballon  de  rester  en  place,  contre 
un  vent  de  3  mètres  à  la  seconde. 

Les  capitaines  Renard  et  Krcps  employè- 
rent ensuite  un  autre  moteur  électrique, 
mais  ne  parvinrent  pas  non  plus  à  élu- 
cider la  question. 

Nous  avons  parlé  dans  notre  dernière 
chronique  des  essais  du  comte  Zeppelin, 
en  Allemagne,  et  de  M.  de  Santos-Du- 
mont,  en  France.  Mais  la  solution  du  pro- 
blème n'est  pas  encore  dans  ces  expé- 
riences, si  intéressantes  qu'elles  soient. 
D'ailleurs,  la  dissolution  de  la  Société  du 
comte  Zeppelin  vient  arrêter  les  essais  qui 
avaient  été  tentés  de  l'autre  coté  du  Hliin. 

D'autres  inventeurs  ont  également  cher- 
ché à  réaliser  le  difficile  problème  de  la 
navigation  aérienne  en  employant  des 
aéroplanes,  des/</u.s  tourils  rjiir  l'air,  comme 
ils  appellent  leurs  machines,  lis  ont  regardé 
le  vol  des  oiseaux  dans  l'air  et  se  sont 
demandé  pourquoi  ils  n'arriveraient  pas 
au  même  résultat  ;  mais  les  forces  de  la 
nature  sont  immenses  à  coté  de  celles  de 
l'homme  :  les  chercheurs  ont  eu  beau 
cherche  à  copier  la  mécanique  de  l'avia- 
tion, ils  n'ont  pas  réussi. 

Voici  que  d'autres  auteuis  espèrent 
réussir,  en  aborbant  la  question  d'une 
façon  nouvelle  ;  ils  ont  une  confiance  ab- 
solue dans  leurs  études  et  sans  vouloir 
donner  une  opinion  personnelle,  puisque 
aucune  expérience  n'a  encore  été  faite,  on 
peut  toujours  reconnaître  que  leur  idée 
est  sinon  pratii|ue  du  moins  ingénieuse  ; 
c'est  la  seule  raison  i|ui  nous  engage  à  en 
parler. 

Avant  de  décrire  leur  bateau  aérien 
ifig.  'n,  disons  deux  mois  du  principe  sur 
lequel    repose    le    projcl.    Le  ballon,  gar- 


C.ArSKIUK    SC.lKNTlKlgl  i; 


dons  ce  mol,  n'est  pas  soulevé  pyr  un 
volume  plus  léger  que  l'air,  il  ne  se  main- 
tient pas  non  plus  clans  l'espace  par  une 
large  surface  comme  pour  les  aéroplanes, 
non  !  ce  qui  lui  imprime  son  mouvemenl 
ascendant,  c'est  la  dépression  atmosphé- 
rique ;  en  d'autres  termes,  c'est  la  diffé- 
rence de  densité  de  l'air  entre  deux  cou- 
ches superposées. 

Prenez  un  axe  quelconiiue  muni  d'une 
ailette,  si  vous  soufflez  dessus,  l'ailette 
tournera  ;  or,  que  signifie  le  mot  souf/lfr, 
sinon  produire  celle  différence  de  pression 
sur  les  deux  faces  de  l'ailelte.  Renversez 
l'expérience,  faites  tourner  l'ailette  par  un 
moyen  mécanique  et  aussitôt  la  dépression 
se  produira.  Si  l'appareil  est  libre,  s'il 
comporte  en  lui-même  les  éléments  néces- 
saires à  la  force  pour  obtenir  la  rotation, 
s'il  n'existe  aucune  résistance  passive,  la 
dilférence  de  pression  fera  progresser  l'ap- 
pareil. En  admettant  que  l'axe  soit  vertical 
et  que  l'ailette  se  meuve  dans  un  plan 
horizontal,  il  n'es^jas douteux,  qu'en  prin- 
cipe, le  système  ne  s'élève   dans  les  airs. 

C'est  en  s'appuyant  sur  ces  données 
que  MM.  Filippi  et  Maclaire  se  proposent 
de  construire  leur  aérostat.  La  nacelle  est 
surmontée  de  quatre  axes  verticaux 
A  A'  A'  A"  munis  chacun  d'un  cône  C  qui 
supporte  une  ailette  L  ;  le  tout  est  mis  en 
mouvement  à  l'aide  de  machines  à  vapeur 
de  60  chevaux  M.  La  progression  et  la 
direction  sont  obtenues  par  deux  ailettes 
de  même  nature  montées  sur  des  axes 
horizontaux  et  placés  à  l'avant  et  à  l'ar- 
rière   P  et  P   . 

En  tournant,  les  ailettes  détermineront 
au-dessus  de  l'appareil  la  dépression  vou- 
lue, et  celui-ci  se  trouvant  alors  sollicité 
par  une  force  verticale  de  bas  en  haut 
devra  monter. 

L'idée  est  ingénieuse  assurément,  mais 
sans  examiner  ici  les  moyens  que  les 
inventeurs  emploieront  pour  faire  tourner 
régulièrement  des  axes  verticauS  main- 
tenus seulement  par  une  de  leurs  extré- 
mités, il  n'est  pas  douteux  que  cet  aérostat 
ne  soit  dangereux,  car  il  ne  se  maintient  en 
suspension  que  grâce  au  mouvement  d'une 


ou   de    plusieurs   machines  ;   or,    celles-ci 
peuvent   s'arrêter,    se    casser,   que  sais-je 


Fig.  4.  —  B;ite»u  aérien  de  MM.  Filippi  et 
Maclaire  se  eontenant  en  l'air,  grâce  à  la  dé- 
pres.'ion  atmosphérique  produite  par  la  rota- 
tion d'ailettes. 

N,  Nacelle  ;  A  A'  A"  A'",  arbres  verticaux  supportant 
chacun  un  cùiie  cvidé  C  muni  d'une  silelte  L;  P  et 
P',  cônes  de  propuUioQ  en  avant  et  en  arrière;  M,  ma- 
chine motrice  à  vapeur  ou  autre  ;  R  R'  galets  pour 
l'atterrissement. 

encore?  Et  alors  tout  le  système  serait 
infailliblement  entraîné  dans  une  chute 
terrible. 


Nous  assistons  depuis  une  vingtaine 
d'années  à  une  véritable  lutte  entre  les 
inventeurs  des  différents  procédés  d'éclai- 
rage ;  le  gaz,  l'électricité,  les  matières 
carburées  ont  chacun  leurs  défenseurs  qui 
font  valoir  les  qualités  et  les  défauts  de 
ces  systèmes.  Le  gaz  est  moins  cher  1 
L'électricité  produit  une  lumière  plus 
belle  et  plus  brillante  !...  Mais  l'un  et 
l'autre  ont  cet  inconvénient  d'exiger  des 
canalisations  importantes  et  la  création 
d'une  usine  centrale.  Aussi,  est-ce  avec 
intérêt  que  nous  avons  vu  paraître  une 
invention  nouvelle  qui  permet  d'obtenir 
un  éclairage  de  premier  ordre,  à  1  aide 
d'appareils  indépendants,  pouvant  même 
au  besoin  changer  de  place.  En  Amérique, 
ils  sont  d'un  usage  constant,  et  les  Pari- 
siens peuvent  juger  par  eux-mêmes  de 
l'efficacité  de  cette  nouvelle  lumière  par 
l'essai  qui  est  fait  actuellement  sur  les 
quajs  de  la  Seine,  contre  le  mur  de  soutè- 
nement de  la  terrasse  du  jardin  des  Tuile- 
ries. 

La    lampe   Kitson  est   basée  sur  le  prin- 


C.AISKIili;     SC.lKNTIl-Kjri-: 


c  i  p  e  d'incandes- 
cence des  becs 
Auer,  avec  cette 
différence  qu'on 
remplace  Je  gaz  de 
houille  par  de  la 
vapeur  de  pétrole. 
Sur  la  figure  'i,  mon- 
trant Tensemble  de 


s    T 


rig.  6.  l'ig.  6. 

Fig.  5.  —  Candélabre  pour  l'éclairage  intensif  au 
pétrole  (système  Kitson). 

R,  réservoir  de  pfttrole  ;  P,  pompe  à  main  pouvant  provo- 
quer une  pression  de  3  à  4  atmosphères  au-dessus  de 
la  surface  du  pétrole  dans  le  réservoir  ;  M,  manomè- 
tre ;  G,  réservoir  de  gazoliae;  K,  batterie  de  piles 
électriques;  P,  extrémités  des  lils  électriques. 

Fig.  G.  —  Coupe  intérieure  de  la  himpe  Kitson. 

G,  tuyau  d'arrivée  de  Tair  saturé  de  gazoliae;  G',  extré- 
mité de  ce  tuyau  d'air  où  se  trouvent  réunis  les  fils 
électriques  E  ;  P,  tuyau  d'arrivée  du  pétrole  ;  A,  tube 
de  filtrage  pour  débarrasser  ce  dernier  de  ses  impu- 
retés: B,  tube  de  vaporisation  du  pétrole;  M,  man- 
chon d'incandescence;  C,  c:ilotte  hémisphérique  enve- 
loppant tout  le  système, 

l'appareil,  le  dessinateur  a  ouvert  le  sou- 
bassement du  candélabre  de  façon  à  mon- 
trer les  différents  organes  qu'il  contient, 
l'^n  li,  nous  voyons  un  réservoir  en  tnle 
contenant  du  pétrole  et  dont  on  peut 
suivre  le  débit  à  l'aide  d'un  tube  ;i  niveau, 
lue  pompe  à  main  P,  située  sur  le  devant 
du  réservoir,  permet  de  comprimer  de 
l'nir  au-dessus  de  la  surface  libre  du 
liquide,  jusqu'à  une  pression  de  :i  ou 
't  atmosphères,  marquée  par  un  mano- 
mètre M.  Cet  air  comprimé  possède  deux 
usages  :  le  premier  de  peser  sur  le  pétrole 
de  fii(,'on  à  le  faire  monter  ;i  l'intérieur 
d'un  tuyau  spécial  qui  ira  alimenter  les 
différentes  lampes,  le  second,  de  seivir 
;i  transporter  des  vapeurs  de  gazoline 
jusqu'au  tuyau  C  de  la  figure  11  montrant 
la  coupe  d'un  liée.  Afin  d'arriver  , à  ce  der- 


nier résultat,  l'air  comprimé  passe  dans 
un  réservoir  spécial  {fig.  lij  où  se  trouve 
la  gazoline,  il  se  sature  de  matières  car- 
burées  et  débouche  parle  tuyau  (1'  fig.  (i 
où  sont  réunies  les  extrémités  de  fils 
électriques  provenant  d'une  batterie  K 
située  à  la  base  du  candélabre. 

Voyons  maintenant  ce  qui  va  se  [)ro- 
duire  :  le  pétrole  se  trouvant  soumis  à  une 
pression  constante  va  monter  dans  le  tube, 
il  commencera  par  traverser  im  tuyau  hori- 
zontal -\  (fig.  Il  dans  lequel  onaphicéde 
l'amiante,  il  s'y  débarrassera  de  ses  inipu- 
l'etés  et  poussières.  Il  viendra  ensuite  dans 
une  sorte  de  récipient  allongé  B  directe- 
ment soumis  il  la  flamme,  il  s'échauffera,  se 
volatilisera  et,  une  fois  devenu  vapeur, 
agira  comme  un  gaz,  il  brûlera  ;'i  sa  sortie 
d'un  manchon  Auer  suivant  le  procédé 
connu.  Il  y  a  un  cercle  vicieux  dans  cet 
appareil,  car  pour  pouvoir  fonctionner,  il 
faut  qu'il  soit  déjà  allumé,  afin  de  volatiliser 
le  pétrole  qui  sert  à  l'éclairage.  Or  pour 
être  allumé,  il  faut  qu'il  fonctionne  déjii!... 

C'est  pour  vaincre  celte  difficulté  qu'on 
a  installé  l'amorçage  à  l'aide  de  l'air 
chargé  de  gazoline;  sous  l'action  d'un 
commutateur,  l'étincelle  électrique  en- 
flamme l'air  carburé  débouchant  en  G  et 
produit  une  chaleur  suffisante  pour  vapo- 
riser les  premières  couches  de  pétrole; 
celte  annexe  est  un  véritable  excitateur 
et  constitue  l'allumage  proprement  dit. 

La  lampe  Kitson  a  donné  des  résultais 
merveilleux,  puisque  avec  un  manchon 
Auer  de  grandes  dimensions,  on  a  trouvé 
une  intensité  lumineuse  horizontale  de 
'.Mi,.'!  carcels  avec  une  consommation  de 
100  grammes  de  pétrole  par  heure,  ce  qui 
revient  ïi  '^,l!)  grammes  par  carcel-heure. 


Je  reçois  une  lettre  de  M.  Kd.  Vinsol 
réclamant  la  paternité  de  l'invention  de 
cet  appareil  que  nous  avons  décril  dans 
notre  dernière  causerii'  scieiilifii|ue,  ser- 
vant ii  ficililoi'  les  opér-at ions  des  chevaux, 
.le  suis  lr'è>  licirieiix  île  pouvoir  lui  donner' 
satisfaction. 

.\.    Il  A    (U'N  n  A. 


CHRONIQUE    THEATRALE 


Il  V  a  un  .111,  j'écrivais  à  cotto  même 
[ilaoe  :  "  Les  leltres  sont  en  deuil,  le 
Théâtre-Français  n'est  plus!   » 

Aujourd'hui,  nous  pouvons  nous  réjouir, 
le  Théâtre- Français  est  ressuscité.  Sur 
l'emplacement  et  dans  les  yieux  murs 
mêmes  de  l'ancienne,  une  salle  nouvelle 
llamlioic  cl  rutile  :  la  Maison  de  France 
est  rebâtie,  la  vie  continue. 

C'est  avec  une  indicible  émotion  que 
j'ai  pénétré,  le  soir  du  gala  de  réouver- 
ture, dans  ce  temple  des  lettres  françaises. 
Je  me  souvenais  de  cette  abominable  jour- 
née où  j'avais  vu  les  flammes  accomplir 
l'œuvre  de  destruction  et  je  me  deman- 
dais quelle  impression  me  produirait  cette 
salle  neuve,  aux  murs  trop  frais,  aux  do- 
rures trop  éclatantes,  et,  malgré  moi,  les 
tristes  pressentiments  qui  m'avaient  as- 
sailli au  moment  do  la  catastrophe  se 
pressaient  de  nouveau  en  foule  dans  mon 
esprit  : 

Ce  qu'on  ne  pourra  jamais  retrouver,  écri- 
vais-jo  à  CL-  moment,  c'est  ce  respect,  cette 
siilennité,  cette  gloire,  qui  tombaienldu  cintre, 
emplissaient  la  salle,  enveloppaient  la  scène 
comme  d'une  atmosphère  religieuse ,  c'est 
l'âme  du  temple,  la  présence  du  dieu  invi- 
sible et  puissant  qui  envoûtait  public  et  ac- 
teurs, et  donnait  à  tous,  sans  exception,  cette 
fui.  cette  ardeur,  cette  ferveur  même,  qu'on 
n'éprouve  que  dans  les  demeures  consacrées. 
A  la  porte,  les  railleries  devenaient  silen- 
cieuses, le  scepticisme  interrompait  son  œuvre 
malsaine  et  la  grâce  descendait  sur  quiconque 
franchissait  le  seuil  auguste... 

Voilà  ce  qui  ne  se  retrouvera  plus  jamais, 
jamais!  Voilà  le  grand  deuil  des  lettres...  Des 
pierres  s'accumuleront ,  des  tentures  drape- 
ront les  nouvelles  merveilles,  mais  ces  pierres 
n'auront  pas  de  vie,  mais  ces  tentures  seront 
inertes  :  ce  seront  des  étrangères  auxquelles 
il  faudra  des  siècles  pour  s'acclimater  et  pour 
vivre  de  leur  vie  propre,  des  générations  pas- 
seront inconscientes,  ignorantes  de  cet  état 
d'âme,  le  dieu  restera  muet  pendant  long- 
temps encore,  et  nous,  vivants  à  cette  heure, 
nous  ne  l'entendrons  plus  ! 

Oh!  je  ne  mets  pas  en  doute  l'émulation  et 
le  dévouement  de  tous.  Mais  ce  -qui  n'est  plus 
ne  peut  plus  être...  C'est  le  temps  seul  qui 
peut  cicatriser  cette  blessure!... 

Hélas  1  mes  pressentiments  ne  m'avajent 


pas  absolument  trompé.  Bien  que,  heu- 
reusement, ils  ne  se  soient  pas  tout  à  fait 
réalisés,  il  est  vrai,  cependant,  que  l'an- 
cienne demeure  n'est  plus  et  qu'elle  a 
emporté  avec  elle  ce  respect  religieux  qui 
émanait  de  ses  murs.  Cette  salle  neuve 
est  encore  dépaysée.  Il  faudra  un  certain 
temps  pour  que  tout  reprenne  sa  place  et 
rentre  dans  l'harmonie  accoutumée,  qui 
était  un  charme  exquis.  On  a  cru  devoir 
respecter  l'architecture  ancienne  ;  cela 
était  louable,  à  condition  qu'on  rendit  à  la 
salle  ainsi  reconstruite  la  patine  de  l'an- 
cienne, à  condition  qu'on  ternit  l'éclat  des 
pierres  trop  neuves  et  qu'on  adoucit  les 
nuances  trop  vives  des  ors  et  des  pour- 
pres qui  les  décorent.  Cela  était  impos- 
sible, je  le  sais,  et  le  temps  pressait.  On 
ne  pouvait  laisser  passer  les  mois  et  les 
années  dans  l'élaboration  de  plans  nou- 
veaux, plus  logiques,  plus  modernes, 
mieux  appropriés  aux  exigences  actuelles 
de  la  mise  en  scène  et  du  confort.  L'im- 
portant était  de  pi'ofiter  de  l'émotion  gé- 
nérale pour  reconstruire  le  Théâtre-Fran- 
çais et  ne  pas  se  traîner  dans  les  longueurs 
de  la  chinoiserie  administrative,  dont  nous 
avons  vu  les  effets  déplorables  avec 
rOpéra-Comique...  Mais  alors,  j'avais  rai- 
son de  dire  l'an  passé  :  <>  Quelque  chose 
n'est  plus,  qui  ne  peut  plus  revivre.  » 

Les  lamentations  sont  inutiles,  et  nul 
au  monde  ne  peut  rien  contre  l'inéluc- 
table. Ce  qui  arrive  maintenant  s'est  déjà 
produit;  la  maison  de  Molière  n'en  est  pas 
à  sa  première  transformation,  et  pourtant 
l'esprit  de  la  glorieuse  institution  s'est 
toujours  réveillé  après  un  sommeil  plus 
ou  moins  long.  Notre  mauvaise  fortune 
veut  qu'en  tout  nous  ne  puissions  jouir 
paisiblement  des  richesses  amassées  par 
nos  pères  et  que  notre  temps  soit  un 
temps  de  transition.  Acceptons,  résignés, 
ce  que  nous  ne  pouvons  empêcher.  Puisque 
notre  destinée  est  d'être  des  constructeurs 
d'avenir  et  que  la  fatalité  fait  à  chaque 
instant  table  rase  des  choses  du  passé, 
soyons,  suivant  la  prophétique    parole  de 


C.lIlidMQrK     TllKATliAI.K 


I.diiis  Blanc,  ■■  les  maçons  dnnc  antre 
l'fioque  )i,  cl  acceptons  vaillaninionl  la 
mission  qui  nous  est  confiée.  Aussi  bien 
la  lâche  n'est  pas  sans  granJeur  !  KUe 
conliaste  avec  nos  tendances  i'<;oïstes, 
c|ui  nous  portent  vers  la  paresse;  mais, 
([uoi  que  nous  fassions,  nous  serons  bien 
contraints  de  l'accomplir,  bon  gré  mal  gré. 
l.;i  fortune   du   théâtre  en    France   n'est 


fait  tort  et,  puisque  nous  sommes  con- 
traints de  nous  accommoder  de  ce  qui  est. 
mieux  vaut  croire,  mieux  vaut  se  persua- 
der que  "  tout  est  pour  le  mieux  dans  le 
meilleur  des  mondes  •■,  que  de  se  lamenter 
perpétuellement  sur  les  misères  présentes. 
Marchons  donc  résolument  les  yeux 
tournés  vers  demain,  travaillons  en  nous 
inspirant    des    leçons    de  l'expérience   et 


V  K  11     DV     PUBLIC 


iiiillement  compromise,  elle  ne  peut  pas 
l'iliv  ;  demain  verra  surgir  de  belles 
Muvres  et,  qui  sait,  la  catastrophe  d'hier 
sera,  peut-être,  un  bienfait. 

(;c  n'est  pas  f'tre  trop  optimiste  que  de 
liroi-  une  leçon  consolaiile  du  pasM'.  De 
Idiit  lenips  on  s'est  plaiiil.  de  lout  lemps 
on  a  trouvé  ijuc  le  monde  allait  de  mal  en 
pis,  et  cependant  chaque  siècle  a  eu  sa 
grandeur  et  sa  gloire  que  les  Jérémiesdes 
siè<-les  suivants  proposèrent  à  l'admiration 
(le  leurs  conleniporaiiis.  Kii  dé[)il  des  rail- 
leries (le  V(iU:iin',    Leibniz    n'.i  pas   lout   à 


laissons  venir  à  nous  les  jeunes  talents 
(jiii  sont  Iri/ion  et  au  luimbre  desquels 
s'en  trouvent  sûrement  qui  occuperont  un 
jour  une  grande  place.  Nous  les  décou- 
vrirons si  nous  savons  chercher,  nous 
assisterons  à  leur  gloire  (|ue  nous  aurons 
eu  le  mérite  de  prévoir  et  de  préparer. 

Voilà  le  rôle  bienfaisant  ipie  doit  jouer 
la  nouvelle  Comédie-Française.  Ses  portes 
se  sont  déjîi  souvent  entrouvertes  devant 
les  nouveaux  venus;  qu'elle  les  ouvre  à 
deux  battants  désoiin.iis,  et,  puisque  la 
liberté   d<-s    théâtres  a   supprimé  les  spé- 


C.mtKNKjri-:      lIlKATliAI.K 


cialilés  de  genres  ([ui  raisaiciil  jadis  de 
l"()déiin,  du  (iymnaso  et  du  N'audeville  les 
aulichambrcs  de  ce  Louvre  de  la  lilléra- 
lure  dramatique,  qu'elle  découvre  elle- 
niûmo  les  œuvres  hardies  et  fortes  par 
Ies([uellcs  elle  perpétuera  ses  nobles  et 
antiques  traditions...  Sa  tâche  aussi  est 
grande  et  son  dévouement  à  la  belle 
cause   de    l'art    nous    est    un    sur    garant 


TRAOKIII  E. 


Kllc 


lauriers 


I,.\    OOMliltIL. 

Qu'iiuporle  son  |icril  I 

I.  A    TUAC.  liniE. 

Et  nous  les  cueillerons  ces  lleui-s  du  jeune  Avril, 
Les  fleurs  dont  nos  efforts  vont  être  la  senieme, 
hei  fleurs  naissant  avec  le  siècle  qui  comnienre, 
Alin  i|ue  la  moisson  nouvelle  où  nous  voici 
Pour  les  siècles  futurs  ait  sa  couronne  aussi. 


LA     f  tlM  É  D  I  E  -  F  R  A  N  (,■  A  I  »  E 


1  II  A  X  D     E  5  G  A  L  I  E  U 


cju  elle  saura  l'accomplir  sans  défaillance... 
Qu'elle    s'inspire    des    vers    que    Jean 
lîichepin,  dans  son  prologue  de   réouver- 
ture, met  sur  les  lèvres  des  deux   muses  : 

LA    TKAOLrHE. 

...  Demain  ne  m'épouvante  plus. 

LA     COMÉDIE. 

S.i  lieaulé  luit  déjà  dans  vos  yeux  résolus. 

L.V    Tlt.^GÉniE. 

l,a  vdionlé  de  vainci'e  enfante  la  victoire. 

LA     COMÉDIE. 

L'histoire  de  demain  vaudra  l'ancienne  liisloire. 


A  ces  souhaits  pleins  de  joyeuse  espé- 
rance, répond  le  doyen  de  la  maison  : 

LE     DOYEN. 

0  muses,  la  demeure  ancienne 
Reste  avec  sa  couronne  au  front. 
Et  la  nouvelle  aura  la  sienne. 
Toutes  les  deux  resplendiront. 
Mais  l'une  à  l'autre  entrelacées 
En  fleurs  fulures  ou  pass<!es. 
Ces  deux  couronnes  de  pensées 
N'en  seront  qu'une  à  Fliorizon. 
Cai-  l'àme  de  gloire  qui  veille 
Dans  la  demeure,  jeuneou  vieille, 
Kn  fait,  toujours  une  et  pareille, 
La  même  immortelle  maison. 


ClIlKl.NKjrK     TllKATHAl.K 


Dans  le  temps  comme  dans  l'espace, 
Ou'impnrlc  à  celte  âme  ce  point, 
L'Iioninie  ou  l'objet  clianjîcanl  qui  passe, 
l'otiivu  ipi'Kllo  ne  chanjîc  point'.' 
El  pijiinpioi  donc  clMns;ei'ail-t'llo, 
^i  l'on  sait  la  Iransmellrc  telle 
Qu'on  l'a  revue,  celle  ininiorlelle, 
Si  tous  y  làflicnt  de  leur  mieux. 
Si  chaque  âge  au  suivant  s'enchaîne. 
Vers  ou  prose,  laurier  ou  chi'ne, 
Si  la  postérilé  prochaine 
lioit  Caire  de  nous  des  aïeux'? 

Elle  en  fera,  j'ai  soif  d'y  croire. 
Nos  vœux  l'auront  tent(5  du  moins. 
Klle  élira,  l'âme  de  gloire, 
l'armi  nous  aussi  des  témoins. 
(Test  l'àuic  au  vorhc  de  luinicic. 
.\u  ton  lin  de  rose  tréuiièn'. 
Ayant  pour  grâce  coutumicre 
l'n  sourire  dans  un  éclair, 
l'.'est  l'àme  d'ordre  et  d'Iiarnionic 
(Jui  veut  que  chez  nous  le  génie, 
Lac  oii  jamais  l'eau  n'est  ternie, 
yuand  il  est  profond  reste  clair. 

Ame  éparse  dans  la  pensée 

De  notre  sol,  de  noirn  ciel, 

ll'est  ici  qu'elle  est  condensée. 

La  mer  lient  dans  un  grain  de  sel. 

l'.'est  ici  qu'à  celle  âme  unie, 

,\vcc  l'avenir  communie 

La  tradition  rajeunie. 

Ici  que  l'esprit  des  vivants 

Vient  demander  aux  morls  l'exemple, 

lit  dans  sa  splendeur  le  contemple 

Au  sanctuaire  de  ce  temple 

Dont  nous  sonunes  les  desservants. 

Celte  ànie  qu'il  faut  qu'on  mainlicnnc, 
Dont  nous  transmettons  In  llanilicau, 
(;'csl  la  notre,  ensemble,  et  la  tienne, 
.Muse  du  vrai,  du  bien,  du  beau, 
l'elilc  lillc  de  la  Grèce, 
Kl  lille  de  Ilôme,  ô  déesse 
Dont  l'autel  à  jamais  se  dresse 
Dans  ce  Paris,  seul  héritier, 
Ville,  par  loi,  sacerdot.ilc 
()(iniMie  une  .\Iccipic  occidenlale, 
Ville  doidilenicnl  capilale. 
De  la  France,  cl  du  monde  enlicrl 


Ce  sont  là  de  noljles  tlesseins;  il  ne  reste 
plus  qu'à  les  réaliser,  (^es  promesses,  il 
faut  les  tenir,  il  faut  i|uc,  puisque  le  dieu 
ancien  est  niuel  désormais,  le  jeune  dieu 
•grandisse  el  parle.  A  des  lenq)s  révolus 
doivent  succéder  des  temps  nouveaux, 
comme  au.x  crépuscules  des  beaux  soirs 
succèdent     les    radieuses    aurores.     Quoi 


qu'on  die,  l'art  dramatique  français  n'est 
pas  en  décadence.  Depuis  dix  ans.  Il  se 
transforme.  Aujourd'hui,  de  jeunes  au- 
teurs sont  nés,  qui  ont  déjà  en  partie 
remplacé  les  anciens;  d'autres,  nombreux, 
attendent  qu'on  choisisse  parmi  eux'. 
Choisir!  voilà  le  seul  embarras.  Qu'on  les 
accueille  à  bras  ouverts,  et  bientôt,  de- 
main, une  pléiade  vivante  et  vibrante 
chantera  la  ojinii-e  des  Icllces  françaises 
dont  la  Comédie  est  la  Maison  commune, 
le  clair  et  familial  Toyer,  le  Temple  hos- 
pitalier et  toujours  resplendissant. 


P.iL.vis-Rov.ii..  —  Moins  cintj  !  pièce  en  trois 
actes,  de  MM.  Paul  Cîavaull  et  (leorpcs 
Itecr. 

Connaissez-vous  l'expression  d'argot 
boule vardier  :  u  II  est  moins  cinq  I  "'.' 
Cela  veut  dire  :  il  n'est  pas  encore  l'heure, 
mais  elle  est  proche.  C'est  la  minute  ou 
plutôt  les  cinq  minutes  ([ui  précèdent  le 
moment  psychologique.  Une  honnête 
femme,  par  dépit,  par  curiosité,  par  entraî- 
nement, va  commettre  une  faute  irrépa- 
rable, mais  au  momcnl  suprême  elle  se 
reprend  et  rentre  dans  le  droit  chemin  de 
la  fidélité  conjugale  :  il  est  moins  cinq, 
pour  elle,  pour  lui  et  surtout  pour  l'heu- 
reux mari  sauvé  du  danger. 

Cette  définition  de  l'expression  pilln- 
resque  contient  toute  la  donnée  de  la  pièce 
de  MM.  Paul  (iavaull  el  Georges  Berr. 

Hélène  et  lidgard,  braves  et  paisibles 
bourgeois  de  Limoges,  ont  donné  l'hospi- 
talité à  un  de  leurs  amis,  un  avocat  bam- 
bocheur  parisien.  Ses  propos,  ses  ma- 
nières, sa  gaieté  ont  émoustillé  le  ménage, 
de  mœurs  ordinairement  l)ourgeoises  el 
d'habitudes  casanières,  qui  rêve,  encore 
que  bien  confusément,  d'aventures  fantai- 
sistes et  galantes.  IVautre  pari,  Hélène 
est  jolie;  son  charme  grassouillet  de  caille 
dodue  a  fait  impression  sur  Jactpies,  qui 
n'a  plus  qu'une  idée:  trahir  sans  vergogne 
les  devoirs  sacrés  de  rhosjjilalité.  Le 
meilleur  moyen  d'y  parvenir  car,  malgré 
toutes  ses  lentalives  de  séduction,   il   est 


C  II  K ()  N  K)  f  !•:     T II  li  AT  K  A L K 


toujours  «  moins  cinq  "  pour  Jacques)  est 
de  convaincre  Hélène  de  rinfidélité  d'Ed- 
gard...  Or,  le  pauvre  est  bien  le  plus  hon- 
nête innocent  du  monde,  mais  Jacques 
soudoie  la  couturière,  la  cuisinière,  la  blan- 
chisseuse delà  maison,  qui  roulent  des  yeux 
blancs  devant  Edgard  et  prennent  à  côté 
do  lui  des  attitudes  de  colombes  pâmées. 
Le  coquebin  se  croit  aimé  et  sa  vaniti'-  s\n 


nante,  plus  caressante,  moins  popote,  ja- 
mais il  n'aurait  son-ré  à  regarder  une 
autre  femme;  aussi,  quand  il  revient  près 
d'elle,  elle  se  jette  dans  ses  bras.  Edgard, 
tout  surpris  dune  tendresse  démonstra- 
tive à  laquelle  il  n'est  point  accoutumé, 
est  plus  convaincu  que  jamais  de  la  puis- 
sance irrésistible  de  ses  séductions.  Jacques 
en  est  donc  pour  ses  frais  d'invention  et 


JI  ■  thcÎTtL  M.  iLiiiultuii.  Jl    ILi.w 

Moins  cinq!  - 

réjouit.  Il  perd  même  complètement  la 
tète  quand  les  trois  donzelles,  à  qui  ré- 
compense est  promise  par  Jacques,  se 
jfltent  à  son  cou  et  l'embrassent. 

Hélène  a  été  témoin  de  ses  effusions 
sur  lesquelles  Jacques  comptait  pour 
inspirer  à  la  jeune  femme  des  désirs  de 
vengeance  dont  il  profiterait  ;  mais,  con- 
trairement à  son  attente,  la  jeune  femme 
a  été  plus  contristée  que  fâchée,  elle  s'ac- 
cuse elle-même  de  n'avoir  pas  su  garder 
son  mari...    Si  elle  avait  été  plus   prévc- 


pour  ses  largesses  inutiles  :  il  est  encore 
"  moins  cinq  »  !  Sentant  la  partie  perdue, 
il  se  décide  à  lentrer  à  Paris. 

Dans  sa  garçonnière  de  l'avenue  Tru- 
daine.  nous  le  voyons  faire  la  fête  avec 
quelques  jeunes  oiselles  de  bonne  volonté. 
Hélène  et  Edgard  lui  tombent  sur  les 
bras.  L'une  a  trouvé  un  prétexte  pour 
venir  passer  huit  jours  à  Paris  avec  celui 
qu  elle  est  bien  décidée  à  prendre  comme 
amant,  et  l'autre  a  profité  du  départ  de  sa 
femme,  qu'il  croit  à  Bordeaux,  pour  venir 


ciiiiiiMion;    iiiKATiiAi.i: 


faire  la  fête  avec  son  ami  Jacques.  Il 
s'installe  sans  façon  dans  une  chambre,  ne 
soupçonnant  pas  que  Ilôlc'ne  est  déjà  en 
train  de  se  mettre  en  peignoir  dans  une 
chambre  voisine...  Vous  devinez  les  qui- 
proquos de  l'arsenal  vaudevillesque,  joi- 
gnez-y l'esprit  et  la  gaieté  de  bon  aloi 
qu'on  n'y  rencontre  <|ue  trop  rarement  et 
qui  abondent  ici.  Après  mille  et  une  péri- 
péties funambulesques,  au  cours  desquelles 
Hélène  est  prise  pour  une  jeune  personne 
légère,  où  Edgard  reçoit  force  horions  et 
pochades,  où  il  est  finalement  conduit  au 
poste  par  un  gardien  de  la  paix  épique,  la 
jeune  femme,  malgré  les  supplications  de 
Jacques,  qui  voit  encore  l'occasion  lui 
échapper,  n'a  qu'un  désir  :  rentrer  au  plus 
vite  à  Limoges  et  reprendre  sagement  son 
petit  trantran  d'existence.  Quant  à  Ed- 
gard, il  est  à  tout  jamais  dégoûté  de  la 
grande  vie,  et  il  saute  dans  le  premier 
train  en  partance.  Il  est  encore  «  moins 
cinq  »  pour  tout  le  monde. 

,\u  dernier  acte,  tout  s'explique.  Hélène 
apprend  que  les  soi-disant  infidélités  de 
son  mari  sont  l'ieuvre  machiavélique  do 
Jacques  et  que  Edgard  n'a  jamais  cessé 
d'être  un  mari  modèle,  donne  définitive- 
ment son  congé  à  l'entreprenant  Parisien, 
qui  réintègre  sa  garçonnière.  Il  est  tou- 
jours "  nioin.s  cinq  »  ! 


VMiiiMiri  .  —  Le  ijoii  ./iit/e,  comédie  en  tmis 
actes,  (lo  M.  Alexandre  Bisson. 

M.  Leplantois  est  un  juge  d'instruction 
atteint  de  la  moiiomanie  spéciale  aux  gens 
do  justice.  Il  voit  des  coupables  dans 
tous  les  prévenus  et  n'hésite  pas  à  les 
faire  arrêter  préventivement,  laissant  au 
hasard  le  soin  de  démontrer  leur  culpabi- 
lité. Il  lui  arrive  de  nombreuses  niésaveti- 
luros  et  les  victimes  de  ces  arrestations 
arbitraires  tirent  de  leur  bourreau  des 
vengeances  aniusanles,  grâce  Ji  1  interven- 
tion d'une  jolie  femme.  M"'  Luce  de  Per- 
pignan, artisie  de  l'Odéon!  dont  le  juge, 
marié  cependant  à  une  fort  jolie  personne, 
est  follement   (•(    soltemeiil  l'pris.  I.es  vic- 


times qui  s'appellent  Duvigneul,  reporter 
consciencieux  qui,  pour  se  livrer  à  uni- 
enquête  sur  le  régime  des  prisons,  se  fait 
arrêter  comme  auteur  présumé  d'un  crime 
passionnel  dont  tout  Paris  s'occu|)e;  I.ajau- 
nette,  aimable  clubman,  inculpé  à  tort  do 
faux  et  de  vol,  sont  relâchés  faute  de 
preuves  et  se  livrent  contre  l'infortuné 
Leplantois  à  une  série  de  mystifications 
qui  ont  pour  conséquence  l'arrestation 
même  du  juge  par  un  commissaire  de 
police  aussi  féru  que  son  supérieur  de 
l'idée  que  quiconque  est  accusé  doit,  pour 
être  innocenté,  prouver  d'abord  son  inno- 
cence. 

Les  artistes  du  théâtre  du  Vaudeville 
interprètent  excellemment  cette  satire 
amusante  des  déplorables  mipurs  judi- 
ciaires que  nous  ne  connaissons  que  trop, 
malheureusement. 


NinvtAiTrs.  —  ],e  Couj)  de  fouel.  piccc  en 
trois  actes,  de  MM.  Maurice  llcnnequin  et 
(ieorges  Uuval. 

.\h!  ici  ])ar  exemple,  il  n  y  a  pas  d'er- 
reur, nous  sommes  en  plein  vaudeville. 
C'est  vrai  !  Mais  quelle  joie,  ([uelle  gaieté, 
quel  entrain.  Je  regrette  de  n'avoir  plus 
la  jilace  nécessaire  |)our  m'étendre  plus 
longuement  sur  ce  chef-d'œuvre  de  rire, 
mais,  comme  dans  un  an  on  le  jouera  en- 
core, nous  aurons  le  temps  d'y  revenir.  Je 
n'ai  pas  voulu  que  cette  clironique  soil 
close  sans  y  avoir  signalé  ce  rolentissani 
succès  que  tout  le  monde  ira  voir  et  ap- 
plaudii-,  et  dans  k-i|uel  les  auteurs  ont 
si  merveilleusement  donné  raison  à  mon 
optimisme  en  prouvant  ((n'en  Krance  la 
race  des  hommes  de  théâtre  n'était  pas 
épuisée  et  que  ceux  d'aujourd'hui  valent 
bien  ceux  d'autrefois. 

Allez  vousesbaudir  aux  exploits  du  nia- 
chiavéliquo  Barisarl.  riionime  génial  <pii 
a  inventé  pour  tromper  sa  femme  sansèhe 
découvert  un  truc  nouveau  auquel  feu 
M.  Scribe  lui-même  n'a  poin!  songé,  et 
applaudissez  forme  l'excollonlo  liuupodos 
N'ouveaulos. 

M  M  11  11.1     l.r  I  i:  V  II  i:. 


LA    MrSIQl'E 


H  V  a  ([uelques  mois,  lors([ue  je  réca|)i- 
Uilais  les  prouesses  de  l'Opéra  et  de 
!'(  )péra-Comi((ue,  je  me  demandais,  devanl 
ces  avalanches  de  premières  annoncées, 
comment  je  ferais  poumon  point  omettre 
une  seule  dans  cette  causerie  musicale 
mensuelle.  L"Opéra  nous  avait  annoncé  le 
/(.,(■  (/(■  P.irix  de  G.  Hue,  Asl;irU'  de  X.  Le- 
roux, le  Koi  (TYs  de  Lalo.  L'Opéra-Comi- 
([ue,  X'Ournçjan  de  A.  Bruneau,  William 
ltal<li/f  de  X.  Leroux  et  la  Fille  île  Taba- 
rin  de  G.  Pierné.  Puis,  pour  de  multiples 
raisons,  décors  en  retard,  orchestration 
non  terminée,  interprète  introuvable,  ou, 
ce  qui  arrive  souvent,  changement  de 
détermination  et  projets  renvoyés  aux 
calendes  grecques,  comme  sœur  Anne, 
mes  confrères  et  moi  nous  ne  voyons  rien 
venir.  A  un  mien  ami,  fervent  amateur  de 
musiciue,  auquel  je  faisais  part  de  ces 
réflexions  et  qui  m'objectait  :  «  Je  com- 
prends les  directeurs  de  théâtre  ;  ils  hési- 
tent à  risquer  de  grosses  parties  sur  des 
ouvrages  dont  l'accueil  est  incertain,  »  je 
me  fis  une  joie  non  dissimulée  de  réfuter 
cet  argument  par  cette  réponse  :  «  Que 
messieurs  les  directeurs  hésitent  dans  le 
choix  d'un  ouvrage  dont  les  chances  de 
succès  sont  plus  ou  moins  liées  aux  cir- 
constances au  milieu  desquelles  cet  ou- 
vrage sera  présenté  au  public,  soit  ;  mais 
pourquoi  une  fois  les  trois  coups  frappés 
et  le  rideau  appuyé,  ces  mêmes  direc- 
teurs laissent-ils  tomber  certains  succès?  " 
Et  d  me  fut  très  facile  d'élablir  la  vrai- 
semblance de  ma  réplique  en  citant, 
parmi  les  œuvres  les  plus  récentes  ayant 
eu  un  très  sincère  succès  et  qui  pourtant 
no  sont  pas  restées  sur  l'affiche  :  (hrciulo- 
liiti'  de  Chabricr,  la  Cloche  ilii  llliin  de 
S.  Housseau,  et  la  Burijtmde  de  P.  Vidal. 

De  ce  qu'un  ouvrage  ne  fait  pas,  dès  ses 
débuts,  le  maximum,  s'ensuit-il  qu'il  est 
mauvais  ".'...  Et  la  subvention  que  l'Etat 
accorde  gracieusement  aux  grandes  scènes 
lyriques  n'est-elle  pas  destinée,  on  partie, 
il  équilibrer  les  recettes  médiocres  qu'une 
pièce    nouvelle,  dont   le  titre  n'ayant    pas 


encore  l'attrait  d'un  indiscutable  succès, 
ne  peut  réaliser  comme  Faiisl  ou  les  llu- 
</ueni)l.t  —  même  interprétés  par  les  gloires 
du  phonographe  —  dont  l'apparition  sur 
l'affiche  a  l'irrésistible  pouvoir  d'encom- 
brer le  bureau'de  location. 

Aussi,  à  côté  des  compositeurs  favorisés 
—  est-ce  une  faveur  ?  —  de  quehiues 
représentations  et  d'un  succès  dit  d'estime, 
voyons-nous  avec  tristesse  des  œuvres 
remarquablement  belles  aller  ou  revenir 
de  l'étranger,  ce  qui  est  le  cas  de  l'œuvre 
que  l'on  répète  actuellement  à  la  Monnaie, 
le  Roi  Arthtis  d'E.  Chausson,  le  sympatlii- 
que  artiste  mort  si  tragiquement  l'année 
dernière,  d'.lrmor  de  S.  Lazzari,  qui  triom- 
pha à  Hambourg,  et  de  (iirendnlinr  de 
Chabrier,  qui  est  devenue,  en  Allemagne  — 
pays  où,  on  voudra  bien  me  l'accorder,  on 
sait  mieux  aimer  la  musique  pour  elle- 
même  que  chez  nous  —  un  ouvrage  presque 
classique.  Si  vous  êtes  désireux  de  passer 
d'agréables  heures  à  votre  piano,  en  dé- 
•  chillranl  ces  trois  œuvres  vous  trouverez 
d'incomparables  pages,  belles  parmi  les 
plus  belles.  De  GirrnclnUne,  assez  connue 
déjà,  je  ne  dirais  rien  :  mais  je  me  fais 
aujourd'hui  un  agréable  devoir  de  parler 
brièvement  du  Roi  Arthu.t  et  J'Armof. 

Le  Roi  Arthus ,  d'E.  Chausson,  a  pour  sujet 
les  amours  tragiques  et  adultères  de  la 
reine  Genièvre  et  de  Lancelot,  sujet  déjà 
connu  et  assez  heureusement  traité  par 
M.  V.  de  Joncières  dans  l'opéra  Lancolot, 
dont  j'ai  parlé  en  avril  1900.  De  même  que. 
par  certains  côtés,  Annur  évoque  le  sou- 
venir de  Parsifal,  la  physiologie  esthétique 
de  l'œuvre  d'E.  Chausson  est  très  près  do 
celle  de  Tristan  et  Yseull.  Ce  qui  est 
encore  plus  curieux,  c'est  cpie  ces  doux 
œuvres  semblent  se  compléter  intontion- 
nellement. 

Après  la  mort  de  Genièvre  et  de  Lan- 
celot, Arthus,  découragé,  prédit  la  déca- 
dence de  la  chevalerie,  jette  dans  les  flots 
ses  armes  invincibles  et  part  pour  des  ré- 
gions inconnues.  Dans  l'œuvre  de  M.  S.  Laz- 
zari, .\rmor,  chevalier  breton,   vient  pour 


I.A     MISIQLK 


conquérir  la  couronne  d'Arlliiir,  que  nul 
n'a  pu  ceindre  depuis  la  mort  du  fonda- 
Unir  de  la  Talile  ronde.  A  sa  vaillance,  les 
fées  veulent  la  disputer  :  mais  Ked,  reine 
des  Korriganes,  éprouve  une  passion  subite 
pour  Armor  et  le  protège.  Tout  l'intérêt 
de  cette  belle  œuvre  lyrique  réside  donc 
dans  la  lutte  toute  sentimentale,  toute  psy- 
chologique qu'éprouve  Arnior,  et  je  ne  con- 
nais pas  de  ])ages  plus  belles  que  celles 
où  Ked,  qui  résistait  avec  orgueil  aux  me- 
naces de  l'ombre  d'Arthur  et  aux  suppli- 
cations d'Armor,  avoue  son  amour  qu'elle 
ne  veut  point  renier,  incline  pourtant  son 
âme  impérieuse  et  courbe  le  front  en  en- 
tendant la  voix  douce  et  indulgente  du 
Rédempteur  qui,  l'unissant  à  Armor,  lui 
redit  ces  paroles  évangéliques  :  "  Bien  des 
pécliés  seront  remis  à  ceux  qui,  sur  la  terre, 
auront  beaucoup  aimé  !  » 

.le  ne  veux  point  parler  plus  longue- 
ment, aujourd'hui,  de  ces  deux  belles  œu- 
vres, car  je  me  réserve  de  les  étudier 
cliacune  séparément  le  jour  où  l'on  pourra 
les  applaudir  sur  la  scène  de  l'Opéra.  Plus 
ou  moins  lointaine,  cette  heure  viendra,- 
car  il  est  des  œuvres  qui  s'imposent  rien 
([ue  par  leur  haute  valeur  esthétique. 


l'ne  fois  de  plus  la  direction  des  Bouffes 
n'a  pas  eu  la  main  heureuse  avec  la  nou- 
velle opérette  le  lioi  Daijoliprt,  qui  fut 
montée  avec  beaucoup  de  soins  et  de  luxe. 
(Jn  espérait  un  succès,  mais,  espérances 
déçues,  ce  fut  tout  le  contraire  qui  se  pro- 
duisit, et  cela  d'autant  plus  regreltable- 
nient  que,  fort  bien  chantée  par  M""  Lu- 
ciole et  A.  Bonheur,  la  musique  est  assez 
pimpante.  Mais  le  livret!  lui  seul,  le  livret 
a  suffi  pour  tout  gâter,  car  il  est  d'une 
indigence  rare.  Cela  est  d'autant  jilus 
curieux  qu'il  est  signé  ])ar  G.Pradels,  qui, 
pourtant,  a  une  réputation  d'homme  d'es- 
prit. Mais,  que  voulez-vous!  le  roi  Dago- 
hert,  le  commissaire  de  police,  l'inévitable 
saint  Kloi,  les  automobiles  mérovingiens, 
les  ministres  prévai-icateurs,  etc.;  méli- 
mélo  de  facéties  d'un  goût  douteux, 
charges  lourdes  et  vieilles  comme  toutes 


les  pitreries  de  la  foire  aux  pains  d'épices, 
tout  cela  nous  a  plus  désagréablement  sur- 
pris qu'amusé.  C'est  regrettable,  car  la 
direction  avait  tout  fait  pour  décrocher 
un  succès.  Une  fois  de  plus,  le  succès, 
même  pour  l'opérette,  a  déserté  Paris. 
Que  voulez- vous  !  les  auteurs  ne  peuvent 
pourtant  pas  attendre  indéfiniment  que  les 
grandes  scènes  consacrées  à  l'opérette, 
comme  la  Gaité,  par  exemple,  et  qui  sem- 
blent être  vouées  aux  reprises,  aient  épuisé 
l'interminable  stock  des  succès  d'anlan 
avant  de  songer  h  monter  un  ouvrage  nou- 
veau. Celte  fois-ci,  c'est  à  Bruxelles,  sur 
la  coquette  scène  des  Galeries  Saint-Hu- 
bert, que  s'est  afûrmé  le  succès  d'une 
charmante  œuvre  de  MM.  Beisner  et 
A.  Sciama,  musique  de  Gaston  Meynard, 
le  Sire  de  Fntitihnisy.  l'ne  excellente  in- 
terprétation, des  décors  luxueux,  une  mise 
en  scène  très  soignée  ont  ébloui  le  public 
bruxellois;  mais  les  couplets  agréables  ont 
bien  mieux  conquis  encore  les  suffrages 
de  ce  public  qui,  on  le  sait, est,  en  matière 
théâtrale,  un  juge  souvent  sévère,  mais 
toujours  très  compétent. 


Liiuisi%  de  M.  (i.  Charpentier,  aura,  à 
l'heure  oii  paraîtront  ces  lignes,  atteint  sa 
100'  représentation.  C'est  un  succès,  un 
grand  succès  qui  eut  ses  admirateurs  en- 
thousiastes   et    ses    fervents  adversaires. 

Je  fus  au  nombre  de  ces  derniers.  Je 
préfère  de  beaucoup  à  cette  o'uvre  la  ten- 
tative de  M.  G.  Charpentier  en  faveur  des 
ovivrières  parisiennes.  M.  G.  Charpentier 
avait  demandé  â  ses  confrères  d'aban- 
donner leurs  billets  d'auteur  en  faveur  de 
ces  dernières  afin  (juil  leur  soit  possible 
de  fréquenter  gratuitement  des  théâtres 
et,  par  la  vue  et  l'audition  des  leuvres 
artistiques,  de  développer  leurs  goûts 
esthétiques. 

M.  G.  Charpentier  espérait  pouvoir 
lutter  contre  les  spectacles  éco-uranis  de 
bètisc  et  de  grossièreté  que  prodiguent 
les  petits  établissements  des  faubourgs 
où,  pour  quehpies  sous,  on  peut,  en  ab- 
soibant   une   consommation    douteuse,  se 


I.A     MISUJIK 


Il  dit  à  l'enfant 


fausser  les  idées  en  dégustant  les  produc- 
tions d"un  art  frelaté. 

I-"idée  de  cette  lutte  contre  la  corrup- 
lion  intellectuelle  est  des  plus  louables; 
iuissi,  bien  entendu,  n"a-t-elle  pas  été  en- 
couragée comme  elle  le  méritait.  Au  con- 
traire, elle  n'a  fait  qu'exciter  la  verve 
facile  des  uns  et  l'esprit  satirique  des 
iiutros.  En  réponse  à  la  circulaire  de 
M.  G.  Charpentier,  M.  Albin  Valabrègue 
a  écrit  un  rondeau  dont  la  note  est  d'un 
scepticisme  un  peu  aigre.  Du  reste,  jugez- 
en  par  vous-même  : 

Un  compositeur  de  musique. 
Charpentier,  auteur  éminent. 
Vit  une  ouvrière  pudique 
Et  pensive 

"  Ouvre  ton  âme  et  sois  sans  crainte, 

■  Je  suis  le  Maître,  (Charpentier I 

•  Le  gémissement  et  la  plainte 

•  Font  vibrer  mon  cœur  tout  entier! 

'■  Mirbeau  me  donna  ma  devise  : 

■  Le  peuple  a  droit  à  la  Beauté  1 
'.  Et  la  Beauté,  qu'on  se  le  dise, 
•.  C'est  le  spectacle  à  volonté  !  " 

l£t  le  Maître,  sans  plus  attendre. 
Offrit  deux  billets  de  faveur. 
La  jeune  fille,  sans  les  prendre, 
Lui  répondit  avec  douceur  : 

■  La  Beauté,  c'est  donc  Coralie 
"  Et  la  Dame  de  chez  Feydeau  ? 
'<  Le  Vieux  Marcheur  et  compagnie. 
•I  Le  Palais-Uoval  et  Micheau?...  " 

Et  la  jeune  fille,  au  cœur  tendre. 
Prenant  les  billets  dans  sa  main. 
Dit  au  maître  :  "  Je  vais  les  vendre 
Pour  celles  qui  n'ont  pas  de  pain  I  ■ 


Fausl  a  reparu  sur  les  affiches  des  con- 
certs du  Chàtelet.  Mais  ce  n'est  plus  celui 
de  Berlioz  arrivé  à  l'apogée  de  sa  gloire, 
c'est  celui  de  R.  Schumann  moins  connu 
on  l'rance.  M.  E.  Colonne,  qui  a  eu  la  très 
louable  idée  de  monter  ce  bel  ouvrage,  a, 
ni'a-t-on  dit,  l'intention  de  le  vulgariser 
et  par  cela  même  de 'le  rendre  aussi  popu- 
laire que  celui  de  notre  cher  Berlioz  qu'une 
anonyme  incompétence  qualifiait  derniè- 
rement de  compositeur  médiocrement 
instruit  de  son  art  et  dénué  de  souplesse 
dans  l'invention  mélodique  ! 

Dans  une  étude  sur  les  différentes  inter- 
XIII.  —  17. 


prétations  musicales  que  le  chef-d'œuvre 
de  Gœthc  inspira,  élude  parue  dans  cette 
Revue  en  janvier  1897,  je  disais  :  ■■  Schu- 
mann fait  chanter  son  héros  par  une  basse 
dont  la  voix  doit  être  douce,  ample,  bonne, 
aussi  apte  à  chanter  les  louanges  du  Sei- 
gneur qu'à  proclamer  le  boidieur  des 
hommes  ».  Je  ne  me  doutais  pas  qu'en  ces 
quelques  lignes  je  traçais  le  portrait  artis- 
tique de  M.  Paul  Daraux,  l'excellent  artiste 
que  M.  E.  Colonne  a  su  choisir  et  qui  a 
interprété  l'œuvre  de  Schumann  avec  une 
perfection,  un  goût  musical  et  artistitiue 
dignes  d'éloges.  La  musique  de  R.  Schu- 
mann est  d'autant  plus  difficile  à  inter- 
préter qu'elle  fut  inspirée  par  une  musc 
des  plus  capricieuses. 

Après  des  phrases  ii  l'italienne  comme 
celle-ci, 


K>1-  ce  rainourpSe'.duisaiiles  caresses^ 

vous  trouvez,  quelques  mesures  plus  loin, 
un  motif  dont  la  carrure  et  l'énergie  me 
rappellent  une  des  plus  belles  pages  de  son 
Carnaval  de  Vienne,  œuvre  romantique 
pour  piano  : 


Viens  donc     so.leil      de  flamme 

De  cette  œuvre,  si  belle,  si  noble  et  si 
touchante,  j'ai  détaché  l'air  mystique  du 
docteur  Marianus,  où  toute  la  poétique 
contemplativité  du  génial  Schumann 
semble  être  condensée  en  quelques  me- 
sures. 


Sait-on  qu'à  l'occasion  de  la  neuvaine 
de  Sainte-Geneviève,  solennité  célébrée 
en  l'église  Saint-Étienne-du-Mont,  une 
joute  des  plus  artistiques  a  lieu  entre  les 
principales  maîtrises  de  Paris?  Cette 
année,  c'est  le  chœur  de  Saint-Pierre  de 
Chaillot  qui,  sous  l'habile  direction  de 
M.  Rocpies,  a  obtenu,  une  fois  encore,  le 
plus  de  suffrages  du  public  fervent  qui 
suit  avec  intérêt  ces  manifestations  d'art 
sacré. 

Guillaume    D.iNVEns. 


FAUST,    de   Schumann   (3;  partie) 

lov     ntANTAlsi'     l.l.;    H.     BUSSINK.     i.vri.:-    i.       ik\ti,     i.i      ( 

Air    du     Docteur    Marianus 
Le  ni 


O     CitI  im.mtu.  set  ô       uuit       >.iiis     Noi-k-s!  0        (j;!H    de  l'iu.fi 


PiiblU  avec  r.mlorix.ilioii  <!<•  MM.  A.  iJuniml  rt  /Ils.  i^ililrurx.  Paris.  —   Toux  (/roi/s  réserrés. 


Tu      buu. 


ai=:rU3i^ 


loi         sup-pli.aii    -     les,     Vo.laul  a»  ciel  mts    ton     sou-ri-ri'  Ou      tout     as.pi-ri! 


LES     RD3SES     VERS     PÉKIN    —   KIIADAUOVSK 


É Y É N E M E N ï S    (; É O G  l\ A  P H I Q  U E S 
ET    COLONIAUX 


Un  ancien  a  dit,  quelque  part,  que  les 
ambitions  des  conquérant  s  aimaient,  comme 
les  truites,  à  remonter  les  cours  d'eau. 
Elles  aiment  aussi  à  les  descendre  ;  même, 
à  défaut  de  cours  d'eau,  elles  traversent 
fort  bien  les  déserts  les  plus  reculés  et  les 
plus  horribles.  Les  Russes,  en  Asie,  ont 
traversé  des  déserts,  ont  remonté  des  cours 
deau,  en  ont  descendu;  et  ils  ne  se  sont 
pas  encore  arrêtés.  C'est  ainsi  qu'ils  sont 
parvenus  sur  les  bords  de  l'océan  le  plus 
éloigné  de  leur  empire,  l'océan  Pacifique, 
et  que  les  voici  aux  portes  de  Pékin.  Le 
mois  dernier,  ils  ont  fait  un  pas  décisif  en 
Mandchourie  ;  désormais,  le  pays  est  à 
eux,  et  ce  serait  aux  Chinois  d'en  sortir, 
si  les  conquérants,  pour  exploiter  leurs 
conquêtes,  n'avaient  un  éternel  besoin  des 
conquis... 

11  est  un  peuple,  entre  autres,  qui  se 
croit  assuré  do  la  domination  universelle. 
.\ussi,  le  moindre  progrès  d'autrui  l'irrite, 
comme  une  injure  personnelle.  Qui  con- 
quiert un  pouce  de  terre,  le  fait  crier; 
lorsqu'il  s'agit  d'une  province,  vous  devinez 
le  beau  tapage  !  C'est  par  l'Angleterre  que 


nous  avons  appris  le  tout  rcconl  protec- 
torat russe  sur  la  Mandchourie. 

l,a  Russie  possédait  déjà,  dans  celte 
province  vaste  comme  la  France,  une 
situation  privilégiée.  Dès  la  fin  de  IK'Jti, 
elle  était  autorisée  à  construire  son  Trans- 
sibérien à  travers  la  Mandchourie  ;  et  nul 
ne  se  méprit,  dès  cette  époque,  sur  la  gra- 
vité de  cet  acte.  Ses  Cosaques  devaient 
garder  les  travaux  de  la  ligne  :  c'était,  en 
réalité,  un  droit  de  continuelle  interven- 
tion. En  1898,  de  plus,  les  ports  de  la 
péninsule  du  Liao-Toung,  Port-Arthur  et 
Talien-Wan,  lui  étaient  donnés  "  à  bail  ». 
Désormais,  la  Russie,  pour  ainsi  dire, 
étreignait  la  Mandchourie  entre  ses  bras 
armés. 

c<  Le  peuple  au  poing  puissant  ",  ainsi 
que  le  proclamaient  les  inscriptions  mo- 
destes de  ses  drapeaux,  —  il  s'agit  des 
Boxers,  —  fournit  à  la  Russie  une  admi- 
rable occasion  de  faire  un  peu  plus  encore. 
Tandis  que  l'Europe  n'avait  d'yeux  et 
d'oreilles  que  pour  le  drame  de  Pékin,  la 
Mandchourie  était  en  flammes  et  en  sang. 
De  toutes  parts,  Cosaques  et  Boxers  com- 


KV  KNKMKNTS    CKfXlli  A  l'IlIgUES 


1);iII;iUmiI.  A  l;i  fois  autour  d'Aiffoun,  de 
Saii-siug,  (io  Ningoulo,  les  troupes  sibé- 
riennes mobilisées  s'efTorçaient  de  pousser 
jusipi'au  centre  de  la  province,  vers  Ghirin, 
vers  Moukden.  Et  déjà  les  A'nfofli  écri- 
vaient : 

I.a  prise  de  possession  de  la  rive  droite  de 
l'Amour  est  la  fin  de  ce  processus  historique 
qui  fît  de  l'Amour,  il  y  a  loniilemps.  une 
rivière  russe.  Cette  occupation,  que  nous 
n'avons  pas  cliercliée,  puisque  c'est  nous  qui 
avons  été  attaqués,  est  un  acte  légal  cl  une 
conqjensation  pour  les  pertes  occasionnées  à 
la  li'ussic  par  la  guerre. 

Ainsi,  dès  celte  époque,  s'affirmait  en 
Hussie  le  désir  de  traiter  seule  à  seule 
avec  la  Chine.  Peut-être  faut-il  s'expliquer 
l)ar  là  cette  proposilion  russe,  qui  surprit 
tant,  d'évacuer,  avant  même  que  de  négo- 
cier, Pékin.  Mais  ce  n'est  que  le  mois  der- 
nier (jue  ce  désir,  aux  grincements  de 
dents  de  la  presse  anglaise,  a  pu  se  réali- 
ser. In  accord,  annonçait  le  correspon- 
dant du  Times  à  Pékin,  le  31  décembre, 
a  été  conclu  entre  la  Russie  et  la  Chine 
au  sujet  de  la  Mandchourie  méridionale  : 
l'administration  devait  être  remise  aux 
Chinois,  mais  —  car  il  y  a  un  mais  —  sous 
la  direction  des  troupes  russes.  Celles-ci 
ne  se  retireront  que  lorsque  la  province 
sern  jugée  par  les  Russes  suffisamment 
pacifiée.  Le  bon  billel  !  C'est  l'affaire 
iri'"gypte  qui  recommence,  celle  de  Bosnie, 
celle  de  tant  d'autres  pays  qui  ne  seront 
jamais,  au  grand  jamais,  pacifiés. 

11  y  a  plus.  A  Moukden  sera  installé  un 
résident  politique  russe,  investi  de  pou- 
voirs généraux  de  contrôle,  et  auquel  le 
général  tartare  devra  communi((uer  toutes 
les  affaires  importantes;  dans  le  cas  où  la 
police  locale  ne  pourrait  faire  face  à  une 
(lifficull(''  occasionnelle,  le  résident  russe 
fera  expédier  des  renforts.  Ce  résident  a 
l'air  tout  copié  sur  son  collègue  de  liok- 
hara,  et  c'est  proprement  un  protectorat... 

La  Russie  peut  attendre  de  nouveau, 
à  présent  :  la  voici  installée  à  Niou- 
Tchouang,  tête  de  ligne  du  cliemiii  de  fer 
en  cxploilation,  sur  Tien-Sin  et  Pékin,  cl, 
de  plus,  la  ligne  est  à  elle  jusqu'à  Cliang- 
llai-Kouaii.  (pii  esl   la  frontière. 


A  Londres,  /<■  fllol.r,  ;'i  celle  nouvelle, 
écrivait  : 

Aujourd'hui,  c'est  une  province  de  Mand- 
chourie qui  passe  sous  le  protectorat  russe  : 
dans  dix  ans,  il  se  pourrait  bien  que  ce  soit 
toute  la  Chine  du  nord  de  la  rivière  .launc. 
Toi  ou  tard,  les  hommes  d'Klal  anglais  seront 
contraints  de  résister. 

Il  est  de  fait  que  cet  accord  ne  s'accorde 
guère  avec  le  récent  accord  anglo-alle- 
mand, relatif  précisément  au  sl.ilu  qun 
chinois.  Ainsi  que  le  reconnaît  lo  T<>nips. 
l'établissement  du  protectorat  i-usse  en 
Mandchourie  confère  au  tsar  un  avantage 
territorial  et  politique  exclusif. 

Qu'est  donc  cette  nouvelle  possession, 
et  que  vaut-elle? 


L  n  jour  de  Lan  de  grâce  Kilid,  un  (.Cosa- 
que, parti  de  Irkoutsk  avec  quelques 
chasseurs  de  zibeline,  poussa  jusqu'à  mi- 
chemin  des  villes  actuelles  de  Rlago- 
viechlchensk  et  de  Strietensk.  (^e  Cosaque 
ignorait  qu'il  donnerait,  beaucoup  plu- 
tard,  son  nom  à  une  des  principales  villes 
de  Sibérie,  il  s'appelait  Khabarov.  Il  fonda 
à  l'endroit  où  il  s'orrèla  le  premier  éta- 
blissement russe  sur  le  fleuve  Amour.  De- 
murailles,  qu'il  éleva  pour  résister  aux 
attaques  des  Chinois,  il  ne  reste  aujour- 
d'hui plus  rien.  Peu  de  temps  après,  le 
(^osaipie  Stépanov  voulut  s'avancer  plus 
loin  encore;  il  s'engagea  sur  la  grande 
rivière  des  Mandchous,  le  Soungari;  il 
y  fut  tué.  Mais  dès  le  traité  de  NertchinsK 
,ltiS'.l),  l'élan  des  Russes  élail  arrêté  par  la 
(^liinc,  La  Mandchourie,  durant  plus  d'un 
siècle,  ne  fut  ouverte  qu'aux  pères  jésui- 
tes, venus  par  le  sud;  ils  y  firent  le- 
observations  astronomiques  qui  ont  servi 
de  base  h  la  fameuse  carte  de  d'Anvillc. 

Les  Russes  no  revinrent  qu'après  les 
traités  d'Aigoun  cl  de  Pékin  (ISI'.S  d 
180(1.  Hientôl,  Niou-Tchouan,  leur  cou- 
quête  d'hier,  ouvert  au  commerce  euro- 
péen, le  pays  au  delà  de  l'Oussouri  acquis 
par  eux,  Vladivostok  fondé  :  la  Mandchou- 
rie était  tournée  et  prise  à  revers.  Dès 
celle   heure,   avec   une    persévérance    pa- 


ÉVKNEM1';N"1>    (JKOdliAl'll  igLKS 


R      U      s        s      M         E 


l-  N  E     N  0  [T  V  E  L  L  K     PROVINCE     R  l'  S  .s  E    —    LA      M  A  N  D  C  H  0  C  R  I  E 


liente,  les  lUisses  préparOreiit  l'absor])- 
lion  de  cette  province,  alors  très  peu 
connue,  mais  vaste,  et  par  où  passent  les 
routes  qui  mènent  du  fleuve  Amour  à 
Pékin;  cette  préparation  se  fit  en  partie 
double. 

D'un  côté,  on  organisa  rapidement  les 
deux  provinces  sibériennes  limitrophes, 
Province  de  l'Amour,  Province  Maritime  ; 
ou  les  dota  de  voies  de  communication, 
si  bien  ((ue  nous  pouvons  aujourd'hui,  et 
\o  plus  commodément  du  monde,  revenir 
du  Japon  par  celte  voie. 

Tenterons-nous  le  voyage? 

Vladivostok  :  maisons  de  bois  peintes, 
toits  en  couleur,  chapelle  aux  bleus  et  ors 
criards,  casernes,  forts,  phares;  dans  le 
port  de  commerce   stationnent    steamers 


européens  et  barques  innombrables,  me- 
nées par  des  Célestes  en  vêtements  bleus  ; 
sur  le  mur  de  la  gare  se  lit  cette  simple 
inscription  :  De  Sainl-Pélersbotirij,  0H77 
i-ersirs.  Et  vous  savez  que  la  verste  vaut 
un  peu  plus  d'un  kilomètre  !  A  terre,  l'ani- 
mation de  cette  ville  toute  neuve  nous 
surprend.  Interrogeons  :  Vladivostok 
comptait,  en  1868,  iilG  habitants,  et  il  en 
compte  déjà  bien  près  de  .30  000.  Voici  lu 
Banque,  les  bureaux  de  quatre  grandes 
compagnies  de  navigation,  une  cathédrale, 
un  musée,  et  le  théâtre  où  une  troupe 
dramatique  vient  jouer,  l'été;  l'hiver,  elle 
émigré  à  Blagoviechlchensk,  où  l'appellent 
les  mineurs. 

Les  voyageurs  pour  Khabarovsk!  700  ki- 
lomètres   :   nous  mettrons,  pour   les  par- 


1-:  \'  !•;  N  !•:  m  i-:  n  t  s  c  è  o  c,  k  a  p  1 1  ko  r  i-:  s 


courir,  (]u;irante  heures.  Ileuieusemcnl, 
les  waffonssoiit  commodes,  beaucoup  plus 
commodes  qu'en  Fiance,  cl  le  trajet  est 
amusant  :  tous  les  2j  ou  liO  kilomètres, 
une  station  dessert  une  colonie  de  Cosa- 
ques, et  un  marché  s"improvise  au  pas- 
sage du  Irain  ;  les  paysannes  apportent  du 
lait,  des  crêpes,  des  cornichons,  des 
pommes,  que  se  disputent  Coréens,  Chi- 
nois et  Japonais,  entassés  avec  les  mou- 
jilîs,  dans  les  wagons  de  troisième  classe. 
Maintenant,  nous  traversons  une  vaste 
étendue  de  plaines  el  de  prairies  désertes, 
que  limitent  à  l'horizon  lointain  les  mon- 
tagnes do  Mandchourie;  plus  loin  ce  sont 
les  forêts  touffues  de  l'Ûussouri,  et  la 
vallée  de  l'Amour. 

Khabarovsk,  chef-lieu  de  la  province 
maritime,  est  proprement  un  centre  admi- 
nistratif militaire.  De  ses  14  SiOO  habitants, 
iiOOO  sont  des  soldais;  :!  WIO  sont  des  Chi- 
nois. La  ville  s'enorgueillit  do  ses  trois 
églises,  de  ses  huit  écoles,  de  ses  nom- 
breuses casernes,  de  son  musée  d'ethno- 
graphie et  de  zoologie  sibériennes,  et  de 
sa  statue  du  général  Mouraviev,  le  conqué- 
rant de  l'Amour;  mais,  surtout,  le  site  où 
elle  s'élève  est  admirable  :  au  delà  de  la 
vaste  nappe  d'eau  du  fleuve,  large  ici  de 
2  kilomètres,  ondulent  h's  hautes  col- 
lines verdoyantes  de  la  Mandchourie.  Le 
climat  est  moins  plaisant;  le  thermomètre 
se  permet  d'ennuyeuses  fantaisies,  esca- 
ladant, l'été,  le  42°  degré,  dégringolant, 
l'hiver,  juscju'au  40''  degré. 

La  flotte  îi  vapeur  de  l'Amour  compte 
plus  de  cent  vingt  navires;  il  y  faut  ajouter 
les  bar(|ues  (|ui  servent  au  transport  des 
marchandises.  Dans  le  même  temps  qu'il 
favorisait  l'action  dos  compagnies  de  na- 
vigation, l'Ktal  russe  faisait  baliser  et  ap- 
profondir le  chenal  el  organisait  un  ser- 
vice d'inspection.  C'est  que  le  bassin  de 
l'Amour  offre,  durant  cinq  mois  ou  cinq 
mois  et  demi,  un  réseau  navigable  d'une 
longueur  de  i)lus  de  12  000  verstes.  Les 
paquebots  sont  chauffés  nu  bois,  cl  éclai- 
rés à  la  lumière  électrique  ;  le  paysage  est 
intéressant  :  co  sont  les  passes  du  (irand- 
Kliingan,   (u'i    le   lleuve    est    soudain    serré 


entre  dcu.\  niasses  trapues,  abruptes, 
noyées  dans  une  végétation  vierge  :  c'est 
la  ville  chinoise  d'Aïgoun,  étalant  sur  la 
rive  droite  ses  maisons  de  bois  et  sa  cita- 
delle crénelée;  c'est,  enfin,  la  capitale  de 
ce  I''ar-Iùtst  sibérien  :  filagoviechtchensk. 
Des  chalands,  des  vapeurs,  des  maisons 
élégantes,  les  dômes  de  sept  églises,  une 
façade  de  8  kilomètres  de  long  sur  le 
fleuve,  annoncent  une  ville  considérable. 
BlagoviochtchensU,  en  effet,  compte  déjà 
plus  de  .'i5  000  habitants.  Celte  fortune  ra- 
pide vient  de  l'or.  Nous  sommes  ici  dans 
le  voisinage  des  districts  aurifères;  pour 
les  mineurs,  la  ville  est  à  la  fois  le  marché 
d'approvisionnements  cl  le  lieu  de  plaisir, 
où  se  dépensent  à  pleines  mains  les 
richesses  péniblement  ramassées  dans  la 
boue...  En  amont,  le  fleuve  se  rétrécit,  la 
profondeur  diminue;  nous  tournons  le  dos 
à  la  Mandchourie,  où  nous  avons  affaire  : 
disons  adieu  à  l'Amour! 


Cette  Mandchourie,  que  nous  venons  de 
contourner  —  en  sens  inverse  de  la 
marche  historiqviedes  Russes  —  les  Hussc^ 
tentèrent  de  bonne  heure  d'y  pénétrer. 
On  verra  plus  loin  d'où  leur  venait  cetli- 
envie.  La  pénétration  d'abord  fut  scien- 
tifique. Avant  de  conquérir,  ne  conve 
nait-il  point  de  voir  ce  que  vaudrait  la 
conquête'?  Dès  1858,  Mouraviev,  repre- 
nant la  tentative  de  Stépanov,  tué  deux 
siècles  auparavant,  remonte  le  Soungari. 
En  1864,  Kropotkin  parvient,  jiarle  fleuve, 
jusqu'à  (ihirin.  Depuis  cette  date,  le  Nord, 
le  Centre  sont  parcourus  par  des  officiers, 
des  ingénieurs  russes  dont  les  itinéraires 
se  mulli[)lient  durant  trente  années,  se 
croisant  ou  se  doublant.  Officiellement, 
ont  été  publiés  les  résultats  aciiuis,  par  le 
ministère  des  finances  de  Russie  ;  sa  /)o.<i- 
rriptinn  ili'  l.t  M;uiilrhoiirie  est  l'ouvrage 
récent  ([ui  nous  fait  connaître  le  mieux  ce 
pays  encore  imparfaitement  connu.  Mais, 
parmi  les  explorateurs  de  la  Mandchourie, 
n'oublions  pas  de  citer  M.  (^linlTanjon,  un 
Français,  dont  nous  contions  dans  cette 
Revue  le  lieau  voyage,  en  avril  IS".t7. 


É  \'  1-;  N 1-:  M 1-:  n  t  s  g  k  o  g  h  a  p  i  i  i  q  l'  v:  s 


Enfin,  les  travaux  pour  l'établissement 
des  lignes  russes  (1"  Khailar-Tsitsikar- 
Kharbin-Ninfjouta- Vladivostok  ;  2°  Khar- 
l)in-Moukden-Port-Arthur)  et  la  campagne 
militaire  actuelle  ont  eu  pour  premier 
résultat  d'avancer  grandement  la  recon- 
naissance de  cette  vaste  province. 

Elle  est  formée  de  trois  régions  natu- 
relles.   A  l'est,    sur    toute   sa  hauteur,  île 


la  plaine  et  le  désert.  Cette  plaine  "  d'entre 
les  deux  Khingans  »  est  proprement  l'ex- 
trémité orientale  du  Gobi,  une  dépendance 
des  immensités  mongoles  ;  les  dunes 
s'avancent  jusqu'au  delà  de  la  Nonni,  vers 
Tsitsikar.  Plus  au  nord,  c'est  la  plaine 
uniforme,  mais  fertile,  que  les  inondations 
du  Soungari  inférieur  recouvrent  l'été,  au 
loin.    A    l'ouest,    la    barrière    du    Grand- 


^_^ 

lifilP^^l^iYi-  ^- 

—-.^«fe^rti--  .                          ^-.      ."*--  -  . 

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«"^-■:     .■■■-■'    "■;i-tjkî'"                             -îi  S—LE 

LES    R  U  S  3  E  .-i     S  r  II     L    AMI 


-  I  L  L  A  i;  E      DE     I'  A  Y  s  A  K  S 


Khabarovsk  à  la  péninsule  du  Liao-Toung, 
elle  est  recouverte  d'un  système  étendu 
de  chaînes  parallèles,  orientées  S.W.-N.  E., 
et  dont  les  points  culminants  ne  dépas- 
sent guère  900  mètres  d'altitude.  Les  cou- 
lées de  lave  y  abondent.  C'est  l'une  d'elles 
qui,  barrant  une  vallée  des  environs  de 
Gliirin,  a  formé  le  lac  Birten,  dont  les 
eaux  s'échappent  par  une  splendide  chute 
de  30  mètres  de  haut.  Celte  région  est 
coupée,  d'est  on  ouest,  par  le  pittoresque 
cours  supérieur  du  Soungari.  Au  centre, 
l'aspect  du  sol   est   tout   différent   :    c'est 


Khingan  sépare  la  Mandchourie  de  la  Mon- 
golie. 

Que  vaut  le  pays."?  La  population  y  est 
peu  dense  :  les  évaluations  les  plus  éle- 
vées la  fixent  à  15  millions  d'habitants  à 
peine.  Mais  l'immigration  chinoise  était, 
jusque  dans  ces  derniers  temps,  considé- 
rable; d'après  les  missionnaires  de  Ghirin, 
il  passait  chaque  année  dans  celte  ville, 
se  rendant  vers  le  nord,  mille  à  deux  mille 
familles.  Quant  à  Ghirin  lui-même,  il  ne 
compterait  pas  moins,  du  fait  de  cette 
immigration   incessante,  de  230  000  habi- 


K  \'  1':  N  i;  M  H N  r  s  i ;  i^ i  x ;  i ;  a  n  1 1  ( j  l  e s 


lants.  Dans  l'est,  les  cultures  essentielles 
sont  le  millet,  les  légumes,  le  sorgho;  la 
culture  des  céréales,  manquant  d'engrais, 
est  peu  développée.  Les  bois  ne  sont  pas 
exploités.  Jusqu'ici  la  principale  richesse 
de  la  province  a  été  l'or,  bien  que  l'ex- 
ploitation des  gisements  ait  été  interdite 
l'ar  les  autorités  chinoises,  en  rc<;le  géné- 
rale, à  l'égal  du  pillage  et  du  meurtre.  En 
1 885,  une  véritable  armée  de  3  000  hommes, 
avec  artillerie,  fut  expédiée  contre  les 
mineurs  de  Jellouga,  dans  le  Khingan 
septentrional  :  elle  massacra  les  mineurs 
chinois  qui  n'avaient  pu  fuir,  força  les 
mineurs  russes  à  se  retirer  de  l'autre  côté 
(le  l'Amour  et  brûla  les  bâtiments. 

Le  profit  économique  immédiat,  il  est 
donc  permis  de  le  prévoir  assez  maigre  ; 
<Iii  moins  ne  sera-t-il  pas  très  inégal  à 
celui  que  retire  la  Russie  de  ses  autres 
possessions  asiatiques  :  la  Transcaspie,  la 
Sibérie.  Et,  avec  le  temps,  il  peut  devenir 
vraiment  considérable,  puisque  le  sol 
donnera  les  céréales,  le  sous-sol  l'or. 
Mais,  pour  la  liussie,  l'intérêt  présent  est 
tout  autre;  il  est  d'ordre  purement  poli- 
tique, et  le  voici  d'un  mol:  c'est  que,  pour 
elle,  la  Mandchourie  est  la  vraie  route  de 
Pékin.  Or,  c'est  à  Pékin  qu'est  la  clef  des 
très  riches  et  très  peuplées  provinces  du 
lloang-llo  et  du  Yang-lse-Kiang,  de  celte 
t^hine  centrale  et  maritime  <|ue  l'Angle- 
(erre  voudrait  tant  pour  elle  et  que  la 
liussie  accepterait,  à  défaut  de  l'Inde. 

Voici  des  siècles,  en  elîet,  que  la  Russie 
pense  h  la  Chine,  et  non  seulement  aux 
immensités  mal  peuplées  de  la  Chine  sep- 
tentrionale, mais  à  la  Chine  proprement 
dite,  celle  de  la  soie,  du  thé  et  du  riz.  Dès 
IG89,  le  traité  de  Nertchinsk,  dont  nous 
avons  parlé,  permettait  aux  négociants 
russes  munis  d'un  passeport  de  commercer 
librement  dans  toute  l'étendue  de  l'em- 
pire chinois.  En  1717,  le  gouvernement  du 
Isar  obtenait  l'autorisation  d'élever  une 
chapelle  à  Pékin  et  d'y  établir  une  mission 
orthodoxe.  C'était  l'époque  où  Pierre  le 
(irand,  avec  un  sens  politique  admirable, 
assignait  à  son  pays  une   tâche  séculaire  : 


I  atteindre  la  mer,  la  mer  libre.  ■•  l.a  poli- 
tique des  grands  Etats,  disait  Napoléon  \", 
est  dans  leui'  géographie.  >■  La  géographie 
imposait  au  petit  Etat  moscovite  cette 
nécessité  impérieuse. 

En  Europe,  la  "Russie  alleignit  l'océan 
Arctique  et  la  mer  Baltique,  que  bloquent 
trop  longtemps  les  glaces;  elle  alleignil 
la  mer  Noire,  que  ferment  les  détroits 
ottomans.  Elle  voulut  forcer  ces  détroits  : 
l'Europe  fabri([ua  contre  elle  la  •  Ques- 
tion d'Orient  »;  d'ailleurs,  à  Constanti- 
nople,  la  Russie  serait  encore  emprisonnée 
dans  la  Méditerranée. 

Restait  l'Asie,  et  la  marche  commença 
vers  les  eaux  libres  du  sud  :  golfe  Per- 
sique  et  mer  d'Oman,  vers  les  eaux  libres 
de  l'est  :  océan  Pacifique.  C'était,  en  d'au- 
tres termes,  la  marche  par  l'Afghanistan 
vers  rinde,  la  marche  par  la  Mandchourie 
vers  la  Chine.  Vers  l'Inde,  on  arriva  jusque 
sur  les  crêtes  de  l'IIindou-Kouch.  I.Wnglc- 
terre  était  menacée  directement  ;  elle  se 
fâcha.  Le  colosse  russe  compte  toujours 
sur  le  temps  :  ayant  de  ce  côté  préparé 
les  besognes  futures,  il  se  détourna  vers 
la  (;hine.  Tout  aussitôt  —  c'était  en  I8811 
—  il  s'y  heurta  encore  à  l'Angleterre  qui 
venait  d'occuper,  à  l'extrémité  sud  de 
la  Corée, l'ilot  et  la  baiode  Port-IIamilton. 
Ce  fut,  cette  fois,  à  la  Russie  de  se  fâcher: 
elle  menaça  d'occuper  Port-LazarelT,  et 
l'Angleterre  évacua  Port-llamilton.  l.a 
leçon  fut  salutaire  :  c'est  de  ce  jour  que  le 
projet  du  Transsibérien  fut  adopté  ;  les 
travaux  commencèrent  par  les  deux  bouts, 
ils  furent  poursuivis  avec  une  hâte  ex- 
trême. Cette  hâte  est  le  témoignage  le 
plus  sûr  de  l'intérêt  croissant  que  porte  la 
Russie  à  la  politique  chinoise... 

L'occupation  delà  lointaine  Mandchourie 
est  donc,  pour  la  diplomatie  russe,  un 
triomphe  préparé  et  attendu  pendant  des 
années.  (Test  le  développement  de-I'anli- 
que  traité  de  Nertchinsk  ;  et  Pierre  le 
Grand  doit  penser,  s'il  pense  encore,  que 
Nicolas  11  a  /«'c/i  Initié. 


(i.VSTON      Roi-  VI  tu. 

l Plioli)(/raphies  innimuniijiiées  par  l.i  Sixirlr  ilo  (iriii/rapliie.) 


l'A  RADE    II  1.    T  I  ERi    r    —    P  A  R  A  D  E    D  E   S  I  X  T  E    B  A.S3E  —   P  A  R  A  11  I;    li  i:     s  I  \  T  K    II  m  u  1  /,  o  N  T  A  L  K 


LK    MONDE    ET    LES    SPORTS 


Nous  assistons  en  ce  moment  à  une  évolu- 
tion très  rationnelle  tle  l'escrime  en  France. 
Le  fleuret,  qui  jusqu'à  ces  dernières  années 
avait  obtenu  les  faveurs  du  public,  perd 
chaque  jour  quelques  fervents  qui,  les 
uns  après  les  autres,  s'adonnent  à  la  pra- 
tique de  l'épée.  1/un  est  une  arme  et 
l'autre  un  jouet.  L'épée  employée  seule 
pour  le  combat  est  donc  le  seul  instrument 
qui  doit  servir  à  le  préparer;  tandis  que 
le  fleuret,  d'un  maniement  plus  facile  et 
sans  doute  plus  gracieus,  ne  peut  quen- 
trainer  à  mal  ceux  qui  l'emploient  exclusi- 
vement dans  les  salles. 

En  elTet,  la  légèreté  du  fleuret,  sa  garde 
mal  protégée  et  les  règles  qui  en  régissent 
le  jeu  laissent  pour  ainsi  dire  au  hasard  la 
réussite  de  certains  coups  ;  la  pointe  vient- 
elle  toucher  l'avant-bras  par  exemple,  cela 
ne  prouve  rien,  car  cette  partie  étant  trop 
rapprochée  de  l'adversaire  et  insuffisam- 
ment protégée  ne  peut  èlre  utilement 
1,'arantie.  Ces  coups  aux  parties  avancées  ne 
prouvant  rien  ne  complont  pas.  Pour  d'au- 
tres raisons,  il  en  est  de  même  pour  ceux 
qui  sont  donnés  à  la  jambe  ou  à  la  tète  ; 
seuls  doivent  avoir  leur  importance  les 
coups  portés  au  torse. 


Mais  ces  mots  ne  compleni  pas!  ne  peu- 
vent avoir  de  valeur  que  dans  les  luttes 
de  salle  oîi  l'adresse  est  exclusivement  en 
jeu,  car  sur  le  terrain,  en  dépit  des  con- 
ventions, lout  compte.  Si  un  tireur  reçoit 
quelques  centimètres  de  fer  dans  la  jambe 
ou  dans  le  poignet,  il  est  assez  difficile  de 
dire  que  cela  ne  compte  pas .'  car  le  blessé 
est  bien  forcé  de  s'en  apercevoir. 

C'est  pourquoi  celui  qui  voit  dans  l'es- 
crime autre  chose  qu'un  simple  jeu  et  qui 
tient  à  se  préparer  à  toutes  les  éventua- 
lités laissera  le  fleuret  pour  l'épée.  Ces 
deux  escrimes  ne  se  ressemblent  pas  ;  tel 
tireur  réputé  au  fleuret  fera  triste  mine 
devant  un  néophyte  qui  sait  quelques 
bonnes  règles  d'épée,  qui  connaît  les 
moyens  de  se  protéger  et  qui  peut  tenir 
son  adversaire  en  respect  par  une  position 
prudente,  sinon  savante. 

Si  l'homme  doit  être  prêt  a  toutes  les 
éventualités  qui  peuvent  se  présenter 
devant  lui,  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que 
le  duel  est  blâmable  en  soi,  immoral,  ne 
prouvant  rien  quant  à  ses  résultais,  il 
devrait  disparaître  de  nos  mœurs  françaises 
comme  il  a  déjà  disparu  dans  plusieurs 
pays  qui  se  flattent  pourtant  d'être  autant 


I.i:    MDNDi;    ET     l.V.^    SI'ORTS 


l' cl  s  I  T  1  O  N     NORMALE     ET     C  L  A  S  S  I  y  l'  E 
DE     LA      FENTE 

civilisés  que  le  nôtre.  .Si  vis  /lareiii,  para 
helhim.  Ayez  une  forte  armée,  d'innom- 
brables canons  et  des  navires  de  guerre, 
entourez-vous  de  citadelles  redoutables, 
sachez  enfin  décupler  l'importance  de  tout 
votre  armement  par  une  publicité  bien 
faite  et  vous  serez  tranquilles  chez  vous  ! 
Pour  des  individus,  c'est  la  môme  chose  : 
sachez  bien  tenir  une  épée  en  main,  faites- 
vous  une  bonne  réputation  do  tireur,  et 
vous  éviterez  le  duel  mieux  que  par  tous 
les  raisonnements  et  l'étalage  de  principes 
arrêtés.  Que  de  personnes  se  sont  vues 
contraintes  d'aller  sur  le  terrain,  malgré 
leur  hostilité  pour  ces  combats  singuliers 
et  malgré  toutes  les  belles  phrases  qu'elles 
avaient  proférées  touteleur  vie  contre  eux. 

Seule  l'escrime  à  l'épée  prépare  au 
combat,  seule  l'escrime  à  l'épée  peut  éviter 
les  rencontres  par  la  crainte  qu'inspirent 
ceux  qui  savent  bien  se  servir  de  cette 
:irin('. 

L'emploi  constant  de  l'épée  permet  un 
reproche,  c'est  celui  de  la  dépense  ;  on 
sait  que  dans  les  assauts  les  lames  se 
brisent  souvent  ;  or,  le  remplacement 
(l'une  lame  d'épéc  est  d'un  prix  élevé, 
alors  que  le  coût  d'une  lame  de  (leuret 
était  jusqu'ici  insignifiant. 

C'est  pour  parer  h  cette  difliculté  que 
M.  Spinnewyn,  le  maître  réputé  d'épée, 
a  imaginé  une  épée  dite  éyxV  d'éluile.  La 
l.inic,   .TU    lieu    d'être   lriani.'ulaiie,   est    à 


section  rectanf;ulaire  ;  son  prix  est  peu 
élevé,  il  ne  dépasse  pas  celui  d'une 
lame  de  fleuret.  Cette  épée  spéciale  sert 
pour  le  travail  des  salles;  mais  pour  les 
assauts  sérieux  on  emploie  la  véritable 
épée  de  combat.  L'une  et  l'autre  possèdent 
naturellement  la  coquille  de  garde  qui  est 
une  caractéristique  de  l'épée  par  rapport 
au  fleuret. 

Entre  personnes  connaissant  bien  le 
maniement  de  l'épée,  le  duel  perd  en 
partie  sa  gravité;  les  adversaires  se  ticn- 
(.Iront  toujours  à  distance  et  les  seules 
atteintes  possibles  seront  faites  h  la  main 
ou  à  l'avant-bras.  Cette  circonstance  n'est 
certes  pas  une  règle,  el  un  bon  escrimeur 
verra  sans  doute  avec  plus  de  satisfaction 
un  coup  porté  à  la  tête  ou  à  la  poitrine, 
comme  étant  plus  décisif;  mais  il  ajn-a 
d'autant  plus  de  peine  à  réaliser  ce  fait 
qu'il  aura  afTaire  à  une  contre-partie  plus 
redoutable. 

Dans  une  certaine  école  d'escrime,  on  a 
cherché  à  maintenir  toujours  entre  les 
combattants  une  distance  importante,  afin 
d'éviter  justement  les  coups  sérieux  ou 
dangereux.  M.  Spinnewyn,  dont  nous  ne 
saurions  trop  répéter  le  nom  en  matières 
d'épée,  a  cherché  au  contraire  à  trouver 
un  moyen  terme  entre  cette  méthode  un 
peu  trop  douce  et  celle  du  fleuret  si  ter- 
riblement néfaste  si  on  voulait  l'employer 
sur  le  terrain.  Son  système  est  entière- 
ment basé  sur  le  but  h  atteindre,  c'est-h- 
dire  qu'il  cherche  à  mettre  ses  élèves  dans 
les  conditions  les  plus  semblables;'»  celles 
qu'ils  seraient  appelés  à  retrouver  en  cas 
de  combat.  C'est  donc  de  l'escrime  pratique 
avant  tout,  escrime  de  combat. 

Tenez  votre  épée  fermement,  dit-il,  mais 
sans  raideur  avec  le  pouce  et  l'index,  la 
poignée  reposant  entre  la  première  et  la 
seconde  phalange  de  l'index,  les  autres 
doigts  restant  en  contact  avec  la  poignée 
pour  la  serrer  plus  fortement  et  avoir  de 
l'autorité  dans  les  attaques  de  fer.  Il  faut 
que  la  main  soit  souple,  mais  qu'elle  soit 
toujours  sûre,  (|u'elle  obéisse  sans  hési- 
tation et  qu'elle  mannnivre  sans  relard  ni 
faiblesse. 


LE    MONDH    KT     I.KS    S  PO  UT  S 


Pour  être  bon  tireur,  il  faut  avoir  une 
l)onne  garde,  c'est  une  condition  essen- 
tielle ;  chacun  a  la  sienne,  elle  varie  sui- 
vant les  dispositions  physiques,  suivant 
les  aptitudes,  les  caractères  et  aussi  sui- 
vant les  leçons  reçues  et  les  exemples 
qu'on  a  eus  devant  les  yeux.  La  garde  est, 
en  quelque  sorte,  la  position  d'attente  qui 
permet  au  tireur  d'être  toujours  prêt  pour  i 
l'attaque  et  pour  la  défense;  c'est  la  po- 
sition neutre  à  laquelle  on  renent  toujours. 

Au  commandement  ■'  En  garde  ",  il  faut 
allonger  le  bras,  le  corps  bien  elTacé,  le 
bras  gauche  tendu  ;  puis  raccourcir  légè- 
rement le  bras  droit  et  lever  la  main 
gauche;  un  troisième  mouvement  fera  re- 
culer le  pied  gauche  et  fléchir  les  jambes 
de  façon  à  donner  au  corps  entier  une  cer- 
taine assiette  élastique  qui  lui  permettra 
les  prompts  mouvements  en  avant  ou  en 
arrière. 

Une  règle  absolue  que  l'on  doit  cher- 
cher à  suivre  toujours  est  de  tenir  l'épée 


l'èpée,  on  peut  toujours  tenir  son  adver- 
saire à  distance,  cette  règle,  à  elle  seule, 
pourrait  suffire  pour  former  un  bon  élève. 
Mais,  hélas!  elle  est  difficile  à  mettre  en 
pratique;  car  la  main  bouge,  l'avant-bras 
s'élève  ou  s'abaisse,  et,  dans  toutes  ces 
positions,  il  n'est  pas  aisé  de  maintenir 
en  ligne  droite  l'épée  et  le  bras;  d'autre 
part,  la  position  en  dehors  de  l'avant-bras 
exige  une  certaine  tension  des  nerfs  fort 
pénible  aux  commençants  ;  il  faut  astreindre 
les  muscles,  les  habituer  à  ces  mouve- 
ments qui  ne  sont  pas  naturels;  on  ne 
peut  obtenir  une  position  heureuse  qu'avec 
beaucoup  de  volonté  et  de  pratique. 

Tous  ceux  qui  ont  fait  un  peu  d'escrime 
savent  que  l'attaque  est  l'action  du  tireur 
qui  cherche  à  porter  un  coup  à  son  ad- 
versaire en  se  fendant.  Ce  mouvement 
peut  varier  à  l'inOni,  il  peut  être  simple, 
c'est-à-dire  provoqué  par  un  seul  geste; 
il  peut,  au  contraire,  être  très  complexe 
s'il  est  provoqué  par  plusieurs,  dont  il  est 


PARADE    DE    SECONDE 

.ttaque  < 


COUP    d'akrêt    au    bras 
Atcc  retraite  de  jambe  sur  attaque  à  la  même 


dans  le  prolongement  de  l'avant-bras  ;  de 
cette  façon,  on  sera  sûr  de  ne  jamais  être 
touché  aux  parties  avancées,  et  comme, 
d'autre  [lart,  en   allongeant   constamment 


impossible  d'analyser  la  suite,  à  cause  de 
leur  rapidité  et  des  incidents  nombreux 
qui  peuvent  se  présenter  ;  de  toutes 
façons,  l'attaque  est  empêchée  par  ce  qu'on 


i.K   MON!)!-:   i:t    I.KS   SPOHTS 


est  convenu  d'appeler  le  cou/)  il'urrél  :  or. 
dans  l'escrime  à  l'épée,  ce  coup  d'arrél 
prend  une  importance  considérable,  car  il 
peut  être  porté  avec  beaucoup  d'efficacité 
au-dessus  du  poignet  ou  sur  l'avant-bras. 
On  conçoit  fort  bien  que  la  position  fen- 
due d'un  combattant  découvre  légère- 
ment les  parties  avancées  et  présente 
toujours  une  surface  sur  laquelle  il  est 
possible  d'agir  sans  qu'il  soit  nécessaire 
de  détourner  l'épée  adverse. 

Dans  l'escrime  de  fleuret,  le  coup 
d'arrêt  ne  peut  être  employé  avec  autant 
d'efficacité,  car,  ainsi  qu'on  le  sait,  seuls 
les  coups  portés  au  torse  doivent  compter; 
il  est  donc  plus  difficile,  en  ce  cas,  d'at- 
teindre l'adversaire  que  si  l'on  a  la  faculté 
de  le  toucher  au  liras. 

Depuis  quel(]ues  années  que  1  épée  est 
à  la  mode  chez  nous,  il  est  souvent  ques- 
tion des  tireurs  italiens.  En  quoi  difTè- 
rent-ils  des  nôtres?  Leur  épée  est  spé- 
ciale, dit-on!  On  trouve,  en  effet,  une 
petite  différence  dans  la  coquille  de  garde  ; 
une  barrette  en  fer  croise  la  poignée  près 
de  la  garde  ;  cette  petite  tige  métallique 
peut  avoir  son  utilité,  le  pouce  vient  s'ap- 
puyer sur  elle  et  s'en  sert  comme  d'un 
levier  qui  permet  do  passer  avec  pkis  de 
fciini'lé  cl  de  précision  de  la  position   en 


quarte  à  la  position  en  sixte  et  inverse- 
ment; mais  l'avantage  n'est  pas  considé- 
rable: d"aulre  part,  cette  pièce  supplé- 
mentaire complique  la  poignée,  et  la  main 
peut  s'y  embrouiller  quelque  fois  sans  profit. 

D'une  façon  générale,  l'Italien  esl  us 
entreprenant  que  le  Français  dans  le  as- 
sauts, il  agile  davantage  son  fer,  il  cher- 
che à  compliquer  à  dessein  la  partie  pour 
empêcher  son  adversaire  de  se  reconaitre 
et  de  pouvoir  calculer  ses  coups,  c'est  ce 
qui  fait  dire  que  les  Italiens  ferraillent. 
Mais  ils  ne  sont  pas  dangereux  pour  cela, 
nous  l'avons  bien  vu  :  dans  les  différentes 
rencontres  qui  ont  eu  lieu  ces  dernières 
années,  nos  tireurs  se  sont  toujours  mon- 
trés supérieurs.  Le  plus  prudent,  dans  les 
rencontres  avec  les  tireurs  italiens,  est  de 
se  tenir  en  réserve  et  de  ne  pas  se  laisser 
aller  à  leur  jeu  embrouillé  et  compliqué. 
Un  bon  escrimeur  français  aura  toujours 
le  moyen  de  trouver  un  Jour  où  il  lancera 
son  épée  au  milieu  des  mouvements  dés- 
ordonnés de  son  adversaire. 

Je  tiens  à  remercier  ici  M.  Spinnewyn, 
qui  a  bien  voulu  laisser  braquer  sur  lui 
l'objectif,  afin  d'obtenir  les  différentes 
images  spécialement  destinées  au  Moiulr 
Moil'rnr. 

El.NSl       XoMl~. 


l"  .\  Il  A  D  K     l>  K      P  R  I  .M  E 


M  K  M 1  :  X  T  O     E  N  C  Y  C  L  O  P  !■:  L)  I Q  U  V. 
Événements  de  Décembre  1900. 


1.  —  Le  président  Kriiger  quitte  Paris  au 
milieu  (ie'i  acclamations  enthousiastes.  Il 
arrive  à  Coloiinc,  où  la  population  lui  fait 
également  un  accueil  chaleureux.  —  Le  Jour- 
nal officiel  promulgue  la  ccmvenliun  interna- 
tionale (l'arbitrage  de  La  Haye.  —  Le  prince 
Georges  de  Grèce,  eonlinuant  ses  visites  dans 
les  principales  capitales  d'Europe,  arrive  à 
liome,  où  il  est  reçu  par  le  roi  d'Italie.  —  Le 
président  de  la  Hépublique  helvétique  fait 
remettre  à  Tambassadeur  de  France  et  au 
ministre  du  Brésil  la  décision  arbitrale  con- 
cernant le  contesté  franco-brésilien.  Cette 
sentence  donne  surtout  satisfaction  au.'ç  re- 
vendications du  Brésil.  —  M.  llay,  ministre 
américain,  et  le  ministre  du  Nicara;;ua  à 
Washinjîton  signent  un  traité  concédant  aux 
États-Unis  les  droits  et  priviiéjies  pour  la 
construction  du  canal  interocéanique  du 
Nicaragua. 

2.  —  Élection  sénatoriale  dans  la  Nièvre  : 
M.  Beaupin,  radical,  est  élu  par  376  voix  en 
remplacement  de  M.  Hérisson,  décédé.  — 
Élections  législatives  :  Dans  le  Var  2"  cir- 
conscription de  TSidon\  MM.  Martin,  répu- 
blicain, et  Grébauval,  nationaliste,  sont  en 
ballottage.  —  Dans  le  Pas-de-Calais  circon- 
scription de  Saint-Poli,  M.  Vallée,  républicain, 
est  élu  par  6  S.IO  voix,  en  remplacement  de 
M.  Graux,  décédé.  —  L'empereur  Guillaume 
fait  savoir  à  M.  Krûger  qu'il  ne  peut  le  rece- 
voir en  ce  moment.  Le  voyage  du  président 
(lu  Transvaal  à  Berlin  est  donc  ajourné. 

3.  —  Le  nouveau  parlement  anglais  tient 
sa  première  séance. 

4.  —  L'empereur  d'.\utriclie  et  le  roi  d'Italie 
font  savoir  à  M.  Krûger  qu'ils  ne  peuvent  le 
recevoir. 

5.  —  Kéception,  par  la  Société  de  géogra- 
])hie.  des  membres  de  la  mission  Foureau 
Lamy.  La  cérémonie  est  présidée  par  M.  Ley- 
gues,  ministre  de  l'Instruction  publique,  qui 
prononce  un  discours  rendant  hommage  à 
l'œuvre  accomplie  par  la  mission,  qui  «  pro- 
mena, dans  des  régions  inconnues,  le  drapeau 
de  la  F'rance  tel  que  nous  voulons  qu'il  soit, 
un  symbole  de  paix   et  de  civilisation    ■■. 

6.  —  Le  congrès  des  Afrikanders,  tenu  .'i 
Worcester,  adopte  une  motion  demandant 
la  fin  de  la  guerre  et  l'indépendance  des  deux 
Uépubliques  sud- africaines.  Cette  motion, 
volée  par  acclamation,  sera  transmise  au 
gouvernement  anglais.  —  Le  président  Krûger 
arrive  à  La  Haye,  où  il  est  reçu  avec  enthou- 
siasme. —  Au  parlement  anglais,  lecture  du 
discours  du  trône  demandant  l'ouverture  de 
nouveaux  et  importants  crédits  pour  les  opé- 


rati(ms  dans    l'.Vfrique  du  Sud  cl   en    Chine. 

7.  —  La  Chambre,  après  une  longue  et  vio- 
lente discus-ion  d'une  interpellation  sin-  le 
drame  de  Zinder.  adopte,  par  Ul  voix  con- 
tre I,  l'ordre  du    jour   do    C(mnance. 

8.  —  La  reine  \\'illielmine  de  Hollande  et 
la  reine  mère  reçoivent  le  président  Krûger. 

9.  —  M.  Benoit,  résident  général  intérimaire 
en  Tunisie,  arrive  à  Tunis.  —  Le  Portugal 
ayant  retiré  l'exequalur  à  M.  Polt,  consul 
hollandais  à  Lourenço-Marquez,  sous  pré- 
texte qu'il  favorisait  les  Boers.  la  Hollande 
et  le  Portugal  rappellent  leurs  ambassadeurs 
respectifs. 

10.  —  Au  Heichstag  allemand,  le  chancelier 
de  Bulow,  répondant  à  une  interpellation, 
explique  l'altitude  du  gouvernement  allemand 
et  de  l'empereur  Guillaume  à  l'égard  du 
président  Krûger  —  .Mort  de  M""  Edgar 
Quinet. 

11.  —  La  Chambre  adopte  la  loi  sur  li 
réforme  du  régime  des  boissons.  —  Elle 
adopte,  à  deux  voix  de  majorité,  la  suppression 
de  la  messe  du  Saint  Esprit,  dite  messe  rouge. 
—  Un  nouveau  cabinet  bulgare  est  fornu'' 
sous  la  présidence  de  M.  Ivantchof,  qui  prend 
le  portefeuille  des  finances.  —  L'empereur 
Guillaume  confère  à  l'empereur  F"rançois- 
Joseph  la  dignité  de  feld-maréchal  de  l'em- 
pire d'Allemagne.  —  Ouverture,  à  Bruxelles, 
de  la  seconde  session  de  la  conférence  de  la 
propriété  industrielle. 

12.  —  L'assemblée  fédérale  suisse  élit  pré- 
sident de  la  Confédération  pour  1901 
M.  Brenncr .  actuellement  vice-président. 
M.  Zemp  est  élu  vice-président. 

13.  —  Le  Sénat  de  Washington  adopte  un 
amendement  au  traité  Hay-Pauncefote  sti- 
pulant que  les  États-Lînis  seraient  chargés  de 
la  défense  du  canal  de  Nicaragua  en  temps 
de  guerre. 

14.  —  Le  prince  George  de  Grèce,  gouver- 
neur de  Crète,  a  échoué  dans  la  mission 
auprès  des  gouvernements  européens  tendant 
à  la  réunion  delà  Crète  à  la  Grèce.  Le  sultan 
avait  pris  les  de\'ants  en  faisant  savoir  aux 
gouvernements  étrangers  qu'il  ne  s'opposerait 
pas  au  renouvellement,  pour  cinq  ans,  des 
pouvoirs  du  prince  comme  gouverneur  de 
Crète.  —  Le  parlement  anglais  adopte  le 
projet  d'emprunt  de  guerre.  —  Dans  l'Afri- 
que du  Sud  les  commandos  boers  infligent  de 
sérieux  échecs  aux  généraux  anglais. 

15.  —  Un  diner  intime  est  offert  à  la  cour 
de  Hollande  en  l'honneur  du  président  Krûger. 

16.  —  Élection  législative  dans  les  Basses- 
Ps'rénées        K^     circonscription     de     Pau  ) 


M  E M  li N T U    K N  (". 'i  CI. ( )  I> K I) I y  f  E 


M.  dlriarl  d'Etcheparc.  républicain,  est  <!lu 
par  "  sui  voix  en  remplacement  de  M.  Cassou. 
élu  scnalcur.  —  A  Malaga,  la  frégate  alle- 
mande l'iiteisenau,  école  de  mousses,  s'échoue 
i  rentrée  du  port  par  suite  de  la  violence  de 
la  tempclc.  Quarante  hommes,  dont  le  com- 
mandant, sont  novés. 

18  —  En  Colombie,  les  troupes  du  gouver- 
nement remportent  une  victoire  décisive  sur 
les  insurgés  à  Girardat. 

19.  —  A  Coltinjc,  cérémonie  dans  laquelle 
le  président  du  Conseil  prie  le  prince  Nikita 
de  Monténégro,  en  présence  du  corps  diplo- 
matique, de  porter  désormais  le  titre  d'.M- 
tessc  royale. 

20.  —  I.e  commandant  Cuignet  est  arrêté 
par  ordre  du  gouverneur  de  Paris  et  interné 
au  Monl-Valérien.  Le  commandant  est  in- 
culpé de  fautes  graves  contre  la  discipline 
pour  avoir  livré  à  la  publicité  des  documents 
secrets,  pour  avoir  refusé  de  répondre  au 
ministre  de  la  Guerre  qui  lui  demandait  des 
explications  à  ce  sujet,  et  pour  avoir  écrit 
directement  au  président  du  Conseil  sans 
passer  par  la  voie  hiérarchique. 

21.  — A  Pékin,  les  ministres  étrangers,  réunis 
chez  M.  Cologan,  reçoivent  le  prince  Tcliing, 
auquel  ils  remettent  la  note  conjointe.  Tching 
dit  :  «  J'ai  l'honneur  de  recevoir  la  note  rela- 
tive au  rétablissement  des  bonnes  relations  et 
la  transmettrai  aussitôt  à  l'empereur.  ■■  —  Les 
Boers  envahissent  la  colonie  du  Cap  sur  trois 
points  différents  :  Steckspruit,  Odendaal  et 
Krancisdrift.  Ils  infligent  des  défaites  aux 
généraux  anglais  Mac-Donald  et  Brabant  et 
s'emparent  de  deux  trains  de  munitions. 
L'état  de  siège  est  procUmé  dans  douze 
districts  aux  environs  de  Colcsberg.  Ces  nou- 
velles causent  une  vive  émotion  ù  Londres. 

22.  —  Bou  Amama,  le  grand  agitateur  reli- 
gieux, qui  avait  fomenté  l'insurrection  des 
Ouled-Sidi-Cheikh  en  1882  et  qui,  depuis  sa 
défaite,  s'était  réfugié  à  Deldoul,  dans  le 
Touat septentrional,  demande  l'aman  pour  lui 
et  pour  ses  partisans.  Le  gouvernement  de 
l'Algérie  est  disposé  à  recevoir  cette  soumis- 
sion. 

23.  —  Élection  sénatoriale  dans  le  Loiret. 
M.  Alasseur,  républicain,  est  élu  par  i'JS  voix 
en  remplacement  de  M.  A.  Cochery,  décédé. 
—  Élection  législative  dans  le  département 
de  Meurihe -cl- Moselle  (circonscription  de 
Hriey).  M.  Lebrun,  républicain,  est  élu.  — 
Célébration  du  trentième  anniversaire  de  la 
bataille  de  Nuits,  sous  la  présidence  du 
ministre  de  la  Guerre. 

24.  —  Le  Sénat  adopte  le  projet  d'amnistie 
déjh  voté  par  la  Chambre.  —  Trois  cents 
étudiants  russes  sont  arrêtés  pour  propa- 
gande socialiste.  —  A  Saint-Pierre  de  Itome, 
clôture  de  la  Porte-Sainte  par  Léon  .\IH. 
Elle  axait  été  ouverte  le  •_' i  décembre   l'.MKI. 


27.  —  La  Chambre  vote  un  douzième  pro- 
visoire. —  Mort,  en  Angleterre,  de  M.  Arm- 
strong,  inventeur  des  canons  à  longue  portée. 

28.  —  La  (Chambre  adopte  le  projet  de  loi 
des  taxes  de  remplacement  de  l'OCtroi  de 
Paris.  —  Le  Sénat  adopte  le  projet  relatif  au 
secret  des  actes  signifiés  par  huissier  cl  la 
création  de  clercs  assermentés  pour  la  signi- 
fication des  actes.  —  Mort  du  célèbre  explo- 
rateur portugais  Serpa  Pioto. 

29.  —  Au  Transvaal,  les  Boers  sont  solide- 
ment établis  entre  Johannesburg  et  Pretoria. 
.\u  .Natal,  ils  occupent  Dundee,  (jlencoe  et 
une  partie  des  montagnes  de  Biggan.  Dans  la 
colonie  du  Cap,  ils  ont  coupé  les  communi- 
cations par  voie  ferrée  sur  plusieurs  points. 
Les  généraux  anglais  doivent  se  replier  et 
abandonner  l'Orange  à  son  sort  pour  défen- 
dre la  colonie  du  Cap  menacée.  —  Les 
conditions  de  la  note  conjointe  signée  par 
les  onze  représentants  des  puissances  euro- 
péennes en  Chine  et  par  M.  ('onger,  ministre 
des  États-Unis,  remise  au  prince  Tching,  en 
présence  des  ministres  assemblés  chez  M.  de 
Cologan,  doyen  du  corps  diplomatique,  sont 
acceptées  par  la  Cour  impériale  de  Chine, 
sans  réserves.  —  L'ne  bulle  du  pape  Léon  XIII 
prolonge  de  six  mois  le  jubilé  pour  tous  les 
catholiques  du  monde  entier,  à  l'exception  de 
ceux  de  Home.  —  Dans  une  lettre  au  cardi- 
nal Hichard,  le  pape  rappelle  les  services 
rendus  par  les  ordres  monastiques,  notam- 
ment par  ceux  de  France.  Il  sefTorcera  de 
réfuter  les  accusations  dont  ils  sont  l'objet 
et  désapprouve  le  projet  do  loi  sur  les  asso- 
ciations. —  Héouverture  du  Théâtre-Français, 
qui  avait  été  détruit  en  partie  par  un  incendie. 
Le  président  de  la  République  et  M'""  Loubet. 
le  roi  des  Belges,  le  ministre  de  l'Instruction 
publique  et  un  grand  nombre  de  notabilités 
du  monde  des  arts  et  de  la  politique  assis- 
tent i  cette  soirée,  qui  se  termine  par  la 
cérémonie  du  couronnement  du  buste  de 
Molière.  —  La  Chambre,  par  iM  voix  contre 
.il,  adopte  l'ensemblo  ilu  budget  de  1901. 

30.  —  Les  conditions  dr  |>mi\  de  la  com- 
mission américaine  aux  Philippines  ne  sont 
accueillies  que  par  un  très  petit  nombre  de 
Philippins.  La  plupart  des  insurgés  conti- 
nuent la  campagne. 

31.  —  Exécution  A  Pékin,  en  présence 
d'une  nombreuse  assistance,  du  nommé  Enha'i, 
meurtrier  du  baron  Ketteler,  ambassadeur 
d'Allemagne.  —  La  session  du  parlement 
fiançais  est  close,  après  l'adoption  par  le 
Sénat  et  par  la  Chambre  de  la  loi  sur  les 
taxes  de  remplacement  de  la  N'illc  de  Paris. 
—  Le  conseil  d'enquête,  chargé  d'examiner  le 
cas  ibi  commandant  Cuignet.  dit  que  le  com- 
mandanl  Cciignct  ne  doit  pas  èlre  mis  en 
réforme  pour  taules  graves  contre  la  disci- 
pline. 


LES    TIMBRES-POSTE    DU    MOIS 


Nous  avons  d'abord  neuf  colonies,  d'un 
lypc  semblable,  dilTéiant  seulement  par  le 
nom  inscrit  en  haut  des  timbres,  mêmes 
valeurs  et  mêmes  couleurs  que  les  timbres 
allemands,  moins  le  2  pfennig. 

La  dixième  colonie,  Afrique  orientale, 
continue  à  faire  bande  à  part  au  point  de 
vue  de  la  monnaie,  et  elle  comprend 
i  timbres  de  moins,  elle  n'a  que  2  pesa, 
:i,  :;,  lO,   i:;,   20,  ■>'.\  et   tO  de  mêmes  cou- 


parco  que  leur  pays  y  parait  blanc?  On 
ne  pouvait  pourtant  le  teinter  en  noir. 

De  Serbie,  mentionnons  une  surcharge 
de  10  paras  sur  le  timbre  de  20,  mais  avec 
cette  iiarticularité  qu'il  est  tiré  en  rose  au 
lieu  de  orange. 

Pour  terminer,  venons  à  la  France. 

Des  colonies,  une  série  de  4  timbres 
pour  se  conformer  à  l'Union  postale,  le 
10  c.  est  devenu  rose,  le  l'i  lilas,  le 
2"i  bleu,  et  le  'iO  brun  sur  bleu,  couleur 
de  l'ancien  2  francs  de  Krance  ;  les  colo- 
nies suivantes  les  ont  reçus:  Anjouan, 
Grande-Comorc,  Congo  français,  Côte 
d'Ivoire,  Dahomey,  Guadeloupe,  Guinée 
française,  Guyane,  Inde,  Indo-Chine,  Ma- 
dagascar, Martinique,  Mayottc,  Nouvelle- 


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leurs  que  les  autres;  le  correspondant  du 
2o  pfennig  n'existe  pas  ;  dans  les  hautes 
valeurs  il  n'y  a  que  1,  2  et  3  roupies,  dont 
les  couleurs  diffèrent. 

Ajoutons  les  émissions  complètes  de 
Chine  et  de  Maroc,  du  3  pf.  au  .'j  m.,  analo- 
gues au  Levant. 

Enfin  la  métropole  a  émis  son  )i  marks, 
ardoise  et  carmin. 

Signalons  2  timbres  taxe  de  Belgique  : 
:iO  gris  et  1  fi'anc  orange. 

La  république  Dominicaine  nous  envoie 
une  série  avec  la  carte  de  l'île  Saint-Domin- 
gue, 1/4  cent,  bleu,  1/2  rouge,  1  olive, 
2  vert,  •')  Ijrun,  10  orange,  20  violet, 
tiO  noir  et  1  peso  bistre  ;  on  remarquera 
que  sur  la  partie  gauche  de  l'ile  figure 
Haïti  ;  ces  timbres  ont  en  raison  de  cela  été 
la  cause  d'un  petit  incident  diplomatique 
avec  les  Haïtiens,  qui  trouvaient  mauvais 
de  voir  le  nom  de  leur  pays  figurer  sur  les 
timbres  de  la  république  voisine  :  serait-ce 
Xlir.  —  18. 


Calédonie,  Océanie,  Réunion,  Saint-Pierre 
et  Miquelon,  Sénégal  et  Soudan  ;  remar- 
quons que  le  Congo  français,  pour  lequel 
avait  été  faite  la  mirifique  série  de  cet  été, 
les  a  reçus;  l'ancien  type  n'est  donc  pas 
abandonné  ;  alors  que  deviennent  le  Léo- 
pard, la  Congolaise  et  l'Allée  des  cocotiers  ? 

Le  Soudan  aussi  avait  été  supprimé  et 
on  le  dote  de  la  nouvelle  série  !  Enfin  le 
Dahomey  n'avait  que  le  23  c.  et  on  ne  lui 
complète  pas  sa  série  !  Mystère,  cacophonie 
et  administration  ! 

Pour  les  timbres  de  France  dont  nous 
avons  donné  les  types  des  premiers  dans 
le  numéro  de  janvier,  avant  même  la 
plupart,  pour  ne  pas  dire  tous  les  journaux 
philatélistes  eux-mêmes, 
ils  ont  été  mal  reçus  ;  en 
elTet,  plus  on  les  voit, 
plus  ils  paraissent  affreux 
sous  tous  les  rapports. 
Jean   Repaire. 


LA    MODE    DU    MOIS 


Tondis  que  l'hiver  bal  son  plein,  pour  me 
servir  d'une  expression  consacrée,  déjà,  dans 
les  sphères  de  la  mode  on  se  préoccupe  des 
toilelles  printanières. 

De  plus  en  plus  les  corsages  jîcnrc  boléro, 
c'est-i-dire  détachés,  sont  les  rois  de  la  nou- 


corsage.  lui-même  entouré  d'une  large  bro- 
derie. Les  manches  Impéral rire- Eugénie  vont 
en  s'évasanl  par  en  bas. 

.lupon  de  dessous  en  pékin  noir  et  blanc  à 
volant  de  pékin  en  biais,  voilé  de  mousseline 
de  soie  noire.  Bas  noirs  en  mi-soie,    liotlines 


~J£C%^i 


veauté.  Tous,  ou  prescpic  tous  se  l'oul  ainsi, 
au  moins  (levant,  car  ((uchpiel'ois  la  inbf  esl 
princesse  derrière. 

I,a  brodei'ie,  pailletée  ou  non,  est  il  l'ordre 
du  jour.  Le  costume  n"  I  (pic  nous  donn(Uis 
aujourd'hui  cl  qui  constitue  une  charmante 
loilelle  de  visite  ou  de  promenade  esl  en 
drap  salin  très  lé(jcr,  très  fin  et  très  soyeu.t, 
d'un  joli  gris  ;  lu  jupe,  brodée  loul  autour, 
forme  soufflet,  de  chaque  C(')lé  du  tablier. 
Ces  soufflets  sont  en  satin  noir,  comme  In 
ccinltu'c,  le  bouffant  îles  manches  et  la  petite 
guimpe  cheniisctlr  -lu-  hnpiellc  se  (léciiu|ie  le 


claipiées,  boutonnées,  en  chevreau  f;laeé. 
("hapeaii  de  paille  noire,  relevé  devant,  orné 
d'un  piquet  de  lleurs  de  saison  cl  d'ime  dra- 
perie en  mousseline  de  soie.  (îants  de  Sui'^de, 
nuance  naturelle,  lùi-cas  bleu  marine,  en  soie 
cuite,  i\  manche  de  fantaisie. 

Cette  autre  toilette  n"  2  plus  simple,  mais 
non  moins  éU'gante.  est  en  homcspum  bleu 
de  Kranee,  piquée  de  cinq  rangs  de  pi(p'u-es 
tout  autour  de  In  jupe  croisée.  Cette  jupe, 
comme  celles  de  toutes  les  robes  modei'ues, 
esl  lé;;èri'ment  longiu-.  le  corsage,  loujuiu's 
lui  peu  li..léro,  drapé,    est    lui  ausM  croisé  de 


I.A    MdDi:    1>C    Mi)I; 


ilioile  à  gauche.  Les  manches  se  terminent 
aux  poii-'ncts  par  deux  boulTants  en  mousseline 
de  soie  blanche.  La  guimpe  est  en  satin  blanc. 
voil<'  de  mousseline  de  soie  recouverte  de 
guipure  bise.  Quant  à  la  couture,  du  même  ton 
que  la  robe,  elle  est  en  satin    Liberty  drapé. 

Toquet  en  paille  avec  turban  de  mousseline 
de  soie  tout  autour,  relevé  par  une  toufTe  de 
llcurs  sur  lo  coté.  Boa  de  mousseline  de  soie 
et  dentelles,  et  jupon  de  moire  rose.  Bas 
bleus,  souliers  Rjchelieu  et  gants  de  chevreau 
glacé  demi-teinte. 

Comme   toilette   d'intérieur,   notre   modèle 


également  les  manches,  sur  lesquelles  elle 
forme  jockevs  et  bordure  vers  le  poignet. 
Mancherons  en  salin  souple,  comme  la  guimpe 
plissée  en  rond.  Ceinture  drapée  en  velours 
noir.  Jupon  de  satin  gris  ai-gcntavcc  volant  de 
fantaisie  en  gaze  brodée.  Lingerie  de  batiste 
ornée  de  valcncienncs.  Bas  de  soie  noire  et 
souliers  d'appartement  en  cuir  de  Russie. 

Enfin,  comme  manteau  de  mi-saison,  voici 
une  jolie  cape  moderne  en  drap  beige,  bordée 
de  larges  bandes  de  velours  camaïeu  se  ter- 
minant en  trèlles. 

Dans  le  haut,   une  bande   forme  capuchon 


n"  3  répond  à  tous  les  désirs  ;  on  peut  la 
faire  en  velours,  en  drap,  en  cachemire  ou  en 
crêpe  de  Chine.  Les  demi-tons  sont  les  meil- 
leurs à  choisir  pour  ce  genre  de  robe,  que 
l'on  peut  du  reste  utiliser  tout  autrement. 

Telle  qu'elle  est,  cette  robe  est  en  drap  :  la 
jupe  est  échancrée  dans  le  bas  sur  une  pre- 
mière jupe  longue  brodée  en  bordure  comme 
la  seconde,  de  jolies  broderies  blanches.  Le 
boléro,  coquettement  découpé,  est  agrémenté 
d'un  dépassant  de  velours  noir,  l'ne  broderie 
blanche   le  contourne  tout   autom-.   Elle  orne 


soutaché  à  l'intérieur.  Col  Médicis,  cravate  île 
mousseline  de  soie  nouée  en  nœud  court. 
Grand  chapeau,  à  passe  mouvementée,  en 
velours  et  plumes.  Uobe  de  cachemire  per- 
venche doublée  de  soie  claire  et  toute  brodée. 
Gants  de  chevreau  glacé  Isigny.  Souliers  à 
barrettes  en  vernis  noir.  Bas  mi-soie,  noirs. 
Jupon  de  dessous  en  joli  satin  noir  orné 
de  dentelles  et  de  rubans.  Lingerie  blanche, 
garnie  de  broderies  en  fils  tirés. 

Beuthe   de   Présil  lv 


TABLEAUX    DE    STATISTIQUE 


Les  Sociétés  coopératives  en  Grande-Bratagrne. 
(Sommes  en  livres  sterling,  1  livre  =^  25  fr.  20.) 


Nombre 

Nombre 

Bénéfic,- 

Ann^'cs 

de  sOfii-Us. 

tic  membres. 

CnpiUl  soiiseriu 

Cupitol  cmpranté. 

Ventes  totales. 

neu. 

1862.. 

332 

90.341 

428.376 

54  499 

2.333.623 

165.562 

1865.. 

■103 

124.659 

819.367 

107.263 

3.373.847 

279. 2J6 

1870.. 

748 

248.108 

2.035.626 

197.029 

8.201.685 

553.435 

1875.. 

1.163 

479.284 

4.793.909 

844.620 

18.484.382 

1  427.365 

1880.. 

1.177 

603.541 

6.224.271 

1. 341. 190 

23.231.677 

1.866.839 

1885. . 

1.431 

849.616 

9.202.138 

1.945.. 508 

31.273.156 

2.986.15S 

1800.. 

1.631 

1.138.780 

12.776.733 

3.168.788 

43.667.363 

4.273.010 

1891.. 

1.666 

1.205.244 

13.832.168 

3.390.076 

48.921.697 

4.714.298 

1802.. 

1.7.-I3 

1.282.103 

11.627.570 

3.766.737 

.50.902,681 

4.739.771 

1893.. 

1.784 

1  336.731 

15.297.470 

3.867.306 

51.877.727 

4.606.811 

1894. 

1  880 

1.368.944 

15.732.061 

4.054.172 

51.846.349 

4.923.027 

189.1 .  . 

1.895 

1.423.632 

16.726.623 

4.570.116 

.-.4.  758.400 

5.332.862 

1896.. 

1.908 

1.625.283 

18.197.828 

4.766.244 

59.461.852 

5.983.6.55 

1897. . 

1.930 

1.613.038 

10.406.156 

9.081.368 

64.362.943 

6.529.136 

1898.. 

1.955 

1.682.286 

20.618.822 

9.837.103 

67.869.094 

6.931.704 

L'enseignement  primaire  à  Paris  afin  décembre   1899. 

NOMBRE 


CouM  complémentaires \  yuIoV^'  ' 

Écoles  primaires  élémentaires J  pn|fo°*  '  ' 


Écoles  maternelles. 


1842. 
1847. 
1851. 
1870 
1880. 
1890. 
1900. 


Les   routes   nationales  en  France. 

Ilil-ii«.<  Grosses 

Liloinètris.  (Veiiln-ti.  11.  K'imrationa. 


2l..'i(IO.OIIO 
21.6llli.OUO 
25.850.000 
29.729.000 


6.300.000 
3.374.000 
4.. MO.  000 
4. 600. 000 
4.696.000 
4. 185.000 


28.597.000 
31.350.000 
27.969.000 
29.000.000 
29.000.000 
30.540  000 
33.914.000 


974.06 
900.09 
801.04 
780.05 


Production  et  consommation 
du  nitrate  (en  tonnes.) 


1889 

.    ...              930.000 

731.800 

1890 

...    .          1.035.000 

883.800 

1891 

783.000 

927.200 

1802 

...    .              795.000 

8S1. 100 

1893 

933.000 

890.. 500 

1894 

1.082.000 

982.100 

1896 

1.220.000 

1.042.900 

1.053.700 

1897 

1.035.000 

1.088.000 

1898.    

1.250.000 

1.195.200 

Les  terres  labourables  en  Europe. 

(En  hectares.) 


Europe 

Xnropo 

Kuropo 

orientale. 

oecidentAle. 

entièro. 

.lardliis 

1.848.000 

1.932.000 

3    780.0011 

Vignes 

1.266.000 

7.515  OOO 

8.781.000 

Illè  et  seiKlc. 

63.804.000 

30.232.000 

81.126.000 

Antres  cé- 

réales  

41. 874.000 

28.082.000 

00.960.000 

Pommes     île 

terre 

1.228.000 

6.989.000 

11.217.0"» 

Plante»  four- 

ragère».... 

2.027.000 

17  049.000 

19.676.000 

Cultures    di- 

vorces  

4. 732  (100 

lu  835.000 

15.067.000 

.IllduTC»  .  .     . 

40.874,000 
161.343.000 

10.617.000 

61.401  000 

112.751.000 

264.091.000 

Produit  des    pèches  côtières 
en    Norvège. 

(En  milliers  de  couronnes,  1  couruniio   -  1  fr.  39.) 

IS96.  ISti;.  M98. 

Uorues 14.333  12.430  8.934 

Harengs 2.649  7.954  .').823 

MaquirciuN 194  217  3S6 

Saumons  et  truites.  SOI  1  090  839 

.\utres  poissons. .. .  3  333  3.027  4.177 

Homards 308  451  480 

UuHrcs 6  8  8 

ToUux -    31.714         as.so7         ao.e53 

Hécatombes  de  perdreaux. 

La  /i'.riie  tinir.rsfiU'  donne  comme    suit   le  nombre  di- 
perdreaux  tui'S  dans  certaine.^  grundcs  cliafsefi  depuU  Ii 
àe^ni^^e  ouvfrture  jusqu'au  l"  décemlire  1900. 
('liasses  de  : 

M.  le  comte  GrelTulhe,  h  Boisboudrail S.u'i  ' 

M.  le  comte  de  Fels,  i\  Voisins 3.0"" 

M.  le  comte  l'otocki,  à  JouTillali- 3.600 

M.  André  l'inanl,  A  Clinmpmeil 2.000 

M.  le  comte  de  Ginay,  à  Consanccs 2,000 

M.  lo  marquis  de  lteau7oir,  À  Sandricourt 1 .500 

M.  Michel  Kplirussi,  4  Vau!C-le-Pénll 1.500 

M.  Thomé,  A  lluceUmp 1   500 

M.  le  marquis  do  Montcgaard.  i^  LicrTille 1  60O 

M.  le  duc  de  Lu.vnes,  h  D.»mplerre 1  000 

M.  le  duc  do  Don  lonu\  illr.  \  Esclimont 8011 

M.  le  due  de  Noaille»,  l'i  Cliamplàtrcux 500 

Ce  qui  forme,  pour  douzo  gr.uidos  cliasics,  le  joli  total 
de  20  wui  perdreaux. 

G.    KiiAxçois. 


QUESTIONS    FINANCIÈRES 


Il  csl  IcriiblonuMil  (|iiosli()n  dopiiis 
iiucli|u<'  ti'iiips  lies  \aleurs  iirgonliiu's.  El 
si  nous  disons  "  leirihlonient  »,  c'est  que 
ces  valeurs  nous  a|)paraisseut  en  effet 
comme  terribles.  Si  le  double  service  des 
intérêts  et  de  l'aniortissenient  avait  été 
repris  depuis  un  certain  temps,  nous  com- 
prendrions que  l'on  insistât  sur  la  néces- 
sité de  donner  à  un  pays  le  temps  de  se 
relever  financièrement.  .Mais  c'est  depuis 
1893  que  la  République  Argentine  a  serré 
les  cordons  de  sa  bourse,  et  c'est  cette 
année  seulement  qu'elle  reprendra  ses 
payements. 

Il  faut  bien  dire  ([u'il  n'est  pas  de  rentes 
plus  sujettes  il  caution  que  celles  des  pays 
à  change  avarié.  Si  l'Espagne  a,  pour  des 
raisons  tirées  du  change,  pu  donner  lieu  à 
des  discussions  fort  vives,  elle  a,  tout  en 
continuant  de  payer,  proposé  un  arrange- 
ment à  ses  créanciers. 

L'Argentine  a  agi  autrement.  Lejour  où 
les  arrérages  de  sa  dette  lui  ont  paru  trop 
lourds,  elle  a  fermé  sa  caisse;  et  elle  a, 
non  pas  proposé,  mais  imposé  un  arran- 
gement à  ses  créanciers,  lesquels  n'ont  pu 
que  l'accepter.  Cet  arrangement  a  permis 
à  la  République  Argentine  d'augmenter 
encore  une  dette  qui  lui  paraissait  jadis 
trop  lourde;  car  elle  a  remis  du  nouveau 
^papier  à  ses  créanciers  en  représentation 
de  leurs  coupons  arriérés;  et  comme  ce 
papier  porte  intérêt,  il  en  résulte  que  la 
République  Argentine  paye  ainsi  les  inté- 
rêts des  intérêts  de  sa  dette. 

On  nous  affirme  ([ue  la  situation  inté- 
rieure du  pays  s'est  considérablement  amé- 
liorée, et  on  nous  dit  que  les  recettes  des 
douanes  —  base  principale  de  tout  le  sys- 
tème du  pays  —  sont  en  forte  augmenta- 
lion.  Cela  est  vrai  —  mais  dans  une  cer- 
taine mesure  seulement.  Nous  avons,  à 
cet  égard,  un  élément  d'appréciation  irré- 
futable :  le  peso  papier,  dont  la  valeur 
nominale  est  de  o  francs,  ne  vaut  que  2  fr.  15 
au  change  du  jour.  La  perte  ressort  donc  à 
57  francs,  et,  dans  l'état  actuel  des  choses, 
il    faut   donner    2.33    francs   de    billets    de 


banque     pour    obtenir     100   francs    d'or. 

Au.x  cours  actuels,  les  renies  argentines 
se  capitalisent  à  6  2/3  %.  C'est  un  revenu 
énorme.  En  outre,  il  y  a  une  marge  d'amor- 
tissement de  plus  de  60  %.  Il  saule  aux 
yeux  qu'aucun  pays  au  monde  ne  peut 
consentir  à  donner  un  intérêt  do  G.fiO  "/,  h 
ses  créanciers,  plus  une  prime  de  00  ^^,  de 
leur  capital.  On  peut  promettre  de  tels  avan- 
tages —  et  les  promettre  de  bonne  foi, 
nous  voulons  bien  l'admettre.  Mais  tenir 
de  pareilles  promesses  est  une  pure  im- 
possibilité. Les  banquiers  et  les  établis- 
sements de  crédit  le  savent  bien.  S'ils 
avaient  la  moindre  confiance  dans  tous 
ces  avantages,  n'est-il  pas  clair  qu'au  lieu 
de  presser  le  public  à  prendre  les  valeurs 
argentines,  ils  s'empresseraient  de  garder 
en  portefeuille  des  rentes  dotées  d'un 
revenu  qui,  amortissement  compris,  ressort 
il  plus  de  dix  pour  cent  ? 

Nous  ne  ferons  pas  la  liste  des  valeurs 
argentines.  En  France,  six  emprunts  seu- 
lement ont  droit  de  circulation,  et  leur 
capital  nominal  est  d'environ  un  milliard 
de  francs.  On  insiste  sur  la  modicité  rela- 
tive de  ce  chiffre  ;  ce  qu'on  ne  dit  pas, 
c'est  que  cette  modicité  n'est  qu'apparente. 
En  tenant  compte  des  emprunts  émis 
en  Angleterre,  de  la  dette  intérieure,  etc., 
la  dette  de  la  République  Argentine  dépasse 
3  milliards  1/2  ;  et  la  charge  qu'impose 
cette  dette  est  telle,  qu'elle  absorbe  de 
74  à  'ÏO  çé  des  recettes  budgétaires  du 
pays.  Si  l'on  considère  que  la  France,  avec 
une  dette  plus  importante  que  celle  de 
tous  les  autres  pays  du  monde,  a  de  la 
peine  à  équilibrer  son  budget  parce  que 
ce  budget  est  grevé  jusqu'à  concurrence 
de  30  9é  environ  par  son  service  finan- 
cier, on  admettra  facilement  que  la  Répu- 
blique Argentine,  avec  une  charge  une 
fois  et  demie  plus  lourde,  aura  de  la  diffi- 
culté à  faire   face   a    ses  engagements. 

E  ,M  I  L  E    B  E  X  o  I  s  T , 


Directeur  da  Moniteur 

ir,  rue  (lu  Pont -Neuf. 


LA    CUISINE    DU    MOIS 


LA    \1L    PUATIUUE 


Terrine  de  mauviettes.  —  FnnMii.i;.  — 
Une  lei'iiiu'  de  10  ccnlimèlrcs  do  diamèti-e, 
5  maiivieltes  bien  fines  et  };riisscs,  150  (trani- 
mcs  de  lilel  de  porc  frais,  250  grammes  de 
foie  gras,  bo  grammes  de  lard  rApé,  125  gram- 
mes de  bardes  de  lard  très  minces,  3  trufTes, 
à  volonté,  grosses  on  petiles,  un  verre  à 
madère  de  cognac,  autant  de  vin  blanc, 
15  grammes  de  sel,  cpiccs  fines  et  poivre. 

Oi'ÉHATioN.  —  Marinez  le  foie  gras  avec  le 
cognac  dès  son  arrivée  à  la  cuisine,  après 
avoir  enlevé  la  partie  verte  ou  était  le  fiel. 

Coupez  les  pattes,  les  ailes  et  fendez  les 
mauviettes  sur  le  dos,  d'un  bout  à  l'autre, 
enlevez  la  carcasse  en  détachant  la  chair 
avec  la  jiointc  d'un  couteau  d'offîco,  tirez  la 
carcasse  d'une  main  et  la  chair  de  l'autre,  il 
reste  d'une  part  les  os  avec  les  petits  filets 
mignons  et  les  intestins:  levez  les  petits  filets 
cl  mcttc/.-les  dans  la  mauviette  désossée, 
jetez  le  bec  et  la  petite  noisette  ou  gésier, 
mettez  la  carcasse  dans  le  mortier,  faites 
les  quatre  autres  pareilles.  Pilez  et  broyez 
pour  obtenir  une  purée  très  fine. 

Kncrvez  le  porc  frais,  hachez-le.  pilez-le 
avec  les  carcasses  des  mauviettes,  siricz, 
assaisonnez  et  broyez  bien  le  mélange. 

Coupez  le  foie  gras  en  carres,  faites  cinq 
lames,  une  pour  chaque  mauviette,  mettez 
tout  le  reste  dans  le  mortier  et  broyez 
encore,  linalcment  ajoutez  le  lard  râpé,  le  vin 
blanc,  la  marinade  du  foie,  les  pelures  des 
trull'es  et  passez  au  tamis  u"  20. 

Travaillez  un  peu  la  farce  dans  un  saladier, 
avec  une  cuiller  de  bois,  pour  bien  mélanger 
les  éléments. 

Tapissez  la  terrine  avec  hi  barde,  celle-ci 
avec  un  centimètre   di'   farce. 

Ouvrez  les  mauviettes   sur   la  table,  mettez 


un  pmi  (le  farce,  un  morceau  de  foie  gras, 
piquez  une  moitié  de  trulTc.  couvrez  de  farce 
et  roulez  les  mauviettes. 

Posez  les  trois  plus  petites  dans  le  fond  de 
la  terrine,  mettez  une  couche  de  farce,  les 
autres  mauviettes  et  la  farce  <pii  vous  reste. 
Hecouvrez  avec  ce  qui  déborde  de  lard, 
mettez  une  feuille  de  laurier,  le  couvercle  et 
laissez  reposer  quelques  heures,  une  nuit  si 
c'est  possible,  pour  que  l'assaisonnement  et 
les  parfums  se  combinent. 

Faites  cuire  au  bain-marie,  au  four  doux 
une  heure  et  demie. 

Fignolas.  —  Foumili-.  —  X  blancs  d'œufs. 
200  grammes  de  sucre  semoule,  125  grammes 
de   pignons,   un  peu  de  vanille  en  poudre. 

Oi'ùnATiox.  —  Etalez  les  pignons  sur  une 
plaque  de  tôle  et  tenez-les  i  la  bouche  du 
four  pour  les  chaulïer  sans  les  colorer. 

Mettez  les  3  blancs  d'œufs  et  le  sucre  dans 
la  bassine  de  cuivre,  montez  sur  un  feu  doux 
environ  15  minutes. 

L'appareil  doit  être  d'un  blanc  de  neige  cl 
assez  épais,  il  doit  donner  l'aspect  d'une 
crème  à  la  chantilly  bien   montée. 

Mélangez  les  pignons  avec  une  cuiller  à 
bouche. 

Beurrez  une  plaque  de  tôle  un  peu  grande, 
laissez  le  beurre  se  figer,  saupoudrez  de 
farine,  sccoucz-la  un  peu  fortement  [irtur  faire 
partir  celle  qui  n'adhère  pas. 

Couchez  des  petits  tas  A  égale  distance  de 
la  grosseur  d'une  noix.  Vous  devez  en  avoir 
environ  25  ou  28;  faites  cuire  i'i  four  très 
doux  30  minutes,  tenez  au  sec  et  enfermé. 

On  peut  remplacer  les  pignons,  du  pin  par 
des  amandes  cflilccs  et  bien  séchées  au  four 
doux. 

.\.     Col.OMUll'i. 


Cuir  imperméable.  —  Pour  rendre  le  cuir 
iniperniéablo.  on  peut  employer  l'un  des  deu.x 
jirocédés  suivants: 

\"  proi-édc.  —  Enduire  le  cuir  avec  le  mé- 
lange ci-dessous: 

Benzine 2  parties 

l'.ssc'nee  de  térébenthine  .       2       — 

Colophane :i       — 

Vernis 1        — 

2"  praccdi}.  —  Très  employé  en  Suède  : 

Hésine 12  parties 

Graisse 8       — 

Essence  de  térébenthine  .     3/10    — 

Nettoyage  des  vases  émaillés.  —  On  éprouve 
sou\ent  de  grandes  difficultés  &  nettoyer 
l'intérieur  des  vases  émaillés  servant  A  faire 
la  cuisine  et  auxtiuels  les  aliments  s'al- 
lachcnl. 


On  peut  y  arriver  cependant  très  rapide- 
ment en  frottant  les  taches  avec  de  la  paille 
de  fer  fine  que  l'on  a  passée  au  préalable  sur 
un  morceau  de  savon  ordinaire. 

Pour  coller  l'étoffe  au  cuir,  (m  ajoute  A  un 
demi-litre  de  fine  fleur  de  farine  ileux  cuille- 
rées de  résine  en  poudre  fine  et  une  cuillerée 
d'alun  en  poudre  ;  on  mélange,  on  masse  et 
on  ajoute  peu  A  peu  de  l'eau  en  maln.xant 
comme  si  on  voulait  faire  de  l'empois  d'ami- 
don. 

Il  ne  faut  plus  faire  couler  l'eau  quand  la 
pAte  est  bien  homogène  et  suffisamment  com- 
])acte  pour  qu'une  cuiller  puisse  s'y  tenir 
droite  d'elle-même.  On  cliaulTc  doucement  et 
en  agitant  sans  cesse  pour  éviter  la  formation 
de  grumeaux. 

\'li   TOU     l.l      Cl  I    \  I  -. 


Jeux  et  Récréations,  par  m.  g.  Beudin 


Bas  :  Blancs. 


Les  blancs  jouent  et  font  mat  en  deux  coups. 
N"  397.  —  Haut  :  Noirs.  —  Bas  :   Blancs. 


roMoï 


loi 


'M0WM 


Les  blancs  jouent  et  gagnent. 

No  398.   —  Charade. 

Par  A.  T, 
L'fiititr  me  pliiit,  je  le  mets  sous  vos  yeux 
Simple  et  naïf.  Rien  de  prétentieux. 
En  l'essayant  je  me  montre  peu  sage. 
Vais-je  sortir  du  dangereux  passage?... 
De  réussir  je  suis  fort  anxieux. 
L'««  est  un  trait,  mai?,  le  plus  curieux. 
Sans  clief,  sans  fin,  néanmoins  gracieux. 
Content  je  suis  de  mon  petit  ouvrage. 

L'entier  me  phtit  !... 
Ruis3e;iu  mignon,  ton  cours  capricieux 
Me  montre  ihuj-  frais  et  délicieux. 
Ami.  puissè-je  obtenir  ton  suffrage. 
Ainsi  que  moi  goûtant  ce  badinagi:, 
ï'entendre  dire  :  II  est  ingénieux, 

L'ender  ine  plaif  ! 


N"  399.   —  Acrostiches. 

X  R  K  X 

X  R  N  X 

X  A  I  X 

X  E  N  X 

X  Z  E  X 

X  R  G  X 

X  A  I  X 

Remplacer  It-^  X  par  des  lettres  de  façon  à  lire  hori- 
zùtitalemeat  sept  mots  franvùs  et  en  acrostiches  les 
noms  de  deux  célèbres  prélats  franc  lis. 


'm  a  un  lingot  d"c 
quelle  quantité  d'oi 
un  nouveau  lingot  i 


—  Mathématiques. 

r  au  titre  de  0,G  pesant  120  grammes. 
pur  devra-t-ott  ajouter  pour  obtenir 
u  titre  de  U,85? 


SOLUTIONS  DES  PROBLEMES   DU    DERNIER   NUMÉRO 


1.  F  -IT  D  1.  P  6  D 

2.  F  2  F  D  2.  P  p.-  F 

3.  P  4  D  échec  et  mat. 


28  39 
39  18 
48     31 


Ce  coup  a  été  fait  tout  récemment  en  jouant  (F.  Ben- 
din  à  J.  Weiss). 

N*-  39 1 .    —   Il   faudra    20    pièces  de   2   francs   et 
20  pièces  de  1  franc. 

N«  392.  —  La,  salle.  —  Lasalle. 

N'^   393.  —  Le  cali,  après  avoir  lu  attentivement 
les  dernières  dispositions  du   testament,  arait  remarqué 

bien  vile  que  -  -|-  -  +  -  ne  font  que  —.11  envoie  doue 

chercher  l'unique  chameau  qu'il  possède  lui-même, 
sachant  iri-s  bien  qu'en  l'ajoutant  ans  17  de  la  succes- 
sion, cet  animal  n'entrerait  pas  dans  le  partage  :  t  Mes 
enfants,  dit-il  alors  aux  héritiers,  je  vais  vous  mettre 
tous  d'accord  en  dormant  à  chacun  de  vous  plus  que  le 
testament  ne  lui  concède.  !>  Les  héritiers  acceptent  et  se 
confondent  en  remerciements;  «Calmez-vous,  leur  dit  le 
cadi,  car  il  ne  m'en  coûtera  pas  grand'chose  comme 
vous  l'ai:c2  voir.»  S'adressant  à  li  femme,  il  Ini  dit  de 
prendre  U  moitié  de  18  ch-imeaux,  soit  \)  animaux;  au 
fils,  de  prendre  le  1  '3  de  18,  soit  6  chameaux  ;  à  la  fille, 
le  1/9  de  IS,  soit  2  chameaux.  Les  17  chimeaus  étant 
ainsi  répartis,  ie  cadi,  au  grand  étonuement  des  assis- 
tants, ramène  le  sien  dans  sa  maison.  On  voit  d'ailleurs 
que  les  intentions  du  testateur  ont  été  parfuiteuieni 
respectées. 

N»  394.  —  .Sêez,  Foix,  Sens,  Cette  et  S;iint-Qaeutiii. 

Explication  (16  fois  107  =  1712  ^  51  =  1763). 

N"  395.  —  P-rce  qu'elle  est  uoique  (tunique.  1 


Adre 


C'idom,  pour  les  Jtujc  et  Rtcrmtions.  à  M.  G.  UauHn,  à  Billaticourt  (fifine). 


Ah!  le  beau  iniiicl  !  Va-t'en,  vilain  cliii 


/&'-^' 


\'ilaiii  sale 


CHIEN       ET     C  H  AT 


BI1}LI0GUAPIIIK 


La  C.iininiis>icin  impériale  du  Japon  à  l'Ex- 
p.i^ition  de  1900  vient  do  publier  un  ouvrage, 
1  Histoire  de  l'Art  du  Japon,  qui  est  un  véri- 
table monument  élevé  à  la  gloire  de  l'Empire 
du  soleil  levant.  On  sait  l'impression  profonde 
causée  par  les  objets  d'art  ancien  du  pavillon 
impérial  japonais  au  Trncadéro;  on  se  sou- 
vient des  merveilles  de  l'art  contemporain 
japonais  exposées  aux  Invalides  et  au  Champ 
de  Mars.  Voici  que  ce  volume  donne  à  ce 
triomplie  une  consécration  ollicielle.  avec  une 
ma^''niiicence  vi>lontiers  déconcertante. 

.\vec  une  courtoisie  de  grand  seigneur, 
M.  Tadamasa  Hayashi,  commissaire  général 
du  Japon  à  l'Exposition,  le  présente  aux  lec- 
teurs, c'est-à-dire  aux  personnes  à  qui  l'ou- 
vrage est  olVert,  car  il  n'est  point  vendu.  Dans 
une  revue  rapide,  il  constate  la  spontanéité 
avec  laquelle  le  tempérament  national  s'est 
révélé,  en  art,  dés  les  origines.  Les  influences 
extérieures  ne  l'ont  pas  entamé.  Il  termine  en 
disant  :  "  Ce  qu'il  me  suffit,  à  moi.  d'indiquer, 
c'est  la  conclusion  bien  nette  qui  se  dégage 
de  l'étude  de  ces  formes  d'art  et  des  particu- 
larités par  lesquelles  chacun  se  signale  :  tout 
y  est  japonais,  n 

Dans  une  autre  préface.  M.  le  baron  Riyuitci 
Kouki,  directeur  général  du  Musée  impérial, 
entonne  le  chant  d'amour  de  cet  "  admirable 
pays  où  le  poétique  et  le  pittoresque  se  com- 
binent dans  une  mesure  parfaite  ".  II  pro- 
met, pour  plus  tard,  une  encyclopédie  des  arts 
orientaux  qui  renfermera  l'histoire  même  de 
l'Orient.  "  'î'résor  d'art  du  monde  oriental,  le 
Japon  est  le  seul  dont  on  puisse  attendre  ce 
magistral  ouvrage.  Seul,  il  en  a  dans  ses  mains 
tous  les  éléments  réunis.  Seul,  il  l'accomplira.  > 

Et  quand  on  a  suivi  le  développement  de 
l'ouvrage,  quand  on  considère  les  chefs-d'œuvre 
que  vous  en  montrent  les  planches,  dès  le 
m»  siècle  avant  J.-C  on  trouve  légitime  la 
fierté  d'un  pareil  langage.  Entrer  dans  le  dé- 
tail de  cette  histoire  artistique,  relever  les 
beautés  d'une  exécution  graphique  pour  la- 
quelle rien  n'a  été  épargné,  relèverait  encore 
l'elfet  général;  mais  il  se  résume  par  un  mot  ; 
la  splendeur. 

Hier,  nous  parlions  des  ouvrages  de  la  Fin- 
lande, de  la  Russie,  de  l'Allemagne  ;  aujour- 
d'hui, c'est  le  Japon,  d'une  allure  plus  magis- 
trale encore.  Et  nous?  Quelle  figure  eut  fait 
un  ouvrage  de  cette  nature  si  le  (iouverne- 
ment  y  eut  songé  pour  l'Exposition? 

Bien  que  la  Gaule  fût  encore  barbare  quand 
le  Japon  artistique  existait  depuis  longtemps, 
l'art  français  ne  craint  point  de  rivaux,  ni  en 
Orient,  ni  ailleurs.  Mais  nous  pensons  bien  à 
celai  Et  quelle  est.  hélas I  la  plume  française 
qui  pourrait  écrire  ce  que  nous  lisons  encore 
dans  ce  noble  ouvrage  :  "  Nous  qui  naissons 
sur  ce  sol.  nous  qui  formons  le  peuple  étroi- 
tement uni  de  cet  empire...  •>  De  semblables 
paroles  ont  été  prononcées  presque  par  tous 
les  peuples  qui  sont  venus  chez  nous  l'an  der- 
nier. —  Et  si  ces  réflexions  font  naitre  chez 
nous  quelques  volontés,  ce  ne  sera  pas  de 
s'aimer  les  uns  les  autres,  mais  d'accroitre  la 
violence  des  divisions  intestines.  X'est-ce  pas 
d'une  infinie  tristesse? 


M.  .K.  Degrand.  ronsul  de  France  à  Philip- 
popoli,  vient  de  publier,  à  la  librairie  W'elter, 
d'intéressants  Souvenirs  de  la  haute  Albanie. 
C'est  une  contrée  sans  chemins  de  fer  et  sans 
routes:  sa  capitale.  Sculari,  n'est  qu'à  une 
trentaine  de  kilomètres  de  la  mer  et  son  accès 
est  plus  que  difficile.  La  population,  catho- 
lique et  musulmane,  est  figée  dans  une  immo- 
bilité ennemie  de  tous  progrès.  La  Turquie, 
qui  se  sert  des  .\lbanais  pour  garder  sa  fron- 
tière, ne  leur  demande  pas  d'impôts  et  leur 
laisse  une  autonomie  très  indépendante.  Le 
fusil  est  la  loi  unique  de  l'.Mbanais  et  la  ven- 
detta sa  principale  occupation.  En  somme, 
population  et  pays  peu  attirants  et  point 
visités,  .\ussi  est-on  heureux  de  pouvoir  se 
renseigner  par  un  ouvrage  aussi  bien  docu- 
menté et  illustré  de  clichés  photographiques 
pris  sur  place,  qui  n'ont  pas  dû  s'obtenir 
facilement  ! 

L'Association  française  pour  l'avancement 
des  sciences  a  offert  aux  membres  du  congrès 
tenu  à  Paris,  en  août  1900.  un  Tableau  de 
l'enseignement  supérieur  à  Paris.  Cet  ou- 
vrage est  éminemment  suggestif.  La  Société 
se  défend  de  n'avoir  pas  pu  lui  donner  une 
ampleur  de  plusieurs  volumes,  faute  de  temps 
et  de  crédit,  et  c'est  fort  heureux  qu'elle 
n'ait  pas  pu  le  faire.  Ces  gros  volumes  au 
raient  pu  rester  sans  être  coupés,  alors  que 
celui-ci  mérite  d'être  lu,  et  le  sera.  Il  est 
d'ailleurs  fort  complet,  car  il  traite  de  plus 
de  soixante  établissements.  De  quelle  confu- 
sion est-on  saisi  en  voyant  qu'on  ignore  ce 
qui  devrait  être  dé  connaissance  familière,  et 
de  quelle  émotion  aussi,  devant  ce  défilé 
vraiment  auguste  d'institutions  qui  fonction- 
nent pour  le  développement  et  la  glorifica- 
tion de  tout  ce  qui  est  utile  et  noble  1  Là 
sont,  pourrait-on  dire,  les  sources  de  la  gran- 
deur de  la  France. 

Dans  une  de  ses  plus  jolies  chansons.  Gus- 
tave Xadaud  déplorait  qu'on  put  mourir  sans 
voir  Carcassonne.  Si  la  Cité  oITre  des  aspects 
différents  de  ceux  de  Naples,  qu'il  faut  aussi 
voir  dans  sa  vie.  elle  n'en  est  pas  moins  d'un 
incomparable  attrait. 

M.  Gaston  Jourdanne  en  a  publié  un  Guide 
qui  est  en  même  temps  une  histoire.  Son 
érudition  profonde  pénètre  dans  les  moindres 
détails  et  ne  laisse  aucun  problème  sans  so- 
lution. Il  rend  justice  à  l'incomparable  maî- 
trise de  la  restauration  dirigée  par  Viollet- 
le-Duc  et  qui  honore  les  gouvernements  qui 
l'ont  poursuivie  de  1x52  jusqu'à  nos  jours.  Il 
reste  encore  peu  à  faire  pour  la  compléter,  et 
ce  livre  intéressant  et  utile  aura  aussi  pour 
mérite  de  hâter  sans  doute  l'achèvement  de 
la  conservation  de  cette  merveille  de  la 
France. 

M.  A.  Ferct  a  réuni  en  un  volume  diverses 
études  sur  l'Hygiène  scolaire  et  sur  des  ques- 
tions d'hygiène  générale.  Ses  observations 
sont  appuyées  sur  la  pratique  et  elles  se  tra- 
duisent par  des  modèles  d'instruments  pra- 
tiques. C'est  donc  mettre  les  |>rincipes  en 
action  et  c'est   faire  une  chose    très   louable. 


liiiii.ioc.liA  l'ii  ii: 


Le  Roman  de  Tristau  et  Iseult,  de  k'fc'cnclc 
celte,  avait  ctë  chanté  par  de  nombreux 
poètes  du  xii"  siècle  a\ant  de  l'être  par 
^\'a;;ncr.  lîicn  qu'il  appartint  i  celte  littéra- 
ture du  monde  dont  parle  Gietlie,  la  mau- 
vaise fortune  avait  l'ait  disparaître  plusieurs 
de  ces  poèmes  et  laissé  seulement  des  frag- 
ments incomplets  de  plusieurs  autres.  Avec 
une  érudition  et  un  sentiment  poétique,  que 
M.  Gaston  l'Aris  loue  justement  dans  sa  pré- 
face, M.  Joseph  Bédier  a  traduit  le  fragment 
le  plus  important,  celui  de  Bcroul,  y  a  ajouté, 
dans  le  même  style,  un  coinniencemeni,  une 
suite  et  une  fin,  et  a  reconstitué  ainsi  un 
poème  complet. 

M.M.  Piazza  et  O»  avaient  déjà  donné  à  ce 
cantique  d'amour  une  superbe  illustration 
pai'  Hobert  Engels;  ils  en  publient  aujour- 
d'hui le  te.xte  seul,  chez  Sevin  et  Rey,  dans 
un  coquet  petit  volume.  Le  ])oèmc.  dit  le 
chanteur,  est  écrit  pour  ceu.\  qui  aiment:  ils 
y  ti-ouveront  en  effet  de  grandes  joies. 

Dans  le  Mystère  de  la  Chauve-souris,  chez 
llachctti-,  un  récit  dramaliquc,  mouvementé, 
lilein  d'épisoïk-s  surprenants  et  de  péripéties 
inallruducs,  Gustave  Toudouze  nous  conte 
l'histoire  extrcmenu'nt  amusante  et  passion- 
uaiile  d'une  conspiration  paraJlèle  à  celle  de 
GeiMi;i-s  Cudoudal  et  qui  faillit  bouleverser 
le  liretagne  en  ISOl,  tandis  que  le  célèbre 
conspirateur  tentait  à  Paris  son  coup  de  main 
si  audacieux  contre  le  Premier  Consul. 

(>'cst  dans  un  pays  étudié  sur  place  par  l'au- 
teur, tour  à  tour  à  Brest,  à  Camaret  et  à  Ker- 
loc'h,  dans  la  presqu'île  de  Grozon,  dans  les 
gorges  sauvages,  les  landes  et  les  marais  com- 
pris entre  les  Montagnes-Noires  et  les  Monts 
d'Arrée,  que  se  passent  les  scènes  tragiques 
du  Mystère  de  la  Chauve-souris,  dont  le  dé- 
nouement a  lieu  au  gnulTre  du  Voroc'h,  près 
de  la  Puinli-d.s-Pois,  entre  le  Toulinguet  et 
le  Uaz-de  Sein,  dans  les  falaises  à  pic  que  bat- 
tent les  lames  énormes  de  l'Atlantique. 

Nos  lecteurs  qui  ont  gardé  le  souvenir  des 
Chiennes  des  Ténèbres  retrouveront  avec 
plaisir,  dans  un  volume  de  la  librairie  Pion, 
le  beau  roman  du  même  auteur.  Il  manque 
un  terme  pour  bien  désigner  cet  ouvrage. 
Ce  n'est  pas  un  roman,  caria  chanson  d'amoui' 
y  est  voilée.  Ce  n'est  pas  un  poème,  bien 
que  sa  prose  ait  des  ailes.  Ce  n'est  pas  un 
tj-aité  de  philosophie,  car  il  y  entre  trop  de 
grûee.  Est-ce  dire  que  ce  n'est  rien  de  tout 
cela?  C'est  au   contraire  tout  cela  ensemble. 

Nous  ne  pouvons  signaler  ici  les  nombreu.v 
volumes  qui  paraissent  à  l'usage  de  la  jeu- 
nesse ou  des  jeunes  filles.  Ils  sont  trop.  Le 
plus  souvent  aussi  leur  intérêt  est  mince. 
.\ussi  sommes-nous  heureux  de  faire  excep- 
tion pour  Rêve  et  Réalité,  jiar  M'"»  Marie 
Thierrv,  édité  dans  la  liibliotliècpie  bleue  de 
l'aillar'l,  û  Abbeville.  l.e  senlinienl,  la  délica- 
tesse et  le  style  eu  l'cjut  une  lecture  tout  à 
fait  agréable. 

Ce  n'est  point  pour  les  jeimes  fdles  (pie 
Willy  a  publié,  chez  Ullendorlf.  Claudine  à 
l'Ecole;  ce  n'est  pas  non  plus  pour  certains 
vieux  messieurs,  car  la  petite  reste  fleur, 
quoique  flcin-  de   vice.    IC-l-i-e    vraiment    tout 


cela  qu'on  apprend  dans  nos  écoles  ?  La  chose 
est  si  lesteracnl  écrite,  avec  un  tel  caractère 
de  chose  vue,  qu'on  le  croirait.  Mais  l'auteur 
a  tant  de  talent  qu'il  se  monte  le  coup  à  lui- 
nu'me,  heureusement  pour  la  morale  et  les 
familles. 

M.  Adolphe  Itibaux.  bien  connu  des  lecteurs 
du  Monde  mndernc.  donne,  chez  Berthoud  et 
chez  l'isehbaclier,  un  nouveau  volume  de  nou- 
velles. Son  titre.  Rose  sans  épines,  est  tout 
à  fait  appioprié  aux  écrits  délicats  de  l'au- 
teur. Ils  embaument  frais  :  ils  n'ont  point 
d'acide.  On  peut  se  donnera  eux  sans  crainte 
d'être  piqué,  et  c'est  une  sécurité  rare  aujour- 
d'hui de  goûter  un  plaisir  sans  amertume. 
L'émotion  y  est  douce  et  il  faut  prendre  ici 
l'eau  de  rose  dans  le  bon  sens,  comme  le  par- 
fum essentiel  de  tout  arôme. 

M"«  Jean  Pommerol,  qui  a  vécu  longtemps 
au  milieu  d'elles,  étudie  chez  Flammarion  les 
Sahariennes,  celles  entre  Laghouat  et  In- 
Salah,  car  il  parait  qu'elles  varient  d'un  point 
à  un  autre.  Minces  variétés  de  détail,  car  le 
fond  est  le  même,  celui  d'une  absolue  nullité. 
Par  politesse  féminine,  l'auteur  leur  est  plutôt 
indulgente:  mais  elle  ne  peut  cacher  ce  qui 
éclate.  Ce  qui  se  cache  sous  le  burnous  de 
l'Arabe  et  le  voile  du  Touareg,  c'est  la  cruauté 
et  l'égo'isme,  et  les  femmes  de  ces  tyrans 
demeurent  de  stupides  esclaves.  L'Islam  est 
destructeur  de  toute  beauté,  celle  des  choses 
comme  celle  des  âmes  et,  s'il  se  déroule  sou- 
vent dans  des  décors  magiques,  c'est  qu'il 
n'a  pas  pu  détruire  la  Naluie  elle-même.  Ce 
volume,  tin,  délicat  et  curieusement  illustré, 
ne  prête  point  à  ces  anathèmes;  mais  nous  ne 
pouvons  pas  parler  de  tout  ce  qui  découle  de 
Mahomet  sans  entrer  dans  une  sainte   colère. 

M.  Fernand-Lafargue  publie  dans  la  petite 
bibliothèque  A  0  fr.  60  de  Flammarion  les 
Ciseaux  d'or,  drame  passionné  où  l'action  se 
précipite  lapide,  mais  pas  trop  cependant, 
pour  pouvoir  laisser  goûter  toute  la  subtile 
pénétration  du  style. 

Malgré  ses  peintures  de  famine  du  dernier 
voyage  de  Loti,  et  peut-être  à  cause  d'elles, 
l'Inde  attire  le  voyageur  comme  une  contrée 
mystérieuse  que  cent  récits  n'ont  pas  dévoilée. 
Des  agences  y  ont  cependant  organisé  des 
excursions,  mais  c'est  à  l'aventure  que  l'on 
voudrait  s'y  perdre.  Pour  ceux  qui  préparent 
ce  voyage,  pour  ceux  plus  nombreux  qui  ne 
le  feront  .jamais  que  dans  leur  fauteuil, 
M.  Eugène  Gallois  vient  de  publier  à  la  Société 
d'édition  son  récent  parcours  A  travers  les 
Indes,  qui  satisfera  bien  des  curiosités.  Ce  ne 
sont  point  des  notes  de  carnei  qui  ont  tou- 
jours l'inconvénient  d'émaner  d'un  état  d'Ame 
personnel  et  passager,  mais  une  étude  d'en- 
semble, documentée  et  sereine. 

C'est  un  mérite  devenu  rare  dans  les  récils 
modernes  des  voyages  d'amateurs,  et  cet  ou- 
vrage mérite  d'être   particulièrement  signalé. 

A  Tours,  M.  Joiion  publie  l'édition  de  IMI 
de  son  Almanach  agricole  et  viiicole  illustré 
tiù  d'hiunnristiques  caricatures  rendent  amu- 
sant l'enseignement  de  vérités  utiles  et  ilonne, 
avec  une  exploitation  rurale  par  le  métayage, 
un  véintable  cours  d'agriculture  |>ralique. 


L'Éditeur- Gérant  :  A.  Q(;antin. 


Le 


Mo  n  de    Mo  de  t  u  c 


Mars     1901 


LA  li:tïre 


1 

Le  pi're  lîoutcau  —  le  \'ieux  Noël  — 
un  paysan  poitevin  dur  aux  siens,  dur 
à  soi-même,  avait  acquis  de  l'aisance 
dans  la  maiiirestation  d'un  labeur  inces- 
sant. Sa  l'emnio  —  les  méchantes  lauf^^ues 
en  témoignaient,  du  moins  —  était 
morte,  jeune  encore,  de  l'usure  qu'il  lui 
avait  imposée.  Il  était  resté  avec  un  fils 
unique,  Martial,  âpre  à  besogner  sans 
trêve,  jusqu'au  jour  où  une  attaque  avait 
mis  à  l'agonie  ses  virilités.  Le  fils  avait 
continué  à  travailler  le  sol,  en  pensant, 
parfois,  qu'en  la  maison  déjà  jurande,  le 
départ  (le  la  mère  avait  creusé  un  vide. 
Dans  un  besoin  de  tendresses  imprécises, 
ses  yeu.\  s'étaient  posés  sur  la  Norine, 
une  orpheline,  point  paresseuse  au  mé- 
tier des  champs,  que  des  parents  pauvres 
avaient  adoptée,  par  pitié,  et  dont  la 
mélancolie  impressionnait  son  caractère 
ombrageux,  qu'avait  toujours  dominé 
la  volonté  paternelle.  Il  s'était  ouvert 
de  ses  sentiments  à  la  jeune  fille  :  celle-ci 
l'avait  accueilli,  et  une  alïeclion  spon- 
tanée avait  réuni  ces  deux  êtres. 

Lorsque  Martial  confia  son  espérance 
à  son  père,  lui  avouant  qu'il  avait  dis- 
tingué, parmi  les  filles  du  pays,  la  No- 
rine Gaudin.  la  nièce  des  métayers  de 
la  derme,  et  qu'il  voulait  l'épouser,  une 
grimace  fusa,  silencieuse,  sur  les  lèvres 
du  vieux.  Oubliant  qu'une  paralysie  ])ar- 
tielle  le  rivait  à  son  lit  depuis  de  longs 
mois,  il  tenta  d'agiter  son  corps  si  ro- 
buste naguère,  en  lequel,  maintenant, 
la  vie  habitait  à  regret;  mais,  les  cils 
humides,  il  eut  la  nette  sensation  d  une 
irrémédiable  ruine  et,  seule,  sa  bouche 
accusa  de  brèves  convulsions.  Le  fîls, 
respectueux  et  craintif,  demeurait  muet 
devant  ce  vieillard  dont  l'existence 
avait  été  une  constante  rançon  à  la  terre 
et  qui,  épuisé,  achevait  des  jours  misé- 


rables, alors  qu  il  a\ait  tant  souhaité  do 
tomber,  face  au  soleil,  parmi  les  épis 
mûrs,  dans  le  linceul  blond  des  rudes 
métives. 

Le  vieux,  enfin,  parla  : 

—  Tu  veux  t  niarier  avec  la  Norine, 
toi,  Martial?...  A-t-elle  seul'ment  des 
terres,  c'te  champise?  Nenni,  mon  gars. 
Eh  ben,  dis-lui  qu  pour  avoir  l'Iieu  au 
père  Noël,  faut  qu'al'montre  au  moins 
mille  écus  dans  sa  d'vantière  ! 

Le  fils,  timidement,  protesta  : 

—  La    Norine   n'est   pas  riche,   c'est 

vrai,  père,  mais  c'est  une  honnête  fille. 
L'ne  imprécation  jaillit  des   lèvres  du 

vieux. 

—  \'a-t'en!...  \a-t'en,  hurla-l-il, 
puisque  tu  veux  m'faire  mouri  1 

El  son  bras  gauche,  tendu  vers  la 
porte,  eut  un  geste  de  malédiction. 

Habitué  à  subir,  sans  les  discuter,  les 
décisions  de  son  père,  Martial  quitta 
machinalement  la  ferme.  Il  n'osait 
s'élever  contre  la  contusion  brutale  qui 
lui  était  olTerle,  acceptait,  sans  révolte 
apparente,  l'intime  douleur  infligée  à 
son  espoir,  et,  titubant  comme  sous 
l'impulsion  d'une  soudaine  ivresse,  il 
alla  en  sa  grange,  cacher  sa  muette  déso- 
lation. Là,  il  s'assit  sur  une  augière;  un 
de  ses  bœufs  souffla,  de  son  gros  mufle 
rose,  une  buée  à  sa  main;  la  tiède  ha- 
leine qui  le  frôlait  lui  procura  une  sen- 
sation très  douce.  .Mais  un  sanglot  ob- 
strua sa  gorge  :  il  pleura  comme  au 
temps  où  la  voix  autoritaire  de  son  père 
troublait  son  âme  d'enfant  d'un  invin- 
cible efîroi... 

Plus  forte  t|ue  Martial,  la  Norine,  en 
apprenant  le  refus  du  \  ieux  Noël,  eut, 
aux  yeux,  une  flamme  singulière.  Les 
paroles  du  fermier  de  l'.^irette  cin- 
glaient sa  chair,  provoquaient  son 
énergie.  Elle  apaisa  les  lamentations  de 
son  ami  et  demanda,  un  peu  paie  : 


LA    LKTTIli; 


l'ii  ni'iiiniej.  assez,   piis  vrai,    Mar- 
tial, pour  m  al  tendre? 

I.e  |i.iysaii  pressa  la  main  de  sa  pn^- 
inise. 

Je    t  attendrai,    assura-l-il,    autant 
i|ue  In  voudras. 

—  Eh  bien,  déclara  siniplenienl  la 
brave  fille,  nous  allons  nous  séparer... 
nous  dire  adieu... 

-Martial  eut  nn  éblouis>emcnt.  une 
sorte  de  passager  vcrlifje. 

-  Comprends-moi.  continua  la  No- 
rinc.  I.e  père  veut  que  j  aie  mille  écus 
pour  (]ue  tu  m'épouses;  il  ne  l'aul  pas 
conliarier  les  vienv  dans  leurs  désirs, 
■levais  te  (|uiller...  (In  gagjne.  dit-on, 
beaucou])  d'arfjenl  à  la  ville...  .\près- 
demain,  je  serai  à  Paris. 

Kt,  dans  un  sourire,  selTorçanl  à  dis- 
simuler ses  pleurs,  elle  acheva  vite, 
craignant  de  faiblir  : 

—  Allons.  Martial,  cmbrassc-moi... 
.le  reviendrai  au  pays,  moi  aussi,  après 
l'oi-tune  faite. 

I,a  pauvre  petite  —  la  •■  champise  •■, 
suivant  la  cruelle  expression  du  vieux 
—  lendit  son  front  à  l'innocente  caresse 
de  son  ami;  puis,  pour  ne  pas  défaillir 
devant  la  vision  des  êtres  et  des  choses 
qu'elle  chérissait  et  c(u'ellc  allait  fuir, 
elle  se  dirigea  vers  la  métairie  de  la 
(îernie. 

I)es  années  s  écoulèrent.  La  Norino, 
en  place  à  Paris,  écrivait  régulièrement 
au\  siens,  aux  Gaudin,  ainsi  qu'à  celui 
(lu'ellc  considérait  conmie  son  fiancé, 
à  Martial  Houtean.  le  fils  respectueux 
«lu  |)aralysé  de  l.Airelte.  Chacune  de 
ses  lettres  pansait  la  blessure  de  Mar- 
tial, la  touchait  comme  d'un  baume 
prestigieux  qui  cicatrisait  la  plaie  de 
son  cœur,  faisait,  en  lui,  revivre  le 
rêve  dont  il  achevait,  ainsi,  la  naï\  e  et 
délicieuse  ébauche. 

.\vanl  amassé  j)lus  des  mille  écus 
exigés  jiar  le  vieux  ÎS'oël,  en  échange 
d'un  consentement  à  une  union  cpie  son 
avarice  n'avait  (loint  entie\  ne,  la  Norine 
résolut  de  surprendre  Martial  .b>lle(|uitta 
l'aris.  sans  annoncer  son   arri\ée,    ni  h 


la  (Jerme,  ni  à  r.Airetle,  débarqua  h 
Poitiers,  prit,  à  l'hôtel  des  Trois-Piliers, 
la  patache  de  (lenvay,  qu'elle  aban- 
donna pour  la  voilure  d'I'sson  — ternie 
de  son  voyage  en  chemin  de  fer  ou  en 
diligence.  De  là,  bravemcnl,  sans  s'at- 
tarder en  ce  bourg  où  elle  était  connue 
el  où  son  retour  faisait  jaser  déjà,  efle 
s'engagea  sur  la  route  de  Saint-Marlin- 
1  .Ars,  petit  village  non  loin  duquel  se 
dessinait,  en  bordure  du  Hijjousson,  la 
pittores<|ue  aggloméi-ation  de  la  {jerme. 
I,a  Norine  marchait  gaiement,  se  ré- 
jouissant d  avance  de  l'émoi  que  cause- 
rait son  apparition  imprévue,  du  trouble 
que  sa  présence  ferait  naître  en  Martial. 
Le  paysage  lui  devenait  familier  :  elle 
saluait  d'un  regard  heureux  —  ainsi  que 
de  vieilles  connaissances —  les  champs, 
les  bois,  les  ariires  isolés  —  ces  senti- 
nelles de  la  j)laine  —  et  une  douceur 
endormait  sa  pensée,  en  laquelle  de 
timides  souvenirs  se  levaient.  C'était  la 
fugitive  vision  de  tout  ce  qui  avait  tra- 
versé sa  vie,  à  la  Germe,  après  la  mort 
de  ses  parents,  de  tout  ce  qu'elle  avait 
laissé  pour  un  exil  volontaire  et  qu'elle 
allait  retrouver,  enfin.  .Aux  colères  de  la 
truie  l''anchon,  mauvaise  aux  «'  biques  " 
(piaïKl  elle  allaitait,  se  mêlaient,  en  sa 
mémoire,  les  suggestifs  ronrons  de  sa 
chafte  Maïnctle.  les  aboyantes  effusions 
de  Rigolo,  le  labri  élique  (prdle  réga- 
lait de  croûtes  de  pain,  dans  les  bruyères 
où  pacageaient  ses  bêles.  Klle  revoyait 
les  brebis  chargées  de  laine,  dodues, 
él)ourifrées;  les  chèvres  aux  barbiches 
tremblantes  de  vieux  soldats;  les  va- 
ches aux  pis  gonllés  comme  des  outres 
rebondies;  les  bn-ufs  coideur  de  feu,  les 
bo'ufs  blonds,  les  bicufs  rouges  dont  les 
longues  (|ueues  em|)anachées  fouettaient 
les  larges  flancs;  elle  revoyait  Mar- 
golon,  sa  bourrique  poilue  et.  par  la 
basse-cour,  les  co(|s  éperonnés,  casipiés 
de  pourpre  ;  les  poules  picoreuses;  les 
dindons  orgueilleux,  le  jabot  lourd  de 
la  dernière  glandée  :  les  oies  grasses, 
graves  et  dignes.  ra|>pliquant  des 
chanq)s,  en   lilo    indienne;    les   canards 


I.A    LETTIU; 


déhanchés,  barbolteurs...  Klle  jierccvail 
(l.ins  le  lointain,  sous  les  enluminures 
ilii  l'répuscule,  comme  les  voix  mules 
(les  laboureurs  regagnant  les  fermes,  la 
journée  close,  alors  que  les  crapauds 
[)réludent  aux  nuits  ticdes,  en  des  llûtes 
de  cristal.  Et  pour  aviver  tous  ces  sou- 
venirs qui  s'éveillaient,  ainsi,  en  son 
être,  autour  d'elle,  un  peu  de  brise  ar- 
rachait aux  feuilles  des  murmures,  de 
légers  frissons;  derrière  un  treillis  de 
peupliers,  des  bœufs  brun<,  ornés 
de  cornes  blondes,  piquaient  les  prés 
(le  taches  sombres,  mouvantes  ;  l'œil  de 
feu  du  soleil  s'atténuait,  dans  une  lueur 
uiourante,  comme  sous  la  pression  de 
lourdes  et  monstrueuses  paupières,  et 
les  sinueuses  harmonieVs  des  bois  proli- 
laient  de  magiques  dentelures  sur  l'ho- 
rizon. C'était  l'approche  du  soir,  I  heure 
en  laquelle  le  jour  agonise... 

La  Norine  s'arrêta.  Elle  avait  traversé 
le  bourg  de  Sainl-Martin-l.Vrs  sans 
s'apercevoir  du  chemin  parcouru,  et, 
maintenant,  de\ant  le  cimetière  de  la 
commune,  elle  hésitait  à  continuer  sa 
route.  Ne  devail-elle  pas  une  prière  aux 
morts,  avant  d'embrasser  les  vivants 
qu'elle  aimait?  D'autres  souvenirs 
encore  montaient  en  elle,  infiniment 
confus  et,  peut-être,  plus  tristement 
charmeurs,  car  ils  la  reportaient  loin, 
bien  loin,  à  sa  prime  jeunesse.  Son 
père,  sa  mère  reposaient  là,  couchés 
c('>le  à  cote,  sous  celte  terre  bénie  qui 
sollicitait  sa  ferveur.  Timidement,  elle 
poussa  la  porte  du  cimetière,  avan(,"a,  le 
cieur  étreint,  la  dévotion  en  l'âme,  dans 
l'humble  recueillement  des  na'il's  peut- 
être,  mais  des  honnêtes,  à  coup  sûr,  qui 
savent  honorer  les  morts. 

Sur  la  chère  sépulture  de  ses  parents, 
la  Norine  s'inclina,  émue;  elle  s'age- 
nouilla. Vers  Dieu,  ses  lèvres  égrenèrent 
une  lente  invocation.  Son  regard  alla  à 
d'autres  tombes  voisines.  La  croix  de 
l'une  d  elles,  fraîchement  peinte,  tachetée 
de  grands  pleurs  d'argent,  retint  son 
attention.  Soudain,  un  éblouissement 
voila  ses  yeux  et  elle  chancela.   In  cri 


monta  de  sa  poitrine,  douloureux,  hor- 
rible, qui  se  brisa  —  tel  un  râle  — 
en  sa  gorge  sèche.  Elle  se  redressa,  ha- 
letante, clouée  au  sol,  les  veines  bat- 
tantes, le  cou  tondu,  hypnotisée  par  les 
larmes  blanches  qui,  sur  la  croix  sombre, 
semblaient  danser  magiquement  ;  puis, 
sans  un  mot,  elle  s'écroula.  Et  sous  le 
plaintif  bruissement  des  cyprès,  sous  les 
genêts  ([ui  pleuraient  sur  son  corps  des 
pétales  jaunes,  la  Norine,  abandonnée, 
demeura,  inerte,  sur  la  terre... 


Il 


Comme  de  grand  matin,  le  fossoyeur, 
le  lendemain,  s'employait  à  creuser  une 
tombe,  il  entendit  des  gémissements. 
Quoi(|ue  habitué  à  vivre  avec  les  morts, 
en  lui  se  leva  une  inquiétude  ;  en  proie 
à  une  sorte  d  effroi  superstitieux,  il  se 
signa  et  gagna  lentement,  presque  avec 
crainte,  l'endroit  où  la  Norine,  glacée, 
était  étendue.  Dans  sa  surprise,  il  ne 
I  reconnut  pas,  tout  d'abord,  la  pauvre 
[  fille;  mais,  plus  calme,  il  se  souvint,  el 
les  traits  de  la  malheureuse  aidèrent  à 
son  esprit.  11  se  rappela  (pielle  alfcction, 
naguère,  unissait  la  Norine  au  fils  du 
vieux  Noël  ;  ses  yeux  se  posèrent  sur  la 
croix  neuve  qui  semblait,  de  ses  bras 
éployés,  proléger  la  moribonde,  et, 
ayant  lu  —  épelé,  plutôt  —  les  mots 
que  la  croix  portail  :  —  Ici  repose  le 
corps  de  Martial  Bouleau  —  un  frisson 
l'enveloppa,  il  comprit  l'horreur  de  cette 
révélation,  tout  le  drame  poignant  i|iii 
avait  couché,  là,  la  Norine. 

On  transporta  la  jeune  fille,  à  moitié 
morte,  à  la  Germe,  chez  les  Gaudin, 
étonnés  de  l'imprévu  de  cette  catas- 
trophe. Durant  de  longs  jours,  une 
fièvre  maligne  travailla  la  Norine,  et  un 
délire  elfrayant  l'agita.  .XLiis,  suivant  le 
dicton  des  bonnes  gens,  elle  avait  l'âme 
chevillée  au  corps  :  elle  guérit,  alors 
qu'on  la  croyait  plus  près  de  la  tombe. 
Lorsqu'elle  fui  assez  forte  pour  sup- 
porter le  i-écil  d'événements  qui  l'inté- 
ressaient, elle  apprit,  de   la  bouche   de 


LA    LEÏTHE 


ses  parents,  que  l;i  mori  de  son  promis 
iivait  élé  entourée  de  circonstances  mys- 
térieuses et  dramatiques.  Un  soir,  il  y 
avait  de  cela  liuil  jours  à  peine,  un  bû- 
ciieron,  en  revenant  de  son  travail,  avait 
découvert  Martial  Houteau  étendu,  sans 
\ie,  dans  une  futaie  du  bois  des  Fouil- 
larges,  parmi  la  dentelle  fripée  d'une 
bande  de  fougères  rousses,  la  tèle  fra- 
cassée par  une  charf^c  de  chevrotines  à 
tuer  un  loup,  son  fusil  à  ses  côtés.  Dans 
l'une  de  ses  poches,  un  papier  révélait 
les  causes  de  ce  tragique  suicide  :  une 
lettre  anonyme  sur  la  Norine  lui  était 
parvenue,  et  son  chagrin  avait  été  si 
violent  qu'il  n'avait  pu  y  survivre. 
<Juant  à  ce  que  contenait  cetle  lettre, 
nul,  sauf  son  auteur,  ne  le  savait;  on 
n'avait  pu,  eu  ellet,  la  retrouver;  avant 
<raccomplir  son  acte  de  désespoir,  l'in- 
l'ortuné  l'avait  évidemment  détruite. 
Cependant,  l'opinion  des  fortes  têtes 
du  pays  était  que  cette  lettre  devait 
être  dirigée  contre  la  réputation  de  sa 
fiancée;  et,  tout  en  blâmant  celui  qui 
avait  procuré  à  Martial  Bouteau  une 
peine  aussi  brutale,  une  soulfrance  aussi 
aiguë,  depuis  cet  événement  on  consi- 
«lérait  la  Norine  ccminie  une  lillc  perdue, 
comme  une  i'  rien  du  tout   ■. 

Devant  ces  conlidences  qui  l'attei- 
gnaient dans  son  ^honneur,  devant  la 
honte  qui  lui  était  infligée,  la  Norine 
n'eut  pas  une  révolte.  Simplement,  sa 
pensée  s'en  fut  k  Martial,  et  elle  pleura 
toutes  les  larmes  de  son  corps,  —  Comme 
celui-là  l'aimait  1  -  \'ainrue  dans  son 
être  physique  et  moral,  elle  ne  protesta 
pas  contre  la  llétrissure  qui  souillait 
son  honnêteté,  qui  la  marquait  d'une 
tare.  Il  semblait  que  sa  volonté  fût  dé- 
funte, qu'elle  s'en  fût  allée  rejoindre 
son  bonhem-,  qu'il  ne  restât  plus  rien 
de  sa  belle  énergie.  Sans  phrases,  sans 
paroles  vaines,  elle  se  justilia  auprès  de 
ses  jiarents  des  biuils  mnUcillanls  dont 
elle  était  la  victime,  et  reprit  sa  vie 
monotone  d'autrefois  à  la  (îerme. 

I']n  se  donnant  la  mort,   Martial  axait 
inoiilré  qu'il    aimait    iMicorc    la    Nnrine, 


puisque,  dans  le  papier  qu'il  laissait, 
sa  dernière  pensée  avait  été  pour  la 
jeune  fille  - —  et  cette  pensée,  loin  de  se 
fixer  en  malédictions,  s'était  plutôt  tra- 
duite en  l'ultime  consécration  d'un 
amour  dévu,  mais  indestructible.  En 
mourant,  alors  que  son  être  avait  déjà 
ressenti  la  suprême  brisure,  il  avait 
légué  à  la  Norine  une  belle  génisse;  et 
le  vieux  Noël,  toujours  paralvsé,  avait 
permis  —  si  avare,  pourtant  —  qu'on 
respectât  la  volonté  de  son  lils.  Le  jour 
même  de  l'enterrement  de  Martial,  la 
jeune  vache  avait  élé  conduite  à  la 
Germe,  où  elle  devait  attendre  le  retour 
de  celle  à  qui  elle  était  destinée.  Or,  il 
s'était  trouvé  des  commères  jxiur  insi- 
nuer que,  par  ce  don,  Martial  avait 
voulu  laisser  un  éternel  remords  à  la 
Norine,  placer  sous  ses  yeux,  ainsi 
qu'un  impitoyable  reproche,  le  rap|iel 
de  sa  trahison. 

Maintenant,  la  Norine  ne  vivait  plus, 
à  la  derme — en  dehors  des  Gandin  — 
(|ue  dans  la  société  des  bêtes.  Sa  native 
mélancolie  s'était  accrue,  depuis  le 
malheur  qui  l'avait  atteinte.  Elle  par- 
lait peu,  caressait  à  |)einc  Uigolo,  le 
chien  fidèle  que  déconcertait  cetle 
farouche  prostration.  Elle  réservait  ses 
paroles  pour  la  génisse  de  Martial,  vers 
laquelle  se  portait  toute  son  alleclion, 
et  c|n'elle  avait  baptisée  Jaunette,  à 
cause  de  sa  robe  d'une  chaude  couleur 
de  noix  dorée.  Par  les  prairies  de  la 
Germe,  que  traversait,  à  l'ombre  de  ro- 
seaux armés  do  (juenouilles,  la  mince 
traîne  d'argent  du  Ripousson,  elle  s'ou- 
bliait, le  regard  atone,  à  la  recherche 
d'une  espérance,  d'un  rêve  évanouis, 
sans  jamais,  dans  le  vol  vagabond  de  sa 
pensée,  retrouver  la  jiaix  de  l'âme,  la 
minute  consolatrice.  Ainsi  isolée,  son- 
geant à  celui  qui  était  parti  sans  la 
mavulii-e,  malgré  la  calomnie  qui  avait 
supplicié  son  cieur,  sous  des  pleurs 
silencieux,  son  visage  gardait  une  im- 
muable tristesse. 

("epemlant,   un    rovirenienl   ^'opérait, 
chez  les  terriens,  en   sa   faveur  :  on  res- 


LA    I.KTTIiE 


|)eclait  sa  peine  el  nul  ne  s'avisait  tl'cn 
suspecter  la  muette  sincérité.  On  croyait 
à  sa  répulntion  intacte:  des  renseigne- 
ments étaient  venus  de  Paris,  à  ce  sujet, 
au  maire  de  la  commune;  ils  émanaient 
des  maîtres  de  la  IS'orine,  qui  se  por- 
taient garants  de  sa  conduite  ;  et  tous, 
il  présent,  flétrissaient  l'acte  odieux  qui, 
ayant  tué  Martial  Bouleau,  avait  voué 
sa  fiancée  à  un  éternel  martyre. 

Dans  celte  réhabilitation  c(ui  montait 
vers  elle,  sans  qu  elle  l'eût  sollicitée,  la 
Norine,  comme  si  la  condamnation  dont 
le  monde  l'avait  frappée  la  louchait 
plus  intimement  qu'ellene  l'avait  montré 
—  la  N'orine  parut  renaître,  retrouver 
sa  lierté,  se  raccrocher  à  l'existence.  Il 
semblait  qu'un  besoin  —  le  besoin  inné 
qu'ont  tous  les  êtres  de  vivre  même 
exposés  à  de  la  soulFrance  —  la  ratta- 
chât sinon  aux  joies,  du  moins  aux  es- 
poirs d'ici-bas.  —  Un  ne  meurt  pas 
d'amour,  assurait-on  autour  d'elle,  et 
un  brave  garçon  se  présenterait  qui  sau- 
rait, un  jour,  créer  de  nouvelles  sen- 
sations dans  le  cœur  de  l'éplorée. 

Oji  disait  vrai  ;  ce  «  brave  garçon  », 
déjà,  était  désigné,  à  la  ronde.  Il  se 
nommait  François  Uamuche;  plus  vieux 
de  cinq  années  que  la  Xorine,  il  n'était 
jtas  trop  mal  tourné  de  sa  personne  et 
jouissait  de  l'estime  générale.  Il  n'ap- 
partenait pas  précisément  à  la  contrée. 
Meunier  sur  les  bords  de  la  Vienne, 
vers  risle-Jourdain,  son  métier  l'appe- 
lait du  côté  de  la  Germe,  pour  prendre, 
chez  les  métayers  et  les  fermiers,  le 
blé  à  moudre  et  rendre  les  farines. 
Depuis  longtemps,  il  parcourait  la  com- 
mune de  Saint-Martin-lArs  et,  depuis 
longtemps  aussi,  il  avait  remarqué  la 
nièce  des  Gandin  ;  il  la  savait  fiancée 
à  Martial  Bouleau,  en  dépit  de  l'oppo- 
sition formulée  par  le  vieux  Noël,  et  il 
s'était  abstenu  d'une  avance  quelconque. 
Après  la  mort  de  Martial,  il  avait, 
tout  en  observant  une  extrême  réserve, 
montré,  auprès  de  la  Norine,  plus  d'em- 
pressement. Il  était  venu  à  la  Germe 
plus  souvent  peut-être  que  ne  l'y  appe- 


laient ses  occupations,  sans  oser,  tou- 
tefois, confier  à  la  jeune  fille  la  cause 
de  sa  sollicitude.  Moins  aveugles  que 
la  N'orine,  les  gens  s'étaient  vite  aperçus 
du  manège  du  beau  meunier  :  comme 
il  était  travailleur  et  honnête,  chacun 
s'était  réjoui  de  ses  assiduités,  avait 
formé  des  vœux  pour  que  la  nièce  des 
métayers  de  la  Germe  ne  fût  |>as  insen- 
sible à  ses  recherches. 

Kncouragé  |)ar  les  Gandin,  satisfaits 
et  flattés  de  1  intérêt  qu'il  portait  à  leur 
nièce,  François  Ramuche  s'enhardit, 
parla  à  la  Norine.  Ce  fut  |)ar  un  après- 
midi  de  printemps  comme  en  rêvent  les 
amoureux  :  il  revenait  de  courir  les 
fermes  et  les  villages  et  regagnait  les 
bords  de  la  ^'ienne  avec  un  chargement 
de  sacs  de  blé.  La  Norine,  aux  champs 
dans  une  lande  voisine,  dissimulait  sa 
tristesse  derrière  un  haut  buisson,  ses 
chèvres,  ses  brebis  disséminées  sous 
l'œil  vigilant  de  Rigolo,  parmi  les  herbes 
folles  et  les  bruyères  rases,  ayant,  toute 
proche,  la  Jaunette,  muette  confidente 
de  son  chagrin.  Le  meunier  l'avait 
aperçue  et,  garant  sa  charrette  sur  l'ac- 
cotement du  chemin,  tapotant  l'enco- 
lure de  sa  mule,  l'exhortant  à  patienter, 
un  peu  ému,  il  s'était  dirigé  vers  la 
jeune  fille.  Celle-ci,  indilférente  à  ce 
qui  ne  se  rattachait  point  à  son  bonheur 
enfui,  l'avait,  cependant,  accueilli  avec 
bonté.  Mais,  dès  qu'il  avait  tenté  de 
dévoiler  ses  sentiments,  d'ébaucher  une 
confidence,  la  Norine,  réfugiée  dans  sa 
peine,  avait  opposé  à  son  aveu  un  ho- 
chement de  tête  significatif,  un  mélan- 
colique sourire.  Doucement,  tristement, 
elle  avait  fait  comprendre  au  jeune 
homme  qu'elle  ne  pouvait  accepter  son 
hommage,  en  raison  du  deuil  qui  était 
en  son  être.  Et,  devant  les  paroles  de 
la  Norine,  le  meunier,  silencieux  et  un 
peu  pâle,  avait  rejoint  la  route,  tiré 
machinalement  la  bride  de  sa  mule  qui. 
en  parlant,  avait,  dans  un  joyeux  ca- 
rillon de  ses  sonnailles,  jeté  comme  un 
déti  aux  illusions  de  son  maître. 

Sur   le   conseil   des   métayers    de    la 


I.A    I.KTTlii: 


(ienue,  le  Jcuik'  meuniiT  rciiouvcln, 
tiiuidemeiil,  s;i  leuliilivc  tl,  Ijien  que  ce 
nouvel  essai  de  rappi-ochement  lût  aussi 
stérile,  il  ne  se  découragea  point.  Il 
avait  dans  les  (iaudin  de  précieux  auxi- 
liaires c|ui  s  employaient,  de  leur  mieux, 
à  lui  concilier  les  l'aveuns  de  leur  niccc 
qu'avant  tout  ils  désiraient  heureuse  et, 
eux  disparus,  snutenue  dans  la  \ic. 
L  nique  héritier  des  meuniers  du  liemi- 
geoux  —  les  vieux  Ranmche,  incapables 
de  contrarier  le  choix  de  leur  lils  — 
François  était,  pour  la  jeune  lillc,  orphe- 
line et  pauvre,  un  parti  enviable.  Obsti- 
nément, la  Norine  se  refusait  à  entendre 
toute  explication  à  cet  égard,  écartait 
d'elle,  constamment,  les  déclarations 
que  François  tentait  vainement  d'exiiri- 
mer.  Alors,  en  sa  désolation,  une  idée 
vint  au  jeune  homme,  qui  s'entêtait 
dans  un  amour  que  les  siens,  inquiets, 
prévoyaient  sans  issue  :  pour  essayer 
de  vaincre  les  résistances  de  la  Norine, 
il  imagina  de  lui  écrire,  de' confier  au 
papier  ce  qu'il  ne  parvenait  |îa>,  de 
vive  voix,  à  lui  exposer. 

Pressentis,  les  métayeis  de  la  (jerme 
appi'ouvèrent  cet  inoflénsif  stratagème 
cl,  grâce  à  leur  indulgente  complicité, 
chaque  semaine,  bientôt,  une  lettre  de 
François  Hamuche  passa  sous  les  yeux 
de  la  Norine.  Les  premières  missives 
demeurèrent  intactes,  comme  si  la  jeune 
tille  en  soupçonnait  l'origine;  puis,  un 
jour,  elle  parcourut,  distraitement,  une 
de  ces  lettres  et,  peu  à  peu,  se  surprit 
à  les  lires  toutes,  à  en  relire,  même,  les 
phrases  na'ivement  enjôleuses  qui  s'adres- 
saient à  son  cour.  Sans  qu'elle  pût  en 
définir  exactement  la  raison,  cette  cor- 
respondance lui  devint  une  impérieuse 
nécessité;  elle  s'émut  aux  respectueuses 
tendresses  de  François  Ramuche,  se 
laissa  persuader  que  la  peine  que  le 
Destin  lui  avait  infligée  ne  [)ouvait  être 
éternelle,  et,  découvrant  en  celui  (jui 
l'obsédait  ainsi  des  sentiments  géné- 
reux, elle  se  |)lut  en  sa  compagnie,  |)arut 
renaître,  croire  encore  aux  douceurs  de 
la  vie,  aux  papillons  cl  aux  fleurs. 


Devant  celle  métamoi-phnsc,  Fran- 
çoiséprouva  unejoieinlinie;  un  bonheur 
plus  grand  lui  était  ré.servé  :  forte  du 
consentement  des  Gaudin,  la  jeune  fille 
l'autorisa  à  venir  aussi  souvent  qu'il  le 
voudrait  à  la  Germe.  N'était-ce  pas  là 
un  encouragement,  un  espoir  offerts  à 
la  réalisation  de  ses  plus  chers  désirs? 
1mi  une  sorte  d'examen  de  conscience, 
la  .Norine,  avant  de  prendre  cette  dé- 
cision, s'était  longuement  interi-ogée  : 
ramenée  aux  serments  échangés  avec 
Martial  Bouleau,  à  sa  mort  tragique, 
elle  avait  hésité  dans  sa  détermination  ; 
les  représ(>n  talions  affectueuses  des 
Gaudin  avaient  achevé  de  la  convaincre 
{|u'elle  ne  trahissait  pas  son  ancienne 
sympathie,  en  acceptant,  dans  l'isole- 
ment f|u'élail  le  sien,  un  compagnon 
sur  (jui  se  rejjoser.  Ce  jour-là,  mettant 
sa  main  dans  celle  du  jeune  meunier, 
elle  avait  déclaré  : 

—  Je  serai  votre  femme,  François, 
puis(jiie  vous  le  désirez...  nousTîous  ma- 
rierons aux  prochaines  Pà(|ues. 

Bientôt  rendue  officielle,  cette  pro- 
messe de  la  Noi-ine  courut  le  pays,  et 
tout  le  monde,  comme  pour  rachetei- 
l'erreur  du  jiassé,  effacer  la  faute  accu- 
satrice, se  félicita,  dans  un  sentiment 
où  l'égoisme  entrait  peut-être  pour 
quelque  chose,  de  la  sage  conclusion 
que  la  jeune  fille  donnait  à  son  toui'- 
ment.  Les  femmes  glorifièrent  Bamuche; 
les  jeunes  gars  envièrent  sa  chance. 

Donc,  les  Pà(|ues  vinrent.  \'À  les  noces 
se  firent  simplement,  ainsi  (|ue  lavait 
souhaité  la  Norine.  Le  rejias  du  soir 
réimit  à  la  (jcrnie  les  parents  des  deux 
époux,  les  témoins,  quel(]ues  intimes. 
Puis,  dans  la  nuit,  sous  le  regard  i-ieur 
des  étoiles,  le  meunier,  sans  s'inquiétei- 
des  vieux,  enleva  sa  femme,  avec  la 
hâte  fiévreuse  que  mettrait  un  avare  à 
emporter  un  trésor.  Il  avait,  pour  celli- 
circiMistaiicc,  empanaché  sa  mule  de 
pompons  multicolores,  de  flots  de  ru- 
bans capricieux,  indisciplinés  dans  la 
crinière  bi'une,  repeint  son  char  à  bancs, 
et,  l'd'il    .illcndri,    abaissé    sur   sa    cnm- 


l.A     l.liTTHK 


pagne,  de  la  mèche  de  son  fouet,  il 
taquinait  sa  bête,  l'excitait,  par  la  route 
solitaire  en  cette  heure,  à  ne  plus  taire 
l'éparpillement  de  ses  grelots  tapageurs. 
Pressée  contre  Fran(,'ois,  la  Norine. 
muette  et  ravie, épeurée  du  train  d'enfer 
([ue  menait  la  mule,  se  faisait  toute  pe- 
tite, heureuse  de  la  joie  de  son  ami. 
l']lle  ressentait  cette  joie,  sans  pouvoir 
y  répondre  autrement  qu'en  se  rap])ro- 


chant  davantage  de  celui  qui  la  séparait 
de  ses  parents,  des  êtres  et  des  choses 
de  la  Germe.  Dans  la  paix  mystérieuse 
des  bois,  l'attelage  fuyait  comme  une 
vision,  au  galop  de  la  mule  essoufflée. 
Ce  fut  seulement  à  la  descente  rapide 
de  Bourpeuil  que  le  meunier  retint 
l'élan  de  sa  bête.  La  Vienne,  grossie  des 
pluies  récentes,  grondait  en  bas  de  la 
côte,  charriait,  parmi  de  fantomatiques 


I.A    I.KTTIiK 


roches  noires,  des  flots  douloureux.  l'U 
il  la  pensée  de  se  trouver  seule,  bienlôl, 
jivec  François,  derrièi'e  les  murs  d'une 
maison  assiégée  par  des  eaux  hurleuses, 
la  Noriiie  éprouva  (\c  l'anj^oisse... 

III 

Dans  la  chainhrc,  sanctuaire  fleuri 
que  la  dévotion  du  jeune  meunier  avait 
paré,  la  Norine  écoutait,  presque  incon- 
sciente, le  mugissement  des  eaux  autour 
du  moulin.  François,  discrètement, 
ra.vait  laissée  seule  ;  par  un  sourire, 
elle  l'avait  remercié  de  cette  attention. 
Tout  le  jour,  la  Norine,  adulée,  fêtée, 
était,  pour  ainsi  dire,  demeurée  sans 
pensée,  dans  la  griserie  qui  l'envelop- 
pait ;  aucun  souvenir  n'était  venu  la 
tourmenter.  Maintenant,  une  invincible 
tristesse  la  pénétrait.  —  .\vait-elle  bien 
agi  en  épousant  François  Ramuche,  en 
répondant  à  son  alFection  par  une  afl"ec- 
tion  réciproque  ?^ —  N'y  aurait-il  pas  tou- 
jours entre  eux,  et  malgré  elle,  l'image 
d'un  homme  qui  était  mort  de  l'avoir 
trop  aimée,  et  l'obsession  de  Martial 
Houteau  ne  s'imposerait-elle  pas  à  son 
esprit,  à  sa  volonté?  —  En  cet  instant, 
la  .Norine  doutait  de  ses  forces,  des 
larmes  perlaient  à  ses  cils;  elle  souffrait. 

.Autour  d'elle,  les  meubles  de  vieux 
noyer  lui  renvoyaient  son  image.  La 
.Norine  sourit,  flattée.  La  chambre  avait 
la  mine  coquette,  emplie  de  l'acre  |)ar- 
fum  des  fleurs  d'eau.  —  C-omme  Fran- 
çois l'aimait  !  —  Elle  eut  l'intuition  qu'en 
ce  milieu,  l'oubli  du  passé  se  ferait 
insensiblement  en  son  âme;  son  front 
se  rasséréna,  ses  joues  se  rosèrenl  ;  du 
bonheur  était  en  son  être  —  et  ce 
bonheur,  elle  en  reportait  la  cause  à 
François  Ramuche,  au  brave  garçon 
qui  avait  su  l'ari-achcr  à  sa  peine.  De- 
vant un  miroir  placé  sur  la  commode, 
elle  ôta  sa  coill'c  enguirlandée  do  fleurs 
d'oranger,  retira  le  l)on(|uel  agrafé  à  sa 
ceinture  et  chercha  un  endroit  où  dé- 
poser ces  emblèmes  d'épousée.  Elle  ou- 
vrit um-  armoire:  des  draps  la   gênant, 


de  la  main,  en  les  soulevant  un  peu, 
elle  les  écarta.  Des  papiers  apparurent; 
le  regard  de  la  Norine  s'y  posa,  curieux. 
C'étaient  des  lettres,  des  brouillons  de 
lettres  ;  la  jeune  fille  les  repoussa, 
hantée  soudain  de  jalousie.  —  Fran- 
çois avait-il  donc,  avant  elle,  écrit  à 
d'autres  filles?  Et,  volontairement,  l'ou- 
trageait-il  en  laissant  subsister,  dans 
cette  maison  où  elle  |)énélrait  pour  la 
première  fois,  les  traces  de  ses  succès? 
La  Norine  reprit  les  papiers,  les  par- 
courut hâtivement,  comme  eût  fait  une 
écolière  redoutant  d'être  prise  en  faute. 
Une  lueur  radieuse  éclaira  son  visage  : 
en  elle  s'ébauchait  le  sentiment  d'une 
orgueilleuse  satisfaction.  Non,  aucune 
de  ces  lettres  n'avait  été  inspirée  par  un 
autre  amour  que  le  sien  :  elles  disaient 
toutes,  en  leur  langage  naïf,  les  troubles 
de  François,  les  étapes  de  sa  passion 
sincère. 

Devant  ces  lettres,  la  Norine  subis- 
sait un  chafme  fascinateur,  une  sorte 
d'extase.  Lu  peu  confuse,  elle  remit  ces 
reliques  sous  la  pile  de  draps.  Mais,  en 
glissant  les  jiapiers,  une  lettre  de  dimen- 
sions plus  grandes,  d'encre  plus  vieille, 
resta  sous  ses  doigts,  et  ses  yeux  encore 
s'acharnèrent  à  déchiffrer  cette  page. 
Tout  à  coup,  un  frisson  nerveux  la  se- 
coua, ses  jambes  flageolèrent,  une  tor- 
ture effroyable  décomposa  instantané- 
ment ses  traits.  l'"ébrile,  elle  froissait 
la  lettre  qui  lui  infligeait  une  pareille 
souffrance:  une  <ip|)rcssion  emplissait 
sa  poitrine  de  sanglots  rauqnes,  hoqne- 
teux,  sans  larmes.  Elle  se  raidit  pour 
ne  pas  s'abattre.  Vn  grand  froid  l'enva- 
hissait, une  défaillance  contre  laquelle 
elle  demeurait  impuissante.  11  lui  sembla 
entendre  des  |)as  dans  l'escalier  —  les 
pas  de  François,  peut-être  —  les  pas 
d'un  homme  auquel  elle  appartenait, 
qui  avait  le  droit,  sans  doute,  de  venir 
la  reii">iudre.  Frémissante,  recouvrant 
son  énergie,  elle  se  secoua  comme  une 
bête  acculée  et,  de  ses  lèvres  blanches, 
un  mol  jaillit  ■ —  un  seul  : 

—  Jamais  ! 


Rapidement,  elle  ouvrit,  d'un  coup 
sec,  la  croisée,  se  dressa,  d'un  bond, 
sur  le  soubassement  el,  enjambant  l'ap- 
pui, les  yeux  clos,  s'élança  dans  le  vide, 


ireilk',lesbras 
tendus,    à    un 
grand  oiseau  si- 
nistre. Les  eaux  écunieuses 
qui  léchaient  les  murs  du 
moulin   la  reçurent,   l'en- 
\eloppèrent,     et  tout  dis- 
parut dans 
un  remous 
convulsif. 

Alors,  un 
cri  qui  n'a- 
\ait    plus    rien 
d  humain  trou- 
la    sérénité    de 
un    nom    jeté 
aux  échos   —   telle   une 
suprême   plainte   —  monta 
dans  la  nuit  : 
—  Norine  I 

Et,  dressé  ainsi  qu'un  fantôme,  Fran- 
çois Ramuche,  qui,  du  dehors,  venait 
d'assister,     dans     une     immobilité    de 


bla 
l'espace  ; 


LA    I.IiTTlU; 


spectre,  à  cette  scène  étrunge  —  Fniii- 
çois,  s'enlevant  d'un  élan  prodigieux, 
se  précipita,  afTolé,  dans  la  rivière. 

Lorscpie  la  Norine  reprit  ses  sens  — 
car,  au  prix  d'efforts  inouïs,  le  jeune 
meunier  avait  réussi  à  la  ravir  aux  eaux 
(|ui,  déjà,  entraînaient  son  corps  à  la 
dérive  —  ses  yeux,  hagards,  reconnu- 
rent la  chambre  du  moulin,  et  elle  eut 
un  mouvement  do  frayeur.  Extrême- 
ment faible,  elle  demeura  inerte  sur  sa 
couche,  incapable,  sous  la  seule  impul- 
sion de  sa  volonté,  à  recouvrer  ses 
forces.  Une  femme  était  à  son  chevet, 
sa  tante  de  la  (jerme;  cette  vue  la  tran- 
quillisa, elle  referma  les  paupières.  Les 
meules  du  moulin  dormaient,  la  vanne 
du  bief  pleurait  des  larmes  rares,  le 
tambour  de  la  grande  roue  à  aubes, 
lui-même,  était  silencieux  :  seul,  le 
chant  sourd  du  déversoir  troublait  la 
[)aix  environnante.  La  Norine  reposa. 
Ni  François,  ni  ses  parents  ne  ])arurent 
auprès  d'elle.  Dans  le  délire  qui  avait 
précédé  son  assoupissement,  des  malé- 
dictions contre  le  jeune  meunier  étaient 
tombées  de  ses  lèvres,  et  comme  dans 
la  prescience  d'un  imaginaire  danger, 
e)le  avait  sembjé  vouloir  l'éloigner  de 
sa  j)résen,ce.  L'armoire,  jusqu'alors  gar- 
dieime,  sans  doute,  d'un  fatal  secret, 
était  close,  et  François,  interrogé,  trè^ 
sombre  depuis  la  catastrophe,  n'avait 
pu  ou  n'avait  point  voulu  fournir 
d'autres  explications  que  celles  qui  con- 
cernaient l'incompréhensible  tentative 
de  suicide  de  la  jeune  femme,  lui  de- 
hors de  l'acte  courageux  qu'il  avait 
accompli  au  péril  de  sa  vie,  il  ignorait, 
assurait-il,  pour  quel  motif  la  Norine, 
seule,  en  cet  instant,  dans  la  chambre, 
s'était  jetée  à  l'eau.  (Tétait  là,  du 
moins,  la  seule  version  (|u'il  olViil  à  la 
curiosité  des  siens,  à  ii'ile  ilo  hi  uk'- 
tayère  de  la  (Jerme. 

Ce  fut  eu  vain,  d'ailleurs,  que  la 
(îaudin  sollicita  de  sa  nièce  des  conli- 
denccs  plus  précises.  La  Norine  s'en- 
ferma en  un  mutisme  absolu  ;  mais, 
Idujoui's  avec  une  sorte  d'effroi  dans  le 


regard,  elle  insista  pour  quitter  le 
moulin,  pour  fuir  celui  que  la  l<ji  a\  ait 
fait  >oi\  époux  et  son  maître.  Le  meu- 
nier, docilement,  accéda  à  ce  désir.  Son 
nom  seul  procurait  un  trendjlemeiil 
nerveux  à  la  Norine.  Taciturne,  comme 
en  proie  à  du  remords,  il  la  laissa 
partii'.  sans  un  mol  d'adieu. 

—  Le  lemj)s  arrangera  cela,  murmura, 
en  manière  de  consolation,  la  niétayèi-e 
de  la  Germe. 

La  Norine  eut  aux  yeux  un  éclair  qui 
démentait  singulièrement  la  conclusion 
de  sa  tante.  Et,  sans  se  retourner,  elle 
abandonna  le  moulin,  comme  elle  eùl 
fait  d'un  lieu  néfaste  et  maudit. 

Dans  la  cour,  affalé  sur  une  pierre. 
François  Hamuche,  la  tête  dans  ses 
mains,  regarjla,  hébété,  visité  d'iine 
soudaine  folie,  disparaître  la  carriole 
qui  emmenait  la  Norine;  et  quand  le 
bruit  des  roues,  le  claquement  des  sa- 
bots du  cheval  se  furent  affaiblis, 
presque  éteints,  des  pleurs  brûlèrent 
sa  peau,  son  être  s'elfondra  dans  une 
détresse  inlimc... 

IV 

La  nouvelle  du  retour  de  la  .Norine  à 
la  (îerme  surprit  comme  un  coup  de 
tonnerre  dans  un  ciel  serein  ;  l'étonne- 
ment  augmenta  quand  on  sut  la  nature 
des  incidents  dramatii|ues  qui  avaient 
précédé  le  départ  de  la  jeune  femme  — 
sa  fuite,  plutôt,  de  chez.  Fi-ançois  Ha- 
muche. Dans  rini|)ossibilité  où  chacun 
se  trouvait  de  décliillrer  cette  énigme 
—  la  Norine  se  refusant  toujours  à 
parler —  les  gens  s'évertuèrent  à  établir 
des  conjectures  susceptibles  de  juslilier 
la  tragique  désunion  des  deux  époux. 

Triste  ainsi  (|uc  naguère,  la  Norine 
demeurait  im|)énélrable,  ne  jiarlant 
presque  plus  aux  bêtes  (jui,  d'ordinaire. 
C(uis(ilaientsa  peine,  n'ayant  de  caresses 
que  |)ourla  génisse  de  Mai-tial.  .\  maintes 
reprises,  les  Cïaudin  avaient  tenté  de 
ramener  la  malheureuse  vers  François 
Hamuihc  :  cliaiiue  fois,  le  visage  de   la 


I.A    I-KlTIti: 


jciiiio  l'emnie  avait,  révilr  inif  lello 
expression  de  diirolé,  i|tie  les  mé(ayers 
de  la  Germe  avaient  défiiiilivemeiil  re- 
iKincé  à  l'espoir  d'une  réconciliation. 
D'ailleurs,  en  présence  de  l'obslinalion 
(le  la  Norine  à  tenir  secrètes  les  causes 
(pii.  dans  une  révolte  qu'elle  ne  \oulait 
pas  léf^itiuier,  l'avaient  pousçée  hors  du 
luit  (■onjuf;al,  les  sympathies  allaient  à 
Fi'aiiçois  Uanuiche,  ouvertement  plaint 
(1  avfiii' cru  pouvoir  confier  le  Ixmlieur 
de  ses  jours  à  une  folle,  car  per-nnne 
n'admettait  qu'une  femme  saine  d'es- 
|)i-it  continuât,  sans  motif  plausible,  le 
rcilc  qu'avait  choisi  la  Norine. 

.V  la  suiledesévénements  qui  l'axaient 
surpris  dans  sa  joie  de  vi\re,  François 
était  devenu  paresseux  ;  au  rvlhme  de 
ses  habituelles  chansons,  les  f;raiiis  ne 
s'écrasaient  plus  sous  les  meules,  et 
accablé,  dans  la  solitude  du  Hemigeoux. 
il  pleurait  son  alFcclion  détruite,  l^sclaxe 
de  la  passion  qui  l'aiguillonnait,  il  ne 
put,  bientôt,  se  défendre  d'allei'  loder 
aux  environs  de  la  (ierme.  Il  n'osait, 
toutefois,  approcher  les  (iaudin  qui,  le 
sachant  malheureux,  étaient  prêts  à 
l'accueillir,  en  dépit  de  la  répulsion, 
peul-étre  injusliliéc,  qu'il  inspirait  à  leur 
nièce.  Malf^ré  les  remontrances  de  ses 
\  ieux  parents,  Françoi-s  déserta  donc  le 
moulin.  Dérobé  dans  la  bordure  d  un 
taillis  ou  caché  par  les  roseaux  du 
liipousson,  il  éprouvait  comme  une 
na'ive  jouissance  à  voir  passer  la  Xorine, 
à  suivre  sa  silhouette,  à  se  i;riser  de 
son  ombre.  Pas  plus  qu'aux  Gandin, 
il  n'osait  lui  parler.  La  vue  seule  de  la 
jeune  femme  suffisait  à  son  exif,'cnce, 
remettait  en  son  être  un  peu  de  celte 
félicité  si  désirée  et  enfuie. 

Mais  le  Hasard —  ce  prodij^ieux  dis- 
pensalcui-  des  événements  —  le  plaça 
un  jour  en  face  de  la  Norine,  et,  hum- 
blement, timidement,  il  éleva  la  \oix 
])0ur  implorer  une  grâce  qui  le  montrait 
ciiuj)able.  .Agenouillé,  dans  l'attitude 
d'un  chien  qui  sollicite  une  cai-esse,  à 
la  jeune  femme,  saisie  de  sa  brusque 
a|)parilion,  il   confessa    le  remords   qui. 


plus  (pie  son  amour  méprisé,  peut-être, 
endeuillait  sa  \\c. 

—  In  grand  crime  est  entre  nous, 
Norine,  balbutia-1-il,  et  je  suis  un  mi- 
sérable. Je  vous  aimais  avant  Martial 
liouteau  et,  poui'  \ous  soustraire  à  son 
all'ection,  la  passion  m'a  rendu  coupable. 
Sachant  qu'aucune  médisance  ne  pou- 
vait vous  atteindre,  jo  n'ai  jias  reculé, 
cependant,  devant  la  lâcheté,  l'igno- 
minie dune  lettre  anonyme  qui  vous 
accusait.  Cette  lettre,  le  brouillon  de 
celle  lettre  que  mon  étourderie  laissa 
subsister,  Dieu,  dans  sa  loute-puissante 
justice,  a  \oulu  le  placer  sous  vos  yeux, 
pour  mon  châlimenl,  alors  que  mon 
ctcur,  que  mon  âme  s'ouvraient  à  des 
délices.  .Après  avoir  causé  la  mort  d'un 
ijinocent,  celle  lettre  a  failli  vour  ravii- 
pour  toujours  à  mes  lendr-esses. .. 

Tressaillante,  la  Norine  écarla  le 
meunier  el  s'écria  : 

—  f^hie  parlez-vous  de  tendresses, 
(piand  \cius  m'apparaissez,  comme  un 
criminel  que  le  bourreau  guette... 

—  Je  vous  aimais,  balbutia  François. 
\'iolenle.  haineuse,  elle  l'aposlropha  : 

—  Si  je  vous  livrais  à  la  justice?  Si 
pour  l'expialion  de  \olre  crime,  je  vous 
dénonçais  aux  juges  ! 

—  Pardon!  supplia  le  malheureux. 

—  Pardon...  répéta  la  jeune  femme, 
avec  ironie.  —  .\h,  taisez-vous,  car  ce 
mot,  sur  vos  lèvres,  est  un  blasphème. 

Comme  d e  dégoù  t,  elle  détourna  la  tel  e. 

Les  bras  tendus,  la  pensée  moribonde, 
François  se  leva,  prêt  à  attirer  à  lui 
celle  qui  l'outrageait,  qui  le  repoussait 
el  que,  dans  son  inconsciente  passion, 
il  croyait  pouvoir  aimer  encore,  malgré 
le  morl  (pii  surgissait  entre  eux. 

Mais,  en  cet  instant,  la  Norine,  les 
ycnx  dilatés,  jcla  une  clameur  d'épou- 
vante. 

Télé  basse,  le  mufle  lumant,  la  gé- 
nisse de  Martial  se  précipitait,  beu- 
glante, sur  François  Ramuche. 

—  Rli  ben...  eh  ben,  Jaunelle!... 
hurla  la  Norine,  angoissée,  esquissant 
des  gestes  vagues,  désespéi-és. 


I.A     I.KTTIiK 


I-e  meunier,  se  i"etouiii:uit,  eut  une 
exclamation  de  terreur. 

Déjà,  la  vaclie  élail  sur  lui,  iHoullanl 
sa  plainte  lamentable  ;  relevant  la  tête, 
les  cornes  [jlonf^ces  clans  son  ventre, 
luissclante  de  sau}^,  elle  secoua  le  cor|)s 
du  malheureux  comme  un  trophée 
hij,'ul)rc  et  l'envoya  roulersur  la  prairie. 

I-a  Norine,  d'une  pâleur  de  cii-c,  de- 
meurait hébétée. 

l'n  râle  noiirnanl   1  arrarlia   à   sa    tur- 


rosc  fraujifeait  les  lèvres  du  misérable 
dont  les  yeux  expirants  imploraient 
eni'iire. 

Des  champs  voisins,  des  ^'ens,  lénioiu- 
im|)nissants  de  ce  drame  rapide,  accou- 
raient. 

D  une  ihnie  xuirde.  la  Norine  s'af- 
faissa; Ils  mains  jointes,  le  re};ard  au 
ciel,  une  ardente  prière  aux  lèvres,  elle 
demandait  à  Dieu  d'être  indulgent  à 
l'homme  sur  lequel  la  .launctte  \enait 
de  venger  son  maître. 

I''mmanl'ei.  (Vm.ms. 


LES    IVOIHKS    1)1'    MUSKK    DK    CLUNV 


Fig.    1.    —    Figure    dite    Panihee    trouv 
Allemagne  en  1840  (iv«  siècle). 


La  sculpture  sur  ivoire,  clmit  nous 
nous  [iroposons  de  suivre  les  diverses 
manifestations  à  travers  les  siècles,  en 
prenant  nos  exemples  dans  la  collection 
du  musée  de  Cluny,  riche  en  spécimens 
aussi  remarquables  sous  le  rapport  de 
l'art  qu'au  point  de  vue  archéoloj^ique, 
était  pratiquée  dès  la  plus  liante  anti- 
quité. Dans  Homère,  les  palais  des  rois 
sont  resplendissants  d'ivoire  et  de  mé- 
taux précieux,  le  lit  d'L'lysse  et  le  trône 
de  Pénélope  en  sont  incrustés,  et  Hé- 
siode le  met  au  nombre  des  matières 
qui  composent  les  reliefs  du  bouclier 
d  Hercule.  Les  sculpteurs  grecs  l'em- 
ployaient dans  la  statuaire  pour  repré- 
senter les  [larties  nues,  alors  que  les 
vêtements  étaient  en  or  ou  en  bronze. 
Plusieurs  statues  colossales  dont  les 
écrivains  de  l'antiquité  nous  ont  laissé 
de  ])ompeuses  descriptions,  entre  autres 
la  Minerve  du  Parthénon,  qui  n'avait 
pas  moins  de  12  mètres  de  hauteur,  et 
le  Jupiter  d'Olympie,  plus  haute  d'un 
tiers  environ  et  due,  comme  elle,  au 
ciseau  de  Phidias,  étaient  exécutées 
ainsi.  Malheureusement,  il  ne  nous  reste 
rien  de  ces  œuvres  autrefois  si  célèbres, 
dont  la  plupart  furent  sans  doute  dé- 
truites sous  Constantin  lorsqu'il  fit 
briser  les  idoles,  et  si  l'on  en  excepte 
quelques  petites  pièces  de  peu  d'impor- 
tance provenant  de  l'ancienne  Eg;yple, 
les  plus  anciens  monuments  de  la  sculp- 
ture sur  ivoire  qui  sont  arrivés  jusqu'à 
nous  ne  sont  guère  antérieurs  à  la 
fin  du  iV  ou  au  commencement  du 
v'"  siècle. 

Il  est  à  présumer,  cependant,  que 
deux  des  ivoires  que  possède  le  musée 
de  Cluny  remontent  à  une  époque  un 
peu     plus     reculée.     Le     plus     impor- 


m: s  noiiiKs   Df    MisKi';  ni:  clunv 


lanl  lif;.  I  I  est  une  figui'C 
en  haut  relief,  de  0"\  ÎJ 
de  hauleui-,  qui  repré- 
fcntc  une  femme  debout, 
tenant  dans  la  main 
droite  un  lonjî  sceptre 
terminé  par  un  feuillajje, 
cl,  de  la  f,'^auche,  élevant 
une  coupe;  deux  petils 
ffénies  ailés  lui  posent 
une  couronne  sur  la  tète  : 
derrière  elle,  à  ses  pieds 
chaussas  de  sandales,  se 
tiennent  un  satvre  el  un 
enfant  qui  fait  sonner 
des  clochettes  ;  elle  e?l 
vêtue  d'une  longue  tu- 
nique qui  laisse  à  nu  le 
sein  droit,  et  sa  tèle  est 
couverte  d'un  voile  qui 
lui  descend  sur  les  bras. 
11  est  probable  que  cette 
figure,  trouvée  en  ISiii 
en  Allemagne  avec  deux 
superbes  têtes  de  lion- 
en  cristal  de  roche  évi- 
dées  qui  appartiennent 
également  au  musée  de 
Cluny,  provient  d'un 
siège  d'apparat  dont  les 
tètes  de  lions  formaient 
les  pommeaux  d'appui.  Mais  si  l'on  est 
à  peu  près  d'accord  sur  sa  destination, 
il  n'en  est  pas  de  même  de  sa  signifi- 
cation. .Alors  que  Du  Sommerard,  dans 
son  catalogue,  la  désigne  sous  le  nom 
de  «  ligure  pantliée  »,  c'est-à-dire   rén- 


■'.ciH-'V^*  — 


Fif;.  2.  —  Feuillet  d'un  dip- 
tyque du  v  siècle,  ayant 
pervî,  avec  le  feuillet  corres- 
pondant, à  fermer  I:v  châsse 
de  s.iint  Cyriaque  à  l'abb-Tyc 
de  irontier-'-n-Dcr  (Hautc- 
Warne). 


l'abbaye  de  Montier-en- 
Der  (  llaulc-Marne),  fon- 
dée vers  (>7SI  par  saint 
lîercaire.  Ces  deux  ])la- 
ques,  que  Bercaire  avait 
rapportées  de  l{ome  avec 
les  reliques  de  saint 
•  ".yriaque,  patriarche  de 
.lérusaleni.  et  de  sainte 
Ihéodose,  avaient  dis- 
paru dans  un  incendie 
(|ui  détruisit  la  thâsse  el 
une  partie  de  l'église,  et 
c'est  en  IH(i')  seulement 
qu'elles  furent  retrouvées 
au  fond  d'un  puits,  à 
-Montier-en-Der  même, 
t^elle  que  possède  le 
musée  de  C.luny,  mal- 
lioureusement  très  en- 
dommagée, représente 
une  femme  debout,  in- 
clinant des  torches  ren- 
versées devant  un  autel 
allumé,  abriléparun  pin 
auquel  sont  suspendues 
deux  sonnettes  ;  sur  la 
seconde,  qui  est  dans  un 
parfait  état  de  conserva- 
tion et  que  nous  repro- 
duisons (lig.  i)  d'après 
un  excellent  moulage  olTcrt  ])ar  la  direc- 
tion du  musée  de  Kensinglon,  une 
femme,  debout  également,  répand  sur 
un  autel  dressé  devant  un  chêne,  des 
parfums  que  lui  présente  un  enfant. 
Toutes   les  deux   sont    cntoniées    d'une 


nissant  en  elle  les  attributs  de  plusieurs   |   bordure  de  palmettes  et  celle  du   musée 
divinités,    d'autres    archéologues   y  ont   i   de  Clunv  conserve  une  partie  de  sa  mon- 


vu  une  de  ces  personnifications  de  ville 
ou  de  nation  dont  l'antiquité  nous  a 
laissé  plusieurs  exemples.  Malgré  la 
noblesse  de  l'attitude  et  le  soin  a\ec 
lequel  sont  traitées  les  draperies,  elle 
marque  une  époque  de  décadence. 

D'un  art  beaucoup  plus  éle\  é  est  la 
belle  pla(|ue  qui,  avec  celle  appartenant 
aujourd'hui  au  musée  de  Kensinglon,  à 
Londres,  fermait  encore,  au  siècle  der- 
nier,   nue  grande  et    belle   châsse  dans 


turc  en  argei\t  estam|)é  de  llourettes. 

Au-dessus  des  liuMires,  sur  chacune 
des  plaques,  on  lit  dans  un  carlouche 
les  noms  de  deux  i)uissantes  familles  de 
Home,  celle  des  .Nicomaques  et  celle 
des  Symmat|ues,  dont  plusieurs  mem- 
bres conlraetèrcnt  des  alliances,  nolani- 
ment  à  la  lin  du  i\''  et  lout  an  com- 
mencement du  V"  siècle  {-lOn.  11  semble 
donc  (|ue  l'on  ne  puisse  les  faire  remon- 
ler   au   delà   de   celte   époque;  mai»  en 


Liis   i\oini:s   DU  ml'ski:  di;  ci.i  n^ 


se    rame- 


supposant  même  qu'elles  aient  été  exé- 
cutées ;i  l'occasion  d'un  de  ces  deux  ma- 
riages, le  grand  slyle  des  ligures,  la  no- 
blesso  des  altitudes,  lélégance  et  la  dis- 
position des  draperies  dans  lesquelles  on 
retrouve  une  tradition  de  l'art  classique, 
prouveraient  qu'elles  ont  été  copiées  sur 
des  modèles  de  beaucoup  antérieurs. 

Mais,  ce  qui  est  hors  de  doute,  c'est 
(|ue,  réunies  autrefois,  elles  formaient 
un  i<  diptyque  ». 

On  nommait  ainsi,  dans  l'antiquité, 
deux  tablettes  de  métal,  de  bois  ou 
d  ivoire,  qui,  reliées  ensemble  par  des 
anneaux  ou  une  charnière 
naient,  se  pliaient  lune 
sur  l'autre;  les  faces  in- 
térieures, enduites  de 
cire,  étaient  destinées  à 
recevoir  l'empreinte  du 
«  style  ".  C'était,  en 
réalité,  une  sorte  de 
carnet  très  simple  qui 
servait  pour  la  corres- 
pondance, la  comptabi- 
lité, etc. 

Mais,  à  coté  de  ces 
diptyques  d'usage  cou- 
rant, la  coutume  s'éta- 
blit, vers  le  v"  siècle  de 
notre  ère,  de  faire  con- 
fectionner des  diptyques 
de  luxe,  généralement  eu 
ivoire,  rehaussés  de 
sculptures  en  relief  et. 
quelquefois,  très  riche- 
ment montés  en  or,  que 
l'on  oirrail  en  cadeaux  à 
l'occasion  d  un  événe- 
ment heureux  dont  on 
voulait  consacrer  le  sou- 
venir, ("es  diptyques 
étaient  de  deux  sortes  : 
les  diptj'ques  des  parli- 
culiers  (c  est  à  cette 
classe  qu'appartenait  ce- 
lui dont  nous  venons  de 
décrire  les  deux  plaques  , 
et  les  diptyques  consu- 
laires qui  étaient  envoyés 
XIII.  —  20. 


Wi 


Fit:.  3.  —  Fo  , 
ii'Areobiudu>,    '.onsul 
tantinople  en  ôOfl. 


par  les  consuls  à  leurs  parents,  à  leurs 
amis,  à  l'empereur  même,  le  jour  de  leur 
installation.  Bien  (jue  marquant  par  leur 
style  et  leur  exécution,  souvent  lourde 
et  maladroite,  uhe  époque  de  décadence 
artistique  très  prononcée,  ces  dipty- 
ques dont  on  connaît  actucllemenl 
quatre-  vingt-douze  feuillets  ou  tablettes, 
accouplés  ou  détachés,  mutilés  ou  in- 
tacts, sont  précieux  par  les  renseigne- 
ments qu'ils  nous  donnent  sur  l'histoire 
du  Bas-Empire.  Les  plus  intéressants 
sont  certainement  ceux  qui,  comme  la 
feuille  du  diptyque  consulaire  que  re 
produit  notre  gravure  (ig.  .'i),  repré- 
sentent le  consul  rem- 
plis.sant  une  des  fonc- 
tions les  plus  brillantes 
de  celte  magistrature 
toute  d'apparal,  celle  où. 
dans  sa  loge  du  cirque, 
il  préside  un  combat  de 
gladialeursou  une  course 
de  chars.  Assis  sur  la 
chaise  curule  —  sella  cu- 
rults  —  ornée  de  grifTes 
et  de  mulles  de  lions,  il 
tient  dans  la  main  droite 
la  mappa.  sorte  de  litige 
qui  lui  servait  à  donner 
le  signal,  et,  dans  la 
gauche,  un  sceptre  ter- 
miné par  un  aigle  en- 
touré d'une  couronne  de 
lauriers,  et  surmonté  de 
limage  de  l'empereur 
debout:  derrière  lui  se 
tiennent  deux  person- 
nages imberbes  :  au- 
dessous,  est  ligurée  l'une 
des  tribunes  du  cirque 
occupée  pai-  des  person- 
nages vus  il  mi-corps  et 
regardant  dans  l'arène 
un  combat  degladiateui'S 
contre  des  ours  parmi 
lesquels  se  trouvent  un 
cheval  au  galop  et  un 
lion  terrassant  un  tau- 
reau ;   à   la   partie  snpé- 


1)1      MLSi;fc:    1>E    CI.INV 


muâjX^m'mm^m 


-i=^î   -v^ 


H      ^^^ 


"^l^iyt!'!''^^ 


d'un  coffret  italo-byzantin  du  viiH'  ;ui  I.\«  sii-cle  provenant  (it-  Vulterr.i 


rieure,  dans  un  carlouclie  placé  au- 
dessus  de  l'arc  en  maçonnerie  sous  le- 
quel se  lient  le  consul,  une  inscription 
qui  complète  celle  qui  se  trouve  sur  le 
premier  feuillet  de  ce  diptyque  et  qui 
porte  le  nom  de  Flavius  Arcobindus, 
consul  à  Coustantinople  en  l'année  506. 
Parmi  les  objets  usuels,  moins  pré- 
cieux au  point  de  vue  de  l'histoire  et 
du  costume  aussi  bien  que  de  la  ma- 
tière, mais  qui  n'en  olFrent  pas  moins 
un  assez  grand  intérêt,  nous  signalerons 
un  grand  coffret  qui  faisait,  il  y  a  quel- 
([ues  années,  partie  de  la  célèbre  collec- 
tion Spilzer.  Ces  sortes  de  coffrets 
composés  de  plaques  d'os  assemblées  au 
moyen  de  chevilles,  ou  simplement  col- 
lées sur  un  bâti  en  bois,  devaient  être 
d'un  usage  assez  commun  aux  \m''  et 
IV''  siècles;  la  matière,  en  tout  cas, 
prouverait  que  ce  n'était  pas  des  objets 
de  grand  luxe  et  la  décoration  en  est 
généralement  peu  variée.  De  forme  rec- 
tangulaire, ils  étaient,  soit  à  couvercle  en 
dos  d'âne,  avec  serrure  placée  à  la  partie 
antérieure,  soit  à  couvercle  plat  fermant 
il  coulisse  comme  celui  que  nous  repré- 
sentons (fig.  i),  et  qui  est  certainement 
un  des  pins  importants  de  ce  gciu-e. 
Sur  le  couvercle,  dans  une  bande  bordée 
d'un  chapelet  de  perles,  on  voit  repré- 
senté un  combat  entre  des  fantassins  et 
<las    cavaliers    dont    plusicin's.    d'a|u-cs 


leurs  costumes,  sont  vraisemblablement 
des  Sarrasins  ;  sur  les  côtés,  composés 
de  plaques  rectangulaires,  on  reconnaît 
Hercule  portant  la  peau  du  lion  de 
Némée,  des  combattants  du  cirque  el 
des  belluaires  terrassés  par  des  bêtes 
féroces.  Tous  ces  sujets  empruntés  évi- 
demment à  des 
scènes  d'hip- 
podrome, sont 
entourés  de 
frises  décorées 
de  rosaces  al- 
ternant avec 
des  têtes  de 
profil.  Ce  col- 
fret  dont  l'exé- 
cution prouve 
une  certaine 
habileté  de 
main.maisqni 
dénote  cepei.- 
dant  un  arl  de 
décadence, 
f)rovenait  de 
N'ollerra  el 
semble  être  de 
travail  italo- 
byzantin. 

P  a  r  mi   le  s 
i  voires      d  n 

x"  siècle  est  une  phicpie  lelèbn 
fois  publiée    el   sur  la(|nelle  o 


^ 


Fig:.  5.  —  Plaque  (couwr- 
turc  d'dvangOliairp  ?)  re- 
pr&ontjnl  le  mariage 
rt'Otlioii  II.  empereur 
a'Occidcnt  i'.tT;i-!i!<.'i)  et 
de  Theoplwrio.  fille  de 
Romain  II.  empereur 
.l'Orient. 


(len  (les 
a  beau- 


i,i;s   iv()ii(i:>   Dr    miséh   dk   ci.i  nv 


coup  écrit  et  longuement  discuté  fig.  3  . 
De  style  absolument  byzantin,  cette 
plaque,  de  0'",  H)  de  hauteur,  représente 
le  mariage  d'Othon  11,  empereur  d'Occi- 
dent avec  Theophano,  fdle  de  Uomain  II, 
empereur  d'(_)rienl,  en  U73.  Debout  sous 
un  édicule  supporté   [lar   de   grêles   co- 


Auguslus  et  TEOPIIANO  IMP  era- 
IrixAr.  Augustaj,  eic,  et,  d'autre  part, 
l'incorrection  de  la  date  it37  qui  peut 
n'être  due  qu'à  une  interposition  de 
chiffres  973  .  Quoi  qu'il  en  soit,  cette 
plaque  qui  a  probablement  servi  de 
couverture  à  un   évani^éiiaire.  est  d'un 


.-<  ./^.V^:  ^^  ^_V>!tV^^^V--=A,^^^ 


—  Châsse  provenant  du  trésor  de  l'alibaye  de  Saint-ïved  de  Braisne-sur-Vesle  i^xil''  siècle). 


lonnes  torses,  le  Christ  couronne  Othon 
et  Theophano,  beaucoup  plus  petits  que 
lui,  richement  vêtus  de  dalmatiques 
brodées,  et  se  tenant  à  sa  droite  et  à  sa 
gauche,  debout  sur  des  escabeaux  moins 
élevés  que  celui  sur  lequel  se  tient  le 
Sauveur;  aux  pieds  de  l'empereur  est 
prosterné  un  personnage  barbu  que  l'on 
croit  être  le  donateur  du  bas-reliel".  Ce 
qui  a  surtout  provoqué  des  discussions, 
ce  sont,  d'une  part,  les  inscriptions  en 
caractères  moitié  grecs  et  moitié  latins  : 
OTTO    LMP   eraior    lloM.A.\o;\"n)    Ac. 


beau  caractère  et  peut  être  considérée 
comme  un  des  principaux  monuments 
de  cette  époque  que  possède  le  musée 
de  Cluny. 

Pendant  toute  cette  période,  du  reste, 
les  (cuvres  des  ivoiriers  de  l'empire 
d'Occident  ne  sont  pas  très  rares  et  le 
musée  de  Cluny  en  possède  plusieurs 
que  nous  devons  signaler.  Telles  sont, 
entre  autres,  une  \'ierge  portant  sur  ses 
genoux  l'Enfant  Jésus  n"  1037:,  travail 
français  du  \''  siècle;  un  u  tau  »  trouvé 
dans   le   tombeau    de    Morard.    abbé   de 


LES    IVUIKKS     1)1      MUSKK    DK    (J.LN^ 


Sainl-Germain-des-Prés  de  ^191)  à  101  i 
n"  1047);  deux  plaques  à  douille  face 
représenlanl,  d'un  coté,  des  sujets  my- 
thologiques, et,  de  l'autre,  des  sujets 
chrétiens  (n"*  lOil  et  1042)  et  la  curieuse 
plaque  de  la  Crucifixion,  provenant  de 
la  collection  Spitzer,  sur  laquelle  on 
voit  le  Christ  imberbe  vêtu  d'une 
lon;;ue  tunique  et  attaché  sur  une  croix 
au  bas  de  laquelle  se  trouvent  la  \'ier;;o 
et  saint  Jean,  ainsi  que  les  saintes 
Femmes  au  tombeau  ;  au-dessus,  dans 
l'angle  de  droite,   l'artiste  a  représenté 


Tiiptyque  pioveuant  de  Saint-Sn'pice  iT.in.)  (xiv<  fiicle). 


I  Ascension,  dans  celui  de  gauche  le 
C.hrisl  c(  de  majesté  »  entouré  des  atlri- 
iiuts  des  quatre  évangélisles. 

A  dater  du  vu"  siècle,  les  ivoires  dc- 
\icnnent  moins  rares  et  la  France,  là 
encore,   commence   à   aflii-mcr  sa  supé- 


riorité. Ce  n'est  pas  à  dire,  cependant, 
qu'il  faille  attribuer  à  des  sculpteurs 
français  tous  les  monuments  de  ce  genre 
recueillis  en  France;  beaucoup,  certai- 
nement, venaient  d'Orient,  mais  une 
grande  incertitude  règne  encore  à  cet 
égard.  C'est  ainsi  que  l'origine  de  la 
belle  châsse  provenant  de  l'ancien  tré- 
soi-  de  l'abbaye  de  Saint-^'ved  de  Braisne- 
sur-\'esle,  dans  l'arrondissement  de 
Soissons,  considérée  juscju'à  présent 
comme  travail  français,  a  été  derniè- 
rement contestée.  Nous  laissons  aux 
archéologues  le 
soin  de  détermi- 
ner si,  comme  on 
l'a  avance,  elle 
doit  être  altri 
buée  à  un  atelier 
de  Conslantino- 
ple  qui  envovail 
SCS  produits  dans 
toute  la  chrétien- 
lé,  ou  si  elle  est 
réellement  fran- 
çaise, nous  bor- 
nant, dans  ce  ra- 
pide examen,  à 
décrire  celle  belle 
])ièce  du  style 
roman  le  plus 
pur  fig.  6).  Lon- 
gue de  (I"'.:î6,  la 
châsse  de  sainl 
'^'ved  en  forme 
de  coffret  rectan- 
gulaire à  couver- 
cle en  loil,  est 
décorée  sur  ses 
faces  de  qua- 
rante-deux ligu- 
res en  relief  pla- 
cées sous  des  ar- 
cades que  sou- 
tiennent dos  pilastres  à  bases  et  à  cha- 
piteaux cl  ((lie  séparent  tles  petites 
tours  crénelées.  Au  centre  de  la  face 
principale,  sous  la  serrure,  on  voit  un 
ange  aile  qui  lienl  un  encensoir  de  la 
main    l'iiiicIic   cM     bruit   de  la  droite;    à 


Li:S    IVdlItKS    1>V     MISK1-;     l)K    C.l.l'NV 


<lioile  sont  hi  Vierge  et  riinfaiit  Jésus, 
saint  Joseph  el  saint  Siméonetà  f;auche 
les  trois  rois  mages,  (laspard  (dont  l'ar- 
liste  a  écrit  le  nom  Gkspas),  Halthazar 
el  Melchior,  portant  les  présents  desti- 
nés au  Fils  de  Dieu.  Sur  la  l'ace  oppo- 
sée, le  Christ  occupe  la  place  du  milieu  : 
sa  tête  est  ceinte  du  diadème  :  d  une 
main,  il  tient  le  livre  des  Evangiles  et. 
de  l'autre,  il  bénit  le  monde.  A  ses  cotés 
ainsi  qu'aux  deu\  extrémités  de  la 
châsse  sont  figurés  ses  apôtres  et  ses 
<lisciples,  portant  chacun,  au-dessus 
«l'eux,  son  nom  gravé  en  creux.  Le  cou- 
vercle est  décoré,  sur  les  deux  faces,  des 
figures  des  prophètes  et  des  rois,  et  sur 
les  côtés,  de  celles  d'Adam  et  de  Noé 
entre  l'ange  Michel  et  l'ange  (iabriel,  et 
(le  Jonas  et  de  Jessé  entre  l'ange  Ché- 
rubin et  l'ange  Raphaël;  chacun  de  ces 
personnages  porte  une  banderole  ;i  son 
nom.  Ce  beau  reliquaire,  déposé  dans 
l,i  chapelle  sépulcrale  de  l'abbé  Harthé- 
lemv  quand  elle  fut  détruite  en  I7il.'{, 
ciintenait  les  reliques  de  saint  Harnahé. 
de  saint  Lucas  el  de  saint  Xicaise,  était 
ibrt  vénéré  des  populations. 

.\ux  xin'',  XIV''  et  xv*  siècles,  l'art  des 
ivoiriers,  surtout  en  France,  a  produit 
de  véritables  merveilles.  Les  tableaux 
en  ivoire  ornent  les  oratoires  et  les  cha- 
pelles particulières.  C'est  l'époque  des 
diptyques  et  des  triptyques  dans  les- 
quels l'architecture  domine  avec  toute 
sa  richesse  et  sa  belle  ordonnance,  for- 
mant un  cadre  monumental  aux  sujets 
représentés  et  les  coordonnant  pour 
ainsi  dire.  Le  musée  de  Cluny  possède 
on  ce  genre  plusieurs  spécimens  pré- 
cieux, dont  le  plus  délicat  comme  tra- 
vail et  le  plus  remarquable  au  point  de 
vue   de  l'art  provient  de  Saint-Sulpice 

Tarn  ,  et  qui  représente,  comme  la  plu- 
part des  petits  monuments  semblables 
de  cette  époque,  des  scènes  empruntées 
à  la  naissance  et  à  la  Passion  du  Christ 

lig.  7  .  Ces  sortes  de  triptyques,  dési- 
gnés au  moyen  âge  sous  le  nom  de 
'.    tableaux  cloants  »   (ou,  simplement, 

•  cloants  "  ,  désignation  absolument  ou- 


bliée   aujourd'hui,   étaient  souvent   re- 
haussés de  couleur  et  d'oi-. 

Les  tableaux  en  ivoire  qui  décoraient 
les  chapelles   n'étaient    pas   toujours  on 


Fig.    8.  —    La   Vierge    portant    l'Enfant  Jésius 
Ivoire  françî^s,  xiv  siècle.  (Haut.  0",50.) 


forme  de  triptyques  ou  de  diptyques  ; 
parfois  c'étaient  de  véritables  tableaux, 
sortes  de  retables,  comme  ceux  qui  sont 
inscrits  au  musée  de  Cluny  sous  les 
n"*    1079   et    1080    et   qui    ne    mesurent 


l.liS     I\(ill!l-. 


Ml   SEK    1)1-:    I.I.IN^ 


Fi^r.  ',».  —  I.:i  Vierge  port:mt  l'Enfant  Jésus. 
Ivoire  français  (lin  du  XIV»  siècle). 

|iii~  moins  de  l"',3H  sur  0"',(i(l.  (les 
<leii\  luljleaiix,  désignés  sous  le  nom 
(I ' ' )r;i luirv.i  de.i  dackessex de  Bourijor/nc, 
|iri>viennenl  de  l'ancienne  Chnrlreusc 
de  Dijon.  Ils  représentent,  en  quinze 
sujets,  l'un,  dos  scène.s  de  hi  vie  de 
saint  .lean,  l'iuilre,  la  vie  et  la  Pas- 
sion (in  (>lirist.  Dans  les  rej^istrcs  de 
l'ancienne  Chartreuse,  déposés  aujom-- 
d'Iuii     aux    archives    de    la     (!ole-d'(,)r, 


■  in  trouve,  à  la  date  de  l'M'2,  la  nien- 
liiin  suivante  :  ■■  Pavé  .JOO  livres  à 
lierthelot-lléliot,  varlet  de  chambre  du 
(lue,  pour  deux  f;ranl  tableaux  à  yniaiges 
d'ivoire,  dont  l'un  d'iceulx  est  la  Pas- 
sion de  Xolre-Seiifiieui  et  l'aullre,  In 
Vie  de  monsieur  Satnt-Jean-Bapliste, 
<|ui  les  a  vendus  pour  les  Chartreux...  » 
(Juni  que  I  on   en   ait  dit,    llélnil   n'était 


lii.  —  .Sainte  Catlicvine.  Ivoire  fiaui;.' 
(xv«  siècle). 


certainement  que  le  \e 
l'auteur  de  ces  tableaux 
travail  italien. 


ndenr    et     non 


IVOIliKS    DU     MISK1-;    DK    CI.LNV 


Avec  les  tableaux  des  chii- 
pelles  et  des  oratoires,  ce 
qui  domine  dans  les  œuvres 
des  ivoiriers  des  xin"  au 
w''  siècles,  ce  sont  les  repré- 
sentations de  la  N'ierye, 
debout  ou  assise,  tenant 
l'Enfant  .lésus  dans  ses 
bras.  Le  musée  de  Cluny 
est  particulièrement  riche 
de  ces  iigurines,  les  unes 
conservant  l'attitude  simple, 
roide  et,  pour  ainsi  dire, 
hiératique  des  sculptures 
de  l'époque  romane,  les  au- 
tres, accusant,  surtout  à 
dater  du  milieu  du  xiv"  siè- 
cle, une  sorte"  de  natura- 
lisme qui  était  poussé  par- 
fois jusqu'à  un  réalisme  un 
peu  maniéré  lit;.  9  .  Parmi 
les  plus  remarquables,  nous 
citerons  surtout  la  Vierge 
assise  sur  un  siège  d'archi- 
tecture gothique,  bel  ivoire 
rehaussé  de  fleurons  et  de 
bordures  dorées  n  "  1061  ,  et 
la  grande  statuette,  malheu- 
reusement mutilée  n"  10S7 
que  reproduit  notre  gra- 
vure .fig.  8  et  qui  ne  me- 
sure pas  moins  de  0"',50. 
Les  figures  de  saints  et  de 
saintes  sont  beaucoup  plus 
rares;  l'une  des  plus  belles 
et  des  plus  intéressantes  de 
cette  série  est  certainement 
la  Sainte  Catherine  fig.  10  . 
que  possède  également  le 
musée  de  Cluny.  .\ssise  sur 
un  siège  délicatement 
sculpté  à  jour,  la  sainte, 
dont  la  figure  est  douce  et 
souriante,  est  vêtue  d'une 
longue  robe  recouverte  d'un 
manteau  qu  une  agrafe  rat- 
tache sur  la  poitrine;  elle 
foule  aux  pieds  une  figure 

d'empereur  et  montre  du  doigt  la  roue   ,    Les   draperies,   d'une   gran<le  élé^^ance. 
dentée,    instrument    de    son    martvre.   1   sont  traitées  avec  une   science   et    une 


Fig.  11.  —  Crosse  à  lioable  face,  représentant,  d'un  cù 
Vierge  et  l'Enfant  Jésus  entre  les  anges,  et  de  l'autre  le 
Christ  en  croix  entre  Marie  et  saint  Jean  (fin  dn  xiv«  siècle). 
Monture  en  cuivre  doré  du  xv^  siècle. 


i.KS   i\oiui:s  DU  Ml' SKI';  ui-:  ci.i'w 


liabiletii  que  l'on  rencontre  rarement 
dans  les  travaux  des  ivoiriers  de  celte 
époque. 

Certaines     pièces     <Ui     niol)ilicr    des 
l'fîlises  étaient  égalenieiil  en  ivoire;   do 


Fig.  12.  —  Boite  h  miroir  décorée  de  sujets  tirés  de.s  romau,^ 
de  chevalerie  .iver  figures  chimériques  formant  angles 
(xv«  siècle). 


te  nombre  étaient  souvent  les  crosses 
et  les  bâtons  pastoraux  d  évoques  ou 
d'abbés.  Outre  le  lati  trouvé  dans  la 
tombe  de  Morard.  abbé  de  Saint-(îer- 
inain-des-Frés,  le  musée  de  Cluny  en 
possède  un  autre  n"  1058  ,  en  buis  et  en 
ivoire,  enrichi  de  pierreries,  composé 
d'une  tifje  d'ivoire  surmontée  d'un  cha- 
piteau couronné  par  un  lion  en  ronde 
bosse;  le  sujet  principal,  en  ivoire  éga- 
lement, représente  t|uatre  personna^^es, 
dont  l'un  en  costume  épiscopal  donne 
la  consécration  à  un  abbi'  ajfenouillé 
devant  lui  ;  une  inscrii)tion  latine  est 
découpée  en  beau\  caractères  du  temps 
sur  les  rondelles  de  la  tige.  .\  coté  de  ce 
monument  si  remarquable  du  \ni'' siècle, 
le  musée  possède  aussi  deux  belles  crosses, 
dont  l'une  (n"  I0()7,  (ig.  1 1  !,  du  xn'siècle, 
est  à  double  face;  on  v  voit,   d'un  côté, 


la  \'ierge  et  l'Enfant  Jésus  entre  les 
anges,  et,  de  l'autre,  le  ('hrist  en  croix 
entre  Marie  et  saint  Jean;  l'enroule- 
ment, formé  par  une  branche  de  feuilles 
de  lierre,  est  soutenu  par  un  ange  en  ado- 
ration ;  c-etle  belle  crosse  a 
conservé  sa  monture  en  cui- 
vre doré  datant  du  siècle  sui- 
vant. 

I, 'ivoire  servait  aussi  à 
1  xéculer  des  objets  purement 
civils.  De  ce  nombre  étaient 
les  troussequins  de  selles, 
dont  le  Louvre  possède  un 
lemarquable  et  rarissime  spé- 
cimen, autrefois  dans  la  col- 
lection Spiizer,  elles  olifants, 
sortes  de  cornes  de  grande 
dimension,  garnies  de  viroles 
de  métal  pour  les  suspendre 
au  côté.  L'olifant,  marque 
distinctive  de  commandement 
ou  de  dignité,  servait  à  don- 
ner des  signaux,  à  annoncer 
l'approche  de  l'ennemi,  à  ral- 
lier les  troupes  : 

Un^  olifant  sonna,  se.-*  gens  vers  M 
Et  leur  dit:  séguoz  moi...  [ralic 
[Gérard  de  Itoussillon, 
poème  du  xni«  siècle). 

Les  olifants  étaient  richement  décorés 
de  sculptures  représentant  le  plus  sou- 
\enl  des  chasses.  Us  sont  assez  rares  et 


Fig.  13.  —  Peigne  &  double  face,  repré.'<entanl. 
d'un  côte  V  Annonciation,  et  de  l'autre  VAdora- 
lion  des  mages.  Travail  italien  (?)   —  (xv«s.). 


LK 


I  VII  11!  V. 


1)1-   MisKi-:   i)i;  c.i.rw 


313 


peu  de  musées  en  possèdent;  quelques 
•  trésors  »  d"églises  en  oui  conservé 
qui  avaient  été  probablemenl  donnés 
comme  ex-voto. 

Ce  que  l'on  trouve  plu^  fréquemment, 
ce  sont  les  boites 


colTrets,  les  tablettes  à  écrire,  composées 
tle  deux,  et  quelquefois  de  plusieurs 
feuillets  réunis  ci  leur  partie  su])érieure 
par  une  lige  métallique  formant  pivot 
el    cieu-^és  avec  un  rebord,  de  façon  ;i 


de  miroirs;  jus- 
<pi  à  la  lin  du 
\\ "  siècle  l'usage 
élait,  pour  les 
daines,  de  porter 
jiendus  à  la  cein- 
ture, de  petits 
miroirs  composés 
d'une  plaque  de 
métal  poli  enfer- 
nii'c  dans  une 
boile  d'ivoire,  de 
bois  de  poirier, 
el,  quelquefois, 
tl  or  ou  d'argent  ; 
sur  l'une  des  faces 
était  fixée  la  pla- 
que de  mêlai  ; 
l'autre  formait  le 
cou\ercle(lig.I2i. 
<^es  boîtes  étaient 
j;énéralemeni  dé- 
corées de  sculp- 
tures en  relief 
assez  largement 
traitéesetbien  in- 
férieures comme 
art  et  comme  exé- 
cution à  celles 
des  ivoires  a  su- 
jets religieux.  Ces 
sculiitures  repré- 
sentaient le  plus 
souvent  des  scè- 
nes empruntées 
aux  romans  de 
chevalerie ,  des 
i-lievauchées,   ou 

des  jeunes  gens  des  deu\  sexes  s'em- 
brassant  ou  se  couronnant  de  Heurs  ; 
un  sujel  que  les  ivoiriers  paraissent  avoir 
alfectionné  est  1'  »  .Allaqiie  du  château 
<r.Amour  défendu  par  des  demoiselles  >■. 
1!  convient  de  citer  également,  outre  les 


Fig. 


Ketable  en  fuimo  de  tii]it_vque.  Travail  italien  dit  citti 
(xve  siècle). 


I  recevoir  une  couche  de  cire  destinée  à 
I  récriture  n"  1  lO.'?),  les  styles  à  écrire 
n"  l(l()8i,  les  manches  de  couteaux 
in"'-  Ill'J,  ll'27i,  les  pièces  de  jeux 
d'échecs,  les  pendants  de  ceintures  et 
les    peignes.    Ces    derniers    étaient    de 


ELS     1\0I1(1,S    m      MLSKK    DK    Cl. IN'» 


Fif.'.  15.—  L:ï  Vierge  et  lEnfnnt  J.'Sii'i  fwi'^  .... 

Inrinc  l'cclangulaire,  à  deux  r;iiif(s  do 
(loiits,  les  unes  fines,  les  autres  grosses, 
sépai'és  par  une  frise  sculptée  sur  les 
deux  faces,  et  portaient  aux  extrémités 
deux  montants  verticaux  le  longdesquels 
se  déroulent  des  tiges  de  fleurs.  D'un 
relief  très  peu  accentué,  ces  peignes  sont, 
le  plus  souvent,  d'un  travail  très  mé- 
diocre et  les  sujets  qu'ils  représentent 
sont  peu  variés,  si  l'on  en  juge  par  le 
peigne  du  musée  de  Cluny  (ig.  I.'iet 
par  celui  du  musée  du  Louvre  }i"  l.'^n  . 
Tous  les  deux  rej)roduispnl,  d'un  n'ili'. 
\'A(J(ir;iliiin  des  rois,  et,  do  I  aulri', 
l'Aiiiiiiiici.iliiin;   le    fond    est    j;udlocii('-. 


Ils    datent    du    w    siècle    et  sont   vrai- 
semblablement de  travail  italien. 

1,'arL  des  ivoiriers,  du  reste,  paraît 
avoir  été  en  pleine  décadence  en  Italie 
à  celte  époque:  il  présente  cependant 
un  caractère  particulier  qu'il  im|)orte 
de  signaler,  ..c'est  l'cncadremenl  des 
sujets  sculptés  sur  ivoire,  ou  le  plus 
souvent  sur  os,  dans  des  borilurcs 
rehaussées  d  incrustations  polychromes 
de  bois  et  d'ivoire,  formant  ainsi  une 
marqueterie  à  laquelle  on  a  donné  le 
nom  de  cerlosina  —   ■  alla  ccrtosina  ••  — 


l'^ig.  lii.  —   l'oiie   il   l'oiulic  (pnlfi'riit)   en  coiiv 

lepiùiseiitaut  la  Conversion  de  fuinl  /'a«/ 

(xvr  sioole). 

(|ui  indique  (|ue  ce  travail  avait  pris 
naissance  ou  se  faisait  surtout  dans  des 
couvents  de  ( '.harlicus .    I.e  retable,  on 


IVulIiKS     Dr     MISKK     DK     (".I.LN'» 


fiirme  «le  Iriplvque,  que  reproduit  uotre 
i;r;ivure  lif;.  I  i  ,  nialf,'rr  sa  belle  onlon- 
uauci',  ue  donne  pas  une  bien  liante 
idée  du  talent  des  artistes  qui  l'ont  exé- 
cuté. L'extérieur  des  volets  est  décoré 
de  lilets  peints  et  d'écussons  armoriés. 

Mais  les  moines  navaienl  pas  le  mo- 
nopole exclusif  de  ce  travail  de  marque- 
terie cl  le  nombi-e  assez  considérable  de 
colFrets  du  même  f,'enre,  à  sujets  variés 
et,  souvent,  très  profanes,  qui  sont  par- 
venus jusqu'à  nous,  prouve  que  la  cerlv- 
■sina  se  faisait  également  en  dehors  fies 
cou\ents.  Le  musée  de  Cluny  possède 
])lusieurs  de  ces  coll'rets  dont  un,  de 
forme  octogonale  'n"  l(l.">(i  ,  représente 
plusieurs  scènes  d'un  roman  de  chevale- 
rie rappelant  l'histoiie  de  la  con(|uêti' 
de  la  Toison  d'or;  peut-être  même  est-ce 
le  mvthe  de  Jason  que  l'artiste  a  voulu 
traduire,  bien  que  les  personnages  por- 
tent le  costume  de  la  lin  du  xn'  ou  du 
I  •immencement  du  xv"  siècle. 

A  dater  du  xvi'^  siècle,  la  sculpture 
sur  ivoire,  aussi  bien  en  France  qu'à 
l'étranger,  est  de  peu  de  valeur  et 
de\ienl  un  métier;  la  facture  dénote 
toujours  une  grande  habileté  de  main, 
mais  tout  caractère  d'art  a  générale- 
ment disparu.  L'ivoire  semble  n'avoir 
plus  été  beaucoup  à  la  mode  et  les 
objets  en  cette  matière  qui  sont  par- 
venus jusqu'à  nous,  à  lexception  des 
crucilix  qui  avaient  remplacé  les  vier^s 
si  recherchées  et  si  communes  aux 
siècles  précédents,  et  de  c(uelques  pièces 
([ue  nous  signalerons  plus  loin,  sont 
tous  d  usage  courant.  Du  xm''  siècle,  ce 
que  nos  musées  possèdent  ce  sont,  sur- 
tout, les  poires  à  pondre  pnivérins  en 
ciirne  de  cerfs  et  couvei-ts  le  plus  son- 
\  ent  de  sujets  à  nombreux  personnages. 
(]clui  (|ue  représente  notre  gravure 
llg.  1(>  ,  bifurqué  à  sa  partie  inférieure 
et  ayant  conservé  sa  monture  en  métal, 
est  orné,  en  plein,  d'un  bas-relief  repré- 
sentant la  conversion  de  saint  Paul  et 
portant  linscription  :  Saule,  saule,  quid 
me  persequens?  Domine  quid  me  vis 
facere  ?    La    collection    du     musée    de 


Fig.  17.  —  Groupe  représentant  la  Vertu  châtiant 
le  Vice  (?),  attribué  à  Jean  de  Bologne  fcom- 
meueement  du  xvii°  sièclel. 


("luny  compte  plusieurs  autres  objets 
semblables,  mais  celui  que  nous  repro- 
duisons est  certainement  le  plus  remar- 
quable de  cette  série. 

Nous  nous  bornerons  à  signaler  les 
objets  de  moindre  importance,  malgré 
l'intérêt  que  beaucoup  d'entre  eux  pré- 
sentent  aux  visiteurs,  statuettes,   râpes 


I.ICS     IVollîK 


iir    \irsi:K   i>i-:  ci.r.w 


;i  tabac,  chausse-pieds, 
manches  de  ouleaux, 
<lrageoirs,  etc.,  poui' 
nous  arrêter  à  quelques 
pièces  plus  sérieuses  en 
tête  desquelles  nous 
mentionnerons  surtout 
un  fjroupe  d'une  belle 
l'acture  {i\g.  17 j  repré- 
sentant une  jeune 
l'cmme  frappant  un 
esclave  af^enouillé,  ou, 
d'après  la  désignation 
jiortée  au  catain^'ue 
in°\\\^\,La  Vertu  chA- 
liaril  le  Vice.  Si  l'on 
peut  admettre  cette  dé- 
siffnation,  il  n'en  est 
j)as  (le  même  de  l'at- 
tribution qui  en  a  été 
faite  par  Du  Somnie- 
rard  à  Jean  de  Holojj^ne. 
11  existe  évidemment 
une  certaine  ressem- 
blance de  style  entre 
les  jietits  bronzes  con- 
nus de  ce  célèbre  sculp- 
teur et  le  f;rnupe  du 
musée  de  Cluny,  mais 
lien  ne  jïrouve  que, 
ni  lui,  ni  son  élève 
l'ranclievillelautpiel  on 
l'a  éL,'alenienl  attribué, 
sculpté  l'ivoii-c. 

P.ir  ciuitix-,  Il  semble  qu'il  ne  |)uisse 
\  avoir  aucun  doute  pour  la  charmante 
ligurine  (lîf;.  1,S)  —  que  le  catalogue 
désigne,  à  tort,  croyons-nous,  sous  le 
nom  de  V/nsouciance  dit  jeune  Age  — 
donnée  à  Duquesnoy,  plus  connu  sous 
If  nnm  de  François  Flamand,  qui  tra- 
vaillait I  ivoire  aussi  bien  que  le  marbre, 
vl  dans  la([uellc  on  retrouve  toutes    les 


.^.  l^i.  —  h' /iisûitciancc  dn  jeune  à(/f 
figurine  par  Duquesnoy.  dit  Fran 
çois  Flamand  i.wn"  siùcle^. 


aient     jamais 


qualités  de  grâce  et  de 
liiiesse  (lu  modelé  qui 
distinguent  les  œuvres 
de  cet  artiste,  non  plus 
que  pour  l'attribution  à 
son  compatriote,  Gé- 
rard van  Opslal  ou 
Obstal,  d'Anvers,  qui, 
ainsi  (|ue  lui,  se  fit 
d'abord  une  certaine 
réputation  comme 
sculpteur  sur  ivoire, 
du  beau  bas-relief  re- 
présentant une  <i  femme 
trayant  une  chèvre  que 
tiennent  des  enfants», 
(cuvre  du  plus  pur  style 
llaniand. 


Nous  avons  cherché, 
dans  les  pages  précé- 
dentes, à  étudier  les 
diverses  séries  qui  com- 
posent la  riche  collec- 
tion des  ivoires  du  mu- 
sée de  (iluny  et  à  si- 
gnaler plus  particuliè- 
rement les  a-uvres  les 
plus  importantes  au 
jioint  de  vue  de  l'art 
ou  de  l'histoire.  Il  est  certainement 
-^  en  dehors  môme  du  Louvre  —  des 
musées  qui  possèdent  des  ix-uvres  de 
plus  grande  rareté  et  de  plus  haute 
valeur,  mais  il  n'en  est  pas  tpii  puissent 
en  offrir  un  ensemble  aussi  complet  et 
aussi  intéressant  pour  h^  public  aussi 
bien  que  pour  les  érudits  et  les  artistes. 

Imku'  \n\>    (i  \  I!  M  I  n. 


ONSTRUCTION      t)  '  U  N     PONT      DE     II  A  TE  A  I\ 


PONTS    MILITAI  UKS 


Le  passage  des  cours  d'eau  a  l'ait 
1  objet,  de  tous  temps,  d'une  des  prin- 
cipales préoccupalions  des  techniciens  ; 
ils  se  sont  elForcés  de  surmonter  un 
obstacle  qui  s'oppose  ;\  la  marche  et  aux 
manœuvres  des  troupes,  car  le  premier 
soin  de  la  défensive  est  de  détruire  les 
ponts  fixes  pour  entraver  la  poursuite, 
et,  aujourd'hui  surtout,  cette  destruc- 
lion  est  grandement  facilitée  par  les 
nouveaux  explosifs. 

L'armée  possède  des  équipages  de 
]ionts  qui  se  composent  de  bateaux  ou 
de  pontons  transportés  sur  des  baquets; 
lorsqu'on  les  a  mis  à  l'eau,  on  jette  de 
l'un  à  l'autre  un  tablier  qui  les  réunit 
tout  en  maintenant  entre  eux  un  certain 
écartement  ;  ils  constituent  en  quelque 
sorte  des  piles  de  ponts  flottantes. 

Il  existe  plusieurs  méthodes  pour 
construire  les  ponts  de  bateaux.  Le  plus 
simple  est  de  procéder  par  bateaux  suc- 
cessifs. On  amène  les  bateaux  un  à  un 
à  la  place  qu'ils  doivent  occuper  dans 
l'axe   du  pont  que  l'on  veut  jeter  d'une 


rive  à  l'autre  cl  (jn  les  y  maintient  fixes 
au  moyen  d  ancres  mouillées  en  amonl 
ou  en  aval  et  de  cordes  Iraversières  atta- 
chées à  des  piquets  d'amarrage  enfoncés 
sur  le  rivage;  on  construit  les  travées  en 
plaçant  des  poutrelles  entre  la  rive  et 
le  premier  bateau,  puis  entre  tous  les 
bateaux  et  on  achève  le  tablier  avec  dos 
madriers. 

Ce  pont  est  facile  à 
construire,  même  par  des 
homme- peu  exerces   Les 


f;  L  É  M  E  X  T  e     E  '  L'  N     PONT     DE    BATEAUX 


l'ONTS    Ml  I.IIA  I  1!  i; 


^^^3^^ 


I,  ANl   E  VEN  T     IM  I. 


\  I  r.s  1  o\    n'  I  N    I  .)\  T    II  ^     ii  \T  F  \  i  \ 


]i(iutouniers  ne  mettent  que  Iruis  mi- 
nutes pour  faire  une  travée  et  une  heure 
pour  jeter  un  pont  do  100  mètres.  En 
commençant  le  pont  par  les  deux  rives, 
on  l'achève  encore  plus  rapidement.  Mais 
cette  méthode  devient  difticile  et  dan- 
};ereuse  quand  l'ennemi  occupe  la  rive 
opposée. 

Quelquelois  les  liateaux  sont  joints 
par  deux  ou  par  trois;  ils  constituent 
ainsi  ce  que  l'on  appelle  une  portière. 
Les  portières  sont  mises  en  place  comme 
dans  la  méthode  précédente  et  réunies 
entre  elles  et  avec  les  rives  par  des  tra- 
vées. On  met  généralement  entre  les 
porlières  un  écartement  de  six  mètres  : 
cette  méthode  abrège  la   mise  en  i)lace. 

Quand  on  procède  par  conversion,  on 
construit  le  ])ont  on  entier  le  long  do  la 
rive  en  amont  du  point  où  le  cours  d'oaii 
doit  être  traversé  ;  la  tète  du  poni  est 
solidement  lixée  à  un  piquet  enfoncé 
dans  la  terre  du  rixage,  et  l'autre  extré- 
milécst  poussée  au  courant  qui  oniraine 


le  pont  tout  d'uno  pièce  dans  un  majes- 
tueux mouvement  de  conversion  jusqu'à 
ce  que  le  dernier  bateau  s'arrête  auprès 
de  la  rive  opposée.  Si  le  pont  a  clé  bien 
construit,  son  extrémité  doit  loucher  la 
rive,  à  quelques  mètres  près.  On  jette  un 
tabliei-  entre  le  dernier  bateau  et  la  rive, 
on  resserre  toutes  les  attaches  pour  assu- 
rer la  rigidité  et  le  |)ont  est  prêt. 

Cette  méthode  permet  de  mettre  le 
pont  de  bateaux  en  place  en  quelques 
minutes  ;  mais  elle  est  délicate  à  em- 
plciyer,  surtout  si  le  courant  est  rapide; 
elle  demande  un  ]iersonnel  exercé. 

On  doit  ralentir  le  mouvement  do 
conversion  au  moyen  do  cordages  main- 
tenus de  la  rivo  et  que  l'on  amarre 
solidement  lorsque  lo  pont  est  jeté,  afin 
d'éviter  (|u'il  no  soit  dol'ormo  ou  cn- 
Ir.iiné  |uir  le  courant. 

I,:i  conversion  peut  être  om])loyée 
avec  |)ro(it  lors(pio  l'onnenii  oci'upe  la 
rive  opposée. 

I.os    ponis   (il'    bateaux   pormelloni  do 


l'ONTS    Mll.n  AlltKS 


franchir  presque  tous  les  cours  d'eau  el 
peuvent  donner  passajje  ;i  toutes  les 
amies. 

Quand,  j)ar  suite  de  circonstances  spé- 
ciales ou  par  défaut  du  matériel,  il  nesl 
pas  possible  de  construire  des  ponts  de 
l)aleaux,  on  a  recours  aux  ponts  de  che- 
\alels.  Ils  sont  faciles  à  établir  dans  les 
cours  d'eau  d'une  profondeur  maximum 
de  3'", 50  et  dont  le  courant  ne  dépasse 
pas    r".30  à  "i  mètres  par  seconde. 

La  construction  d'un  pont  de  cheva- 
lets est,  en  ()rincipe,  une  chose  très 
simple.  Les  chevalets  sont  placés  de 
distance  en  distance  en  travers  du  cours 
d'eau  au  point  oii  il  doit  être  franchi, 
et  des  planches,  jetées  de  l'un  à  l'autre, 
forment  le  tablier  du  pont.  L  écarte- 
nient  entre  les  chevalets  dépend  de  la 
longueur  des  planches  dont  on  dispose 
et  de  la  charge  qu'elles  doivent  supjjor- 
ler.  Pour  les  mettre  en  place,  il  existe 
diverses  méthodes  :  la  plus  employée 
est   celle  dite  des  ■■   lon^rines   ■■.   Deux 


I  des  rouleaux.  I^e  chevalet  est  placé  sur 
leur  extrémité,  du  côté  du   large  :  des 
équipes  de  pontonniers,  les  manœuvrant 
!   par  l'autre  bout,  les  poussent  en  avant 
j  et   portent  ainsi   le   chevalet    à   la    dis- 
I   tance  voulue.  On  descend  celui-ci  dans 
j   l'eau  el  on  l'installe  dans   une  |josition 
convenable   en  soulevant    la   queue   des 
longrines.    Des   poutrelles   sont   ensuite 
placées  sur  la  partie  supérieure  (le  cha- 
peau) des  deux  derniers  che\alets  et  le 
'   tablier  est  posé  sur  ces  poutrelle^. 

En  campagne,  c'est  surtout  en  faisant 
mettre  les  hommes  à  l'eau  qu'on  les  place 
le  plus  rapidement. 

L'établissement  d'un  pont  de  cheva- 
lets demande  que  le  profil  transversal 
des  cours  d'eau  soit  reconnu  au  j)réa- 
lable  par  des  sondages,  et  les  che\  alets 
doivent  être  pour  ainsi  dire  construits 
sur  mesure.  Souvent  ils  ne  possèdent 
pas  un  aplomb  suffisant  avec  un  lit  de 
rivière  qui  peut  présenter  des  dénivel- 
lations, et,  durant  le  passage,  si  le  fond 


m^.^^ 


i-mnt   be    chevalets 


longrines  ou  i)oulrelles  de  S  à  9  mètres 
de  longueur  sont  disposées  de  part  et 
tl'autre  de  l'axe  du  pont  sur  la  partie 
déjà  posée  du  tablier:  elles  reposent  sur 


est  inégalement  résistant,  les  pieds  s  en- 
foncent inégalement  et  jiroduiscnt  des 
déformations  du  tablier  entraînant  ipiel- 
(juefois  la  mise  hors  de  service  du  pont. 


l'oNTS     MILIT.\IHF> 


L'emploi  du  chevalet  Birago  remédie 
en  partie  à  ces  iiiconvéïiienl!'.  li  se  com- 
pose d'un  chapeau  percé  à  ses  deux 
exlrémilés  de  deux  mortaises  inclinées 
dans  lesquelles  on  enfonce  les  pieds  jus- 
i|u"ù  ce  qu'ils  appuient  sur  le  fond.  Des 
cliaînes  de  suspension,  coiffant  l'extré- 
mité supérieure  des  pieds,  les  réunissent 


peuvent  s'allonger  ou  se  raccourcir  ii 
volonté,  suivant  les  besoins,  el  il  csl 
également  possible  de  varier  leur  incli- 
naison. Enlin,  ils  se  posent  immédialc- 
menl  d'aplomb  en  épousant  toutes  les 
dénivellations  du  lit  de  la  rivière. 

Les  ponis  de   bateaux  ou  de  cheva- 
lets, lorsqii  lis  sont  bien  construits,  soiil 


KT  A  BI,  ISSEMEXÏ     D'i'.V     PONT     DE    «HEVALK.  TS 


MÉTHODE     DES    L  O  .V  11  II  I  X  E  .< 


invariablement  au  chapeau.  Cette  dis- 
position permet  de  ponter  le  chevalet  à 
des  hauteurs  variables  et  de  l'asseoir 
convenablement  en  enfonçant  jusqu'à 
refus  les  pieds  dans  leur  mortaise.  L'as- 
siette des  pieds  est  encore  augmentée 
par  l'emploi  de  semelles.  Alin  de  main- 
tenir longitudinalemenl  la  stabilité  du 
poni,  les  poutrelles  jetées  sur  les  che- 
valets pour  recevoir  le  tablier  sont  mu- 
nies de  grilfes  empêchant  le  renverse- 
ment de  ces  supports. 

Le  chevalet  Birago  n'oppose  au  cou- 
rant qu'un  pied  étroit  dans  le  sens 
transversal,  mais  il  a  l'inconvénient  de 
n'avoir  |)ar  lui-même  aucune  stabilité  et 
d'exiger  l'emploi  de  poutrelles  à  grilfes. 

Dernièrement,  M.  Pfund  a  perfec- 
tionné ces  ponIs  en  faisant  construire 
des  chevalels  en  acier  creux  très  légers, 
cl,  par  conséquent,  facilement  trans- 
porlables  ;  les   pieds   son!   cuticules;    ils 


toujours  suflisanls  pour  permettre  à 
l'infanterie,  à  la  cavalerie,  à  l'artillerie 
et  au  train,  avec  ses  plus  lourdes  voi- 
tures, de  traverser  la  plupart  des  cours 
d'eau.  Mais  lorsqu'il  s'agit  de  rétablir 
une  voie  ferrée,  le  pont,  pour  qu'il 
puisse  supporter  l'énorme  charge  d'un 
train,  doit  nécessairement  posséder  une 
solidité  plus  grande  encore. 

On  se  sert  alors  des  ponts  en  fer  ou 
en  acier  composés  de  pièces  démon- 
tables qui  s'assemblent  par  tronçons. 
Il  en  existe  divers  types. 

Mais  chaque  corps  d'armée  ne  possé- 
dant (|u'un  équipage  de  pont,  le  nombre 
de  ces  équipages  est  bien  insufiisant 
pour  répondre  aux  exigences  dos  im- 
menses elfeclifs  des  armées  modernes. 
Déjà  leur  absence  a  été  cause  d'acci- 
dents déplorables  :  «  Si,  le  2()  jan- 
vier IHl  f,  écrit  le  duc  de  Feltre,  j'avais 
eu    un    e(|uipage   de   ponIs   et  dix  pon- 


PONTS     MII.ITAIIIKS 


Ions,  la  guerre  sérail 
linie  et  l'armée  de 
Sclnvarzeniberg  n'cxis- 
lerail  plus,  je  lui  aurais 
[)ris  huit  ou  dix  mille 
voitures  et  battu  son 
armée  en  détail;  mais, 
à  défaut  de  bateaux,  je 
nai  pas  pu  passer  la 
Seine,  où  il  aurait  fallu 
i|ue  je  puisse  la  passer 
à  volonté.  » 

Le  général  Clarke  dit 
de  même  :  «  Si  j'avais 
eu  un  équipage  de 
ponts  à  Mezy,  l'armée 
de  Schwarzemberg  eût 
été  détruite;  et  si  j'en 
avais  eu  un  ce  malin 
(le  "2  mars  1814  ,  l'armé 
eût  été  perdue.  » 

On  s'est  donc  préoccupé  de  recher- 
cher des  moyens  permettant  aux  troupes 
de  franchir  des  cours  d'eau  en  impro- 
visant, avec  leurs  seules  ressources,  les 
passerelles  et  les  radeaux  nécessaires, 
sans  avoir  recours  aux  équipages  des 
corps  d'armée,  ceux-ci  étant  plus  spé- 
cialement  réservés    pour    l'artillerie. 

Le  plus  simple  est  de  remplacer  les 
bateaux  des  équipages  par  des  bateaux 
de  commerce  ou  de  pêche  réquisi- 
tionnés dans  la  rivière  qu'il  s'agit  de 
franchir,  mais  ce  moyen  peut  rarement 
être  employé,  car  l'ennemi  a  généra- 
lement soin  de  détruire,  sur  une  assez 
grande  longueur  en  amont  et  en  aval, 
les  bateaux    qui    se    trouvent    dans    le 


de    Hliicher 


cours  d'eau  dont  il  défend  le  passage. 
S'il  est  possible  de  trouver  beaucoup 
de  bois  sur  les  rives,  on  remplace  les 
bateaux  par  des  radeaux  faits  avec  des 
troncs  d'arbres,  des  solives  de  maisons, 
des  charpentes  de  toitures.  Ln  tablier 
fait  de  poutrelles,  de  madriers  et  de 
planches  est  jeté  de  l'un  à  l'autre 
comme  dans  les  ponts  de  bateaux.  Pour 
que  le  pont  soit  convenablement  con- 
struit, il  faut  donner  aux  radeaux  de 
bois  une  grande  dimension,  car,  la 
partie  immergée  étant  peu  épaisse,  on 
n'obtient  une  force  de  sustentation  suf- 
fisante qu'en  augmentant  la  surface  du 
flottage.  Quand  on  peut  trouver  des 
tonneaux,  on  les  ajoute  aux  radeaux 
afin  de  leur  donner  plus  de  force.  On 
place  ces  radeaux  aux  points  qu'ils  doi- 


/        ! 


rONT     PFIND 


PONTS    MII.ITAIUKS 


\cnt  occuper,  comme  s'il  s'agissait  des 
l)aleaux  d'un  pont. 

Les  ponts  de  circonstance  autres  que  le 
pont  de  chevalets  sont  assez  nombreux  : 

Le  pont  de  f^abions,  qui  sert  à  passer 
les  petits  cours  d'eau,  les  marais  et  les 
fossés;  on  le  forme  avec  des  lits  de  ga- 
bions et  de  fascines  qui  se  construisent 
aisément  sur  place.  Il  peut  supporter 
d'assez  lourds  fardeaux. 

Les  ponts  de  tonneaux,  faits  avec  des 
tonneaux  réunis  en   radeaux  au  moyen 


à  ces  câbles.  Ce  pont,  à  tablier  horizon- 
tal,   est    préférable  au    précédent. 

De  nombreuses  expériences  de  con- 
struction de  ponts  par  des  hommes  non 
exercés  et  avec  des  matériaux  trouvés 
sur  les  rivages  ont  été  faites  au  cours 
de  ces  dernières  années,  et  l'on  a  re- 
connu que  l'établissement  d'un  pont, 
passerelle  ou  radeau  improvisé  ou  de 
fortune,  |)our  franchir  une  rivière  de 
largeur  moyenne  dont  le  courant  n'est 
pas  trop  rapide,  est  une  opération  beau- 


Ù£:^^lm 


DE    T  0  N  N  E  A  r  X 


de  châssis  plus  ou  moins  compliqués. 
(  In  recouvre  ces  radeaux  de  madriers 
joignant  les  deux  rives  comme  on  ferait 
pour  un  pont  de  bateaux. 

Les  ponts  de  cordages,  qui  servent 
pour  les  ravins,  les  torrents,  les  rivières 
très  encaissées. 

Ces  derniers  sont  de  deux  sortes.  Le 
pont  sur  cliuinelle,  dans  lequel  le  tablier 
|)orte  directement  sur  deux  câbles 
tondus  d'une  rive  à  l'autre;  ce  pont 
oscille  beaucoup  et  ne  peut  servir  (pic 
pour  l'infanterie.  Le  pont  suspenduou 
xar  paralxile,  dans  lequel  le  tablier  est 
suspendu  ii  doux  câbles  tendus  au  moyen 
(le  potences  établies  sur  les  deux  rives, 
par  l'interniédiaire  d  ordonnées  en 
cordes,   coiislituaiit   des   liranls,    fixées 


coup  plus  facile  qu'on  ne  le 
it.  Des  fantassins 
ou  des  cavaliers  peuvxnt 
être  transformés  en  assez 
bons  pontonniers. 

.Vux  dernières  grandes 
manœuvres,  on  construisit 
une  passerelle  sur  fermes 
en  perches  assez  élégante  et  d'une  so- 
lidité suffisante  pour  que  l'artillerie  put 
y  passer.  Sur  chaque  rive  on  forma  les 
cadres  en  reliant  solidement  les  per- 
ches; on- les  dressa  en  les  maintenant 
avec  des  cordes  et  ou  les  laissa  s'in- 
cliner peu  à  peu  l'un  vers  l'autre,  au- 
dessus  (lu  cours  d'eau,  jus(pr;i  ce  qu'ils 
se  fussent  rencontrés  arc-boutés  par 
leur  sommet  ;  on  les  attacha  et  on  com- 
pléta le  pont  par  des  traverses  et  des 
tirants  soutenant  le  tablier. 

I)'excellentes  passerelles  peuvent  être 
construites  avec  les  matériaux  les  plus 
rudinientaires  (pii  se  trouvent  dans  tous 
les  villages  ;  ([uehpies  tonneaux,  quel- 
ques échelles,  des  |)lanclies,  des  per- 
ches, des  volets  de  fenêtres,  des  claies 


1>()NTS     M  I  I   11    \  1  1!  i:S 


'S 


rONT    Sl'P,     FERMES    EN     PEUCHES 


di-  jardin,  des  échalas,  des  râteliers 
d'éetiries  et  toutes  matières,  en  un  mot, 
susceptibles  de  llotter. 

On  remplace  quelquefois  les  ton- 
neaux, dont  l'assemblage  en  radeaux 
est  assez  long,  par  des  outres,  ])ar  des 
ballons  en  étoile  imperméable  gonflés 
d'air. 

On  établit  aussi  des  ponts  avec  les 
sacs  à  distribution  ou  à  fourrage  en 
toile  imperméable  des  corps  de  troupe. 
On  les  remplit  de  paille  ou  de  toute 
autre  matière  légère,  on  les  ligature  for- 
tement et  on  les  met  à  l'eau  où  ils  rem- 
plissent parfaitement  l'office  de  ton- 
neaux. Chaque  sac  peut  supporter 
5(1  kilogrammes.  On  place  ces  sacs  con- 
jointement et  parallèlement  au  courant, 
on  les  attache  à  une  échelle  que  l'on 
recouvre  de  planches,  et  on  a  ainsi  une 
travée  de  passerelle  suffisamment  solide. 


Ou  bien  on  en  forme  des  radeaux 
qui  remplissent  le  même  office  que  les 
bateaux  d'un  pont  de  bateaux;  chacun 
d'eux  se  compose  de  huit  sacs,  |)lus 
deux  sacs  aux  ailes,  réunis  par  une 
perche  et  constituant  balancier.  Ces 
sacs  sont  amarrés  entre  eux  et  avec  des 
madriers  qui  les  embrassent  dessus  et 
dessous;  d'autres  madriers  réunissent 
les  radeaux;  des  cordes,  disposées  eu 
croix,  sont  tendues  du  balancier  d'un 
radeau  au  balancier  du  suivant  et  con- 
stituent des  contreventements.  Si  le  cou- 
rant est  fort,  on  amarre  la  passerelle  en 
divers  points  à  une  corde,  dite  cinque- 
nelle,  tendue  d'un  bord  à  l'autre,  où  à 
des  ancres  de  fortune  mouillées  en 
amont. 

La  Corrèze,  large  de  30  mètres,  fut 
franchie  récemment  sur  une  passerelle 
de  sacs  ;  les  voitures   passèrent   sur  un 


Trftvés        Chevalets.      Sacs, 


Tonneaux.      Sacs  a  fonrraire.      Pont  de  bateaax. 
PONT      IMPROVISÉ 


gonflées.  Tonne; 


l'ONTS     MILITA  111  ES 


radeau  agencé  de  la  mêmi'  lavon.  La 
construction  du  loul  dura  une  lieui-e 
trois  quarts,  et  refTecliC  d'un  régiment 
traversa  la  rivière  en  moins  d'une  heure. 

Pour  une  passerelle  de  100  mètres,  il 
faut  deux  cents  sacs,  et  100  hommes  met- 
tront une  à  deux  heures  pour  la  con- 
struire et  pour  la  lancer,  suivant  les 
circonstances  plus  ou  moins  favorables. 

La  .Meuse,  large  de  75  mètres,  l'ut 
l'ranchio  en  une  demi-heure  par  le 
•J.")'"  chasseurs  sur  une  passerelle  de  sacs 
établie  en  moins  de  deux  heures. 

Les  r;ideatix-.sacs  du  capitaine  llabert 
sont  basés  sur  le  même  principe.  Le  sac 
en  toile,  qui  pèse  i  à  f)  kilogrammes  sui- 
vant le  type,  est  porté  roulé  sous  la  selle 
nu  en  sautoii-;  il  est  pourvu  d'anneaux 
sur   I1111I    son    pourtour-,   ce   qui    perniel 


d  en  assembler  plu- 
sieurs. On  le  bouri'c 
de  matériaux  lé- 
gers, tels  que  ro- 
seaux, feuillages, 
etc.  On  le  met  en 
mouvement  soit  à 
l'aide  d'un  va-ct- 
vienl,  soit  avec  des 
rames  improvisées 
on  une  perche  ser- 
vant de  gatfe. 

Le  radeau    peut 
porter,    suivant    le 
type  et  l'arme,   i. 
3   ou   G    hommes. 
On    augmente    sa 
stabilité  en  accou- 
plant   deux    sacs: 
en  cet  étal  il  s'est 
montré  inchavira- 
ble    même    sur  la 
Durance    avec    un 
courant   de    4  mè- 
tres par    seconde. 
■  a  pu,  avec  un  seul  radeau. 
c  par  le  3'^  hussards.  Avec 
IX   accolés,  un   bataillon  du 
jne    a   franchi    la    Marne   en 
\ingt-deux  minutes. 

Ces  mêmes  radeaux  triplés  peuvent 
transborder  une  voiture  vide  de  compa- 
gnie ;  il  faut  quatre  radeaux  juxtaposes 
pour  une  voilure  chargée  ou  un  canon. 
\,o  capitaine  Neller  a  imaginé  une 
passerelle  portative  fort  légère,  qui  a 
été  employée  au  Tonkin  ;  elle  est  faite 
de  bambous  fendus  en  quatre,  servant  à 
constituer  la  trame  d'une  sorte  de  tissu 
analogue  à  certains  stores  qui  ne  peu- 
vent s'enrouler  que  d'un  côté,  la  chaîne 
est  formée  jjar  une  vingtaine  de  fils 
de  fer.  C'est  une  véritable  toile  d'un 
mètre  de  large  et  de  dix  mètres  de  long, 
qui  forme  un  élément  de  passerelle. 

On  peut  réunir  trois  de  ces  éléments, 
ce  qui  donne  à  la  passerelle  une  portée 
tie  30  mètres,  l'n  élément  pèse  .'{0  kilo- 
grammes :  il  peut  s'enrouler  pour  le 
transport,   et,  dans  cet  état,  il  n'est  pas 


.Mii.iTAii:i: 


|ilus  ^Tos  qu'un  fagot.  Celle  passerelle, 
(|iii  peul  être  très  rapidement  mise  en 
plaue,  supporte  un  poiils  de  500  kiln- 
f;rammes. 

Enlin,  l'ingéniosité  des  officiers  dé- 
couvre tous  les  jours  de  nouveaux  dis- 
positifs, comme  ce  pont  de  montagne 
dont  nous  donnons  un  croquis  plus 
l'xpiicatif  que  des  phrases. 

I,  Oder  a  été  franchi,  l'an  dernier,  par 
iMi  régiment  d'artillerie  allemand,  dont 
le  matériel  était  rendu  flottant  par  le 
procédé  suivant  :  à  l'essieu  de  chacune 
des  roues  des  pièces  et  des  caissons  on 
avait  assujetti  trois  tonneau.v  vides;  un 
tonneau  vide  était  également  assujetti  à 
l'extrémité  du  timon.  L'arrangement 
avait  été  fait  à  la  caserne  de  telle  façon 
qu  il  n  empêchait  pas  le  roulement. 

.\u  bord  du  fleuve,  les  chevaux  furent 
dételés,  les  caissons  et  les  canons  pous- 
sés dans  l'eau  par  les  canonniers.  Grâce 
aux  tonneaux  vides,  ils  flottèrent,  et  des 
iiommes,  montés  par  groupes  de  cinq  sur 
des  pontons,  les  remorquèrent  à  l'aide 
d'amarres  jusqu'il  la  rive  opposée  on  ils 
furent  hissés  par  des  équipes,  l.e  harna- 
chement fut  transporté  dans  des  bateaux 
el  les  chevaux  passèrent  à  la  nage,  tenus 
à  l'aide  de  licols  par  des  conducteurs 
embarqués  sur  des  pontons. 

Chaque  régiment  de  cavalerie  de  1  ar- 
mée allemande  a  été  récemment  doté 
d'un  équipage  de  ponts  très  légers  que 
l'on  transporte  sur  une  voiture  à  six  che- 
vaux ;  il  se  compose  de  deux  bateaux 
pliants  pouvant  se  diviser  en  trois  par- 


ties étanches  :  deux  becs  el  un  entre- 
deux,  qui  se  replient  à  la  façon  des 
girandoles  et  qui,  dans  cet  étal,  olf'rent 
un  très  petit  volume.  Ces  trois  parties, 
développées  el  assemblées  boni  à  bout 
à  l'aide  de  quelques  rivets,  forment  un 
bateau  de  6'", 50  de  longueur,  1"',50  de 
largeur  et  0™,60  de  creux.  En  même 
temps  que  ces  bateaux  on  transporte, 
pour  former  le  tablier  du  pont,  des 
planches  de  4  mètres  de  long  et  1  mètre 
de  large.  On  peiît,  avec  ce  matériel, 
jeter  très  rapidement  un  pont  large  de 
1  mètre  et  long  de  "20,  reposant  sur 
quatre  supports  flottants  :  les  quatre 
becs  réunis  deux  par  deux  et  les  deux 
entre-deux,  ou  bien  un  pont  large  tle 
3  mètres  et  long  de  8  mètres  seulement, 
praticable  aux  trois  armes.  iMilin,  on 
peut  former  un  radeau  capable  de  por- 
ter un  ])oids  de  2  750  kilogrammes,  soit 
quati-e  chevaux  el  une  pièce,  avec  un 
avant-train  chargé  ou  une  trentaine  de 
fantassins  sans  sac. 

Les  .-Mlemands,  qui  étudient  avec  un 
soin  particulier  cette  question  du  pas- 
sage des  cours  d'eau  ])ar  les  troupes, 
ont  terminé  récemment  une  séiie  d'ex- 
périences, qui  ont  très  bien  réussi,  dont 
le  but  était  de  faire  traverser  par  Tin- 
i'anlerie  des  rivières  Âe  toutes  largeurs 
en  utilisant  des  bateaux  construits  avec 
les  toiles  de  tentes  portées  par  les 
hommes. 

C  I,  l':  M  E  N  T    C  A  s  Cl  A  M  . 


L'intersigne  de  la  Bague  d'argent 


Ucux  jours  après  ses  accordaillcs 
l.e  syndic  dit  à  Yann-Yvon  : 
•»  Mon  gars,  il  faut  que  tu  t'en  ailles 
Dès  demain  rejoindre  à  Toulop. 

«  Oui,  qui,  cela  ne  te  va  guère; 
Mais  l'Etat  veut  tous  nos  garçons, 
Car  on  parle  encore  de  guerre 
Avec  nos  amis  les  Saxons. 

«  Oh!  je  sais  pourquoi  tu  te  troubles 
Mon  Yann  allait  se  marier! 
Bah  !  tu  mettras  les  baisers  doubles 
Ouand  tu  reviendras  timonier!...  » 

Il  fallut  donc,  coûte  que  coûte, 
Le  lendemain  quitter  Port-Blanc... 
Et  Vann-Yvon  se  mit  en  route 
Dans  la  voiture  au  vieu.x  Rolland. 

Une  fillette  était  assise 

Entre  le  voiturier  et  lui  : 

C'était  Jeannette,  sa  promise, 

Oui  pleurait  tout  dou.x  et  sans  bruit. 

Elle  avait  voulu  le  conduire 
Jusqu'en  g:ire  de  l'Iouaret, 
Et,  tout  le  long,  sans  lui  lien  dire. 
Elle  pleurait!  elle  pleurait! 

.\h  !  le  triste,  triste  voyage! 
Oh  !  les  tristes,  tristes  amants  ! 
.•\vant  même  le  mariage 
(."onin)en(,aient  déjà  les  tourments!... 

Enfin,  la  rustique  chanetlt.' 
.\tteint  I.annion:  le  gabier 
Dit  à  son  conducteur  :  «  Arrête 
Dev.int  Prigent  le  bijoutier.  » 

lù  le  voil.à  qui  vite,  \itc, 
Souiiant  ilun  air  engageant. 
Descend  sa  .leannctle  cl  l'invite 
.V  choisir  un  anneau  d'ari;ent  : 


«  Pour  moi,  je  veux,  je  vous  le  jui 
Vivre  et  mourir  en  vous  aimant. 
Que  maudit  soit  donc  le  parjure 
Qui  manquerait  à  son  serment  !  •>• 

Et  Jeanne,  soudainement  blême, 
Baisa  la  bague  par  trois  fois, 
Murmura  :  «  J'en  jure  de  même  ! 
Et  lit  un  grand  signe  de  croix... 

...